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Correspondance de Voltaire/1772/Lettre 8622

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Correspondance : année 1772GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 48 (p. 166-167).
8622. — À M. LE CARDINAL DE BERNIS.
Ferney, le 10 septembre.

En voici bien d’une autre, monseigneur ; il court une Lettre insolente, exécrable, abominable, d’un abbé Pinzo[1] au pape. Je n’ai jamais assurément entendu parler de cet abbé Pinzo ; mais des gens remplis de charité m’attribuent cette belle besogne. Cette calomnie est absurde ; mais il est bon de prévenir toute sorte de calomnie.

Je demande en grâce à Votre Éminence de vouloir bien me mander s’il y a en effet un abbé Pinzo. L’on m’assure qu’on a envoyé cette lettre au pape comme étant mon ouvrage. Je révère trop sa personne, et je l’estime trop, pour craindre un moment qu’il me soupçonne d’une telle sottise. Mais enfin, comme il se peut faire qu’une telle imposture prenne quelque crédit dans Rome chez des gens moins éclairés que Sa Sainteté, vous me pardonnerez de vous en prévenir, et même de joindre à cette lettre le témoignage de monsieur le résident de France à Genève.

Le dangereux métier d’homme de lettres expose souvent à de telles imputations. On dit qu’il faut prendre le bénéfice avec les charges ; mais ici le bénéfice est du vent, et les charges sont des épines.

Mon très-ancien, très-tendre, et très-respectueux attachement pour Votre Éminence me fait espérer qu’elle voudra bien m’ôter cette épine du pied, ou plutôt de la tête : elle est bien sûre de mon cœur.


Pièce jointe a la lettre précédente.

Je soussigné certifie que M. de Voltaire m’a fait voir aujourd’hui une lettre datée d’une campagne près Paris, du 21 août 1772[2], contenant en trois pages diverses choses particulières, et à la fin ces mots : « Le pape a fait enfermer un abbé Pinzo ; il court ici une lettre de cet abbé à Sa Sainteté, etc. ; » et que, sur une feuille séparée, de la même écriture, est la lettre dudit abbé Pinzo, telle qu’elle a été imprimée ; certifie de plus que personne ne connaît à Genève cet abbé Pinzo, et que tous les Genevois que j’ai vus m’ont témoigné une indignation marquée de cette lettre vraie ou supposée.

Fait à Genève, le 9 septembre 1772.

Hennin, résident pour le roi.

  1. La lettre de l’abbé Pinzo est imprimée dans le recueil intitulé Évangile du jour, tome IX. ouvrage où se trouvent beaucoup de pièces attribuées à Voltaire.
  2. Dans la publication de Hennin fils, 1825, il y a ici : « 12 août » au lieu de « 21 août ».