Cours d’agriculture (Rozier)/BORDER, BORDURE

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Hôtel Serpente (Tome secondp. 354-356).


BORDER, BORDURE. Terme de jardinage. On borde une planche, lorsqu’avec le dos de la bêche on relève la terre des bords, de manière que la planche soit plus élevée que le sentier, & lorsque ce bord est tracé sur une ligne bien prononcée. On borde les allées d’un jardin, ou avec des plantes, ou avec des corps solides & durables.

1o. Des bordures avec des plantes. Les plantes qui doivent servir pour les bordures, sont choisies conformément au pays & au climat que l’on habite. Règle générale ; ne cherchez jamais à former des bordures avec des plantes étrangères : le mérite d’une bordure est d’offrir à l’œil une continuité sans interruption, & il sera très-difficile que la bordure ne soit échancrée, si les plantes ne sont pas du pays. Le buis, par exemple, est de presque tous les pays ; il souffre parfaitement le ciseau, dessine très-bien une allée, un parterre, &c. mais il a plusieurs défauts : le premier est de produire un grand nombre de chevelus qui attirent toute la substance & l’humidité du terrain voisin & l’affament. Plus on travaille un parterre, plus il est fumé & chargé de terreau, pour y planter, par exemple, des renoncules & autres fleurs, plus les chevelus se jettent du côté travaillé, & aucun ne s’étend sous la terre du sentier ou de la petite allée. Son second défaut, aussi essentiel que le premier, est de servir de repaire à tous les insectes du voisinage ; ils y cherchent la fraîcheur pendant le jour, & une retraite sûre contre les oiseaux leurs ennemis ; ils en sortent pendant la nuit, attirés par la fraîcheur & par le besoin de pourvoir à leur subsistance ; alors toutes les jeunes pousses, les plantes tendres des semis sont dévorées. Le buis est donc seulement avantageux pour dessiner les grandes plates-bandes, & les parterres qui sont garnis avec des fleurs communes.

La sauge, le thym, le serpolet, la marjolaine, la lavande, servent pour les bordures, mais non pas dans les pays froids. Ces plantes ne sauroient résister à la rigueur des grands hivers. La marjolaine & la lavande demandent à être tenues basses ; les deux autres plantes s’élèvent peu, mais s’élargissent ; alors après avoir placé le cordeau, on coupe tout ce qui l’excède. En total, ces bordures sont tristes à la vue. Leur verdure est trop pâle, trop blanchâtre, & se confond souvent avec la couleur de la terre pendant les chaleurs de l’été. Malgré cela, si on a beaucoup de mouches à miel, je conseille de préférer celles-ci à toutes les autres, & sur-tout au buis dont la fleur communique au miel un goût désagréable ; cependant les mouches courent avidement sur les buis dans le tems de leur fleuraison, parce qu’elles travaillent pour elles, & s’embarrassent fort peu des sensations que leur miel nous fera éprouver dans la suite.

Le fraisier formeroit une bordure agréable, s’il ne poussoit pas une infinité de filamens. Une bordure de cette espèce donne dix fois plus de peine à un jardinier qu’une en buis.

La violette à fleur double a un mérite réel dans la verdure de ses feuilles : serrées & rassemblées les unes près des autres, elles forment une jolie masse en dos d’âne ; il suffit d’arrêter les bords une ou deux fois chaque année.

Une bordure un peu trop négligée, est celle faite avec le persil. Ses feuilles sont d’un beau vert, luisantes & nombreuses.

L’oseille sert encore au même usage ; mais elle a le défaut de monter promptement en graine, si on n’a pas le soin de couper fréquemment ses feuilles ; alors la plante ne répond plus au but qu’on se proposoit. Ces feuilles coupées successivement sur toute la longueur de la bordure, offrent des places vides : dans certains endroits, la couleur des feuilles nouvelles est d’un vert tendre, & dans d’autres, d’un vert très-foncé. Cette bigarrure déplait à la vue.

2o. Des bordures avec des corps solides. Elles sont, ou en bois, ou en briques. Rien ne dessine mieux une allée, & on range le terrain beaucoup plus commodément. Le bois de chêne est le meilleur pour cet usage. Il faut, de distance en distance, planter des piquets équarris, sur lesquels on cloue fortement les bordures de trois à quatre pouces de hauteur pour les petits emplacemens, & de six, si l’emplacement a beaucoup d’étendue. L’épaisseur de la planche doit être proportionnée à sa longueur. On ne sauroit trop multiplier les piquets ou soutiens, parce que l’humidité de la terre, jointe à l’action du soleil, fait facilement déjeter les planches. Je conseille de faire brûler par le bas les piquets, jusqu’à ce qu’il se soit formé une couche charbonneuse d’une à deux lignes de profondeur. Ils durent plus long-tems en terre. Tout ce qui n’est pas brûlé doit être passé avec une couleur à l’huile à plusieurs couches, & il faut attendre que la première couche soit exactement séche, avant de passer la seconde ; autrement, ce seroit de l’huile & de la couleur perdues. Ce que je dis des piquets s’applique aux planches : communément on peint le tout en vert ; mais si c’est pour border un gazon, la couleur blanche est plus agréable ; elle contraste avec la couleur rousse ou brune de la terre & la couleur verte de la prairie.

Les briques d’un pouce d’épaisseur, sur huit à dix de longueur, ont l’avantage sur les bordures en bois, de ne jamais pourrir ; ainsi la dépense une fois faite, il ne faut plus y revenir : c’est pourquoi je conseille de n’employer que des briques vernissées en vert, comme la poterie commune. Elles sont plus chères que les autres, il est vrai, mais elles durent beaucoup plus, & n’offrent pas à la vue une vilaine couleur roussâtre, qui se confond avec celle de la terre.