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Correspondance de Voltaire/1772/Lettre 8613

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Correspondance : année 1772GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 48 (p. 159-160).
8613. — À M. LE COMTE D’ARGENTAL.
28 auguste.

Mon cher ange m’écrit du 22 ; mais n’a-t-il point reçu le paquet des Lois de Minos que je lui avais dépêché par M. Bacon, substitut de monsieur le procureur général ? Il me parle de la fête de la Saint-Barthélemy, mais pas un mot de Minos. J’ai peur que messieurs de la poste ne se soient lassés de favoriser mon petit commerce de tragédies et de montres, que je faisais assez noblement. J’ai essuyé les plus grandes difficultés et les plus cruels contre-temps, dont ni tragédie, ni comédie, ni petits vers, ni brochures, ne peuvent guère me consoler ; mais si Minos ne vous a point été rendu, que deviendrai-je ?

J’ai toujours été persuadé que le procureur qui a joué le rôle de magistrat avec Du Jonquay est punissable ; et que Desbrugnières, le pousse-cul, mérite le pilori[1] ; que M. de Morangiés a cru attraper les Du Jonquay en se faisant prêter par eux cent mille écus qu’il ne pouvait rendre ; qu’il a été attrapé lui-même ; que, dans l’ivresse de l’espérance de toucher cent mille écus dans trois jours, il a signé des billets avant d’avoir l’argent ; mais je tiens qu’il est impossible que les Du Jonquay aient eu cent mille écus.

Dieu veuille que je ne perde pas cent mille écus à mes manufactures !

Minos me consolera un peu, s’il réussit ; mais vraiment, pour le Dépositaire, je ne suis pas en état d’y songer : Minos a toute mon âme.

On a joué, ces jours passés, Olympie sur le théâtre de Genève, qui est à quelques pas de la ville ; elle a été applaudie bien plus qu’à Paris. Une belle actrice toute neuve[2], toute simple, toute naïve, sans aucun art, a fait fondre en larmes. Ce rôle d’Olympie n’est pas fait, dit-on, pour Mlle Vestris ; c’est à vous d’en juger. Patrat a joué supérieurement le grand prêtre. Je le trouve bien meilleur que Sarrazin dans plusieurs rôles ; il me paraît nécessaire au tripot de Paris. Il s’offre à jouer tous les rôles. Il a beaucoup d’intelligence, un air très-intéressant ; il y a là de quoi faire un acteur admirable. Il me serait très-nécessaire dans les Lois de Minos. Les comédiens le refusent-ils parce qu’il est bon ? Ils ont déjà privé le public de plusieurs sujets qui auraient soutenu leur pauvre spectacle. Les intérêts particuliers nuisent au bien général dans tous les tripots.

Je lirai le livre[3] dont vous me faites l’éloge ; mais j’aime mieux Molière que des réflexions sur Molière.

À l’ombre de vos ailes, mes divins anges.

  1. Voyez tome XXVIII, pages 506 et 507.
  2. Elle s’appelait Camille ; voyez lettre 8576.
  3. De l’Art de la comédie, par Cailhava (voyez tome XLIV, page 127), 1772, quatre volumes in-8o. Une nouvelle édition, 1786, n’a que deux volumes in-8o.