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Correspondance de Voltaire/1772/Lettre 8684

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Correspondance : année 1772GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 48 (p. 222-223).
8684. — DE MADAME LA MARQUISE DU DEFFANT[1].
Paris, 18 novembre.

J’ai tout entendu, mon cher Voltaire, et je vous en dois des remerciements infinis. Je doute que les morts soient aussi contents de vous que le sont les vivants. Horace rougira (si tant est que les ombres rougissent) de se voir surpassé, et Minos de se voir si bien jugé, et d’être forcé d’avouer qu’il devrait subir les punitions auxquelles il condamne des gens moins coupables que lui. Astérie est très-intéressante. Le roi représente très-bien Gustave III : c’est en faire un grand éloge. Sans doute j’aime ce Gustave : j’ai eu le bonheur de le connaître pendant son séjour ici. Je puis vous assurer qu’il est aussi aimable dans la société qu’il est grand et respectable à la tête de la chose publique. C’est le héros que vous devez célébrer et peindre, il n’y aura point d’ombre au tableau.

J’ai eu un vrai plaisir à faire les applications que vous avez eues en vue en composant votre pièce. En vérité, mon cher Voltaire, vous n’avez que trente ans[2]. Si c’est grâce à qui vous savez que vous ne vieillissez pas, vous vérifiez bien le proverbe : Oignez vilain, etc., etc.

J’ai été très-contente de Lekain, il a lu à merveille ; mais je ne suis point contente de la distribution des rôles, je voudrais qu’il fit le roi ; il dit que cela ne se peut pas ; je n’entends pas les dignités théâtrales ; il y en a pourtant bien de cette sorte à la cour et à la ville.

D’où vient que vous ne voulez pas connaître tout cela par vous-même ? Cessez donc d’écrire, si vous voulez nous persuader que c’est votre âge qui vous empêche de venir. Vous avez quarante ans moins que moi, et j’ai bien été cette année à Chanteloup. Quand l’âme est aussi jeune que l’est la vôtre, le corps s’en ressent ; vous n’avez aucune incommodité positive.

Je serais ravie de vous embrasser, de causer avec vous, et de vous trouver d’accord avec ce que je pense sur le mauvais goût, le mauvais ton qui règne dans tout ce qu’on fait, dans tout ce qu’on dit, et dans tout ce qu’on écrit. Donnez-moi de vos nouvelles, envoyez-moi toutes vos productions ; ce sont des armes que vous me donnerez pour défendre la bonne cause.

Adieu, aimez-moi toujours un peu, et je vous aimerai toujours infiniment.

  1. Correspondance complète ; édition de Lescure, 1865.
  2. Ce même jour, la marquise écrivait à la duchesse de Choiseul : « On lut avant-hier chez moi les Lois de Minos, et ce fut Lekain qui fit cette lecture. Je n’en parlerai point, non plus que de l’Épître à Horace ; jugez de la tragédie par l’épître, et vous ne vous tromperez pas. Elles sont toutes deux de la même date. Elles ont soixante-dix-huit ans. » (Correspondance Sainte-Aulaire.)