Aller au contenu

Correspondance de Voltaire/1772/Lettre 8547

La bibliothèque libre.
Correspondance : année 1772GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 48 (p. 97-98).
8547. — À M. LE COMTE D’ARGENTAL.
18 mai.

Mon cher ange, le jeune avocat Duroncel a non-seulement renoncé aux âmes de fer et à son crédit, mais il a changé entièrement la troisième partie de son plaidoyer, et plusieurs paragraphes dans les autres.

Vous avez la bonté de nous mander que M. le duc de Duras daigne s’intéresser à cette petite affaire, et qu’il doit la recommander au magistrat dont elle dépend. Si ce magistrat est monsieur le chancelier, sachez enfin qu’il la connaît déjà, et qu’il y a plus d’un mois que le plaidoyer de Duroncel est entre ses mains, par une aventure très-bizarre et très-ridicule[1]. Il n’en a dit mot, ni moi non plus ; l’avocat n’a point paru. J’ai dû ignorer tout ; je me suis renfermé dans mon honnête silence. Il ne m’appartient pas de me mêler des affaires du barreau, on jugera bien cette cause sans moi ; mais M. le duc de Richelieu m’inquiète j’ai lieu de croire qu’il est fâché qu’on se soit adressé à d’autres qu’à lui ; nous tâcherons de l’apaiser.

On a suivi entièrement le conseil de l’ange très-sage, dans la petite réponse à M. Le Roy[2]. Point d’injures, beaucoup d’ironie et de gaieté. Les injures révoltent, l’ironie fait rentrer les gens en eux-mêmes, la gaieté désarme.

La Condamine n’aurait pas tant de tort ; comptons :

Les soldats de Corbulon. 
 30
La Beaumelle et compagnie. 
 5
Clément et compagnie. 
 15
Fréron et compagnie. 
 20
L’escadron volant. 
 30
 
———
Total. 
 100

Lesquels font au parterre une troupe formidable, soutenue de quatre mille hypocrites.

Que faut-il opposer à cette armée ? force bons vers et force bons acteurs ; mais où les trouver ?

Je me flatte que l’autre Teucer sera agissant dans les derniers actes, comme le mien.

Je commence à croire qu’il y aura un long congrès à Yassi, car ma colonie y envoie des montres avec des cadrans à la turque.

Je plains ce galant Danois[3] ; c’était l’Amour médecin, et, après tout, ni Astolphe ni Joconde ne firent couper le cou aux amants de leurs femmes.

Je baise humblement les ailes de mes anges.

Dites-moi donc comment je puis vous envoyer la Crète : pourquoi n’a-t-on pas encore représenté Pierre[4] ?

  1. Voyez lettre 8538.
  2. Lettre sur un écrit anonyme, tome XXVIII, page 489.
  3. Struensée ; voyez lettre 8490.
  4. Pierre le Cruel, tragédie de de Belloy, jouée le 20 mai 1772.