Cours d’agriculture (Rozier)/BLUTEAU, BLUTOIR

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Hôtel Serpente (Tome secondp. 309-314).


BLUTEAU, BLUTOIR. Il y en a de deux sortes : le premier est un sas de crin, ou d’étamine, ou de toile, qui sert à séparer le son de la farine ; le second a la même forme, & agit par les mêmes principes. C’est également un cylindre composé par des feuilles de fer-blanc, trouées comme des râpes, & par des fils de fer placés circulairement les uns à côtés des autres, & à une distance assez rapprochée pour ne pas laisser passer le grain, mais seulement les ordures auxquelles il est uni. Ce seroit un crible s’il étoit plat & à découvert. Tous, les deux sont utiles, & même nécessaires, dans un ménage un peu considérable.

Des bluteaux simples. Il est inutile de décrire séparément l’un & l’autre, puisqu’ils ne diffèrent que par les toiles de finesse différente ; par les trous dans le premier, & par les grilles dans le second. En parlant de celui-ci, j’indiquerai les différences.

Les bluteaux sont nécessairement composés de deux pièces principales : le bluteau proprement dit, ou cylindre, & la grande caisse ou coffre du bluteau. (Voyez Fig. 1, Pl. 11.) La caisse qui renferme le bluteau n’est pas représentée ici, parce qu’il est aisé de s’imaginer le cadre recouvert de planches, quelquefois même on supprime les planches, & on recouvre le tout par de grosses toiles à plusieurs doubles. La caisse du bluteau à farine est un grand coffre de bois, long de sept ou huit pieds, large de dix-huit ou vingt pouces, d’environ trois pieds de haut ; élevé sur quatre, ou six, ou huit soutiens de bois en forme de pied. Ces proportions doivent être plus étendues pour les bluteaux à grains.

Le cylindre A ici représenté, est pour le grain ; il est alternativement garni de feuilles de tôle, percées à jour comme des râpes, CC, & de fils d’archal EEE, posés parallélement les uns aux autres.

Dans les bluteaux à farine, il existe trois ou quatre divisions, suivant l’espèce de pain qu’on veut faire, & le bahut est coupé par autant de divisions faites avec des planches, qu’il y a de différentes toiles pour recouvrir le cylindre ; de sorte que chaque division de planches forme une espèce de coffre séparé, qui renferme une farine, relatif à l’étamine qui couvre le cylindre dans cette partie ; ce qui donne la première, la seconde, la troisième farine, & le gruau, que quelques personnes appellent fine fleur de farine, farine blanche, farine, enfin, gruau.

Dans les ménages un peu considérables, la farine, telle qu’elle vient du moulin, est transportée dans l’appartement au-dessus du bluteau : on ménage une ouverture dans le plancher ; on y pratique un couloir, soit avec des planches, soit avec de la toile, qui laisse tomber la farine dans la trémie B. Si le couloir est en bois, son extrémité inférieure est bouchée par une tirette ou coulisse qu’on ouvre & ferme à volonté ; elle sert à ne laisser couler à la fois, que la quantité suffisante de farine qui doit entrer dans le bluteau. Si au contraire le couloir est de toile, une simple ficelle suffit pour le fermer. La trémie elle-même peut être garnie d’une tirette à sa base. Lorsque le grain est versé dans la trémie, il coule dans le cylindre qui est en plan incliné ; alors on le fait tourner avec la manivelle F, & sa pente détermine la farine à passer de l’étamine la plus fine sur l’étamine la plus grossière ; enfin, le son tombe par l’ouverture D, & quelquefois contient une cinquième case plus grande que les autres pour le recevoir, ou bien on attache un sac à cette ouverture, qui le reçoit.

Si c’est un bluteau à grains, tel qu’il est représenté ici, les cases sont inutiles. Le grain, dans son trajet, est fortement gratté toutes les fois qu’il rencontre alternativement la tôle piquée. La poussière & les mauvais grains s’échappent par les cribles de fil d’archal, & le grain en sortant, est clair & brillant. Ce crible est sur-tout excellent pour nettoyer les grains niellés, charbonnés ou mouchetés. Les meilleurs cribles en ce genre, sont ceux qui ont le plus grand diamètre. Ainsi on peut leur donner jusqu’à trois pieds.

2o. Du bluteau composé, ou crible à vent. J’ignore pourquoi on appelle crible l’instrument dont on parle ; il s’éloigne de l’idée ordinaire qu’on a du crible ; c’est pourquoi j’en parle au mot Bluteau, sauf à le rappeler au mot Crible. M. Duhamel, ce travailleur infatigable, & à qui le public doit la plus grande reconnoissance pour son Traité de la conservation des grains, en a donné une très-bonne description ; & c’est ce qu’on connoît de mieux en ce genre. C’est d’après lui que le bluteau à vent sera décrit ; il ne sert que pour le grain. On met comme aux autres, le grain dans une trémie A (Fig. 2) ; il en sort par une ouverture B, (Fig. 4 & 7) qu’on rend plus ou moins grande, en ouvrant plus ou moins une porte à coulisse C, (Fig. 7) ce qui s’exécute aisément en tournant un petit cylindre D, même Figure, placé au-dessus, autour duquel se trouve une petite ficelle qui répond à la petite porte.

Au sortir de la trémie, le froment se répand sur un crible E, (Fig. 5) qui est fait par des mailles de fil de laiton, assez larges pour que le bon froment y puisse passer. Les grains avortés, & la plupart des charbonnés, passent avec le bon froment, & sont chassés vers F, (Fig. 2 & 4) par le courant d’air dont on parlera dans la suite.

Ce crible est reçu dans un châssis léger de menuiserie G, (Fig. 5) & bordé des deux côtés & au fond, par des planches minces HH.

On fait ensorte que le crible E penche un peu par le devant ; & comme cette circonstance fait que le froment coule plus ou moins vîte, on est maître de régler convenablement la pente du crible, en tournant une traverse cylindrique I, (Fig. 4) qui porte à un de ses bouts une petite roue dentée L, (Fig. 2) qui est retenue par un linguet M. En tournant cette traverse, on accourcit ou on alonge une ficelle N, (Fig. 4) qui élève ou abaisse le bout antérieur du crible.

Malgré cette pente du crible, le froment ne couleroit pas, si l’on négligeoit d’imprimer au crible un mouvement de trémoussement. Voici par quelle mécanique on produit cet effet.

Au bout O de l’essieu (Fig. 3) opposé à celui où est la manivelle P, (Fig. 2) il y a une roue Q, (Fig. 3, 8 & 9) qui a des coches sur la face verticale tournée du côté de la caisse : un morceau de bois, ou un long levier un peu coudé en R, répond à ces coches par un bout S. Ce levier touche & est attaché à la caisse par le sommet R de l’angle fort obtus que forment ses deux branches : à l’extrémité T du levier, opposée à la roue cochée, est attachée une ficelle qui, traversant la caisse, va répondre au crible. De l’autre côté de la caisse est un autre morceau de bois V, (Fig. 2) qui fait ressort, & répond, comme le levier dont on vient de parler, au crible, par une ficelle qui traverse la caisse. Il est clair que lorsqu’on fait tourner l’essieu, les coches de la petite roue Q donnent un mouvement d’oscillation au bout du levier R qui lui répond ; ce mouvement se communique à son autre bout T, & de-là au crible, au moyen de la ficelle T, ce qui lui donne le trémoussement qu’on desire.

Ce mouvement détermine le grain à couler peu à peu sur le crible qui est un peu incliné & ce qui n’a pu passer au travers des mailles, tombe par l’extrémité, en forme de nappe, sur un plan incliné X, (Fig. 4) qui le jette dehors & vis-à-vis la partie antérieure du crible. Ce qui a passé par le crible supérieur, tombe en forme de pluie sur un plan incliné d’environ quarante-cinq degrés, où le froment, en roulant, trouve une grille ou treillis de fil d’archal M, (Fig. 4 & 6) semblable au premier E, (Fig. 5) mais dont les mailles sont un peu plus étroites, pour que le petit grain tombe sur la caisse en N, (Fig. 3) pendant que le gros se répand derrière le crible en T.

On apperçoit sur un des côtés de la caisse, une manivelle P, (Fig. 2) qui fait tourner une roue dentée F, laquelle engrène dans une lanterne G, fixée sur l’essieu qui fait tourner la petite roue cochée Q, dont on a parlé.

Ce grand essieu qui, au moyen de la lanterne, tourne fort vite, porte huit ailes, (Fig. 2, 3 & 4) HHH, formées de planches minces, qui, imprimant à l’air qu’elles frappent, une force centrifuge, produisent un vent considérable, qui chasse bien loin vers F toute la poussière, la paille & les corps légers qui se trouvent dans le grain, soit que les corps étrangers aient passé par le crible, ou qu’ils se trouvent dans les mottes & les immondices qui tombent en nappe devant le crible.

Pour se former une idée juste de cet instrument, il faut se représenter un homme appliqué à la manivelle P ; (Fig. 2) elle fait tourner une roue dentée en hérisson N. Cette roue engrènant dans la lanterne G, qui est placée au-dessus, imprime un mouvement de rotation assez vif au grand essieu qui fait tourner les ailes HHH, (Fig. 2, 3 & 4) renfermées dans la caisse K, & à la petite roue cochée Q qui est de l’autre côté de cette même caisse. Cette petite roue Q imprime un mouvement de trémoussement au levier TRS, (Fig. 3) qui fait mouvoir le crible supérieur E, (Fig. 4) tant qu’on tourne la manivelle.

Un autre homme verse du froment dans la trémie A. Ce froment coule peu à peu sur le crible supérieur E, (Fig. 4) qui, ayant un peu de pente vers l’avant, & étant dans un trémoussement continuel, tamise le froment, & le passe peu à peu en forme de pluie. Dans cette chûte, il traverse un tourbillon de vent occasionné par les ailes HHH, (Fig. 2, 3 & 4) attachées au grand essieu, & il tombe sur un plan incliné, où il y a un second crible B, (Fig. 3, & M Fig. 4) nommé crible inférieur, qui sépare le gros grain du petit.

Comme les pièces qui composent ce crible n’exigent pas une exacte proportion, l’échelle (Figure 12) suffira pour indiquer à peu près quelle doit être leur grandeur ; mais il est bon d’être prévenu que le grand essieu doit être de fer, & les fuseaux de la lanterne G de cuivre, sans quoi ces deux pièces ne dureroient pas long-tems. Il seroit encore avantageux d’augmenter la grandeur du crible inférieur, & l’on pourroit avoir des cribles dont les mailles seroient différemment lozangées, pour séparer les différens grains & les différentes graines.

Ce crible est admirable pour séparer du bon grain, la poussière, la paille, les graines fines, les grains charbonnés ; en un mot, tout ce qui est plus léger ou plus gros que le bon froment. Il sépare encore exactement toutes les mottes formées par les teignes, les crottes de chat, de souris, &c.

Pour que ce bluteau-crible produise le meilleur effet possible, il faut que le grenier soit percé de fenêtres ou de lucarnes de deux côtés opposés ; car en plaçant le bout F du crible, (Fig. 4), vis-à-vis la croisée qui est opposée au vent, le vent qui traverse le grenier, se joignant à celui du crible, chasse bien loin toutes les immondices. Ainsi c’est un bon instrument dont on doit se pourvoir lorsqu’on se propose de faire des magasins considérables de blé.

Ce n’est pas à ce seul point que se borne son utilité. Je lui en reconnois une au moins aussi précieuse, qui est celle de séparer le bon grain de toutes ses immondices à mesure qu’il vient d’être battu, & par conséquent de ne pas le porter & le reporter de l’aire au magasin, & du magasin, qu’on nomme dans quelques endroits, la Saint-Martin, à l’aire. Pour venter ou vanner le blé, on est forcé d’attendre un beau jour, & un jour pendant lequel la force du vent ait quelqu’activité, ce qui est assez rare pendant les grandes chaleurs de l’été. Si le grain reste long-tems amoncelé sans être battu, il court de grands risques de s’échauffer, pour peu que la moisson ait été levée par un tems humide. Ce bluteau-crible prévient tous ces inconvéniens. Pour vanner, on est obligé de jeter en l’air & au loin, le grain chargé d’ordures. Le grain, par sa pesanteur spécifique, tombe le premier & le plus près : mais mêlé avec les petites mottes de terre, égales à son poids, la poussière & les pailles, plus légères, sont entraînées plus loin par le vent : la ligne de démarcation entre le bon grain, le mauvais & les ordures, n’est pas exacte ; de manière qu’on est obligé de revenir plusieurs fois à la même opération. Voici comme je m’y suis pris pour nettoyer mon grain avec le bluteau-crible.

Tout le grain que j’ai à nettoyer est rangé sur une ligne de trois à quatre pieds de largeur, deux pieds environ de hauteur, & la longueur de ce parallélogramme est indéterminée, si c’est en plein air, ou proportionnée à la grandeur du local du bâtiment, si le grain y est renfermé ; le premier est préférable à tous égards. À cinq pieds d’un des bouts du parallélogramme, je place une grille de fer de quatre pieds de largeur, sur cinq pieds de hauteur ; elle est soutenue de chaque côté, dans sa partie supérieure, avec un piquet en bois, terminé dans le bas par une pointe de fer qui entre dans la terre à la profondeur d’un pouce ; par ce moyen les deux piquets une fois assujettis, la grille est solide, parce qu’également à sa base elle est garnie de deux pointes de fer d’un pouce, qu’on enfonce de manière que sa traverse inférieure touche la terre par tous ses points. L’inclinaison de trente degrés est celle qu’on doit donner à la grille, & ses mailles n’ont que six à huit lignes de diamètre.

Deux hommes armés de pelles, sont placés à la tête du monceau de blé, & en jettent alternativement une pellée contre la grille & dans sa partie supérieure. Tout le grain & la poussière passent à travers la grille ; la paille & les épis tombent sur le devant de la grille. Lorsque le monceau de blé passé, lorsque celui des débris de la paille, & que la grille est trop éloignée des travailleurs, alors les deux hommes enlèvent avec leur pelle le monceau de paille, & rapprochent la grille à une distance convenable du blé pour continuer leur opération. Le blé passé est en état d’être porté au bluteau.

Si on demande pourquoi ce premier travail ? je répondrai que lorsque l’on jette dans le bluteau les débris de la paille, & les épis pêle-mêle avec le grain, il faut répéter à plusieurs fois le blutage, au lieu qu’une seule suffit lorsqu’on a pris la première précaution. Si on repasse une seconde fois son grain au bluteau, il en sortira de la plus grande netteté. Cette opération occupe deux hommes, & les deux mêmes suffisent pour le blutage ; un seul cependant suffit pour cette dernière, si au-dessus de la trémie on a ménagé une espèce de magasin ou réservoir à blé ; une fois plein, l’ouvrier pourroit travailler toute la journée & d’un seul trait, s’il n’avoit besoin de repos de tems à autre. Pour qu’il prenne ce repos, il tire une petite corde qui tient à une tirette ou coulisse, & la coulisse, en s’abaissant, ferme l’ouverture de ce réservoir. J’ai fait vanner du blé de toutes les manières, & je n’en ai point trouvé de plus économique & de plus expéditive que celle dont je viens de parler. Qu’on ne perde jamais de vue qu’il n’y a point de petite économie à la campagne.