Cours d’agriculture (Rozier)/CHAT

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Hôtel Serpente (Tome troisièmep. 150-153).


CHAT. (Hist. Natur. Économ. Rur.) Cet animal si joli, si vif, si turbulent quand il est jeune ; si patelin, si adroit, si rusé quand il désire quelque chose ; si fier, si libre dans les fers même de la domesticité ; si traître dans ses vengeances ; cet animal, dis-je, qui semble réunir tous les extrêmes, que l’on craint pour sa perfidie, que l’on souffre par besoin, que l’on chérit quelquefois par foiblesse, est d’une utilité trop grande à la campagne, pour que nous le passions sous silence. La guerre continuelle qu’il fait pour son seul & unique intérêt, purge nos habitations d’un ennemi importun, dont les dégâts multipliés produisent, à la longue, de très-grandes pertes. Il faut donc bien traiter & récompenser, par nos soins, un domestique infidèle qui nous est si utile, tout en ne travaillant que pour lui-même. Les animaux auxquels le chat fait la guerre, & qu’il détruit souvent, plus par le plaisir de nuire que par besoin, sont indistinctement tous les animaux foibles, & qui ne peuvent échapper ou à sa force ou à son adresse, les oiseaux, les rats, les souris, les levreaux, les jeunes lapins, les mulots, les taupes, les crapauds, les grenouilles, les lézards, les serpens, les chauves-souris, &c. deviennent sa proie ou son jouet. Ce qu’il ne peut ravir de haute-lutte, il le guette & l’épie avec une patience inconcevable. Tapi au bord d’un trou, rassemblé dans le moindre espace possible, les yeux fermés en apparence, mais assez ouverts pour distinguer sa proie ; & l’oreille au guet, il affecte un sommeil perfide, pour tromper l’animal dont il médite la mort. À peine est-il hors de son trou, qu’il l’attaque & le saisit ; s’il a sur lui un avantage considérable du côté de la force, il s’en joue & s’en amuse pendant quelque temps pour insulter à son malheur. Le jeu commence-t-il à l’ennuyer, d’un coup de dent il le tue, souvent sans nécessité, lors même qu’il est le plus délicatement nourri. Ce caractère méchant sans avantage direct, indocile & destructeur par caprice, feront toujours du chat un traître dont on profite sans l’aimer. Le traitement le plus doux, les soins les plus marqués ne peuvent le fixer & détruire en lui ce naturel indépendant & à demi-sauvage ; l’éducation même, perpétuée de race en race, ne l’a point altéré ; & le chat seul, de tous les animaux que l’homme a réduits à l’esclavage, a conservé cette fierté & cet amour de la liberté qu’il avoit au milieu des forêts. Dans l’enceinte même de nos murs, ce sont les greniers, les toits, les endroits déserts & retirés qui sont son séjour ordinaire. Habite-t-il une maison des champs, la vue de la campagne ranime bientôt dans son cœur le goût de la chasse, l’amour de la guerre ; il part seul ou quelquefois avec un compagnon de rapine, & portent de tous côtés le ravage & la désolation. Tantôt grimpé sur un arbre, il enlève du nid les petits oiseaux, & caché par quelques branchages, il attrape la mère qui venoit apporter de la nourriture à ses petits infortunés. Tantôt pénétrant dans les retraites des lapins, il les poursuit jusqu’au fond de leurs terriers. Une garenne qu’il affectionne est bientôt ravagée, & dépeuplée. Souvent il arrive que ces succès enflamment son courage, & lui rendent totalement son esprit d’indépendance ; alors il abandonne les habitations, vit au fond des bois, redevient sauvage ; & la génération suivante reprend insensiblement tous les premiers caractères du chat sauvage.

Le chat sauvage, quoiqu’il soit d’une seule & même espèce que le chat domestique, & qu’il produise avec lui, a des caractères qui le font distinguer. Il a le col un peu plus long, & le front plus convexe, d’une taille toujours avantageuse, son air est plus fier ; il semble porter sur toute sa figure cette empreinte originale de noblesse & de fierté que la société n’a point altéré. Son poil est plus long & plus doux que celui des chats qui vivent dans nos climats depuis plusieurs générations ; car le poil du chat d’Angora est plus long que celui du chat sauvage. Sa couleur est un mélange de feutre, de noir & de gris blanchâtre ; il a quelques anneaux noirs autour de la queue & sur les jambes ; le tour de la bouche est blanc, mais les lèvres & la plante des pieds sont noirs.

On distingue en général trois variétés principales parmi les chats domestiques, les chats d’Espagne, dont la couleur rousse, vive & foncée est le principal caractère qui les distingue ; ils ont aussi des taches blanches & des taches noires distribuées irrégulièrement. On prétend, avec vérité, que le chat d’Espagne mâle n’a jamais les trois couleurs, & qu’il n’a que du blanc ou du noir avec le roux ; les femelles, au contraire, ont toujours les trois, ce qui rend leur peau plus belle & plus recherchée. La seconde variété est le chat chartreux, dont la couleur est d’un gris cendré, mêlé d’une nuance bleuâtre. Enfin, la troisième est le chat d’Angora, qui est plus gros que le chat domestique & le chat sauvage ; son poil est beaucoup plus long & plus soyeux, le plus communément blanc, quelquefois de couleur fauve, rayée de brun.

La forme extérieure du chat est en général jolie & agréable ; ses proportions sont bien prises, & sa physionomie sur-tout exprime un air de finesse qui est encore relevé par la forme du front, de la tête entière, & par la position des oreilles. Mais entre-t-il en fureur, cette mine si douce & si fine se change tout d’un coup ; sa bouche s’ouvre, ses yeux s’enflamment, ils étincellent ; il tourne ses oreilles de côté, & les abaisse ; son poil se hérisse sur le dos & sur tout le corps ; toute sa physionomie décomposée n’offre plus qu’un air féroce & furieux ; ses cris sont effrayans, ses mouvemens rapides, ses griffes sortent de leurs gaines, il est prêt à tout déchirer ; alors rien ne l’épouvante, un animal plus fort ne l’intimide pas, il s’élance, se jette sur lui, le mord ou le déchire d’un coup de griffe, & non moins leste que hardi, à peine a-t-il frappé qu’il s’échappe & évite les atteintes de son ennemi.

La chatte entre en chaleur deux fois par an, dans le printemps & dans l’automne ; elle est beaucoup plus ardente que le mâle, elle le cherche, le poursuit, l’appelle ; les hauts cris & les roulemens qu’elle pousse alors annoncent la vivacité de ses désirs, ou plutôt l’état douloureux où ses besoins la réduisent, & que l’approche seule du mâle peut soulager. Les chattes portent cinquante-cinq à cinquante-six jours, & mettent bas ordinairement quatre, cinq ou six petits qu’elles ont soin de cacher & de transporter dans des trous, lorsqu’elles craignent que les mâles ne les dévorent, ce qui arrive quelquefois. Elles les allaitent pendant trois à quatre semaines, & puis vont à la chasse pour eux, & leur rapportent des rats, des souris, de petits oiseaux. Mais bientôt elles instruisent leurs petits dans le même art de la rapine, & finissent par leur laisser le soin de veiller à leur subsistance, en leur apprenant, par l’exemple, que tout moyen est bon & légitime, la ruse ou la force, pourvu qu’il réussisse. À quinze ou dix-huit mois, ils ont pris tout leur accroissement, peuvent engendrer avant l’âge d’un an, & vivent environ neuf à dix ans.

Le chat a quatre propriétés assez singulières, & qu’il partage avec très-peu d’animaux. 1o. Une espèce de râlement qu’il produit à volonté, & qui annonce presque toujours son contentement, & dont on n’a pu jusqu’à présent donner de bonnes causes ; ce seroit à l’anatomie à éclaircir ce phénomène animal : 2o. la conformation particulière de son œil ; dans les animaux, comme dans l’homme, la paupière peut se contracter & se dilater, elle s’élargit dans l’obscurité, lorsque la lumière manque ; elle se rétrécit, au contraire, dans le grand jour, lorsqu’elle devient trop vive ; mais cette dilatation & cette contraction se fait suivant la figure de la pupille, c’est-à-dire en rond, au lieu que dans le chat & dans les oiseaux de nuit, elle peut se faire suivant la ligne verticale, de façon que la pupille qui, dans l’obscurité, est ronde & large, devient, au grand jour, longue & étroite comme une ligne ; la prunelle alors se ferme si exactement qu’elle n’admet, pour ainsi dire, qu’un seul rayon de lumière. Le chat voit donc très-peu le jour, &, au contraire, beaucoup la nuit, parce que sa pupille dilatée extrêmement, recueille une très-grande quantité de rayons lumineux qui, quoique foibles, isolés, réunis tous ensemble, lui donnent la facilité de pouvoir distinguer & surprendre sa proie. La multiplicité des rayons supplée à la force qui leur manque. 3o. Le chat a un goût décidé pour les odeurs ; il aime les parfums, & flatte volontiers les personnes qui en portent. Il recherche avidement les plantes qui ont une odeur forte ; il se frotte contre leurs tiges, & à force de passer & de repasser dessus, il la fait bientôt périr. De toutes les plantes, celles qu’il affectionne le plus paroît être l’herbe aux chats, ou cataria nepeta vulgaris, & le teucrium marum, qu’on est obligé de conserver sous un treillage fermé, si on veut les cultiver dans les jardins.

4o. La dernière propriété que le chat possède éminemment, c’est la faculté d’être électrique, c’est-à-dire, de donner des étincelles électriques, lorsqu’on le frotte avec la main. Quoiqu’il partage cet avantage avec beaucoup d’animaux, comme le cheval, la vache, le veau, &c. cependant il l’emporte sur eux par la multiplicité & la vivacité des étincelles électriques que son poil laisse échapper. (Voyez Électricité)

Nous n’avons pas fait un tableau bien flatteur du chat ; son caractère à demi-sauvage, indocile, voleur & traître, ne pouvoit pas fournir des couleurs agréables. Mais la nécessité nous force d’avoir recours à cet animal ; nous en avons besoin perpétuellement ; pardonnons-lui donc ses défauts, en faveur de ses services. Ne comptons sur son attachement qu’autant que nous le traiterons bien, que nous souffrirons ses caprices, que nous lui laisserons l’usage entier de sa liberté. Vivons avec lui comme avec un voleur adroit & déterminé, & fermons avec soin tout ce qui peut le tenter. Accusons notre négligence de ses dégâts : nous connoissons son amour pour la rapine ; c’est donc à nous à nous en garantir. Mais que les greniers, les granges, les celliers, les fruitiers, les jardins lui soient ouverts, & nous verrons bientôt diminuer le nombre de ces petits animaux malfaisans qui vivent à nos dépens. Pour le forcer à une guerre continuelle, ne lui donnez à manger que rarement ; le besoin & la faim l’empêcheront de s’abandonner à cet état de paresse & d’indolence, où l’abondance de tout conduit nécessairement & les animaux & l’homme. Si vous aimez la chasse, & que vous ayez près de vous une garenne, ou des prés qui renferment des nids de perdrix, tuez impitoyablement tous les chats maraudeurs, sans quoi vous verrez bientôt votre garenne dépeuplée, & l’espérance de vos plaisirs absolument détruite. M. M.

Chat Putois. (Économ. Rur.) Animal carnassier & dangereux, plus connu sous le nom de putois. (Voyez ce mot) M. M.