Cours d’agriculture (Rozier)/BATATE (supplément)

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BATATE. Après avoir rangé cette plante dans la véritable classe que les botanistes lui ont assignée, Rozier exprimoit le vœu qu’un jour sa culture fût admise sur le sol de la France ; et, pour cet effet, il conseilloit de faire venir d’Espagne des tubercules et de la graine, de planter les uns et de semer les autres. J’ai mis à profit ce conseil, en tirant directement de Malaga des batates que j’ai confiées à messieurs Broussonnet et Puymaurin, qui ont bien voulu se charger d’en tenter la naturalisation au jardin de Botanique de Montpellier, et à celui de la ci-devant Académie de Toulouse.

Déjà elles commençoient à faire concevoir les plus heureuses espérances, lorsque le froid de 1788, qui, dans ces contrées, a été de neuf degrés, est venu les anéantir. M. Puymaurin ne s’est pas découragé, il s’est procuré des balates d’Espagne qui ont couvert jusqu’à un quart d’arpent des environs de Toulouse ; il en a distribué à différens particuliers, et même à des créoles qui, les ayant trouvées comparables à celles d’Amérique, ont demandé à les cultiver. Il y a tout lieu de croire que ses efforts soutenus ne seront pas sans succès ; nous en avons pour garant son amour bien connu pour l’utilité publique.

Quelle heureuse perspective pour les voyageurs qui, à l’exemple des Commerson, des Dombey, des Michaux, apporteroient, des contrées lointaines, les productions les plus essentielles, et qui affronteroient tous les dangers pour ajouter à nos collections, et accroître les ressources de la patrie ! Leurs noms, offerts à la vénération des peuples, seroient inscrits à côté de ceux à qui nos colonies sont redevables de la belle culture du café, du muscadier, du giroflier. Combien de végétaux sauvages, ou cultivés sur le sol du nouveau monde, dont on pourroit enrichir notre hémisphère ! tant de plantes, qui figurent aujourd’hui dans nos champs et dans nos potagers, y ont si parfaitement réussi ! la pomme de terre, le topinambour, le maïs, ne sont-ils pas maintenant aussi vigoureux, aussi productifs en France que dans leur pays natal ?

Mais ces naturalisations doivent être circonscrites : il faut les borner aux plantes dans lesquelles l’homme et les animaux peuvent trouver une nourriture salutaire : il faut les distinguer de celles qu’on propose tous les jours, sans trop faire attention aux conséquences fâcheuses qui pourroient en être la suite. Quand bien même les tentatives essayées jusqu’à présent, pour acclimater parmi nous la canne à sucre, le coton et l’indigo, auroient obtenu quelques succès, il seroit peut-être d’une sage politique d’y renoncer. Ne faut-il pas se ménager des moyens d’échange contre les produits de notre sol et de notre industrie ?

D’après les renseignemens que nous nous sommes procurés de toutes parts, il est plus que probable que la batate prospéreroit dans plusieurs de nos départemens, et que peut-être on parviendroit à la rendre moins délicate pour le froid, en choisissant des abris, en préférant d’abord pour la plantation celle qui est déjà acclimatée dans le royaume de Valence, parce que la température de ce lieu est moins différente de la nôtre. Nous pensons donc que des détails plus étendus que ceux que n’a pu donner Rozier, il y a vingt ans, relativement à la culture et aux usages d’une plante sur le point d’être naturalisée dans les cantons les plus méridionaux de l’Europe, ne pourront pas être sans utilité, d’autant mieux que je lis, dans le quinzième cahier des Annales du Muséum d’Histoire naturelle, l’extrait d’une lettre adressée à M. Thouin par M. Lormerie, correspondant du Gouvernement pour l’agriculture, Philadelphie, dans les États-Unis d’Amérique, qui lui envoie une boîte remplie de tubercules de batates petites, mais sucrées et d’une excellente qualité ; il ajoute qu’il lui a été impossible d’obtenir des graines de cette plante, parce que rarement elle en produit dans ce climat ; que l’on commence à en manger dans ces contrées vers les premiers jours de thermidor, et que l’on en fait des chargemens de bateaux pour différens pays. L’administration du Muséum s’est empressée de remettre ces tubercules à des agriculteurs zélés des départemens de la Drôme, de l’Hérault, des Deux-Nèthes et de l’Escaut, pour les multiplier et les répandre dans les environs ; et on saura bientôt ce qu’on peut attendre de cet essai, par les observations qu’on aura recueillies sur la culture des batates dans trois climats différens.

Variétés de la batate. Elles diffèrent entr’elles par la forme, le volume, la couleur et le goût des tubercules, par la figure des feuilles, dont les contours sont plus ou moins arrondis et sinués profondément. La couleur des fleurs offre aussi des nuances ; les unes sont blanches, les autres violettes, les autres brunes. Il y a des batates hâtives et des batates tardives. Les premières viennent en maturité au bout de six semaines dans l’Amérique méridionale ; les secondes, au contraire, demandent quatre mois environ pour parcourir toutes les périodes de leur végétation.

Dans le nombre des espèces ou variétés de batates cultivées à In Guadeloupe, Debadier a donné la préférence à celle que l’on nomme batate debout, attendu qu’elle touffe et ne couvre pas le terrain comme les autres espèces ou variétés, ce qui la rend infiniment précieuse ; elle a en outre l’avantage de pouvoir être plantée entre les rangs des cotonniers, des cannes à sucre, bananiers, et autres plantes, sans nuire à leur végétation, tandis que d’autres, espèces ne peuvent croître concurremment avec d’autres plantes, attendu qu’elles poussent beaucoup de tiges rampantes, très-chargées de feuilles qui prennent racine, occupent une très-grande surface de terrain, et étouffent toutes les plantes qu’elles peuvent recouvrir.

On connoit à Madagascar deux espèces de batates, dont l’une, qui est la plus répandue, a des feuilles lustrées, tandis que l’autre en porte d’approchantes de celles de la vigne ; la première est généralement cultivée à Foulpointe. Bruguières, ce botaniste que la mort a enlevé au milieu de ses voyages, nous a assuré avoir trouvé la seconde plus commune à la baie d’Antongil. Cette dernière y a même formé une variété remarquable par la grosseur de ses racines ; sa saveur est plus sucrée ; sa couleur est orangée dans l’intérieur comme au dehors. Cette variété est désignée sous le nom de gambare, et réservée pour l’usage des gens riches ; il n’est pas rare d’en voir du poids de six livres. La batate est donc, comme la pomme de terre, susceptible d’un grand nombre d’espèces ou ne variétés, qui ne feront même qu’augmenter, à mesure que la plante éprouvera de d’extension dans la culture. On en compte déjà, dans la Guiane française, quinze au moins ; mais, comme l’observe judicieusement le conseiller d’état Moreau-de-Saint-Méry, dans un Mémoire qu’il a communiqué à l’ancienne Société d’Agriculture de Paris, et qui est inséré dans le Recueil de cette compagnie, trimestre d’hiver de 1789, il faut se garder d’une erreur où conduiroit naturellement la nomenclature sur ce point dans les colonies, parce qu’à Saint-Domingue, par exemple, la même espèce de batate reçoit jusqu’à six noms différens, dans l’étendue de la partie française de cette île.

Il paroît que ces variétés de batates se sont conservées en Espagne, où elles ont été toutes transportées dans les parties du royaume où on la cultive. On ne les connoît que par grandes, moyennes et petites batates, d’autant plus estimées, qu’elles ont plus de volume, et que leurs tiges sont plus frêles et plus déliées.

Culture. Nulle part la batate, telle que nous la connoissons, ne croit sans culture ; abandonnée à elle-même, elle ne pousseroit que des branches et des racines fibreuses ; il faut donc, pour avoir des tubercules en quantité, et un peu volumineux, lui donner toutes les façons que la plante exige pendant qu’elle croît et mûrit. On a deux objets en vue, la récolte des racines pour la nourriture des hommes, et celle du fourrage pour les bestiaux. C’est même pour cette destination particulière qu’on en couvre des champs d’une certaine étendue dans toutes les parties de l’ouest de Saint-Domingue. Nous allons indiquer deux méthodes de cultiver la batate. La première, qui consiste à planter sur couches les tubercules, est celle que pratique notre estimable collègue Thouin, membre de l’Institut et professeur de botanique an Jardin des Plantes ; elle pourra guider ceux qui voudroient essayer de faire quelques tentatives pour acclimate la batate dans les cantons méridionaux qu’ils habitent ; la seconde est celle qu’on suit dans les endroits où la plante est déjà naturalisée ; et, au lieu des racines, ce sont les filets qu’on emploie.

Batate sur couches. Dès la fin de février, on établit une couche de fumier de cheval, mélangé de litière et de fumier court, de l’épaisseur d’environ deux pieds ; on la couvre d’un lit composé de terre franche, de terreau de couche consommé, et de sable gras, par égales parties, et bien mélangés ensemble ; ensuite on place un châssis par-dessus, dont les vitraux doivent être distans de la terre d’environ quinze pouces. Lorsque la chaleur de la couche est tombée à environ vingt degrés, on plante les racines de batate, et on les recouvre seulement d’à peu près deux pouces de terre, en les espaçant sur deux lignes, à environ deux pouces de distance les unes des autres en tous sens.

Il faut que la terre de la couche soit plus sèche qu’humide pour faire cette plantation, et choisir, autant qu’il est possible, un beau jour : on recouvrira ensuite ces châssis de leurs vitraux. Les racines ne doivent être arrosées que lorsqu’on s’aperçoit qu’elles commencent à pousser, et très-également dans les premiers temps. Toutes les fois que le soleil se montrera sur l’horizon, et que la chaleur se trouvera être sous le châssis au dessous de douze degrés, on donnera de l’air en soulevant les châssis ; mais il faut avoir soin de les fermer, et même de les couvrir de paillassons, pendant la nuit, pour conserver les douze ou quinze degrés de chaleur qui sont nécessaires à la végétation de cette plante : quelques réchauds à la couche sont quelquefois nécessaires pour entretenir cette température. Les racines de batate étant ainsi cultivées, ne tardent point à pousser leurs tiges ; elles s’allongent de quatre à six pouces, dans l’espace d’un mois, et, vers la mi-mai, on doit s’occuper de les marcotter. Cette opération est simple : elle consiste à courber les branches et à les fixer avec des petits morceaux de bois, à environ trois pouces en terre, et à la distance de huit pouces de leur souche : bientôt elles reprennent racine, et forment de nouvelles branches qui couvrent toute la surface du châssis ; lorsque la chaleur de l’été est déterminée, et que les nuits sont devenues chaudes, on peut retirer les vitraux de dessus les châssis, et laisser les plantes en plein air ; il convient alors de les arroser à la volée, matin et soir, et abondamment.

À l’époque où les marcottes sont reprises, il convient de les sevrer de leurs mères, en coupant avec la serpette l’intervalle de la branche qui se trouve entre la touffe principale et la nouvelle touffe formée par la branche qui a été marcottée. On pince à trois ou quatre yeux hors de terre la marcotte, pour l’obliger à former des branches ; et lorsque ces branches ont poussé d’à peu près six pouces de long, on les arrête par leur extrémité ; ensuite on bute ces branches dans les deux tiers de leur hauteur avec de la terre semblable à celle qui recouvre la couche, et on répète cette opération autant de fois que les branches s’allongent de six pouces, jusqu’au commencement de septembre ; passé cette époque, on doit laisser croître les plantes en liberté, les arroser souvent, et les garantir de la fraîcheur des nuits. Tant qu’il ne surviendra pas de gelées, les racines de batate profiteront et augmenteront de volume ; mais, sitôt que le froid se fera sentir, il convient de faire la récolte des racines ; alors on les lèvera avec une fourche, et on les déposera dans un lieu à l’abri du froid, et, quatre ou cinq jours après, on les séparera de leurs filets.

Par ce procédé de culture, Monsieur Thouin a obtenu quelques tubercules de cinq pouces de long sur trois de diamètre, et un très-grand nombre de plus petits, lesquels se sont trouvés de fort bonne qualité. Louis XV, qui en mangeoit avec plaisir, les fit cultiver aussi dans ses jardins, pendant plusieurs années.

Batate en pleine terre. Tous les temps sont bons, dans nos colonies, pour planter la batate, pourvu qu’on ait à sa disposition de l’eau pour humecter suffisamment le terrain qu’on y destine ; autrement, il faut attendre qu’il soit imbibé par la pluie, et bien ameubli, comme pour les autres espèces de plantations. On ouvre des sillons larges d’un pied six pouces de profondeur, espacés les uns des autres d’environ un pied et demi ; ou bien, on creuse des trous de dix-huit pouces de long, de même profondeur, largeur et espace que les sillons : on couche, sur la largeur des sillons, des morceaux de tiges de batate longs d’un pied et demi environ, en observant que chaque morceau ait trois nœuds, et qu’il y ait dans chaque trou un pareil morceau. On le recouvre avec la terre du sillon ou du trou, ayant soin que les feuilles soient à la surface du terrain, c’est-à-dire, qu’il n’y ait que la tige et les pétioles des feuilles d’enterrés. Il ne s’agit plus que de sarcler les mauvaises herbes qui nuiroient à son accroissement, jusqu’à ce que les tiges rampantes, très-chargées de feuilles, aient recouvert la surface du terrain.

L’arrosage que cette plante demande doit être renouvelé à trois époques différentes : d’abord, lorsqu’on met le plant en terre ; ensuite, huit a dix jours après, pour en assurer le développement ; enfin, au moment où les tubercules vont se former. En Espagne, ces arrosages sont plus souvent répétés.

Dans l’espace de quatre mois, les bâtâtes ordinaires arrivent à maturité dans nos îles, et on en fait la récolte à la manière des autres racines ; mais en Espagne, on ne touche pas à celles qui occupent le terrain le moins exposé au froid, parce que ce sont leurs tiges qui doivent servir à la plantation future.

Cette méthode a l’avantage d’économiser le terrain, de multiplier les ressources, et même, dans les lieux où les rats ravagent les cannes à sucre, elle a encore un effet très-heureux, celui d’offrir à cet animal destructeur une nourriture qu’il préfère à la canne qu’on, préserve de cette manière.

Dans les endroits où l’on peut arroser, on fouille les bâtâtes à la houe, et on les replante ; mais ailleurs, on les marronne ; c’est-à-dire qu’on les cherche à la racine, et qu’on les enlève sans arracher la tige, qui donne une seconde fois ce qui se nomme batate de rejetons. On emploie aussi pour la culture des batates, les intervalles qu’on laisse entre les plantations de cannes, soit pour les charrois, soit par précaution contre les incendies ; intervalles qu’on nomme divisions dans quelques colonies, et traces dans d’autres.

Des usages économiques de la batate. La batate est revêtue d’une écorce mince et grise ; sa chair est de différentes couleurs, mais ordinairement d’un blanc jaunâtre, sèche, flexible, et d’autant plus médiocre qu’elle a une consistance grasse et filandreuse. En l’ouvrant, on remarque des points blancs et brillans à sa surface. Elle pèse communément depuis une demi-livre jusqu’à vingt onces ; on en a vu du poids de huit à dix livres. Cuite dans l’eau ou sous la cendre, la batate a une saveur très-sucrée, comparable à nos meilleurs marrons. Elle contient, suivant l’analyse que nous en avons faite en 1780, du sucre, de l’amidon, une matière extractive et une substance fibreuse. Sans doute ces principes doivent varier, car les batates qui nous avoient été envoyées de Malte par Dolomieu n’avoient point d’amidon, tandis que les batates de Malaga, que nous nous sommes procurées par la voie du commerce, ont donné beaucoup de cette matière.

Mais le suc que la patate contient toujours la rend très-susceptible de s’altérer et c’est la disposition de fermenter qu’à la batate qui porte les Indiens à la faire entrer dans leurs boissons. On sait qu’ils sont amateurs de liqueurs vineuses, et qu’ils en préparent avec tous les grains qu’ils sèment, toutes les racines qu’ils cultivent, et tous les fruits qu’ils recueillent.

Les moyens dont on se sert pour conserver la batate, sont de deux sortes : le premier consiste à laisser les tubercules en terre, sans les déraciner ; il s’agit, pour le second, de les tirer de terre et de les porter dans un endroit sec et frais, à l’abri de l’air extérieur ; car, si l’endroit est humide, les batates s’échauffent, fermentent, ou bien elles germent, pourrissent, et quoiqu’elles soient saines et sans tache, la pourriture s’en empare.

Dans nos climats, les batates se gardent difficilement, à cause des longs hivers, souvent plus humides que froids ; il faut les étendre sur des planches couvertes de deux pouces de sable fin, dans un endroit inaccessible à la gelée, et les recouvrir d’un autre lit de sable de même épaisseur, en les arrangeant de manière qu’elles ne se touchent point. On apporte continuellement de L’Amérique dans nos ports des batates bien conservées, mises avec des cendres le jour qu’elles ont été récoltées, dans des tonneaux, aux fonds desquels on pratique plusieurs trous de l’arrière pour y établir un courant d’air.

Usage des bâtâtes pour l’homme. Privés de la quantité de batates qu’il falloit pour vérifier par nous-mêmes, et en grand, s’il étoit possible, en leur appliquant le procédé de la panification des pommes de terre, d’en préparer du pain et du biscuit de mer, sans mélange d’aucun autre farineux, nous n’avons pu nous livrer à ce genre d’essai ; mais le vœu, que nous avons émis pour que ce travail fût suivi dans nos colonies, a été accompli par M. Gérard, médecin au Cap Français. Ce nouveau triomphe de la chimie utile y a été marqué par les transports de la plus vive allégresse. On a trouvé le pain de batate, adressé au ministre de la marine, fort bon. Depuis ce moment, M. Delahaye a fait aussi une heureuse application du même procédé à des substances farineuses qu’on n’avait pas encore osé produire sous cette forme, telles que les ignames, les tayoves, les bananes et les giraumons ; et il a obtenu les mêmes succès.

Les batates, comme les pommes de terre, réunissent tant de bonne qualités en substance, qu’il n’est pas nécessaire de les décomposer à grands frais pour les soumettre ensuite aux tortures de la boulangerie, et leur concilier les propriétés d’une nourriture agréable, saine et commode : ce sont bien les racines les plus exquises que l’on connoisse. Toutes les relations des voyageurs ne tarissent point sur son compte. Le Père Labat, entr’autres, dit qu’on estime cette piaule si agréable et si salutaire, qu’il est passé en proverbe, que ceux qui reviennent en Europe après avoir mangé des batates, retournent aux îles pour en manger encore.

Les cultivateurs espagnols qui sont pauvres, mangent les batates, tantôt crues et sans apprêt, tantôt cuites dans l’eau ou sous les cendres : les plus aisés et les moins paresseux en préparent des mets délicieux. Ils coupent les racines par tranches qu’ils assaisonnent de vin, d’eau rose, de sucre et de cannelle, ou bien de vinaigre, d’huile, etc.

Quelquefois, lorsqu’elles sont nouvellement récoltées, on les confit dans du sucre pour s’en servir au besoin : souvent aussi on les fait sécher à l’air libre avant qu’elles ne commencent à se gâter, les batates, en un mot, peuvent se prêter à toutes les formes que le luxe de nos tables a imaginées.

Dans les colonies, on mange la batate bouillie simplement avec du sel ou avec un peu de viande salée ; on la rôtit sous la cendre et au four : on l’écrase pour en faire, avec du beurre ou du saindoux, une espèce de purée très-épaisse, appelée miquan, dont on fait des boulettes.

En Espagne, on consomme une partie des batates qu’on récolte, et on vend l’autre aux capitaines des vaisseaux marchands des provinces maritimes, qui les exportent dans les autres ports voisins. Les plus estimées sont celles que l’on cultive sur une des côtes de Malaga ; elles sont d’un si grand rapport, que dans un seul petit endroit voisin de la ville de ce nom, il s’en débite pour 50,000 livres. On les vend aussi aux marchands de l’intérieur du royaume.

Usage des batates pour les animaux. Tous les animaux aiment la batate ; mais ce n’est pas sous forme de tubercule qu’on la leur donne dans les diverses parties de l’ouest de Saint-Domingue ; ils sont nourris avec la feuille et la tige de cette plante. La consommation qui se fait à cet égard, a produit auprès des villes et bourgs, des établissemens dont l’objet unique est la culture de la batate, comme fourrage ou bois batates ; car c’est ainsi qu’on appelle la tige garnie de ses feuilles. On conçoit bien que la batate, cultivée pour le bénéfice de son fourrage, ne peut donner que des tubercules chétifs et peu nombreux. En général, toutes les fois qu’une plante a l’avantage d’offrir par ses feuilles et par ses racines une récolte utile, il n’est pas douteux qu’en forçant la végétation vers les premières, on ne nuise à la vigueur des racines, et vice versâ.

Dans ce pays où la nature est perpétuellement en végétation, on fait par an jusqu’à quatre coupes de bois batates, en supposant que l’on réunisse à une excellente terre les secours de l’arrosement, ceux de la saison, et qu’on ait multiplié les sarclages. M. Moreau-de-Saint-Méry observe que quatre arpens, mesure de Paris, d’un excellent terrain, peuvent donner pour chaque coupe trente-six milliers de ce fourrage.

Le fourrage batate se vend par paquets, qui, dans les temps ordinaires, pèsent quarante livres. Un cheval ne peut être bien nourri qu’avec quatre paquets ; il en faut trois au mulet, et moins de deux à un âne : mais on doit avoir la précaution, avant de leur donner ce fourrage, de le laisser au soleil pendant une journée, dans la crainte qu’il ne les relâche s’il étoit donné plus lot ; mais il a beaucoup de propension à fermenter, ce qui fait qu’on ne le coupe qu’à mesure du besoin. (Parmentier.)