Cours d’agriculture (Rozier)/COLOMBIER

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Hôtel Serpente (Tome troisièmep. 432-437).


COLOMBIER. Bâtiment en forme de tour ronde ou carrée, garnie de boulins ou de trous, dans toute sa hauteur, pour nicher les pigeons. Il y a deux sortes de colombiers, à pied & sur piliers. On appelle colombier à pied, celui dont la maçonnerie commence aux fondations, & se continue jusqu’au sommet : la maçonnerie du colombier à piliers commence seulement au-dessus de ces piliers. Dans quelques-unes de nos provinces, le seul seigneur haut-justicier, & les seigneurs de fiefs, qui ont des censives, ont le droit de colombier à pied : les particuliers nobles, ou roturiers, ne peuvent avoir de colombier, mais seulement une volière ou fuie, pourvu qu’ils soient propriétaires de cinquante arpens de terre labourable, situés aux environs de leurs maisons. Dans d’autres provinces, les roturiers ne peuvent avoir des colombiers quelconques, sans la permission du seigneur. Il seroit trop long de rapporter toutes les coutumes du, royaume à ce sujet, puisqu’elles varient d’une province à l’autre, & souvent dans la même province. Chacun doit connoître la coutume sous laquelle il vit. Il seroit cependant important que, dans les provinces où chaque particulier, propriétaire de fonds, a le droit de colombier, que ce droit fût restreint & proportionné au nombre d’arpens possédé par ce propriétaire. On abuse du privilège, & souvent un homme n’a pas dix arpens, que son colombier contient deux cents paires de pigeons ; alors, lorsqu’on ensemence les terres voisines, ces animaux dévorent une quantité de grains, qui nuit singulièrement à la récolte suivante. Il seroit dans l’ordre de permettre, par arpent, une seule paire de pigeons, c’est-à-dire, que le nombre des boulins du colombier seroit proportionné au nombre d’arpens. Est-il dans l’ordre naturel, que le champ du voisin nourrisse les pigeons d’autrui ?

I. De l’extérieur du colombier. La porte d’entrée doit être placée dans la basse-cour, & ne point être cachée, afin que le propriétaire voie ceux qui entrent ou qui sortent, & cette porte garnie d’une très-bonne serrure. Toute la façade des murs sera recrépie à chaux & à sable, bien unie, afin d’empêcher les fouines, les belettes, les rats, de grimper par les murs. Que le colombier soit rond ou carré, il doit régner tout autour une corniche de six à huit pouces de saillie. Elle a deux objets : le premier est d’empêcher les animaux grimpans d’aller plus avant, parce qu’ils ne peuvent se tenir dans une position renversée, & ils tombent. Le second, est de ménager une espèce de galerie, sur laquelle les pigeons se promènent, & s’échauffent au soleil. Si la tour est carrée, on aura soin de garnir les angles, de distance en distance, avec des feuilles de fer blanc, à quelques pieds au-dessous de la saillie ou cordon. Les murs ont beau être bien unis, les gros rats des champs montent par les angles ; mais leurs griffes ne trouvant point de prise, ils sont obligés de se précipiter, parce qu’ils ne peuvent se retourner & descendre. La fenêtre du colombier sera placée au midi, & garnie, par-devant, d’une large banquette, afin que le pigeon puisse s’y reposer lorsqu’il vient des champs, & y prendre le soleil ; ce qu’on appelle s’essoriller. Quoique ce mot ne soit pas admis dans la langue françoise, il est très-expressif. L’intérieur de cette fenêtre doit être bouché par une planche ou une pierre, ou en plâtre, percé de trous proportionnés au volume du corps de l’oiseau. La même banquette régnera également dans l’intérieur. Je n’approuve point la coutume de construire cette fenêtre sur le toit, en manière de lucarne, ou dans la forme d’un petit pavillon. Dans les orages, on court les risques de voir la charpente emportée ou ébranlée, les tuiles dérangées, le mortier crevassé, &c. ; de manière qu’il se forme sans cesse des gouttières qui pourrissent la charpente : d’ailleurs la pluie, poussée par les vents du midi, pénétrant par les trous, dans l’intérieur du colombier, pourrit le plancher, s’il n’est pas carrelé ; & s’il est carrelé, il conserve une humidité nuisible aux pigeons. Il est essentiel que le toit ait une pente considérable, c’est-à-dire, au moins le tiers de pente sur sa longueur, sur-tout s’il est couvert avec des tuiles. La fiente de pigeon se rassemble dans la gouttière formée entre deux rangs de tuiles ; & pour peu que le toit soit plat, cette fiente s’amoncèle de distance en distance, forme autant de petits réservoirs où l’eau s’élève jusqu’au-dessous de la tuile du niveau de la tuile supérieure, excède celui de la tuile en gouttière, & pénètre dans le colombier. Plus le toit aura de pente, plus facilement toutes les ordures seront entraînées. Que les chevrons du toit soient recouverts avec des planches, ou que les chevrons eux-mêmes soutiennent les tuiles, suivant la coutume de plusieurs de nos provinces, il est indispensable que chaque tuile soit noyée dans un bain de mortier : leur arrangement est plus solide, l’eau y pénètre plus difficilement, les vents & les moineaux dérangent moins les tuiles. Cette inclinaison du toit offre aux pigeons un excellent abri, & un lieu qu’ils aiment beaucoup pour s’essoriller, sur-tout si les murs du nord, du levant & du couchant sont parallèles en hauteur, & élevés d’un pied à dix-huit pouces au-dessus de la naissance du toit, dans sa partie supérieure. Cette toiture est, à tous égards, préférable a celle des pavillons à quatre faces : ces faces de toiture sont nécessairement trop inclinées ; le pigeon y repose difficilement, sur-tout si on a employé de l’ardoise ou des tuiles plates.

Lorsqu’un colombier est garni d’un grand nombre de pigeons, il arrive souvent que la transpiration de ces animaux, que leurs excrémens, &c, vicient l’air, & même souvent le corrompent, au point que l’animal y respire avec peine, y languit, périt, & souvent le déserte entièrement. Cela n’est pas surprenant, puisque l’air ne peut s’y renouveler que par la fenêtre située au midi, & ordinairement placée dans la partie supérieure. On sait que l’air vicié, ou air fixe, (Voyez ce mot) est plus pesant que l’air atmosphérique, & par conséquent, qu’il occupe la partie inférieure ; mais, comme peu à peu ces couches augmentent, l’air se trouve souvent vicié, du plus au moins, jusque vers l’ouverture ; aussi, dans de pareils colombiers, on voit les pigeons faire leurs nids dans les boulins les plus élevés. Il y a un moyen bien simple de remédier à cet inconvénient ; c’est d’ouvrir un larmier sur le plancher du colombier, & à son niveau ; larmier qu’on fermera & ouvrira à volonté : alors l’air fixe ou vicié, plus pesant que celui de l’atmosphère, coulera, par ce larmier, dans le réservoir de l’air atmosphérique, comme l’eau, contenue dans un vase, coule, lorsqu’on l’incline ; & peu à peu l’air atmosphérique occupera sa place, & on établira ainsi une libre circulation dans l’air atmosphérique. Ce que l’on dit ici de la pesanteur de l’air vicié, paraîtra bien extraordinaire à ceux qui ne connoissent pas les expériences en ce genre ; mais ces phénomènes ne sont pas moins démontrés jusqu’à l’évidence. Plus la couleur des tuiles, des ardoises, &c. approchera du noir, & plus la chaleur sera forte dans le colombier ; & elle le sera encore plus, si le toit est recouvert en cuivre ou en plomb : cette excessive chaleur contribue singuliérement à la corruption de l’air.

II. De l’intérieur du colombier. 1°. Du sol du plancher. S’il est en bois quelconque, il sera bientôt percé à jour par les rats, & ces animaux sont les plus grands destructeurs des pigeons. Ils cassent les œufs, mangent les pigeonneaux dans le nid, épouvantent ceux qui dorment, parce qu’ils exercent leur cruauté pendant la nuit. Enfin, les pigeons, sans cesse tracassés, se dégoûtent du colombier, s’enfuient, & vont, dans un autre, chercher la tranquillité pour eux, & la sureté pour leurs petits. Je parle d’après l’expérience… Le plancher doit être carrelé, & le carreau enclavé dans la maçonnerie des murs de côté, sur deux pouces de profondeur, afin que les rats n’aient pas la facilité de fouiller entre le mur & le carreau. Le tout étant bien garni de mortier, lardé de petites pierres, on place, sur le devant, un carreau légèrement incliné, & de champ ; de sorte qu’il fasse la base du triangle, dont le carreau du plancher & le mur feront les deux autres côtés. Ce carreau sera également maçonné, & garni, par derrière, avec des pierrailles & du mortier : de cette manière, il est presqu’impossible que les rats & les souris puissent faire des trouées.

Du sol du plancher carrelé, jusqu’à la naissance des boulins, on laissera un espace de quatre pieds au moins, bien recrépi & bien lissé : j’ai vu de gros rats sauter plus haut.

2°. Des boulins. La forme des boulins varie suivant les provinces. Dans quelques-unes, on les fait avec des planches divisées par cases de huit pouces, en tout sens. Les uns les garnirent d’un rebord d’un pouce, & les autres n’en mettent point. La nature du bois varie suivant les endroits : le châtaigner bien sec est à préférer à tous les autres, attendu qu’il ne se déjette jamais ; le chêne vient après. Les bois sont sujets à se charger de vermine, qui fatigue beaucoup les pigeons. Les boulins, garnis de rebords, ne peuvent jamais être parfaitement nettoyés : si on leur donne huit pouces de profondeur, le rebord est inutile.

D’autres se servent de paniers : il faut, chaque année, en remplacer le quart à peu près ; & cette dépense, sans cesse renouvelée, ne laisse pas que d’être onéreuse. Ces paniers nichent encore plus surement la vermine, que tous les bois quelconques.

Dans certains endroits, on construit exprès des pots de terre : le pigeon y est bien à son aise ; mais il est difficile de placer les échelles pour nettoyer le colombier, & on en casse beaucoup.

Quelques-uns construisent les boulins avec de grandes briques de dix pouces de longueur, sur six de largeur, (elles sont trop étroites ; il faut au moins huit pouces) & les placent en triangle. De cette manière, il y a autant de plein que de vide, puisque la partie du triangle, dont la pointe est en bas, ne sauroit convenir au pigeon qui niche, & il lui seroit impossible de couvrir ses petits pendant le temps de l’incubation. J’ai vu ces mêmes briques, placées de façon que les quatre, réunies par leur bout, formoient autant de carrés. Cette méthode est préférable à la précédente.

Dans les pays où le plâtre est commun, c’est-à-dire, peu cher, on peut employer, pour la construction des boulins, la manière suivante, surtout pour les colombiers de forme carrée. On s’en sert pour les tours rondes ; mais chaque boulin offre un pan coupé dans sa réunion avec le boulin suivant. Cette construction me paraît réunir tous les avantages.

Il faut se pourvoir d’un nombre de tuiles creuses, proportionné avec la grandeur & la hauteur du colombier. Telles sont celles destinées à recouvrir le faîte des maisons, que, dans quelques endroits, on nomme chanées ou cottières. Elles différent des tuiles ordinaires, en ce que celles-ci n’ont que douze à quatorze pouces de longueur, sur six de largeur, dans la partie supérieure ; les cottières, au contraire, ont dix-huit pouces de longueur ; huit dans leur plus grande largeur, & sept dans le bas. D’ailleurs, ces proportions varient suivant les lieux ; celles que j’indique sont à préférer.

À la hauteur de quatre pieds au-dessus du plancher, on commence par maçonner une banquette tout autour du colombier : son épaisseur sera de quatre à six pouces, sa largeur de douze. Huit pouces sont destinés à supporter la tuile, & il reste quatre pouces de rebords. On peut, pour plus grande sureté, former, en dessous de la banquette, une espèce de voûte ou de pan coupé, en plâtre, sur la hauteur d’un pied ; la larder de morceaux de tuile & de bois. Lorsque la banquette est finie, on pose à plat, par-dessus & contre le mur, la première rangée de tuiles, & on noye le dessous & les côtés dans le plâtre. L’extrémité la plus étroite de chaque tuile est en recouvrement de deux pouces sur la partie la plus large de la tuile suivante. Sur la partie de ce recouvrement, on monte de champ un petit mur de plâtre & de morceaux de brique, de deux pouces d’épaisseur, sur huit pouces six lignes de profondeur ; de façon que le bord des tuiles soit recouvert par le plâtre. Sur la hauteur de huit à neuf pouces, on recommence un second rang de boulins, après avoir bien recrépi la face du mur de la première rangée ; & la longueur de chaque tuile, garnie de son petit mur à ses deux extrémités, forme une case ou boulin, & ainsi de suite, jusqu’à la hauteur convenable pour tous les boulins. Il seroit très-imprudent de les conduire jusqu’au toit ; les rats pourroient entrer dans le colombier par les trouées, qu’ils auroient pratiquées sous & dans le couvert, quoiqu’on eût pris toutes les précautions indiquées dans l’article précédent : d’ailleurs, les pigeons n’auroient pas une plate-forme intérieure, pour se promener, se caresser & coucher. Il y aura donc au mains l’espace de dix-huit pouces à deux pieds, du dernier boulin au toit. Dans cette partie supérieure il régnera également une banquette de douze à quinze pouces de profondeur, & qui excédera celle des boulins de quatre à sept pouces ; elle régnera tout le tour du colombier. Cette même banquette se propagera également tout le tour de la fenêtre, par laquelle les pigeons entrent ou sortent. On ne sauroit prendre trop de précautions contre les rats, & autres animaux malfaisans.

Le dedans des boulins, les murs de plâtre qui les séparent, les murs du colombier, ainsi que les planches du toit, ou les tuiles, seront peints en blanc : les pigeons aiment singulièrement cette couleur ; le dehors du colombier le sera également.

Le larmier, dont j’ai parlé dans l’article précédent, sera fermé par une bascule, ou par une coulisse en bois, & la partie extérieure, garnie d’une grille de fer à mailles très-serrées. Une même grille sera ménagée à la fenêtre d’entrée, s’ouvrira dès le grand matin, & sera fermée à nuit tombante. On ne sauroit croire combien les chouettes, les hiboux, les chats-huans détruisent de nichées pendant la nuit, lorsqu’on ne prend pas cette précaution. Heureux sont ceux qui peuvent s’en passer !

Le colombier construit ainsi que je viens de le dire, on se passe facilement d’échelles, nécessaires dans les autres, lorsqu’on veut prendre les pigeonneaux dans le nid. Chaque tuile de boulin forme, pour ainsi dire, un échelon, sur lequel repose le pied, & les mains s’accrochent aux tuiles supérieures ; de sorte que, sans descendre, il est facile de visiter tous les nids. Celui qui veut prendre les pigeons, attache, par un coin, un sac à sa ceinture ; d’une main, il se tient aux boulins, &, de l’autre, il saisit les pigeons, & les met dans son sac.

Il est indispensable de tenir les colombiers dans la plus grande propreté, de les nettoyer au moins tous les mois, ainsi que les boulins. Ce n’est point assez de se servir d’une ratissoire : elle enlève les ordures, il est vrai ; mais elle n’entraîne pas la vermine. Après avoir passé la ratissoire, il convient de passer, dans l’intérieur du boulin, une brosse à poil rude. Cette pratique paroît minutieuse ; cependant elle ne l’est pas.

Les pigeons aiment singulièrement la lavande ; & dans les provinces méridionales, il cassent ses tiges au-dessus des feuilles & au-dessous des fleurs, & en garnissent leurs nids ; leur en fournir, seroit une petite précaution qui leur seroit agréable.

Si l’eau est éloignée du voisinage du colombier, on fera très-bien de leur procurer de l’eau dans le colombier même, soit dans des vases, soit au moyen des pompes semblables, mais plus grandes que celles dont on se sert pour les petites volières.