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Correspondance de Voltaire/1772/Lettre 8617

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8617. — À M. LE MARQUIS DE CONDORCET.
1er septembre.

L’abbé Pinzo[1], monsieur, écrit trop bien en français ; il n’a point le style diffus et les longues phrases des Italiens. J’ai grand’peur qu’il n’ait passé par Paris, et qu’il n’ait quelque ami encyclopédiste. Malheureusement sa position est celle de Pourceaugnac[2] : « Il me donna un soufflet, mais je lui dis bien son fait. »

À l’égard des Systèmes, il faut s’en prendre un peu à M. Le Roy[3], dont l’équipée est un peu ridicule.

À l’égard des athées, vous savez qu’il y a athée et athée, comme il y a fagots et fagots. Spinosa était trop intelligent pour ne pas admettre une intelligence dans la nature. L’auteur du Système ne raisonne pas si bien que Spinosa, et déclame beaucoup trop.

Je suis fâché pour Leibnitz, qui sûrement était un grand génie, qu’il ait été un peu charlatan ; ni Newton ni Locke ne l’étaient. Ajoutez à sa charlatanerie que ses idées sont presque toujours confuses. Puisque ces messieurs veulent toujours imiter Dieu, qui créa, dit-on, le monde avec la parole, qu’ils disent donc comme lui : fiat lux.

Ce que j’aime passionnément de M. d’Alembert, c’est qu’il est clair dans ses écrits comme dans sa conversation, et qu’il a toujours le style de la chose. Il y a des gens de beaucoup d’esprit dont je ne pourrais en dire autant.

Adieu, monsieur : faites provigner la vigne tant que vous pourrez ; mais il me semble qu’on nous fait manger à présent des raisins un peu amers.

  1. Voyez une note sur la [[|lettre 8219]] ; tome XLVII. page 364.
  2. Acte I, scene vi.
  3. Auteur des Réflexions sur la jalousie, pamphlet contre Voltaire : voyez tome XXVIII, page 489.