Cours d’agriculture (Rozier)/FAUX-AUBIER

La bibliothèque libre.
Hôtel Serpente (Tome quatrièmep. 445-447).


FAUX-AUBIER, Botanique. Cette maladie des arbres est assez rare, & ne se rencontre que dans ceux qui ont éprouvé, suivant MM. Duhamel & Buffon, les rigueurs d’un très-grand froid. Elle est encore plus ou moins commune suivant les différens terrains & les différentes situations. Dans les terres fortes, dans le touffu des forêts, elle est plus rare & moins considérables que dans les clairières & dans les terres légères. On en sent aisément la saison, si la gelée en est la cause. Mais avant que de raisonner sur cette cause, nous allons en détailler les symptômes & les caractères.

Si l’on scie un tronc d’arbre attaqué de cette maladie, on apperçoit deux couches d’aubier, mais séparées l’une de l’autre par une couche de bon bois ; en sorte que l’on voit alternativement une couronne d’aubier, puis une de bois parfait, ensuite une seconde couronne d’aubier ; enfin, le cœur de l’arbre ou le bois parfait & la moelle. La couleur & le tissu lâche & tendre de ce faux-aubier annoncent que, par une cause particulière, il n’a pu devenir bois parfait.

M M. de Buffon & Duhamel ont cru reconnoître, par le nombre de couches de vrai bois interposées entre les deux couronnes d’aubier, que cette altération étoit due au grand froid de 1709. Le très-grand froid de cette année ayant altéré, suivant eux, la sève, & par conséquent les parties de l’arbre qui en contiennent le plus, il n’est pas étonnant que l’aubier des arbres qui en ont éprouvé l’effet, a été tellement affecté, qu’il n’a jamais pu devenir bois parfait. Les feuillets de l’écorce reproduisant les années suivantes un nouvel aubier, puis un nouveau bois, il s’est formé trois différentes zones ou couronnes.

Ces savans se sont assurés que ce faux-aubier étoit absolument de mauvaise qualité, en le soumettant aux mêmes expériences qu’ils avoient soumises l’aubier & le bois. M. de Buffon en fit faire plusieurs petits soliveaux de deux pieds de longueur, sur neuf à dix lignes d’équarrissage, & les comparant avec de pareils de véritable aubier, il fit rompre les uns & les autres en les chargeant dans leur milieu. Ceux de faux-aubier rompirent toujours sous un moindre poids que ceux de véritable aubier.

La nature & la mauvaise qualité du faux-aubier bien connue, il seroit bien important d’en connoître la véritable cause. Quoique l’autorité de MM. Duhamel & de Buffon soit d’un très-grand poids, qu’il nous soit permis de douter de leur explication ; les faits qui, comme les expériences, sont des bases sûres d’après lesquelles on peut établir une opinion, déposent contr’eux.

1°. Nous révoquons en doute, que d’après le nombre de couches ligneuses on puisse calculer l’âge d’un arbre : nous en avons établi les raisons au mot Couche ligneuse ; & comme il est presque démontré, au moins pour nous, qu’il ne se produit pas de nouvelles couches ligneuses, mais qu’il se développe simplement celles qui existoient déjà, qui deviennent seulement plus apparentes par la dilatation & l’accroissement, nous ne pouvons croire à la reproduction des nouvelles couronnes de bois parfait & d’aubier par-dessus les anciennes.

2°. Il faudroit prouver dans leur système, que tous les arbres attaqués du faux-aubier ne le sont que depuis l’époque des gelées de 1709 ; que tous les arbres exposés à leur rigueur contiennent du faux-aubier ; ce qui seroit d’autant plus difficile que cette maladie n’est point du tout particulière aux arbres gelés.

3°. Il est de fait que les arbres qui gèlent s’entrouvrent perpendiculairement, & ceux qui n’en périssent pas ne contiennent point pour cela de faux-aubier.

4°. Enfin, que de jeunes arbres peuvent être attaqués de cette maladie, quoique les hivers qu’ils ont éprouvés depuis leur naissance n’aient pas été assez rigoureux pour les geler.

Il nous paroît bien plus naturel d’attribuer cette maladie à la mauvaise qualité des sucs que les racines ont sucé dans le temps que cette partie de l’arbre étoit plus près de la circonférence. Ces sucs n’étant pas sains, n’ont pu nourrir les couches de l’aubier, ou ils ont déposé dans les vaisseaux une substance qui n’a pu se convertir en bois. (V Accroissement) Cette explication donne très-aisément la solution des différens phénomènes que présente le faux-aubier ; par exemple, pourquoi il se trouve plus ou moins près de l’aubier ou de la moelle ; pourquoi quelquefois il est tellement contigu à l’aubier, qu’il n’y a point de couche de bois parfait entre ; pourquoi de jeunes arbres en sont attaqués aussi bien que de vieux ; pourquoi tel arbre en est attaqué, tandis que ses voisins se conservent très-sains, quoique, dans la même direction ; pourquoi, enfin, un arbre dans le cœur de la forêt, en est aussi-bien attaqué que celui de la lisière ou à la tête du bois, &c &c M. M.