Cours d’agriculture (Rozier)/ASPHODÈLE

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Marchant (Tome onzièmep. 183-187).


ASPHODÈLE, Asphodelus L.) très ancien genre de plantes que Tournefort a placé le premier dans la première section de sa neuvième classe, laquelle renferme les végétaux à fleurs liliacées, dont le calice devient le fruit. Linnœus le range dans sa sixième classe, ordre premier, ou dans son hexandrie monogynie. Il fait partie de la famille des asphodéloïdes, dans l’ordre naturel, et se trouve compris dans la classe troisième, ou des monocotylédones à étamines périgynes.

Le caractère de ce genre consiste dans sa corolle divisée en six parties, six étamines dilatées à leur base, et recouvrant l’ovaire en forme de voûte ; un ovaire supérieur arrondi, duquel s’élève un style terminé par un stigmate simple, et enfin dans une capsule globuleuse, trigone, charnue, à trois loges qui contiennent des semences triangulaires.

Son nom, qui est grec, signifie en latin, hasta ou hastula regia, bacillus regius ; et en français, sceptre, par allusion à la forme qu’affectent ses fleurs disposées en longs et gros épis, qui imitent un bâton royal.

Parmi le petit nombre d’espèces qui composent ce genre, il n’y en a que deux que leurs propriétés puissent faire rechercher dans l’économie rurale et le jardinage ; ce sont, l’asphodèle jaune, et l’asphodèle rameuse, dont il sera question dans cet article.

L’asphodèle jaune, Lam. Dict. n°. 1, (asphodehis luteus L.) nommée asphodèles luteus flore et radice, Inst. R. herb., et vulgairement verge ou bâton de Jacob, est une plante vivace, herbacée, d’un beau port.

Racines, composées de beaucoup de fibres charnues, tubéreuses, cylindriques, jaunes, disposées en faisceau étalé, qui forment touffe, et occupent un diamètre de deux pieds environ, à une profondeur de vingt à vingt-cinq pouces.

Tiges, partant du milieu des faisceaux de racines, droites, cylindriques, dépourvues le plus ordinairement de rameaux latéraux, couvertes de feuilles dans les deux tiers de leur partie inférieure, et de fleurs dans le tiers de la partie supérieure ; s’élevant, de trois pieds de haut environ, se fanant et se desséchant à la fin de l’été.

Feuilles, longues, étroites, presque filiformes, striées, anguleuses, et diminuant de longueur à mesure qu’elles se rapprochent de l’extrémité de la tige à laquelle elles sont attachées par une membrane large, transparente et amplexicaule.

Fleurs, grandes, d’un beau jaune d’or, formant un épi, ou un thyrse d’un pied de long ; elles sont de forme un peu irrégulière, portées chacune sur un pédoncule court qui les attache à la tige. Les étamines sont d’inégale grandeur et recourbées en arrière ; elles paraissent en prairial, et durent jusqu’en messidor.

Fruits, globuleux, de quatre lignes de diamètre, légèrement triangulaires, d’abord verts, ensuite jaunes en mûrissant, divisés en trois loges qui renferment beaucoup de semences brunes et triangulaires, lesquelles mûrissent à la fin de l’été.

Lieux. Elle croît au Levant, dans plusieurs îles de l’Archipel, en Sicile et en Italie, dans les terrains sablonneux, à des expositions découvertes et chaudes.

Usages. Suivant Hoffmann, la racine de cette asphodèle est âcre, irritante, et est employée, en médecine, sous différentes formes, comme un bon médicament. On s’en sert dans les affections du calcul des reins et de la vessie, dans l’hydropisie, les engorgemens catarrheux, et les fièvres malignes. Sa dose est depuis un gros jusqu’à une demi-once, infusée dans de l’eau ou du vin.

Si ce remède étoit aussi efficace qu’on le dit, cette plante seroit, sans doute, un des plus utiles présens faits à l’humanité ; mais on ne le cite ici que sur le témoignage des anciens ; et, dans ce moment, il paroît qu’on y a peu de confiance, puisqu’on ne l’emploie que rarement dans des maladies malheureusement trop communes.

Propriétés d’agrément. L’asphodèle jaune peut être mise au rang des plus belles plantes estivales vivaces, de pleine terre. Placée dans de grandes plate-bandes, sur la ligne du milieu, ses quenouilles de fleurs d’un beau jaune d’or, et qui durent près d’un mois, y produisent un bel effet. Groupée avec art sur les bords des gazons, ou sur la lisière des bosquets, elle y jette de la variété ; mais c’est particulièrement dans les jardins paysagistes, dans les sites sérieux, parmi les rochers, et dans les sols agrestes, qu’elle produit de l’intérêt. En général, elle peut entrer dans la décoration de toutes sortes de jardins de plaisance.

Culture, L’asphodèle jaune est une plante rustique, qui croît dans tous les terrains, et à toutes les expositions. Cependant elle est beaucoup plus vigoureuse et plus belle, lorsqu’elle est placée à une exposition chaude, dans une terre légère, profonde et substantielle ; dans cette position, elle se multiplie si abondamment qu’on est obligé, chaque année, de supprimer une partie de ses drageons, pour empêcher qu’ils ne s’emparent du terrain dont ils couvriroient bientôt la surface. Il est donc très-facile de multiplier cette plante, sans faire usage des semis qui exigent des soins, et qui sont plus tardifs à donner des fleurs.

Cependant, lorsqu’on veut la multiplier en grand, il est plus expéditif d’employer la voie des graines. Quoiqu’elles conservent quatre ou cinq ans leur propriété germinative, cependant celles de la dernière récolte lèvent toujours plus abondamment et plus tôt, et par conséquent doivent être préférées. On les sème à l’automne dans un terrain sec et léger, situé à une exposition chaude. Lorsqu’il a été labouré et ameubli avec soin, on y répand les graines à la volée, et on les recouvre d’environ trois lignes d’une terre bien divisée, et dont on a ôté tous les corps étrangers. On affermit ensuite la terre, soit avec le rouleau, soit avec les pieds, et après l’avoir unie, on étend sur toute sa surface une couche de terreau ou de menue paille. Pendant l’hiver, si le froid est rigoureux, on peut couvrir le semis de feuilles sèches ou de litière qu’on enlèvera dès que les froids seront passés. Pour l’ordinaire, les graines ne lèvent que lorsque les chaleurs et les pluies du printemps ont excité une douce fermentation dans la terre ; et, si les pluies se faisoient attendre trop long-temps, il faudroit y suppléer par des arrosemens légers et multipliés à raison du besoin. Quand les semis seront levés, on aura soin de les garantir des mauvaises herbes et d’éclaircir le jeune plant, lorsqu’il aura pris quelque force, afin qu’il puisse profiter davantage, et rester à la même place jusqu’au printemps suivant. L’hiver, s’il survenoit des gelées de six à huit degrés, on feroit prudemment de le couvrir. Mais, aussitôt que le beau temps est arrivé, il faut s’occuper de la transplantation des jeunes individus, et pour cela on choisit une plate-bande d’une nature de terre un peu plus forte que celle du semis, et on a soin de bien l’ameublir. On trace ensuite des sillons, à dix-huit pouces les uns des autres, qui sont coupés à angle droit, par d’autres sillons à égale distance ; ce qui forme de petits carrés réguliers aux angles desquels on place, avec le plantoir, le jeune plant nouvellement arraché du semis. Immédiatement après, on l’arrose fortement, et on couvre la terre d’un pouce de gros terreau de couche. Un séjour de deux années en pépinière suffit au jeune plant pour acquérir la force convenable, et produire des touffes en état d’être mises à leur destination. Tendant ces deux années, toute la culture de ces plantes se réduit à les sarcler, à les biner de temps en temps, et à leur donner un labour chaque année ; et, lorsqu’une fois elles sont en place, elles n’exigent d’autres soins que ceux que nécessitent la propreté d’un jardin.

La seconde espèce dont il nous reste à parler est l’asphodèle rameuse, Lam. Dic. n°. 4, (asphodelus ramosus L.) ou l’asphodelus albus, ramosus, mas de Tournefort. Celle-ci se distingue aisément de la première par toutes ses parties, comme on pourra le voir par la description suivante.

Racines, vivaces, formées de plus d’une douzaine de tubercules charnus, longs de trois à cinq pouces, sur deux de diamètre environ, et réunis en manière de botte de navets. Chacun d’eux est terminé par une longue racine fibreuse qui donne naissance à un chevelu délié.

Tiges, hautes de deux à trois pieds, droites, cylindriques, nues, épaisses, pleines, et plus ou moins rameuses dans a partie supérieure. Elles prennent naissance au milieu d’une touffe de feuilles qui sort de la partie supérieure des racines.

Feuilles, radicales, nombreuses, longues de plus de deux pieds, larges d’un pouce à leur base, ensiformes et imitant un peu celles du poireau pour la couleur. Elles se dessèchent, ainsi que les tiges qu’elles accompagnent, chaque année, vers le commencement de l’automne.

Fleurs, nombreuses, ouvertes en étoile, de neuf lignes de diamètre, portées chacune sur un pédoncule court qui sort d’une écaille spathacée, et disposées en épis, lesquels terminent les tiges et les rameaux. Leurs pétales sont d’un blanc de lait, traversés dans leur largeur par une ligne pourpre ; les fleurs commencent à paroître à la mi-floréal, et se succèdent jusque vers le milieu de prairial.

Fruits, arrondis, à trois loges qui renferment beaucoup de semences brunes et anguleuses ; elles mûrissent vers la fin de thermidor, et se conservent en état de germer pendant quatre ou cinq ans.

Lieux. Cette asphodèle est originaire des climats chauds, où elle croît dans les campagnes, sur les coteaux, dans les terrains meubles, secs, et à des expositions chaudes. Sur la côte de Barbarie, elle infeste les récoltes de céréales ; elle vient en Italie, en Espagne, en Autriche, et dans les départemens méridionaux de la France ; elle croît abondamment dans le département de la Vendée ; on la trouve dans les sables du bord de la mer, aux environs de Montpellier, en même temps qu’elle se rencontre sur le mont Champsaur, dans le voisinage de Grenoble.

Usages médicinaux. Les feuilles et les rameaux florifères de cette espèce sont incisifs, apéritifs, détersifs, et emmenagogues. L’infusion de ses parties déterge les vieux ulcères, résout les tumeurs et chasse les venins, suivant les anciennes pharmacopées.

Propriétés économiques. La racine de cette plante, bouillie, écrasée et lavée à plusieurs fois dans de l’eau, pour lui enlever son âcreté naturelle, est employée à faire du pain qu’on dit passablement bon, lorsque cette fécule a été mélangée avec de la farine de blé ou d’orge, et salée. Les habitans des environs de Fontenav-le-Peuple, dans le département de la Vendée, ont eu recours à ce moyen pour se soustraire à la disette, et il n’en est pas résulté de maladies.

On assure qu’on en nourrit les porcs dans le Levant, et que toute la préparation que ces racines exigent consiste à les faire bouillir, à les triturer et à les mêler avec du son, de l’orge, ou autres alimens. Enfin, on en tire un amidon qui peut remplacer, à ce qu’on prétend, celui qu’on tire des grains pour faire la poudre à poudrer.

Une expérience, rapportée par le citoyen Sutières, semble prouver la bonne qualité des racines de l’asphodèle pour la nourriture des bestiaux. Un propriétaire chez lequel il se trouvoit, en Espagne, fit nourrir pendant tout l’hiver une partie de ses bestiaux avec du foin et de la paille, et l’autre partie avec des racines d’asphodèle seulement. Les premiers furent incommodés par l’hiver qui fut humide et très-inconstant, cette année, tandis que les autres le supportèrent parfaitement, et engraissèrent pour la plupart. Suivant le même auteur, les racines asphodèle se récoltent vers la fin de brumaire. On les met sous un hangar ou dans un grenier, pour les faire sécher ; on les entasse ensuite comme les autres racines, et on les donne crues ou cuites aux bestiaux.

D’après toutes ces propriétés économiques, il seroit à désirer qu’on multipliât cette plante sur le territoire français. On pourroit y employer les lieux vagues, les terrains sablonneux, les coteaux trop rapides, pour y établir des cultures profitables. Il suffiroit d’en planter quelques pieds à de grandes distances les uns des autres, lesquels, produisant des graines qu’on laisseroit tomber sur place, multiplieroient cette plante, de proche en proche, sur de grandes étendues de terrain. Ces lieux deviendroient des magasins de subsistances auxquels on auroit recours dans les temps calamiteux et de disette. Il est du devoir des administrateurs de préparer cette ressource à leurs concitoyens et à eux-mêmes : les racines alimentaires ont souvent sauvé les peuples granivores des horreurs de la famine.

Les anciens avoient l’habitude de planter l’asphodèle rameuse dans le voisinage des tombeaux, soit afin que ses racines servissent d’aliment aux mânes de leurs ancêtres, comme le croyoit le vulgaire, soit pour orner le champ de leur repos, ou, ce qui est plus probable, pour absorber les miasmes putrides qui s’échappent des corps en décomposition, et rendre à l’air toute sa pureté. Il faut être en garde contre la manie des esprits superficiels qui ridiculisent les pratiques anciennes ; sous une apparence bizarre, elles cachent souvent un but d’utilité de haute importance. Telle étoit celle de consacrer à quelque dieu ou à quelque déesse une forêt, un bois, et jusqu’aux arbres qui se trouvoient sur les montagnes. Placés ainsi sous la protection immédiate de la divinité, nul n’osoit y porter la hache sacrilège. Par ce moyen, les bois étoient religieusement respectés ; les montagnes, préservées de toute dégradation, fixoient les nuages qui, se résolvant en pluie, alimentaient les sources dont les eaux portoient dans les plaines la fertilité, l’abondance et la vie.

Quant à ses usages dans l’ornement des jardins, l’asphodèle rameuse peut être placée, avec avantage, dans les grands parterres, sur la ligne du milieu ; elle est propre à orner les lisières des bosquets ; dans les jardins paysagistes, on peut la placer dans les sites pittoresques, parmi les ruines ; partout elle produira un effet agréable.

Culture. Cette plante croît facilement dans toutes sortes de terrains ; elle préfère cependant celui qui est meuble, profond, de nature substantielle, et situé à l’exposition la plus chaude. Ou la multiplie aisément par ses tubercules, ses drageons et ses graines, et de la même manière que l’asphodèle jaune. (Thouin.)