Cours d’agriculture (Rozier)/CACAO

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Hôtel Serpente (Tome secondp. 506-515).
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CACAO, ou Cacaotier, ou Cacaoyer, ou Cacoyer. Il y a des forêts entières de cacaoyers dans la Guianne, dont le fruit sert de nourriture aux singes de la contrée. On observe qu’il vient sans culture à Cayenne. Lorsque les Espagnols s’établirent au Mexique, ils virent avec surprise que le cacao étoit le principal aliment du peuple & qu’il entretenoit l’embonpoint & la fraîcheur du teint de ceux qui en usoient. Cet arbre croît naturellement dans la zône torride de l’Amérique, sur-tout dans les régions de Nicasagues, de Guatimale, le long de la rivière des Amazones, sur la côte de Caraque, dans l’île de Saint Domingue, &c.

Comme je n’ai jamais cultivé ni vu cet arbre précieux, j’ignore les particularités qui le concernent : je vais emprunter du Nouveau Dictionnaire de Chomel cet article en entier. La description de cet arbre est dûe à M. de Jussieu. C’est le précis de son Mémoire envoyé en 1737, en qualité de médecin du roi à Cayenne, & correspondant de l’académie royale des sciences de Paris. On doit plus se rapporter à ce mémoire qu’à l’ouvrage intitulé, Histoire naturelle du cacaoyer, imprimé à Paris en 1719.

Cet arbre s’enfonce dans la terre par un pivot qui s’étend à une profondeur considérable. À l’origine de ce pivot sont des racines fibreuses & rampantes sur la superficie de la terre. L’écorce du tronc & des branches est plus ou moins brune suivant l’âge des arbres, mince, passablement unie, assez adhérente au bois, qui est léger, blanchâtre, poreux, souple, & dont toutes les fibres sont droites : en quelque saison qu’on le coupe, on le trouve abondant en séve, & lorsqu’il y en a peu, l’arbre est sur son déclin.

Les feuilles naissent une à une, dans l’ordre alterne, sur un même plan. D’abord rousses & fort tendres, elles deviennent plus dures & d’un vert plus ou moins gai à mesure qu’elles vieillissent ; le dessus est cependant toujours plus foncé que le dessous. Elles sont pendantes, entières & sans dentelure, lisses, terminées en pointes aiguës, peu différentes des feuilles du citronier, divisées sur leur longueur en deux parties égales par une forte nervure, d’où sortent de part & d’autre des fibres obliques assez sensibles. Le volume des feuilles varie suivant le degré de vigueur des arbres ; tantôt elles ont plus de vingt pouces de long sur environ six de large à leur partie moyenne ; tantôt elles n’en ont que neuf sur quatre, & d’autres ont des proportions relatives à un de ces deux extrêmes. Le pétiole qui les soutient peut avoir une bonne ligne de diamètre, environ un pouce & demi de longueur, & est renflé par les deux bouts. Ces feuilles tombent successivement à mesure que d’autres les remplacent : l’arbre ne paroît jamais dépouillé.

Les fleurs sont très-petites & sans odeur : elles naissent par bouquet depuis le pied de l’arbre jusque vers le tiers des grosses branches. Celles du tronc sortent des endroits où subsistent les vestiges de l’articulation des feuilles que l’arbre a produites dans sa jeunesse. Chaque fleur est portée par un péduncule foible, long de sept à dix lignes, garni de poils très-courts. Le bouton est à peu près fait en cœur, pâle, à cinq pans, haut d’environ trois lignes sur deux tout au plus de diamètre. Quand la fleur est épanouie, on apperçoit un calice composé de cinq pièces étroites, terminées en pointe aiguë, creusées en cuiller, tantôt d’un blanc de jasmin en leur totalité, tantôt pâles au-dehors, & intérieurement elles sont lavées de couleur de chair. Les pétales sont au nombre de cinq, disposés en rose, composés, pour ainsi dire, de deux parties, dont la première, attachée à la base du pistil, est creusée en forme de casque d’un blanc sale, mais intérieurement coupé de bas en haut par trois lignes purpurines qui s’élèvent jusque vers les deux tiers de sa hauteur. À l’extrémité supérieure & postérieure de ce casque, commence l’autre partie du pétale qui représente une espèce de spatule fort étroite & qui s’élargit à mesure qu’elle descend & se jette en dehors. Cette seconde partie du pétale est d’un jaune pâle. Le centre du calice est occupé par le pistil, & la base du pistil est environnée de cinq filets droits, bruns, longs, assez gros à leur origine, & terminés en pointe. De cette même base sortent pareillement cinq étamines qui sont des filets plus petits, lesquels se jettent en forme d’arc avec leur sommet dans la concavité de la première partie de chaque pétale. L’embryon devient dans l’espace de quatre mois un fruit plus ou moins long, nommé cabosse. Il est fait comme un concombre, long de six à sept pouces sur trois de diamètre, parsemé de verrues, terminé à sa partie inférieure par une pointe courbe. Ce fruit est d’abord vert, pâlit ensuite, & jaunit en mûrissant. Tantôt il commence par être d’un rouge vineux & foncé, principalement sur les côtes qui dominent les sillons, & devient par degré plus pâle & plus clair ; tantôt, après un mélange confus de rouge & de jaune, les teintes se décidant, forment un rouge plus varié de jaune foncé ; d’autres fois les nuances de vert & de blanc, qui produisent par gradation une sorte de jaune, se terminent dans le tems de la maturité par un rouge foncé, mais parsemé de petits points jaunâtres.

Ces couleurs ne pénètrent pas beaucoup dans l’écorce du fruit ; cette écorce, que l’on nomme cosse dans les isles, est épaisse de trois à six lignes, suivant la grosseur du fruit & l’âge de l’arbre ; elle renferme, dans l’épaisseur de près d’un pouce, une substance pulpeuse, d’abord ferme, blanche & un peu teinte de rouge ; ensuite prenant une consistance plus légère, cette pulpe semble être un duvet fort blanc, accompagné d’un mucilage plus ou moins abondant, qui a une saveur acidule, approchante de celle des pépins de grenade. Au milieu sont les semences, tantôt assez ressemblantes à nos féves de marais, tantôt moins grandes, moins aplaties, à peu près de la même forme que les feuilles de l’arbre, plus grosses par leur extrémité qui tient au placenta. Ce placenta paroît être produit par le péduncule qui, se prolongeant, forme un axe auquel répondent les colonnes sur lesquelles sont rangées les semences par étage. Le nombre de ces semences varie de vingt à quarante. Leur parenchyme est blanc, quelquefois un peu teint de rouge compacte, charnu, mollet, lisse, très-chargé d’huile, amer, d’un goût stiptique ; assez pesant relativement à son volume, très-friable entre les doigts, & formé de deux lobes repliés l’un dans l’autre. La pellicule qui recouvre ces amandes est lisse, très-mince, de même couleur que le parenchyme, mais en se séchant, elle devient d’un rouge brun. Ce sont ces amandes qui servent à faire le chocolat.

Usage du cacao. Le principal objet pour lequel on cultive les cacaoyers, est la grande consommation des amandes pour faire le chocolat, liqueur nourrissante, gracieuse qui a donné lieu à M. von Linné d’appeler l’arbre même theobroma, mot grec qui signifie mets des Dieux.

Les amandes fournirent encore une huile par expression qui s’épaissit naturellement & reçoit alors le nom de beurre. Le P. Labat veut que ces amandes pilées soient jetées dans une grande quantité d’eau bouillante, afin que leur huile surnageant soit plus facile à recueillir : ensuite lorsqu’il ne s’en élève plus à la surface de l’eau, on exprime fortement le marc en l’arrosant encore d’eau bouillante. Cette méthode ne convient qu’à l’Amérique où les amandes récentes abondent en huile ; mais comme elles arrivent sèches en Europe, & par conséquent privées d’une portion considérable de leur humidité, on est obligé de les torréfier avant de les piler, & quand elles ont bouilli à grande eau pendant une demi-heure, on passe le tout encore bien chaud, & on l’exprime avec force : l’huile se rassemble à la surface de la liqueur. Si elle n’est pas suffisamment pure, on la fait passer dans plusieurs eaux chaudes : l’huile se fige par le refroidissement.

L’huile de cacao se conserve très-long-tems sans devenir rance, n’a pas d’odeur, est assez blanche, & d’une saveur agréable. On peut l’employer aux mêmes usages que l’huile d’olives. La douleur des hémorroïdes cesse quelquefois promptement, quand on y applique du coton imbibé de cette huile. Les personnes qui y sont sujettes, peuvent utilement faire usage de ce remède, deux ou trois fois par mois, pour prévenir le retour des accès, & faire fluer doucement les hémorroïdes. Les Créoles espagnoles s’en servent pour embellir leur peau & en ôter les rougeurs & boutons.

Culture du cacaoyer. On nomme cacaoyère ou cacaotière, un plant ou verger de cacao. Ces arbres demandent une terre qui ait du fond, qui soit plus forte que légère, fraîche, bien arrosée, mais non pas noyée. Ils réussissent mal dans une terre argileuse : le sol qui leur convient le mieux est une terre noire ou rougeâtre, alliée d’un quart ou d’un tiers de sable, avec quantité de gravier. Dans les terrains plus forts & plus humides, le cacao devient grand & vigoureux, mais il rapporte moins, les fleurs y étant fort sujettes à couler à cause du froid & des pluies fréquentes.

On est assez dans l’usage de défricher des terrains pour y établir des cacaoyers. Quand on prend les terres qui ne sont que reposées, ces arbres durent peu, & ne rapportent communément que du fruit médiocre & en petite quantité.

M. Miller indique les ravines formées par les eaux, comme étant des emplacemens favorables ; d’ailleurs les arbres y trouvent un abri naturel que l’on est obligé de leur procurer par art dans d’autres positions : il y a cependant lieu de douter que les ravines puissent les garantir du vent qui leur est très-préjudiciable. D’ailleurs, les cacaoyers pourroient être trop serrés dans ces endroits : ces arbres délicats ont besoin d’une certaine étendue d’air qui les environne.

Trop ou trop peu d’air, les vents & l’ardeur du soleil pouvant beaucoup nuire aux cacaos, on tâche de prévenir ces inconvéniens par la disposition du terrain. L’étendue que l’on a trouvée être avantageuse à une cacaoyère, est d’environ à peu près cent toises. Si le terrain est plus grand, on le divise en plusieurs carrés, réduits à cette proportion, & chaque carré, doit être environné de bonne haies.

Si la cacaoyère n’est pas au milieu d’un bois, ou que dans ce bois même elle soit découverte par quelque endroit, on l’abrite par de grands arbres capables de résister à l’impétuosité des vents. Ces lisières peuvent être formées de grands arbres, mais on a lieu de craindre que dans le cas où un ouragan les abattroit, leur chûte ne fît périr beaucoup de cacaotiers. C’est pourquoi il est peut-être préférable de planter au dehors de la cacaoyère, plusieurs rangs de citronniers, de corosoliers, ou de bois immortel, qui étant plus flexibles diminuent la force du vent, ou dont la chûte ne peut pas faire grand tort aux arbres voisins. D’autres couvrent encore les lisières mêmes avec quelques rangs de bananiers ou de bacoviers (qui sont les figuiers des îles,) arbres qui croissent fort vite, garnissent beaucoup, forment un très-bon abri, &c donnent des fruits excellens.

J’ajouterai aux moyens que donne l’auteur de cet article, la plantation du bambou. Ce roseau croît fort vîte, s’élève très-haut, fournit beaucoup, & c’est par son secours que les hollandois au cap de Bonne-Espérance, garantissent leurs plantations. Ses feuilles sont très-utiles pour les animaux, & les nègres sont friands de la moelle spongieuse de cet arbre ; il croît dans l’Inde & en Afrique, & en 1759 l’escadre de M. de Bompart le transporta dans les îles du vent de l’Amérique où il a prodigieusement multiplié. Il se reproduit de boutures, chaque nœud portant le germe de la racine & des jets. Plus il fait chaud, plus sa végétation est étonnante ; chaque brin, gros comme le bras ou comme la jambe, s’élève dans l’espace de quelques mois, de quarante à cinquante pieds de hauteur. Lorsque les souches sont suffisamment espacées, elles peuvent produire jusqu’à cent jets & plus.

Pour défricher un terrain, on y brûle les plantes & les arbustes qui ont été arrachés, ainsi que les arbres abattus ; puis on laboure à la houe le plus profondément qu’il est possible, on ôte toutes les racines que l’on rencontre, & on applanit la surface.

Le terrain étant préparé, on prend les alignemens avec un cordeau divisé par nœuds, vis-à-vis de chacun desquels on plante un piquet, en sorte que tout l’ensemble forme un quinconce.

On garnit la cacaoyère, soit en graine, soit en plant ; le cacao se multiplie même de bouture à Cayenne, mais le succès en est beaucoup moins certain. Lorsque le terrain est déjà fatigué, ou qu’il est rempli de fourmis & de criquets, &c., on préfère d’y mettre du plant. Ce plant doit être un peu fort, afin que les insectes l’endommagent moins.

Tandis qu’on abat les arbres du terrain où l’on veut planter le cacao, on fait, le plus près qu’il est possible, une pépinière qui, n’occupant qu’un petit espace, peut être facilement garantie des animaux nuisibles. On doit choisir cette pépinière dans un endroit voisin de quelque rivière ou d’un marécage, afin de pouvoir l’arroser sans peine, car on la commence en été. On y met les graines à six pouces les unes des autres ; quelques mois après, c’est-à-dire vers le commencement de l’hiver, dès que les premières pluies ont humecté la terre à une certaine profondeur, on coupe la terre tout autour à trois pouces de chaque arbre, que l’on transporte ainsi dans des paniers à l’endroit qu’on lui a destiné. L’arbre peut avoir alors la grosseur du petit doigt, & deux ou trois pieds de hauteur. Avant de le planter, on rogne son pivot, s’il excède la motte ; sans cela, il se courberoit, & feroit périr l’arbre.

Dans les endroits où la terre n’a pas assez de corps pour pouvoir s’enlever ainsi que l’arbre, on élève les graines dans de petits mannequins remplis de terre & plus profonds que larges ; ensuite on transporte ces mannequins dans les trous de la cacaoyère. L’usage des mannequins a néanmoins quelques incommodités. Comme ils ne contiennent qu’une petite quantité de terre, la chaleur la pénètre & la desséche, ce qui fait que la graine ne se développe pas sitôt ni si bien qu’en pleine terre. On pourroit les tenir plongés dans d’autre terre, mais ils périroient promptement. Une autre incommodité de ces mannequins ou caurcouroux, est que si on tarde un peu à les transporter, les racines en sortent, & alors cet excédant est privé de nourriture, demeure exposé à la chaleur de l’air, & s’y desséche.

Les graines de cacao ne peuvent bien réussir que dans des terrains absolument neufs, parce qu’ils fournissent beaucoup moins d’herbe, & que la violence & la durée du feu qui a consumé les arbres a en même tems dissipé les fourmis, les criquets, &c. Ils sont du moins plus rares dans la première année. Pour planter la graine, on choisit un tems de pluie ou actuelle ou prochaine : on cueille des cosses mûres, & on en tire la graine pour la mettre aussitôt en terre. Cette opération se fait ou à la fin de Juin ou à la fin de Décembre : on met deux ou trois amandes à quelques pouces les unes des autres, autour de chaque piquet, à deux ou quatre pouces de profondeur, ce qui se fait aisément avec le piquet même quand la terre est nouvellement labourée, sinon l’on remue légérement la terre avec une espèce de houlette ; on coule chaque amande dans son trou, le gros bout en bas, & on la couvre d’un peu de terre. Comme il en manque toujours plus ou moins, les surnuméraires de celles qui ont bien levé ensemble dans un même bouquet, peuvent servir à regarnir les places vides, ou être plantées ailleurs.

On ne fait guère le choix des brins qui doivent rester en place, que lorsqu’ils ont quinze à vingt-quatre pouces de haut ; ceux que l’on retranche doivent être levés avec dextérité pour n’offenser ni leurs racines, ni celles des arbres dont on les sépare, & même ne déranger aucune de celles-ci, parce que le cacaoyer est extrêmement délicat. On les replante aussitôt, avec la précaution de ne laisser aucunes racines dans une position qui les oblige à se courber. Il est plus avantageux de mettre dans les quinze jours de nouvelles graines à la place de celles qui ont péri, ou pour suppléer aux pieds languissans.

La distance qu’il convient de laisser entre chaque arbre, n’est point encore déterminée. On plante de cinq à douze ou à quinze pieds, sur-tout lorsque l’on plante dans des endroits montueux. Ceux qui les mettent près les uns des autres, observent que les cacaoyers ainsi que les caféyers tenus de cette manière dans nos îles, donnent beaucoup plus de fruits que l’on n’en recueille dans la terre ferme, où ces arbres plus éloignés emploient une plus grande partie de leur séve à se fortifier eux-mêmes, en sorte qu’ils n’ont sur ceux des îles que l’avantage de la hauteur & de la grosseur.

Il est constant que ces arbres plantés près à près, couvrent plutôt le terrain ; &, qu’espacés à huit pieds, chacun d’eux peut faire une ombre de plus de trente pieds de circonférence en trois ou quatre ans. Les herbes cessant d’y croître, le travail se réduit à ôter les guys & détruire les insectes ; au moyen de quoi, sans multiplier les bras, on peut replanter ailleurs une assez grande quantité d’arbres, & augmenter par progression dans peu d’années le nombre de ses cacaoyères. Plus les arbres sont éloignés les uns des autres, plus, on est long-tems assujetti à sarcler & à nettoyer le terrain. Ainsi, en plantant près à près, on peut avoir vingt-quatre mille pieds d’arbres rapportans ; au lieu que d’autres, avec les mêmes forces & dans un terrain également bon, n’en auront que huit mille.

Les arbres qui ne tardent pas à se toucher & entrelacer leurs branches, semblent être plus en état de se soutenir mutuellement pour résister au vent. Leur abri réciproque fait encore que la pluie en détruit moins de fleurs & qu’ils rapportent plutôt. Enfin, dans le cas où quelques-uns viennent à périr, le vide est moins sensible. Au contraire, lorsqu’ils sont à douze ou quinze pieds de distance, un ou deux arbres qui périssent, forment un grand vide que les branches voisines ne rempliront presque jamais, & qui laissent, pendant plusieurs années, beaucoup d’autres exposés à toute l’action du vent.

On a dit que l’ardeur du soleil pouvoit nuire aux cacaoyers, sur-tout dans les terres argileuses, & dans celles où le sable domine ; mais on a vu ci-devant qu’une cacaoyère ne peut pas bien réussir, à cause de la qualité du sol, dans un terrain argileux, parce que les racines ne peuvent pas pivoter. Pour ce qui est des terres sèches & légères, le jeune plant y souffre beaucoup du soleil, si on ne met à ses côtés deux rangées de manioque, à un pied & demi des cacaoyers ; ce que l’on fait en même-tems que l’on plante le cacao, soit un mois ou six semaines plutôt. Cette dernière méthode fait que le cacao se trouve abrité en levant, & que les mauvaises herbes n’ont pas le tems de prendre le dessus. C’est ici le cas d’employer le bambou, & de le substituer au manioque. L’autre pratique exige à sarcler souvent, jusqu’à ce que le manioque soit assez fort pour étouffer les herbes. Au bout de quinze mois, lorsqu’on fait la récolte du manioque, on en replante d’autres sur une rangée seulement au milieu de chaque allée, & on garnit le reste du terrain en melons d’eau, concombres, giraumons, ignames, patates, choux caraïbes. Toutes ces plantes couvrent la surface, empêchent la production des herbes, & fournissent en même tems de quoi nourrir les nègres. Il est à propos de détourner ces plantes lorsqu’elles s’approchent des cacaoyers.

Quelques cultivateurs ménagent des rigoles dans la cacaoyère, pour arroser le pied du jeune plant durant la saison, jusqu’à ce que son pivot soit parvenu à une profondeur où il trouve une humidité habituelle.

Le vent est bien plus dangereux pour les cacaoyers que le soleil. On a déjà parlé des abris que l’on forme soigneusement autour du terrain avec les arbres ; il est encore à propos d’en planter d’autres parmi les cacaoyers. Les plus convenables sont les bananiers & les bacoviers, arbres d’ailleurs très-utiles, mais trop négligés. Ils sont à peu près de la hauteur des cacaoyers, & acquièrent toute leur perfection en douze ou quinze mois. Le tronc a environ quinze à dix-huit pouces de circonférence, & n’est composé que des côtes des premières feuilles qui se couvrent les unes & les autres comme les écailles de poisson. Les feuilles qui forment un assez gros bouquet à la cime de l’arbre, ont cinq à six pieds de long, sur une largeur proportionnée. Ces arbres donnent quantité de rejets qui atteignent bientôt la hauteur & la grosseur des arbres mêmes, & qui tous ensemble font une masse de quinze à vingt pieds de tour ; enfin, ils sont toujours très-aqueux, & tiennent toujours la terre fraîche & humide ; ce qui convient très-fort au cacaoyer. Il est vrai que ces arbres ne rapportent qu’une seule fois, & qu’ils périssent dès que le fruit est coupé ; mais on peut dire qu’ils ne meurent point, les rejets les remplaçant toujours avec avantage & donnant du fruit au bout de huit mois. Tout cela dédommage amplement des frais de la cacaoyère.

On peut donc environner les quarrés par une ou deux rangées de ces arbres plantés à cinq ou six pieds l’un de l’autre, & en former d’autres rangées dans la pièce.

Il y a des endroits où l’on met du maïs, du manioque, & des cotoniers parmi les cacaoyers pour les abriter du vent ; mais ces plantes sont assez long-tems à acquérir une certaine hauteur qui n’est jamais fort considérable. Le maïs & le manioque, qu’il faut cueillir au bout de quelques mois, laissent alors les cacaoyers sans abri. Le manioque sert à prévenir le mal que les cacaoyers reçoivent des fourmis ; elles préfèrent cette plante.

La graine de cacao est ordinairement de sept à douze jours en terre avant de lever ; ses progrès varient beaucoup selon les terrains. À mesure que le jeune arbre grandit, le bouton qui avoit constamment terminé la tige, se partage en plusieurs branches, dont le nombre est communément de cinq, & c’est ce qu’on appelle la couronne de l’arbre. S’il y a moins de branches, on croit devoir l’étêter pour donner lieu à la formation d’une nouvelle couronne meilleure que la première. On coupe les branches qui excédent ce nombre, comme pouvant faire prendre à l’arbre une forme défectueuse. Ces branches produisent une multitude de rameaux & s’étendent horizontalement. Le tronc continue de croître & de grossir, & les feuilles ne viennent plus que sur les branches.

Les cacaoyers ne sont pas plutôt couronnés, que de tems en tems ils poussent un peu au-dessous de leur couronne de nouveaux jets appelés rejetons. Si on abandonne ces arbres sans les gêner dans leurs productions, ces rejetons forment bientôt une seconde couronne, sur laquelle naît ensuite un nouveau rejeton, d’où il en sort une troisième ; &c. au moyen de quoi la première couronne est presqu’anéantie. L’arbre s’effile en s’élevant considérablement, & toutes ses branches s’étendent à droite ou à gauche ; en sorte que l’arbre paroît comme un gros buisson sans tronc. Ceux qui cultivent le cacao préviennent ces productions nuisibles aux récoltes du fruit, en rejetonnant, c’est-à-dire, châtrant tous les rejetons, lorsqu’ils sarclent, ou dans le tems de la récolte.

On arrête le cacaoyer à une hauteur médiocre, non-seulement pour avoir plus de facilité à recueillir, mais encore pour qu’il soit moins tourmenté des vents ; cette hauteur varie selon les endroits.

L’âge auquel il commence à fleurir & à donner du fruit, n’est pas fixe ; c’est ordinairement après dix-huit mois, ou deux ans. Ceux qui sont plantés en donnent cinq ou six mois plutôt. Ils sont couverts de fleurs & de fruits pendant toute l’année. On en fait cependant deux récoltes principales, une en Décembre, Janvier & Février, & l’autre pendant les mois de Mai, Juin & Juillet ; on estime sur-tout la récolte d’hiver ; cependant l’humidité de la saison doit rendre les fruits plus difficiles à sécher & à se conserver. Le fruit est environ quatre mois à se former & à mûrir. Le signe de maturité est lorsque le fond des sillons a entiérement changé de couleur, & que le petit bouton d’en bas du fruit, est la seule chose qui paroisse verte ; on cueille alors le fruit.

Pour faire la récolte, on met un nègre à chaque rangée pour abattre les fruits mûrs avec une fourche de bois, ou les arracher à la main. Tantôt le même nègre les met à mesure dans un panier ; tantôt ce panier est entre les mains d’un autre qui le suit, & qui va vider le panier au bout de la file.

Tout étant ramassé & mis par piles, on casse les cosses sur le lieu même au bout de trois ou quatre jours. On dégage les amandes d’avec le mucilage, & tout ce qui les environne, & on les porte à la maison. Les cosses, en demeurant dans la cacaoyère, s’y pourrissent, & peuvent ensuite servir d’amendement ; mais on doit prendre garde qu’il ne s’y amasse pas d’insectes. On feroit grand tort aux plantes près desquelles on les charieroit. Les feuilles des cacaoyers amendent pareillement la terre, soit lorsqu’on les enfouit par les labours, soit que, demeurant éparses à sa superficie, elles concentrent l’humidité.

Aussi-tôt que les amandes sont arrivées à la maison, on les entasse dans des paniers, ou dans de grandes auges de bois, & à quelque distance de la terre. On les y laisse suer pendant quatre ou cinq jours, plus ou moins, bien couvertes de feuilles de balisier, ou de bananier, ou avec quelques nattes assujetties avec des planches ou des pierres ; on les y retourne soir & matin. Durant cette fermentation, elles deviennent d’un rouge obscur.

Après ce tems, on les expose pendant quelques heures à un soleil vif & ardent, sur des claies, ou dans des caisses plates dont le fond est à jour, afin de dissiper un reste d’humidité qui pourroit les gâter. On les y remue & retourne fréquemment ; ensuite on achève de les faire sécher à un soleil plus modéré, ayant soin de les mettre à couvert pendant la nuit, & lorsque le tems est humide ou pluvieux. Quand les amandes sont bien sèches, on les garde dans des futailles, dans des sacs, ou au grenier, jusqu’à ce qu’on ait l’occasion de les vendre. M. Artier approuve beaucoup qu’avant de les serrer, on les mette tremper une demi-journée dans l’eau de mer, & qu’on les fasse sécher une seconde fois.

Une cacaoyère bien tenue, produit considérablement. Les plantes qui servent à la garantir d’accidens, remboursent les frais de sa plantation & de sa culture. Ces frais se réduisent à la nourriture de quelques nègres qui peuvent presque vivre avec les productions destinées principalement à favoriser & conserver les cacaoyers. Les amandes de cacao sont donc un gain bien réel. En évaluant le produit de chaque arbre à deux livres d’amandes sèches, & leur vente à sept sols six deniers par livre, on retire quinze sols de chaque arbre. Vingt nègres peuvent entretenir cinquante mille cacaoyers.

Pour maintenir les cacaoyers en bon état, pendant vingt ou trente années, il faut avoir soin de leur donner deux façons tous les ans, après la première récolte d’été, un peu avant la saison des pluies. Savoir, 1o. de les réchauffer de terre chaude, après avoir bien labouré tout autour. Cela empêche que les petites racines ne prennent l’air & se dessèchent. 2o. La seconde opération est de tailler le bout des branches quand il est sec, & de couper tout près de l’arbre celles qui sont beaucoup endommagées ; mais il ne faut point penser à raccourcir les branches vigoureuses, ni faire de grandes plaies. Comme ces arbres abondent en suc laiteux & glutineux, il se feroit un épanchement qu’on auroit bien de la peine à arrêter, & qui les affoibliroit beaucoup.

Les cacaoyers ont pour ennemis les hannetons, les ravets, diverses sortes de fourmis, des espèces de sauterelles nommées criquets. Les criquets mangent les feuilles, & par préférence les bourgeons ; ce qui fait périr l’arbre, ou du moins le retarde de beaucoup. Jusqu’à présent, on n’a point connu d’autres moyens de s’en garantir, que de les faire chercher soigneusement pour en détruire le plus qu’il est possible.

Les fourmis blanches, nommées à Cayenne poux de bois, font un grand dégât, & les fourmis rouges encore plus. En une seule nuit, elles ont quelquefois ravagé de vastes plantations. Elles s’attachent principalement aux jeunes arbres. On les détruit en jetant quelques pincées de sublimé corrosif dans leur nid, ou sur leur route. Celles que le sublimé touche périssent en peu de tems, & portent encore la contagion & la mort parmi les autres, en se mêlant avec elles dans les nids.

Quant aux fourmis rouges, un moyen de les détruire est de fouiller la terre, & de jeter quelques pots d’eau bouillante dans les fourmilières que l’on rencontre.

Aux moyens fournis par l’auteur de ce mémoire pour détruire les chenilles, je crois qu’on pourroit employer celui dont on se sert pour faire mourir les taupes grillons, nommées courtillieres ou courteroles. Après avoir découvert le nid des fourmis, il faut couvrir avec un peu d’huile la surface du terrain criblée de trous ; mais auparavant, il faut la mouiller légèrement, afin que si la terre est sèche, elle n’absorbe pas l’huile. Aussi-tôt après, avoir des vases pleins d’eau, & en verser sur ces trous, peu à la fois, & sans interruption, mais autant qu’ils peuvent en recevoir. Cette eau, remplissant successivement les cavités, entraîne l’huile ; & tous les insectes quelconques couverts d’huile, périssent. Comme ils ont tous l’ouverture de leur poumon ou trachée-artère sur le dos, près du corselet, cette huile bouche la trachée, l’animal ne peut plus respirer & périt.