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Correspondance de Voltaire/1772/Lettre 8632

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8632. — À MADAME DE SAINT-JULIEN.
À Ferney, 21 septembre.

Vous passez donc votre vie, madame, à tuer des perdrix et à rendre de bons offices ? Vous êtes essentielle et discrète. Ce n’est pas pour rien que vous vous habillez si souvent en homme : vous avez toutes les bonnes qualités des deux sexes. Je vous appelais papillon philosophe : je ne vous appellerai plus que papillon bienfaisant.

Je vous suis infiniment obligé d’avoir parlé à M. d’Ogny ; ma colonie devient tous les jours plus considérable, et, si elle n’est pas protégée, elle tombera. J’aurai fait en vain des efforts au-dessus de mon état et de ma fortune ; j’aurai en vain défriché des terres et bâti des maisons, établi quarante familles d’étrangers et une assez grande quantité de manufactures : ma destinée aura été de travailler pour des ingrats de plus d’un genre. Monsieur le contrôleur général m’a fait un tort irréparable ; mais je ne lui ai pas demandé la moindre grâce. Je suis consolé par vos bontés, par votre amitié : vous m’encouragez, et je continue hardiment ce que j’ai commencé.

Racle vous doit tout : il est vrai qu’il n’a encore rien, mais il aura ; il faut savoir attendre. Vous êtes la divinité de notre petit canton. Je vous brûle des grains d’encens tous les jours sans vous le dire.

Soyez bien persuadée, madame, de mon tendre et respectueux attachement.

Le Vieux Malade de Ferney.