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Correspondance de Voltaire/1772/Lettre 8587

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8587. — À FRÉDÉRIC II, ROI DE PRUSSE.
31 juillet 1772[1],

Sire, permettez-moi de dire à Votre Majesté que vous êtes comme un certain personnage de La Fontaine :


Droit au solide allait Bartholomée[2].


Ce solide accompagne merveilleusement la véritable gloire ; vous faites un royaume florissant et puissant de ce qui n’était, sous le roi votre grand-père, qu’un royaume de vanité. Vous avez connu et saisi le vrai en tout, aussi êtes-vous unique en tout genre. Ce que vous faites actuellement vaut bien votre poëme sur les confédérés. Il est plaisant de détruire les gens et de les chanter[3].

Je dois dire à Votre Majesté qu’un jeune homme de vingt-cinq ans, très-bon officier, très-instruit, ayant servi dès l’âge de douze ans, et ne voulant plus servir que vous, est parti de Paris sans en rien dire à personne, et vient vous demander la permission de se faire casser la tête sous vos ordres. Il est d’une très-ancienne noblesse, véritable marquis, et non pas de ces marquis de robe ou marquis de hasard, qui prennent leurs titres dans une auberge, et se font appeler monseigneur par les postillons, qu’ils ne payent point. Il s’appelle le marquis de Sainte-Aulaire, neveu d’un lieutenant général, l’un de nos plus aimables académiciens, lequel faisait de très-jolis vers à près de cent ans, comme vous en ferez, à ce que je crois, et à ce que j’espère. Je pense que mon jeune marquis est actuellement à Berlin, cherchant peut-être inutilement à se présenter à Votre Majesté ; mais on dit qu’il en est digne, et que c’est un fort bon sujet [4].

Le vieux malade se met à vos pieds avec attachement, admiration, respect et syndérèse.

  1. Cette lettre a été placée à tort par Beuchot sous la date du 2 mai 1767. Voyez une note de la lettre 6870.
  2. La Fontaine, conte du Calendrier des vieillards.
  3. Les deux dernières phrases de cet alinéa avaient été omises par Beuchot, et sont rétablies d’après l’édition de Kehl.
  4. La fin de cet alinéa, depuis « Je pense que, » n’a pas été donnée non plus par Beuchot.