Cours d’agriculture (Rozier)/GRAINES

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GRAINES. Si on consulte les articles Accroissement, Fécondation, Germination, Semaille, Semis, Semences, du Cours complet d’Agriculture, il sera facile de se convaincre que les phénomènes les plus importans de l’anatomie et de la physiologie des graines, de ces organes régénérateurs, de ces véritables foyers ou réservoirs du principe vivifiant des végétaux, ont été soigneusement examinés, et présentés avec beaucoup d’intérêt par Rozier, qui les a considérés dans leur application aux besoins des hommes et des animaux, et qu’il a saisi leurs rapports généraux avec les arts, l’agriculture et le commerce.

Il ne reste donc plus qu’à réunir sous un seul point de vue les principaux avantages qu’elles procurent, en les employant à la reproduction ; à indiquer estiment on doit procéder à leur récolte et à leur conservation ; enfin, les moyens les plus certains pour s’assurer de leur bonne qualité.

Contenues dans des espèces d’ovaires qu’on nomme péricarpes, et qui leur servent d’enveloppe, les graines ou semences des végétaux varient beaucoup entr’elles par leur couleur, leur consistance, leur forme, leur volume. Ces caractères distinctifs sont très-constans dans celles des espèces végétales conservées par succession pendant la durée des siècles, dans un état sauvage ; mais ils changent dans celles des végétaux soumis et qu’on continue à soumettre à la culture, à l’action stimulante des engrais, aux influences d’un sol et d’un climat différens de ceux qui les ont vus naître. Ainsi, la nature perpétue les espèces et maintient leur intégrité, en les traitant toujours de la même manière ; ainsi l’art, à l’aide des procédés particuliers, forme et conserve des variétés.

Malgré la quantité de semences que fournissent les végétaux, et qui sert non seulement à les renouveler, mais encore à nourrir une multitude innombrable d’animaux, la nature, comme si elle eût craint d’être au dépourvu, a encore distribué des germes féconds dans presque toutes les parties d’un grand nombre de végétaux, dans les boutons des tiges de ceux qui sont ligneux, et qui, plus lents dans leur développement, rapportent plus tard des semences dans les drageons des racines de ceux qui ne donnent qu’une petite quantité de graines, comme l’apocyn à la ouate, l’asclepias Syriaca, le topinambour, les pervenches d’Europe, et peut-être même le chiendent, lequel, comparativement aux autres graminées, paroît produire des épis bien moins fournis.

Ces germes, à l’instar des semences, peuvent être mis en terre, former des plantes complètes, capables de donner à leur tour des boutons, des drageons, des cayeux doués de la même propriété générative. Mais comme ils sont moins vigoureux que ceux qui existent dans les graines, que les individus auxquels ils donnent naissance ont la fibre plus molle, plus lâche, qu’ils sont moins rustiques, moins durables, plus susceptibles de se détériorer, et que même ils deviennent stériles, après une suite plus ou moins longue de générations, la nature n’a que très-rarement recours, pour renouveler les végétaux, à ces germes reproducteurs secondaires, et le cultivateur ne les emploie que dans des cas particuliers. Ce n’est, pour ainsi dire, que dans l’enceinte de son jardin qu’il s’en permet l’usage. Veut-il, par exemple, conserver une variété qui lui plaît ? il la greffe sur un autre arbre ; veut-il hâter ses jouissances, qui seroient retardées par des semis ? il couche les branches de ses vignes, il plante la bouture d’un arbre, il divise ses racines, il en détache les rejetons. Mais a-t-il à repeupler des forêts ou des prairies ? il préfère la voie des semis ; et, pour obtenir des arbres plus robustes et des herbes plus vigoureuses, il choisit pour semences celles qui sont produites par des arbres ou des plantes jouissant de la plus grande énergie.

C’est par des semis faits dans un sol préparé par des labours et fécondé par des engrais, que les hommes sont parvenus à couvrir la terre de plantes céréales et légumineuses, devenues par leurs soins plus alimentaires qu’elles ne l’étoient dans l’état sauvage.

C’est par ce même mode de reproduction et de culture, qu’ils ont pu faire croître, jusque dans les pays du Nord, une infinité de plantes précieuses, originaires des contrées les plus chaudes ; mais la culture par laquelle ils ont perfectionné les végétaux utiles, a donné naissance à un grand nombre de variétés, qui toutes diffèrent, plus ou moins, des espèces qui les ont produites, et tendent continuellement ou à s’en rapprocher, ou à s’écarter de leur état actuel, et à subir de nouvelles variations, de manière qu’elles ne peuvent se maintenir dans l’état de perfectionnement où nous les avons amenées, que par des travaux soutenus. Or, c’est particulièrement vers la production de leurs semences que nous devons diriger tous nos soins, puisqu’il est bien démontré que c’est principalement par elles que nous conservons, que nous multiplions ces variétés, que nous empêchons qu’elles ne soient des jeux éphémères de la nature.

Les semences influent tellement sur la nature des productions, que souvent celles-ci éprouvent des changemens successifs dans la qualité et dans la forme ; au point que, malgré la richesse du sol, l’abondance des engrais, les faveurs de la saison et l’industrie active des cultivateurs, si ces semences pèchent par leurs caractères spécifiques, si elles ne résultent pas de plantes franches dans leurs espèces, surveillées dans leur culture et dans leur conservation, il ne faut pas espérer d’obtenir de ce concours de circonstances heureuses tous les avantages qu’on auroit droit d’en attendre.

Indépendamment des fonctions que les graines ont à remplir dans l’économie végétale, elles favorisent le transport et la propagation des plantes, d’une extrémité du monde à l’autre ; c’est par leur moyen que nous voyons s’élever, se naturaliser dans nos climats les végétaux qui croissent sus les bords du Gange et du Mississipi, enfin les semis sont la source des variétés innombrables introduites parmi les espèces.

Mais le rôle que jouent les graines dans la végétation ne se borne pas à la reproduction des plantes qui leur ont donné le jour, c’est dans leur intérieur que la nature a déposé les alimens les plus nécessaires à la vie ; le froment, le maïs et le riz, sont la nourriture fondamentale de presque tous les habitans du globe ; d’autres semences, par l’huile qu’on en exprime, suppléent en quelque sorte à l’absence du jour, ou deviennent l’assaisonnement de la plupart de nos mets, ou présentent des ressources à nos ateliers, et à l’art de guérir des remèdes contre les maux qui affligent l’espèce humaine. Cependant, malgré tous ces avantages, nous ne possédons pas encore de traité dans lequel se trouvent rassemblées les connoissances les plus essentielles sur leurs caractères spécifiques, sur les lieux d’où il faut les tirer, sur leur récolte, leur garde et leur emploi ; un traité ad hoc seroit cependant d’une grande utilité. Vilmorin, qui avoit déjà rassemblé sur ce sujet un grand nombre de faits et d’observations, se proposoit de le publier ; mais cet estimable confrère vient d’être enlevé au jardinage et à l’agriculture, qu’il a éclairés pendant trente-six ans : nous avons tout lieu d’espérer que son fils acquittera la dette du père, et adoucira ainsi les regrets que sa perte a occasionnés.

À l’aide d’un ouvrage qui seroit le résultat d’une longue expérience, et d’une suite d’observations exactes, les marchands et les amateurs du jardinage, lorsqu’ils feroient leur provision de graines, sauroient discerner les vieilles d’avec les nouvelles, celles qui sont franches d’avec celles qui sont récoltées sans soin, les graines des variétés d’avec celles des espèces. On n’auroit plus le désagrément de voir avorter des graines qu’on a semées, et d’en voir lever au contraire sur lesquelles on ne comptoit point ; on pourroit, pour se les procurer, se servir des meilleurs procèdes, et l’on seroit récompensé de ses peines en obtenant les productions les plus excellentes.

Sans vouloir disculper ici les marchands du défaut de succès de quelques graines qu’ils débitent, j’observerai que ce succès ne dépend pas constamment de l’empire des circonstances ; la négligence que quelques uns mettent dans la pratique de leur profession en est souvent cause. Les amateurs du jardinage ne sont pas non plus exempts de reproches à cet égard ; en général, ils montrent trop d’insouciance sur le choix des espèces dont ils désirent garnir leurs clos. S’ils vouloient réfléchir qu’il faut autant d’attention, de place et d’engrais pour obtenir des productions médiocres, que pour s’en procurer de bonnes, sans doute ils se détermineroient à recueillir sur leur terrain celles des graines auxquelles le canton qu’ils habitent est favorable. Plus assurés alors de l’âge, de la pureté et de la qualité de leurs semences, ils compteroient davantage sur le produit de leurs jardins, et ne seroient pas exposés à voir leurs avances et les soins de leurs jardiniers perdus, comme cela arrive fréquemment.

Des porte-graines. Toutes les plantes viennent originairement de semences ; elles en produisent à leur tour : c’est ainsi que la plupart se perpétuent ; mais, pour cet effet, il faut une fécondation préalable, qui n’a pas toujours lieu ; les graines alors, quoiqu’en apparence de bonne qualité, sont dans le même cas que les œufs clairs des poules qui n’ont point éprouvé les approches du mâle : quand la saison est sèche et chaude, plusieurs d’entr’elles ne germent point ; les artichauts en sont un exemple.

Une plante isolée, destinée à propager son espèce, ne produit presque jamais un effet agréable à la vue ; rien de plus facile que d’oublier de lui donner tous les soins qu’elle exige pendant le cours de sa végétation, et d’en faire la récolte quand elle est parvenue au point de maturité convenable. La qualité du sol et l’avantage de l’exposition contribuent pour beaucoup au parfait développement des plantes. Un bon jardinier doit avoir pour principe de réserver, tous les ans, dans l’endroit du clos le mieux exposé, une ou plusieurs planches, de les préparer convenablement, de choisir scrupuleusement parmi les plantes destinées à servir de porte-graines, les individus qui réunissent toutes les qualités qui leur appartiennent essentiellement.

Une première attention, c’est de laisser les plus beaux pieds monter en graine ; deux à trois de beaucoup d’espèces (nous en exceptons les plantes légumineuses) suffisent pour l’entretien d’un jardin d’une certaine étendue ; mais cette quantité seroit insuffisante pour quiconque en fait le commerce, ou qui voudroit compter au nombre de ses actes de bienfaisance agricole la distribution gratuite des graines, aux habitans de son voisinage : alors on ne sauroit assez s’en procurer, ni employer trop de précautions pour les ramasser et les conserver, d’après les bons principes. Traçons ici, en peu de mots, ce qu’il y a de plus essentiel à faire dans cette circonstance.

Après avoir choisi pour porte-graines les sujets les plus beaux et les plus francs, parmi les plantes chez lesquelles l’individu mâle est séparé de l’individu femelle, on les met en réserve jusqu’au moment de leur transplantation ; ceux qui ne doivent pas passer l’hiver sur terre, sont replantés au printemps dans un terrain propre à leur espèce, et à une distance convenable, afin qu’ils puissent prendre le plus grand développement possible ; on fait toujours en sorte de séparer les espèces analogues, et qui pourroient se faire dégénérer réciproquement par le mélange des poussières fécondantes.

Si quelques cultivateurs, après avoir tenté de se procurer des variétés par le rapprochement, par le mélange de certaines plantes avec d’autres, n’ont pas réussi, c’est probablement pour n’avoir pas assez consulté l’analogie végétale et rapports qu’avoient entr’elles les espèces qu’ils vouloient croiser ; il n’est pas de jardin qui ne présente journellement des exemples de ces dégénérations, opérées par la fécondation réciproque des plantes d’une même famille les unes par les autres ; et, dans les grandes cultures, les céréales et les plantes légumineuses eu offrent aussi tics preuves multipliées.

Désirant suivre l’effet de ce phénomène sur les haricots, l’auteur du nouveau la Quintinie ; envoya, en 1780, de Normandie, à Vilmorin, une collection de toutes les variétés qu’il avoit pu rassembler, avec invitation de les cultiver toutes dans le même terrain, et d’observer jusqu’à quel nombre se porteroient les variétés qui pourroient résulter de cette culture, pendant quelques années : il en planta cent et quelques espèces, toutes triées à la main, pour ne mettre en terre que les semences qui portoient le caractère le plus marqué de leur espèce ; il en fit autant de petites planches séparées par un sentier ; et le fait est qu’en trois recoltes les espèces ou variétés très-distinctes excédoient déjà trois cents, et il n’y a pas de doute qu’en peu d’au nées elles ne se fussent élevées à un nombre plus considérable.

Vilmorin a eu fréquemment occasion de faire des observations analogues dans les expériences qu’il a suivies, à dessein d’obtenir et de conserver très-franches quelques espèces de légumes que nous tirons d’Angleterre ; il a remarqué que toutes les fois qu’il a planté isolément le chou d’Yorck, par exemple, il a toujours eu la même espèce dans les plants provenus de la graine ainsi récoltée. Si une planche de chou pommé et une de chou de Milan étoient contiguës, il se trouvoit, dans les productions des graines fournies par chacune d’elles, des plants qui participaient de l’une et de l’autre, et qui étoient dans un état de dégénération bien marqué.

On peut citer encore à l’appui de ces observations une pratique assez généralement adoptée en Angleterre, et à laquelle paroît être due la réputation de quelques espèces de graines que nous saisons venir de ce pays. Ceux des jardiniers qui s’adonnent à la culture des graines, ont l’attention de ne cultiver dans le même enclos qu’une seule espèce de choux ou de pois, ou de toute autre plante d’une même famille ; mais une seule espèce de porte-graines est plus commode à gouverner : on la cultive, on la sarcle et on l’arrose, quand le temps l’exige ; on soutient les tiges par des tuteurs contre les vents qui les fatiguent ; on les rassemble quand elles s’étalent trop, on enlève toutes les feuilles mortes et inutiles, qui concentrent souvent la sève dans le pied et le font pourrir ; enfin on défend la graine de la voracité des oiseaux, qui en sont très-friands, par des épouvantails, par des pièges d’une efficacité reconnue.

Parmi les variétés de choux, il y en a dont les pommes ou têtes sont tellement dures et serrées, que les liges ne peuvent parvenir à monter ; ce qui empécheroit souvent d’en récolter la graine, si on n’avoit la précaution de fendre en quatre ces têtes ou pommes, pour donner aux tiges la faculté de sortir. Les belles têtes de choux-fleurs sont quelquefois dans ce cas ; mais comme il y a beaucoup à craindre de les faire pourrir, en y portant le fer pour en retrancher une partie, les jardiniers préfèrent les livrer a eux-mêmes, aux risques de voir leurs plus belles productions dans cette espèce refuser de monter en graine, ce qui arrive assez fréquemment. Les plantes qui rapportent leurs graines la première année, et qui n’ont pas besoin, par conséquent, d’être mises en réserve avant l’hiver, pour être replantées au printemps, n’exigent pas moins que celles-ci un soin particulier dans leur choix ; ainsi on réserve, pour les laisser monter en graine, dans les planches de laitues, de chicorées, etc. les plantes les plus franches, les mieux venues, et on leur donne les mêmes soins qu’aux autres espèces.

À la faveur de toutes ces précautions, on est plus assuré de conserver plus longtemps les espèces dans un état franc ; mais il est d’observation constante que les plantes se fatiguent par des cultures longues et successives, dans la même qualité de terrain, et à une même exposition ; il convient de renouveler de temps à autre les semences, et de préférer, en général, celles qui sont récoltées dans un pays plus septentrional que le sien.

On a remarqué que les graines des superbes choux-fleurs de Malte, d’Espagne et d’Italie, donnent, dans le milieu et le nord de la France, des productions médiocres, et bien inférieures à celles de la même espèce tirées d’Angleterre et de Hollande. Il en est de même de presque tous les légumineux ; ils s’affoiblissent quelquefois par un mode de se reproduire qui n’est pas celui de la nature, et fournissent à la longue des graines très-peu propres à la reproduction : un fait très-remarquable, c’est que la grosse espèce d’artichauts cultivée à Paris et dans les environs, connue sous le nom d’artichaut de Laon, ne produit presque jamais de graines, et le peu qu’on en récolte est souvent incapable de germer. Cette particularité ne peut être attribuée qu’à l’habitude où l’on est de multiplier cette plante, depuis un temps immémorial, presque exclusivement par la voie des œilletons. On sait que les plantes qui suivent mieux les lois de la nature, sont rarement stériles, tandis que les individus qu’on propage par le moyen prompt, facile et peu dispendieux des drageons, des boutures et des marcottes, fournissent peu de graines, et perdent insensiblement leur vertu reproductive ; en sorte qu’il est très-rare qu’on en récolte de bonnes sur ces sortes de sujets. Il seroit donc à désirer que l’usage de semer des graines franches, les mieux constituées, prévalût sur celui de la reproduction par œilleton, bouture, etc. La multiplication des espèces deviendroit plus considérable, plus vigoureuse, plus vivace, et résisteroit davantage contre les accidens souvent occasionnés par les hivers rigoureux.

Récolte des graines. Les procédés pour recueillir les graines, adoptés par ceux mêmes qui s’occupent particulièrement de cet objet, sous les rapports commerciaux, ne doivent pas être toujours la règle de conduite qu’il faille suivre à cet égard ; je m’abstiendrai d’en faire ici la critique, préférant d’indiquer les expériences et les observations d’après lesquelles on est parvenu à en découvrir de meilleures : ce seroit une insouciance impardonnable que de n’en point profiter.

Il convient, autant qu’on le peut, de choisir un temps sec pour la récolte des graines, et d’attendre, pour enlever les pieds, quelques rayons de soleil, afin d’achever leur dessiccation ; mais, comme on a remarqué que le même pied produit deux qualités de graines, que la tige du milieu qui mûrit la première fournit la semence la plus parfaite et la plus hâtive, que les sommités latérales donnent la seconde toujours inférieure, il vaut infiniment mieux couper les tiges, les séparer et mettre de côté les graines fournies par le jet principal. En arrachant les porte graines il reste toujours de la terre du sable et des petites pierres, qui se mêlent avec la graine, augmentent les difficultés de la nettoyer et de la conserver, ce qui est un grand inconvénient pour les personnes qui en font le commerce. Dans les petites cultures, on doit préférer de recueillir à la main, à fur et à mesure, les graines de carotte, de laitue et d’autres espèces, qui tombent facilement ou dont la maturité ne s’opère que successivement sur les tiges, et dans un assez long espace de temps : cette méthode a l’avantage de ne donner que des graines parfaitement mûres et nettes, au lieu que quand on est obligé de couper les tiges, il arrive presque toujours qu’au moment où cette opération s’exécute, les premières graines mûres (et ce ne sont pas les moins bonnes) sont tombées ou ont été la proie des oiseaux, et que celles qui ne le sont pas assez, se trouvent également perdues, ou bien sont mélangées par le battage avec celles dont la maturité étoit plus complète, ce qui est un inconvénient encore plus grand. Comme la dessiccation insensible est préférable à celle qui se fait brusquement par une chaleur plus ou moins forte, il faut, autant que la nature de la graine le permet, la conserver dans les capsules, dans les siliques, gousses, bales ou enveloppes, jusqu’au moment de s’en servir ; on réunit les tiges par paquets, qu’on tient dans un lieu à l’abri des alternatives du chaud et du froid, de la sécheresse et de l’humidité ; c’est le moyen le plus certain de prolonger la durée des graines, et de les conserver dans toute leur qualité. Les particuliers qui cultivent et récoltent des graines pour leur propre consommation ne doivent donc pas balancer à les garder dans leurs capsules, après qu’elles ont été recueillies parfaitement mûres, et de ne les en séparer qu’au moment de leur emploi ; c’est dans ces capsules qu’elles jouissent encore d’une sorte de vitalité, c’est là qu’elles se perfectionnent, que leurs parties constituantes se combinent, se dessèchent spontanément, et éprouvent ce qu’on appelle le ressuement. Les jardiniers maraîchers n’auroient pas l’espoir d’avoir un succès aussi complet dans leurs semis, s’ils ne conservoient ainsi leurs graines d’ognon, de poireau et de plusieurs autres espèces. Quelque avantageuse que soit la conservation des graines dans les enveloppes, ce moyen n’est pas toujours praticable, et il y en a qu’on est obligé de séparer aussitôt qu’elles ont atteint leur point de maturité ; alors on doit les battre sur une aire ou sur un tonneau défoncé, prendre garde que la première qui tombe étant ordinairement la plus mûre, la plus nourrie et la plus sèche, il convient, au moment de la récolte, de la séparer de la seconde, et, pour ne pas mélanger les espèces ou variétés de graines, d’y attacher des étiquettes, placées de manière à ce que le vent ne pusse les emporter.

Il faut que l’emplacement où l’on se propose de battre les graines soit bien nettoyé, avoir l’attention, quand on vient à une autre espèce, qu’il n’en reste point de la première, et ne jamais resserrer qu’au préalable elles n’aient été exposées à l’air, séchées et vannées. Lorsque la récolte de ces graines se fait un peu tard dans la saison, il faut les étendre par lits très-minces, dans un lieu sec, les remuer souvent, et les placer, s’il est possible, sur des claies ou des planches un peu élevées, et les mettre à l’air toutes les fois que le temps est sec. L’exposition des graines à toute l’ardeur du soleil, ne sauroit être suivie d’aucun inconvénient, toutefois si elles n’y demeurent pas trop long-temps après leur entière dessication ; il n’en est pas de même de la chaleur artificielle qu’on seroit forcé de leur appliquer, soit que l’humidité s’y trouveroit par surabondance, soit parce qu’elles auroient éprouvé des avaries, ou que, pour les expédier à temps, du nord au midi, on voudroit hâter leur dessiccation ; il faut que cette chaleur soit graduée et proportionnée à la nature des graines, et, dans tous les cas, prendre garde que son action ne se porte immédiatement sur le germe ; car si la semence, sur-tout quand elle est récemment recueillie, est mise au four ou exposée à toute autre chaleur vive, ce germe éprouve un commencement de cuisson, l’humidité propre de la graine se combine avec les autres principes constituans, d’où résulte cet effet qu’on exprime par tuer le germe, c’est-à-dire opérer l’anéantissement de la faculté reproductrice.

Conservation des graines. La graine d’une plante sauvage se conserve beau-coup plus long-temps que celle d’une plante cultivée, toutes choses égales d’ailleurs ; mais une fois récoltée avec les soins recommandés, on doit s’occuper de la garantir de la moisissure, de la fermentation, du rancissement et d’une trop grande dessiccation, en les plaçant, dans un lieu plutôt froid que chaud, à l’abri de la trop vive lumière et de l’ardeur du soleil, et en veillant attentivement à ce que les rats, souris, les insectes n’y aient aucun accès : le choix du local mérite la plus sérieuse attention : Vilmorin, dans le premier volume des Annales de l’Agriculture française, publié par notre collègue Tessier, insiste beaucoup sur ce point, et la Société d’encouragement pour l’industrie nationale, qui en a senti toute l’importance, en a fait le sujet d’un prix.

Chaque espèce de graine doit être mise séparément dans un bocal, dans une boîte, dans des tiroirs ou dans des sacs de toile à mailles claires ; mais il faut prendre garde d’entasser ces sacs et de les placer sur le carreau et auprès du mur, en les tenant isolés, autant qu’il est possible, sur des tablettes, eu les suspendant au plancher ; ces sacs doivent être longs et étroits, d’une moyenne capacité : s’il étoit même possible qu’ils fussent tissus de natte ou de paille, il n’y a pas de doute qu’on ne dût les préférer ; on sait que ce tissu ne s’humecte pas aisément à l’air, qu’il est un mauvais conducteur de la chaleur, et doit maintenir par conséquent la graine dans un état sec et frais.

Indépendamment de ces pratiques générales, usitées par-tout pour conserver les graines, il y en a de particulières, imaginées pour les transporter au loin : M. de Saint-Genis conseille de les mettre dans des bocaux de verre, fermés avec du papier et une toile par-dessus, le tout ficelé ; mais ce moyen ne réussit qu’autant qu’elles sont parfaitement mûres et sèches, car les corps les plus secs en apparence renferment quelquefois encore beaucoup d’humidité, qui tend toujours à s’échapper au dehors ; or, cette humidité trouvant un obstacle invincible à son évaporation, circule dans l’intérieur du vase, se rassemble en masse sur un point qu’elle mouille, et qui occasionne la moisissure ; ce ne seroit peut-être qu’après leur séjour pendant un certain temps dans les sacs, qu’il n’y auroit aucun inconvénient à renfermer les graines dans le bocal. Le moyen de prolonger un certain temps la durée des graines, a occupé également Miller, ce célèbre jardinier a proposé différentes méthodes, entr’autres, celle de les encaisser par couches alternatives dans du sable ou de la terre humide pendant l’hiver, ou de les enfouir à trois ou quatre pieds de profondeur ; mais une précaution sur laquelle il insiste, c’est de ne point leur interdire toute communication avec l’air, afin, selon lui, de maintenir le principe de leur faculté végétative. Les expériences qu’il a faites lui ont prouvé que certaines graines, conservées dans des sacs, levèrent à merveille, tandis que celles qu’il avoit enfermées dans des bouteilles scellées hermétiquement, ne germèrent point ; d’où il conclut que les personnes qui se proposent de tirer des graines de l’étranger, doivent avertir leurs correspondans de se bien garder de les leur envoyer enfermées dans des pots ou des bouteilles bouchées.

Malgré toute ma déférence pour l’opinion de Miller, je suis forcé d’en émettre une contraire à la sienne ; elle est fondée sur les exemples nombreux de graines expédiées par Vilmorin dans nos colonies et aux Grandes Indes, avec l’attention de bien goudronner les bouchons, de sorte que les bocaux étoient parfaitement lutés et hermétiquement fermés ; moyennant cette précaution, ses envois sont toujours parvenus à leur destination, parfaitement conservés. Il a eu le même succès, en plaçant les graines dans des caisses de fer-blanc ou dans des vaisseaux de cuivre, dont les couvercles étoient bien soudés, et qu’on plaçoit dans d’autres caisses solides. On ne peut se dispenser de convenir que l’humidité dont l’atmosphère de la mer est constamment chargée, doit exercer sur des graines qui y seroient exposées, une influence pernicieuse ; il est encore certain que si elles ne sont pas préservées des atteintes des insectes, des rats ou des souris, un envoi entier peut être en peu de temps la proie de ces animaux. On ne devroit donc pas regarder comme préjudiciables des précautions qui tendent à conserver les graines de ces divers accidens ; il est bien vrai que si elles sont emballées avant que d’être parfaitement mûres et ressuyées, (et c’est probablement le cas d’un envoi qui aura été fait à Miller) on hâte par ces précautions mêmes leur destruction, en empêchant l’évaporation de l’humidité qu’elles contiennent, et qui amène nécessairement la fermentation ; mais ces résultats ne sont plus à craindre, si les semences ont été emballées parfaitement mûres et sèches.

Le hasard a fait découvrir à M. Suedz un moyen de conserver aux semences leur propriété végétative, et de les transporter dans les climats les plus éloignés. Ayant reçu des graines qui, en général, croissent difficilement en Angleterre, lorsqu’on les y porte par la voie ordinaire, et qui se trouvoient mêlées parmi des raisins secs, il les sema dans des pots recouverts avec des châssis : toutes levèrent. Content de ce succès, il chargea ses enfans, qui étoient alors en pays étranger, de ramasser toutes les graines qu’ils pourroient se procurer, et de les lui envoyer, empaquetées dans du papier-gris, enveloppées ensuite, les unes avec des raisins secs, les autres avec du sucre bien humide ; cette commission fut remplie à la lettre, et, de vingt espèces qu’il sema, pas une n’a manqué ; tandis que les mêmes graines, qui lui furent envoyées emballées à la manière ordinaire, ne levèrent point. L’auteur attribue cette propriété à la faculté qu’ont les raisins d’exhaler de l’humidité, que le mucoso-sucré qui transude des raisins de caisse, on le sirop que forme un sucre humide, vernissant les semences, les garantissent de l’impression de l’air, de l’action qu’exerceroient alternativement sur elles la sécheresse qui dissipe leur esprit séminal, et l’humidité qui l’altère. Or, ces semences confites, pour ainsi dire, dans le sucre, s’y trouvent dans le même état d’inertie que les pépins enfermés dans leur chair séchée avec l’intention de les faire lever plus sûrement, et qu’ils y sont mieux défendus contre les agens qui diminuent ou détruisent la faculté générative des semences en général, même de celles qui sont gardées dans des capsules ou autres enveloppes plus perméables. Ne sait-on pas, en effet, que lorsqu’on peut mettre entièrement les semences à l’abri de ces agens destructeurs, lorsqu’elles sont, par exemple, enfouies profondément dans la terre, elles conservent cette faculté pendant des siècles ? Nous pensons que ces fruits agissent ici de différentes manières, soit parce que l’humidité qu’ils exhalent est vineuse, soit parce qu’ils servent de corps intermédiaires, de capsule à la graine.

Nous ne nous permettrons pas de grossir cet article, déjà trop long, par la description d’une foule d’autres recettes insignifiantes, qui se trouvent disséminées dans les ouvrages périodiques. Ne pourroit-on pas avancer qu’il en est de certaines recettes vantées pour conserver les graines, comme de celles de ces médicamens qui doivent leur réputation aux circonstances, plutôt qu’à leur efficacité réelle ?

Il ne suffit pas d’avoir récolté en bon état les graines, de les avoir parfaitement séchées et soigneusement renfermées, il faut les visiter de temps en temps, parce que si on s’apercevoit qu’elles fussent attaquées par des insectes, il seroit nécessaire de profiter d’un beau jour pour les étendre au soleil, les nettoyer, les cribler autant de fois que le besoin en est indiqué, et ensuite les remettre en sac.

Mais, an printemps, lorsque la végétation commence à reprendre son activité, la surveillance devient encore plus nécessaire ; on diroit que les principes vivifians et fécondans qui, à cette époque, semblent pénétrer toutes les parties de la matière organisée, exercent aussi leur influence sur les graines : on remarque du moins un mouvement sensible de fermentation dans plusieurs espèces, telles que les radis, les choux, les navets et les haricots.

Les graines de laitue particulièrement, ont encore plus besoin de cette visite, parce qu’elles sont fréquemment attaquées par un petit ver ou larve qui s’en nourrit, et qui les ramasse par petites pelotes, dans l’intérieur desquelles il se loge ; si on laisse un sac de cette graine pendant deux ans sans y toucher, on le trouve quelquefois entièrement perdu, et la totalité de la graine qu’il contient, réduite ainsi en pelotes par le travail de ces insectes.

Durée des graines. La germination des graines s’opère plus ou moins promptement, à raison de la solidité de l’enveloppe qui les recouvre, de la chaleur du climat, de la sécheresse ou de l’humidité du sol, de la saison, de l’aspect et du pays où elles ont été récoltées ; elle présente à cet égard des singularités remarquables, dont il n’est guères possible, même à l’homme le plus instruit en ce genre, de rendre toujours raison ; il y a des graines qui perdent la faculté de germer dès qu’elles sont parvenues à maturité ; il en est d’autres au contraire qui la conservent cinquante ans et plus. On a vu germer du seigle qui avoit cent quarante ans ; à la vérité, cette observation, répétée par tous les écrivains en économie rurale, n’a déterminé aucun à l’essayer ; d’ailleurs, a-t-on suivi assez exactement ce grain dans les différens périodes de la végétation, pour savoir s’il pouvoit réellement les parcourir ?

L’ouvrage de Miller contient la liste des graines qu’il faut semer immédiatement après leur maturité, et celles dont il est possible de conserver la faculté reproductive pendant un certain temps, toutefois en les gardant avec soin ; car souvent on a prononcé sur la durée des graines, d’après seulement quelques petits essais entrepris sur des semences défectueuses.

Un grand nombre de cultivateurs sont persuadés, par exemple, que la graine de panais, d’angélique, de salsifis, de scorsonère, de fenouil, d’anis et autres de la même famille, ne lèvent pas la seconde année ; mais Vilmorin assure, d’après sa propre expérience, que ces graines, récoltées sur des plantes vigoureuses, parfaitement mûres, bien conservées et semées avec le soin qu’elles exigent, lèvent au bout de deux ans ; les choux, les navets, les raves, les radis, les cressons, les chicorées, les bourraches, les capucines et autres du même genre, germent jusque dans la cinquième année ; le terme ordinaire de la vie des germes est entre quatre et huit ans. Quoiqu’on puisse énoncer comme une proposition générale que les graines nouvelles sont préférables aux anciennes, cependant, parmi celles de plantes potagères et de quelques plantes à fleurs doubles, il en est qu’on aime mieux semer lorsqu’elles ont deux, trois et même quatre ans, parce qu’on a remarque que les plantes, comme les choux fleurs, les choux pommés, les chicorées, les laitues qui provenoient des graines nouvelles, s’emportoient beaucoup plus, selon l’expression des jardiniers, mouroient plus vite en graine que celles produites par de vieilles semences, et que les balsamines, les giroflées, l’œillet de la Chine, etc., portoient moins de fleurs doubles, lorsque les graines auxquelles elles devoient leur naissance étoient trop récentes. Cette double observation présente un phénomène singulier, dont l’explication est très-facile à donner : il est évident que l’embonpoint des plantes potagères ou des fleurs doubles est une monstruosité occasionnée par le défaut d’énergie des plantes pour la reproduction des semences.

Il est certain que des semences perdent nécessairement, chaque année, une petite quantité de cet esprit séminal, spermatique dont elles sont les réservoirs naturels, de cet esprit qui constitue la force des individus sauvages du règne végétal, ainsi que du règne animal, et qui semble s’opposer à cet état d’obésité qui les caractérise, à mesure qu’ils en sont privés.

Cela posé, il n’est plus étonnant que des graines qui, remplies du principe vivifiant, auroient produit, dans leurs premières années des plantes très-rapprochées des espèces franches, ne donnent plus, dans la quatrième année de leur existence, que des variétés très-éloignées de ces espèces, quand elles sont presque dépourvues de ce principe.

C’est encore à raison de l’absence presque totale de ce sperme, nécessaire à la reproduction des semences, que les vieux arbres ne donnent plus que des fruits sans pépins ou sans noyaux, quoique plus beaux et plus succulens. D’après cette différence remarquée entre les productions des semences nouvelles et des semences anciennes, on ne doit jamais se permettre dans le commerce de les mêler ensemble.

Moyens de s’assurer de la qualité des graines. Les caractères qui peuvent servir à faire reconnoître la qualité des graines se tirent ordinairement de leur couleur, de leur poids, de leur volume, de leur consistance, de leur forme, des impressions qu’elles font sur les organes, de la plus ou moins grande quantité des corps étrangers qui se trouvent mêlés parmi elles, enfin des atteintes que peuvent y avoir portées les insectes.

On peut établir, comme une maxime générale, qu’une graine qui a l’odeur de moisi ou de rance, ou bien qui est vermoulue, est d’une qualité défectueuse ; il faut choisir de préférence celle qui est pleine, pesante, entière et bien nette : en la mettant sur une feuille de papier, et lui imprimant le mouvement du van, il est facile de juger celles qui ne réunissent pas ces propriétés spécifiques. La submersion tant vantée comme une pierre de touche est équivoque, puisque les graines dans lesquelles l’énergie de la reproduction se trouve tout à fait éteinte, n’en va pas moins au fond de l’eau.

Une excellente méthode, quand elle est praticable, consiste à s’assurer de la qualité des graines, en en semant une pincée sous châssis ou cloches, sur une couche chaude ; ou bien, comme le pratiquent quelques personnes, à défaut de couche, en mettant dans un linge humecté une quantité numérative de graines, dont on forme un petit paquet qu’on enfouit dans un pot rempli de terre, en le tenant près d’un poêle ou d’une cheminée, et l’arrosant d’eau tiède ; on est, bientôt après, en état de juger combien de grains ont germé : cet effet détermine plus puissamment la qualité de la graine, et peut servir à indiquer en même temps combien il est nécessaire d’en employer.

Mais il n’est pas toujours aisé de faire subir aux graines de pareilles épreuves, avec l’attention nécessaire : d’ailleurs elles ne peuvent guères convenir qu’aux semences qui germent facilement, comme celles des crucifères ; et encore ces épreuves sont-elles sujettes à erreur, car une semence germera vigoureusement en apparence, et ne donnera ensuite que des produits médiocres. Il vaut mieux, quand on le peut, s’en tenir aux graines qu’on a cultivées et récoltées sur son propre fonds, conservées conformément aux bons principes ; on est plus certain de la qualité et de l’âge de celles qu’on sème.

La forme, la couleur, le volume et la pesanteur sont tellement variés dans les graines, qu’il est difficile de saisir tous les caractères qui constituent leur perfection, pour déterminer le choix de toutes les espèces ; il faudroit s’arrêter sur chacune d’elles en particulier, et ce travail, malgré toute l’étendue qu’on pourroit lui donner, seroit encore très imparfait. Voici des indications générales, d’après lesquelles il est permis de prononcer sur la qualité de quelques unes des graines qui sont les plus usitées.

Graines potagères. Les plantes potagères dues aux travaux du jardinier, aux engrais, à la qualité du sol, au hasard, à des alliances végétales bien assorties, à l’action diminuée ou augmentée de l’eau, de l’air et de la lumière, demandent toujours à être cultivées avec le même soin, parce que, délaissées, elles retournent bientôt à l’état sauvage.

La plupart de celles qu’on sème pour leurs produits en racines, ne grènent pas dès la première année de leur végétation ; les semences de toutes les variétés de navets se ressemblent à peu près entre elles ; elles sont d’un brun foncé, vif, bien lisses à leur surface : jetées sur les charbons ardens, elles doivent pétiller et s’enflammer aisément ; ce double effet diminue à mesure qu’elles s’éloignent de leur récolte.

Un autre moyen de s’assurer de l’état récent de cette graine, comme de celui de toutes les semences émulsives, c’est de les écraser sous l’ongle ; elles fournissent une quantité d’huile assez remarquable, qui s’épaissit à mesure qu’elle vieillit, et, quand la semence a perdu sa qualité germinative, elle n’en rend plus du tout ; la substance intérieure, de blanchâtre qu’elle étoit, devient d’un jaune roux ; celle qui n’a pas atteint sa maturité est couleur fauve, et, eu lieu de se foncer avec le temps, elle jaunit et perd de son éclat. L’analogie des graines de choux avec celles de navets est si marquée, pour la forme et la constitution, qu’on peut, à l’aide des mêmes moyens, parvenir à juger de leur qualité ; et quoiqu’elles aient l’avantage de conserver long-temps la propriété germinative, leur grande tendance à rancir exige toujours l’emploi de la plus nouvelle.

On ne peut ni à l’inspection, ni au goût, décider sur-le-champ la qualité de la graine de carottes ; mais elle réunira les conditions désirables dès qu’elle aura du poids et un peu d’épaisseur, qu’elle se détachera aisément par un léger frottement des poils ou barbes dont elle est hérissée ; sans cette attention, on court les risques de semer plusieurs graines par paquets, et d’en mettre trop dans des endroits, tandis que d’autres n’en ont pas assez. Sa couleur est d’un gris de lin terne ; quand elle est tant soit peu jaune, elle n’en a pas moins de qualité, pourvu qu’elle ait un montant vif et parfumé, dans lequel on puisse saisir distinctement l’arome de la racine.

Ce n’est guères que sur la bonne foi des marchands qu’on peut prendre la graine de betterave, à cause de sa ressemblance parfaite avec celle de poirée ; cependant on observe que la première est plus grosse, mieux nourrie que la seconde ; son volume doit approcher de celui d’un moyen poids.

À l’égard du panais, la forme de sa graine est un peu aplatie ; cependant, en la pressant dans les doigts, on sent l’existence de l’amande, plus ou moins renflée ; elle est jaunâtre, et présente à la concavité une couleur mordorée ; quand elle est nouvelle, son odeur est très-forte et très-aromatique ; mais cette odeur se conserve plusieurs années, quoiqu’à un moindre degré, à la vérité. S’il est difficile de reconnoître à l’inspection la graine de carotte vieille ou nouvelle, la difficulté est bien plus considérable pour la graine d’ognon ; le seul caractère que l’on puisse indiquer, c’est que celle-ci est d’une couleur noire très-foncée, qui a quelque chose de vif et même de brillant, tandis que la couleur de l’autre est moins vive, plus terne, et qu’elle a perdu, en vieillissant, une partie de ce goût et de cette odeur alliacée que les organes exercés saisissent facilement, quand la graine est nouvelle ; mais l’insuffisance de ces caractères oblige de s’en rapporter sur ce point à la bonne foi du marchand.

Les semences des fruits mous et pulpeux qui appartiennent, par exemple, à famille des cucurbitacées, doivent être choisies parmi ceux qui ont dépassé le terme de la maturité, vu que leur chair est destinée à perfectionner la semence, laquelle produit ordinairement un fruit qui a plus de qualité et conserve plus longtemps sa propriété végétative ; mais il faut convenir que ce soin est indispensable pour le concombre, parce qu’on le mange toujours avant sa maturité ; il est possible de l’éviter pour le melon et les courges, qu’on ne cueille ordinairement que quand ils sont mûrs.

Graines de prairies naturelles et artificielles. Il arrive souvent que, quand on n’a pas recueilli sur son propre fonds la graine des prairies naturelles, et qu’on est obligé d’en acheter, on court les risques de n’avoir que des débris de greniers à foin, de couvrir son terrain de mauvaises herbes, et qu’on ne vient à bout de détruire par la suite qu’à force de travail et de frais. Pour se procurer de la graine de bonne qualité, c’est toujours sur le second foin qu’il faut la faire cueillir ; elle est plus mûre et par conséquent mieux nourrie.

Dès que l’herbe est sur le point d’être fauchée, on coupe les sommités de la graine, qu’on étend sur une toile pour es faire sécher au soleil ; on les bat avec précaution, et on garde la graine dans des sacs bien fermés, jusqu’au moment des semailles. Cette méthode, quand on peut l’employer, est bien préférable à l’usage de prendre des graines de prairies sous les tas de foin ; outre qu’elle produit des graines plus mûres et de meilleure qualité, elle laisse encore au propriétaire la facilité de ne faire ramasser que celles des plantes de son pré qu’il juge les plus avantageuses à multiplier, et les plus convenables au terrain qu’il veut ensemencer. Cet objet est d’une grande importance, et il seroit à désirer que les propriétaires s’attachassent à reconnoître d’une manière précise la qualité des diverses plantes qui composent les prairies, afin d’avoir la faculté de faire détruire celles qui sont nuisibles ou peu productives, et multiplier au contraire les bonnes espèces.

Il n’est pas facile de prescrire quelque chose de positif sur la quantité de semences qu’on doit répandre dans un arpent ; elle dépend de la qualité du terrain, de la nature de la plante, et de l’usage qu’on veut en faire : nous ferons cependant une remarque, c’est que, pour les plantes à prairies, il n’y a pas autant d’inconvéniens à employer un peu trop de semences, parce que le fourrage en est plus fin et infiniment meilleur ; en général, les plantes vivaces demandent à être semées plus claires que les annuelles, et elles doivent l’être d’autant moins, qu’elles sont plus vivaces. La graine de pré nouvelle est toujours ordinairement préférable à celle de deux ou trois ans. Il existe un grand nombre de méthodes pour récolter les graines des plantes qui composent les prairies artificielles : celle qui paroît la meilleure consiste à les recueillir un peu avant leur maturité, à choisir celle qui provient de la seconde coupe pour la luzerne, ainsi que pour le trèfle, et celle de la première pour le sainfoin.

La bonne graine de luzerne doit réfléchir une couleur jaune très-éclatante, et avoir beaucoup de pesanteur ; elle est détériorée dans ses qualités, dès qu’elle est verdâtre ou noirâtre ; il en faut vingt livres par arpent, plus ou moins, suivant le sol. Celle de sainfoin doit être d’un jaune doré, ou d’une couleur un peu rembrunie, mais brillante, et l’amande tirée de sa coque, dans laquelle on la vend toujours, doit être d’un jaune clair et fléchir plutôt que de se casser sous la dent : lorsqu’elle est verte ou noire, c’est la preuve qu’elle a été récoltée avant sa maturité ou qu’elle est vieille ; il en faut cent vingt-cinq à cent cinquante livres par arpent. Enfin le trèfle de deux ans est celui qui produit la meilleure semence ; elle est d’une couleur vive, brillante, composée partie de graines d’un jaune clair et partie d’une jolie couleur violette ; elle se ternit et rougit en vieillissant ; elle lève encore deux à trois ans après sa récolte : il en faut quinze à vingt livres par arpent.

Des graines des fleurs. Si on veut conserver de belles races de fleurs, et acquérir des variétés intéressantes, il faut apporter un grand soin au choix de ces graines. Dans toutes les espèces dont les fleurs doubles ou semi-doubles produisent de la semence, il ne faut jamais recueillir celle des pieds à fleurs simples, qu’il faut détruire au contraire ; celui qui sèmeroit des graines d’œillets, de balsamines, et autres récoltées sur des pieds à fleurs simples, n’auroit presque jamais de fleurs doubles. Dans les espèces dont les pieds à fleurs simples portent seuls de la graine, comme les différentes variétés de giroflées, il faut toujours choisir les plantes les plus fortes, les plus vigoureuses, les couleurs les plus vives, les plus tranchées, les panaches les plus agréables.

Le semis est le grand moyen de gagner des variétés, et d’obtenir des fleurs doubles. La doublure parmi les fleurs n’est autre chose que le changement des étamines en pétales ; aussi a-t on remarqué que les fleurs les plus sujettes à doubler sont celles qui ont le plus grand nombre d’étamines, comme les rosacées, les renoncules : ces fleurs, qui font le charme des amateurs, sont regardées par les botanistes comme des monstres par excès ; à force de cultiver, de semer une graine, on parviens créer ces belles fleurs que nous possédons.

Ne nous lassons pas de semer, c’est le moyen d’opérer les plus belles métamorphoses ; c’est à cette bonne pratique que nous devons la diversité merveilleuse qu’on admire dans les jacinthes, dans les tulipes, les semi-doubles, les anémones, les auricules, les primevères, les œillets….

Graines d’arbres. Il convient que ces graines soient mûres, nouvelles, et produites, autant que possible, par des arbres qui aient atteint le maximum de leur force, parce que les premières semences fournies par des jeunes sujets sont souvent fausses. Celles de quelques espèces, telles que l’orme, les érables, le hêtre, demandent à être mises en terre aussitôt leur maturité ; mais le plus grand nombre au printemps. L’exposition du levant ou du nord est la plus favorable ; elle devient même nécessaire pour les pins, sapins, mélèzes, et pour tous les arbres verts en général ; comme plusieurs espèces ne germent pas la première année, on ne doit jamais se presser de retourner un semis d’arbres.

Les semis d’arbres fruitiers donnent des sujets intermédiaires entre l’état sauvage et l’état cultivé, et par-là plus disposés à l’opération de la greffe et au perfectionnement des races fruitières ; ils sont la voie la plus commune par laquelle les arbres se naturalisent, se multiplient et diversifient leurs espèces ; leur propension à dégénérer vient souvent du défaut de maturité des semences ; il faut donc les laisser long-temps sur l’arbre, avoir grand soin, pour les pommes et les poires, de ramasser dans un coin du fruitier celles qui pourrissent, pour en tirer les pépins, toujours préférables à ceux que on recueille sur la table ou qu’on va chercher au pressoir.

Les noyaux, les amandes doivent être pris sur des sujets excellons, et dont les fruits aient passé le terme de la maturité ; on les conserve en lieux frais, dans du sablon fin, ou de la terre tamisée. Vers le mois de décembre on les stratifie dans une cave, une orangerie, ou autre lieu dont la chaleur soit douce et tempérée ; et en avril, ces noyaux ou amandes sont distribués dans le terrain où ils doivent s’élever. Il faut conserver les noix, les châtaignes, dans leur brou jusqu’au moment de la plantation, et faire en sorte qu’ils aient encore assez d’humidité pour favoriser le développement du germe.

Lorsqu’on se propose de récolter des graines de pin, il faut en général les laisser passer l’hiver sur l’arbre pour acquérir leur maturité, et ne cueillir les cônes que vers le mois de mars ; le moyen d’en retirer la graine consiste à mettre ces cônes macérer dans l’eau, et à les exposer ensuite au soleil ; les écailles se soulèvent, et alors les graines tombent aisément.

On les rassemble sur un drap, ou autrement ; mais il faut bien se garder, comme font souvent ceux qui les vendent, de porter les cônes au four, afin d’en extraire plus aisément la graine : ce procédé, quoique le dernier à employer, devient néanmoins nécessaire dans certaines années ; car souvent le moment favorable pour semer les graines d’arbres est arrivé, avant que nous jouissions du temps propre à faciliter l’entier dépouillement du cône, ce qui force à recourir à une chaleur artificielle ; mais il faut la graduer avec soin, autrement ces graines ne lèvent point, ou ne donnent que des produits chétifs et languissans.

Toutes les espèces de graines d’arbres, dont la récolte se fait avant l’hiver, demandent à être mises en lieu frais, mais non humide, jusqu’au moment où l’on doit les confier à la terre. On reconnoît la bonne qualité des graines d’arbres résineux à une amande blanche et onctueuse, d’un goût assez agréable, quoique un peu fade dans la plupart des pins, quand leur graine est nouvelle ; cette amande a un goût de rance bien sensible dans les graines vieilles.

Aujourd’hui que la greffe est devenue presque le seul moyen employé pour multiplier nos bonnes espèces de fruits, on s’occupe peu, trop peu peut-être, du semis des pépins et des noyaux de ces délicieuses productions de nos jardins : ce seroit sans doute le moyen d’ajouter encore à leur perfection, et de trouver des variétés intéressantes. À la vérité ces semis demandent des soins, du temps et de la patience, mais est-ce une raison pour y renoncer entièrement ? Ne seroit-on pas bien dédommagé de ses peines et de son attente par la découverte de nouvelles espèces qui le disputeroient en bonté à celles que nous possédons déjà, ou qui peut-être les surpasseroient et augmenteroient encore nos richesses en ce genre ? Parce que nos ancêtres ont beaucoup fait pour nous, il semble que nous n’ayons plus rien à faire pour nous-mêmes ni pour nos descendans : c’est fort mal raisonner. Il seroit donc à désirer que quelques personnes s’occupassent des semis de pépins et noyaux d’arbres fruitiers, dans une autre vue que celle de se procurer des sauvageons ou sujets pour la greffe ; ce qui est le seul but que tous nos pépiniéristes se proposent dans ces semis. Mais un autre objet d’un intérêt majeur, c’est la multiplication en grand par la voie des semis des arbres forestiers et d’alignement, et l’établissement des pépinières de ces espèces.

La diminution des bois a suivi en France, depuis quelques années, une progression si rapide et tellement disproportionnée aux repeuplemens, qu’il en résulteroit les plus grands maux, si on ne s’empressoit d’y porter remède. Déjà l’administration forestière s’en occupe avec un zèle, une activité et une intelligence qui lui font le plus grand honneur ; mais le mal est si considérable, qu’il faut nécessairement que cette administration soit encore secondée par les efforts des propriétaires, afin que, sur toutes les parties du territoire de l’empire, on fasse de nombreuses éducations d’arbres qui nous donnent bientôt l’espoir de faire oublier nos torts, et réparer nos pertes. L’arrêté que vient de prendre le préfet du Haut-Rhin, M. Félix Desportes, pour l’établissement d’une pépinière préfectorale et de pépinières communales dans ce département, est une de ces plus heureuses institutions qui deviendra sans doute générale.

En effet, c’est au gouvernement qu’il appartient de donner à cette partie intéressante de l’agriculture l’éclat dont, elle est susceptible, et d’enrichir le sol français de toutes les productions exotiques qui peuvent s’y acclimater. Cette vérité n’a pas échappé à la sollicitude du ministre Chaptal ; les soins qu’il s’est donnés pour faire venir avant la guerre, des diverses contrées de l’Amérique Septentrionale, une quantité de graines d’arbres de toute espèce, dans le nombre desquelles le cyprès de la Louisiane n’a pas été oublié, la distribution qui en a été faite à des cultivateurs soigneux, promettent l’amélioration de ce genre de culture. Mettons autant d’ardeur à semer et à replanter qu’on en a mis à détruire et à abattre ; semons dans le nord ceux de nos arbres qui résistent le mieux aux rigueurs de l’hiver, semons ailleurs tous ceux qui s’y plaisent le mieux ; multiplions autant qu’il est possible les arbres étrangers parfaitement naturalisés et reconnus pour être les plus utiles ; multiplions le sophora qui vient rapidement, et dont le bois est excellent, mais sur-tout l’acacia, etc. C’est dans les Lettres qui viennent de paroitre sur le robinier, qu’on apprendra tous les avantages qu’il est possible de retirer de ce bel arbre ; elles sont un nouveau présent fait à l’agriculture, par le sénateur François de Neufchâteau. (Parmentier.)