Cours d’agriculture (Rozier)/CENS

La bibliothèque libre.
Hôtel Serpente (Tome secondp. 627-629).
◄  CENDRE
CENTAURÉE  ►


CENS ou Censive, est une redevance due par le propriétaire d’un fonds au seigneur de ce fonds, laquelle consiste en argent ou denrées.

Le paiement d’un cens[1] constitue un héritage roture ; les fonds nobles n’y sont point assujettis.

Il faut expliquer ceci. Sous la première race de nos rois, le vaste sol de la France fut divisé en un petit nombre de propriétaires. Ces propriétaires étoient des germains. Ils établirent sur les terres l’esclavage germanique. « Les germains, dit Tacite, ne se servent point de leurs esclaves pour les fonctions domestiques, comme nous. Chacun d’eux a sa maison, sa famille, & paye, selon la volonté de son maître, une certaine quantité de grains, un certain nombre de bestiaux, des habits, comme un fermier. C’est en cela seulement que consiste leur servitude. » De Mor. Germ. Cette coutume est bien évidemment l’origine des cens.

Mais, pourquoi les terres nobles n’en payent-elles point ? La raison en est simple. Les grandes possessions dont les seigneurs germains, vassaux du roi, s’emparèrent, leur furent assurées en place du cens, à condition de l’hommage, de l’obligation du service militaire, &c. Eux-mêmes en conférant à des personnes de leur rang, & quelquefois de leur famille, une portion d’héritage, en exigèrent une prestation d’hommage & de services pareils à ceux qu’ils rendoient de leur côté ; & ce fut ainsi que se formèrent les fiefs.

Que si, contraints par la nécessité d’exploiter des fonds qui, sans cela, seroient restés en friche, ils étoient obligés d’y appeler des cultivateurs, ils se réservoient des redevances telles qu’encore aujourd’hui on en paie aux seigneurs divers, sous le nom de censives.

De cette introduction historique, qui fonde le principe, « que le cens est le prix de la concession originaire du fonds », on tire plusieurs conséquences : la première, que le cens est une dette réelle, qu’on ne doit qu’autant qu’on est possesseur de l’héritage sur lequel il est assis ; la deuxième, que le possesseur actuel ne peut pas céder ce fonds à un autre, moyennant un nouveau cens. S’il le fait, on n’appelle plus cens cette seconde redevance, mais rente foncière, cens-mort, sur-cens, gros-cens ; dont la nature est telle que si, par le droit de sa directe, l’héritage revient au seigneur, le sur-cens s’éteint dans sa main.

La troisième conséquence est, que toutes les fois que le tenancier vend un héritage censuel, il doit au seigneur des lods & ventes.

La quatrième conséquence est, qu’à moins d’une stipulation expresse contraire, il faut le porter au manoir de celui qui en est créancier. Ainsi, dès que le cens n’est pas dit quérable, il est portable.

Le cens est généralement imprescriptible. Cependant, selon Expilly & Salvaing, il se prescrit en Dauphiné par cent ans.

Il se prescrit de même dans les provinces de Bresse & de Bugey.

Suivant la coutume d’Artois, le vassal peut prescrire toutes sortes de redevances contre son seigneur.

Les coutumes du Bourbonnois, de l’Auvergne & de la Marche, soumettent le cens à la prescription de trente ans.

Les arrérages du cens en général, ne sont sujets qu’à cette dernière prescription de trente ans.

Cependant encore il y a sur cet article une foule d’exceptions. Un édit de Charles-Emmanuel, duc de Savoie, lequel s’observe dans les provinces de Bresse, Bugey, Valromey & Gex, veut que les arrérages de cens se prescrivent par cinq ans, s’il n’existe une demande faite en justice.

La coutume de Bourbonnois dit : « qu’arrérages de cens & autres devoirs portant directe seigneurie, se prescrivent par dix ans. » Art. 18.

La coutume d’Auvergne, art. 7, dit : « que les arrérages de cens ou rente annuelle ne se peuvent demander que de trois ans ; si ce n’est qu’il y ait des poursuites des années précédentes. »

Pour se faire payer les arrérages du cens, le seigneur peut, selon la coutume de Paris, procéder à la saisie-brandon des frits de l’héritage sur lequel le cens lui est dû[2]. Art. 74.

Mais, quoique la saisie se fasse toujours pour un terme de vingt-neuf années, le saisi obtient la main-levée provisoire en consignant trois ans. Art. 75.

Lorsqu’il s’agit d’une maison de la ville & banlieue de Paris, qui doit cens, le seigneur censier est le maître de saisir-gager les meubles qui sont dedans pour trois années de droits échus. Art. 86.

L’art. 85 de la même coutume astreint à une amende de cinq sols parisis (six sols trois deniers tournois) le censitaire qui laisse arrérager le cens ; amende dont cet article exempte les héritages assis en la ville & banlieue de Paris.

Quoique le cens soit stipulé en blé, néanmoins, s’il n’en croît point sur l’héritage, on se libère en le livrant en nature du plus beau grain qui vienne dans le champ.

En Provence, il faut s’acquitter avec le plus beau blé qui croisse dans le territoire ; & en quelques endroits particuliers, quand le censitaire paie en argent, il paie le septier de blé dix sols en sus du prix ordinaire.

La stérilité, quelque grande qu’elle soit, n’exempte pas du cens.

Le privilège du seigneur censier est le premier de tous ; il va même avant celui du bailleur de fonds. Si le possesseur détruisoit un héritage, de manière qu’il ne fût plus capable de produire de quoi acquitter le cens, le seigneur seroit admis à s’opposer à la détérioration.

Quelque partagé que soit un héritage, les différens possesseurs sont tous tenus solidairement au paiement du cens. Il doit être payé en nature quand il plaît au seigneur de l’exiger ainsi.

Le seigneur est en droit d’exiger des déclarations de ses tenanciers quand bon lui semble, & de contraindre les refusans, par voie de saisie & même de confiscation.

En général, il faut bien prendre garde d’avoir des procès sur une matière toujours légère, le cens jadis imposé, n’étant qu’une très-foible rétribution, est toujours vu favorablement dans les tribunaux. M. F.


  1. Excepté en Bretagne.
  2. Brandon est un bâton entouré de paille que l’huissier plante en plusieurs endroits du champ, pour marquer qu’il en a saisi les fruits.