Cours d’agriculture (Rozier)/CHIENDENT

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Hôtel Serpente (Tome troisièmep. 294-295).


CHIENDENT, ou Gramen, ou Pied de Poule. (Voyez Planche 6, page 196) M. Tournefort l’appelle gramen dactylon, radice repente sive officinarum, & le place dans la troisième section de la quinzième classe, qui comprend les fleurs à étamines, vulgairement nommées plantes graminées parmi lesquelles plusieurs sont propres à faire du pain. M. von Linné le classe dans la triandrie digynie, & le nomme panicum dactylon.

Fleur B, composée de trois étamines & d’un pistil renfermé dans une balle ou calice. La balle est divisée en trois valvules, dont l’une est imperceptible : dans la balle on trouve deux autres valvules, ovales & aiguës, qui tiennent lieu de corolle. C fait voir l’état de l’étamine après qu’elle a fécondé le pistil D.

Fruit E ; il consiste dans une graine ovale, attachée par sa base au fond de la balle.

Feuilles, roides, courtes, velues, embrassant le chaume ; & plus longues sur les nœuds du sommet.

Racine A, longue, noueuse, genouillée, sarmenteuse, rampante.

Port. Le chaume s’élève depuis six jusqu’à douze pouces, il retombe alors ; & pour peu qu’il trouve la terre ameublie, il pousse des racines par tous les nœuds qui la touchent, Au sommet du chaume sont placés trois ou quatre épis, ouverts, étroits, violets, velus à leur base intérieure, & disposés à peu près comme les doigts des pattes des poules ; d’où lui est venu le nom de pied de poule.

Propriétés. Le chiendent, ainsi que sa racine, ont une saveur sucrée, & je ne doute point que, si on opéroit sur une grande masse, on n’en retirât un véritable sucre, sur-tout de celui qui croît dans les lieux secs & bien exposés au soleil, avec un bon fond de terre. Cette plante est rafraîchissante, un peu apéritive, légèrement diurétique, & astringente.

Usages. Son plus grand emploi est dans les tisanes, les décoctions, les apozèmes apéritifs & diurétiques. On ne fait pas assez attention qu’avant d’employer cette plante, on doit ou ratisser son écorce, afin de l’enlever, ou la jeter dans l’eau bouillante, l’y laisser pendant quelques minutes, la retirer ensuite ; jeter cette eau & remettre le chiendent bouillir dans une autre eau. La première eau bouillante enlève une portion extrato-résineuse, qui la rend astringente, échauffante, &c. On se sert des tiges mondées de leurs feuilles, depuis demi-once jusqu’à deux onces, en décoction dans huit onces d’eau. Lorsque le besoin l’exige, on donne la plante mêlée avec le foin aux animaux.

Il y a une autre espèce de gramen, appelé par M. Tournefort gramen loliaceum, radice repente, sive gramen officinarum, & par M. von Linné, nommé triticum repens. La fleur ressemble à celle du froment, les calices sont étroits, barbus, en forme d’alêne, & renferment trois fleurs. Les semences sont oblongues, brunes, à peu près de la forme de celles du froment. Quatre ou cinq feuilles d’un beau vert embrassent la tige par leur base, en manière de gaîne, d’un demi-pied de longueur, & finissent en pointe. Les chaumes s’élèvent à la hauteur de deux pieds, droits, noueux ; les fleurs naissent au sommet en épis contractés, rangés sur deux rangs, d’étage en étage. Les racines sont blanchâtres, fibreuses, rampantes, noueuses par intervalles, entrelacées les unes dans les autres. Cette plante a les mêmes propriétés que la précédente, & s’emploie au même usage. Les habitans du nord, dans le temps de disette, font une sorte de pain avec sa racine pulvérisée & réduite en farine.

Ces plantes multipliées dans les champs, dans les vignes, &c., sont le fléau du cultivateur, & annoncent hautement sa négligence. Il en est sévèrement puni par le tort réel qu’elles font aux moissons. M. Diancourt a imaginé une espèce de râteau, capable d’arracher le chiendent. Qu’on se figure la tête d’un râteau ordinaire, mais beaucoup plus longue & plus large, armée d’un rang de longues dents de fer, terminées en crochet, qui entrent dans la terre ; & à mesure que l’animal attaché pour tirer ce râteau, ou espèce de herse, avance, les dents arrachent le gramen & le portent à la supercificie du terrein. Ce moyen & tant d’autres proposés, sont des amusettes. La pioche seule est capable de les détruire, & il faut être très-soigneux à ne pas laisser, je ne dis pas l’apparence des racines, mais même des tiges brisées, parce que toutes les plantes graminées, naturellement vivaces, poussent, avec une facilité extrême, de nouvelles racines à chaque nœud : dès-lors on ne doit plus être surpris qu’une seule tige de chiendent ait recouvert plusieurs toises de largeur, dans le courant d’une à deux années. Je le répète, il faut la pioche, la charrue le détruit très-imparfaitement.