Cours d’agriculture (Rozier)/LIÈGE

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Hôtel Serpente (Tome sixièmep. 257-259).
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LIÈGE. (Voyez planche VI, page 148) J’ai déjà parlé sommairement du liège, à l’article Chêne, parce qu’effectivement c’est un chêne ; mais il mérite qu’on s’en occupe d’une manière particulière. Les fleurs mâles sont séparées des fleurs femelles, & disposées comme celles du chêne ordinaire. (Voyez ce mot) A en représente une avec les étamines réunies, qui se séparent, comme on le voit en B. Elles sont rassemblées dans un calice d’une seule pièce C à cinq divisions. D fait voir une étamine examinée en-dessus, E vûe en-dessous. Les fleurs femelles n’ont qu’un pistil, & sont renfermées dans un calice rond, à peine visible avant la formation du fruit. F le représente dans l’état de maturité, dans lequel repose le fruit G. Il le fait voir coupé longitudinalement. I fait voir la semence extérieurement, & K vûe à l’intérieur. Le reste de la description comme à l’article Chêne-liège : sa culture ne diffère pas de celle du chêne ordinaire.

Le chêne-liége craint le froid jusqu’à un certain point ; je crois cependant que par des semis répétés de proche en proche, on parviendroit à le naturaliser dans beaucoup de provinces du centre du royaume. Ce n’est pas en faisant venir les glands de Perpignan, par exemple, & en les semant en Bourgogne, qu’on réussira ; la distance est aussi disproportionnée que le climat. Mais si, par exemple, on les seme au Pont-du-Saint-Esprit, & que les glands des arbres qui en proviendront, soient ensuite semés à Valence, & ainsi de suite en remontant vers le nord, il est plus que probable que la naturalisation aura lieu. (Voyez ce qui a été dit au mot Espèce)

Le chêne liége aime les terreins légers, & craint les sols humides. Il est très-commun près de Bayonne, dans quelques cantons de la Guyenne, du Roussillon, de la basse Provence & du Languedoc. L’Italie & l’Espagne en produisent beaucoup.

L’écorce de ce chêne est précieuse, c’est pourquoi on s’attache à lui donner le plus de quille qu’il est possible ; cependant en ménageant sa tête, afin d’avoir de plus longues pièces d’écorce. Lorsque cet arbre a acquis, après quinze ou vingt ans, une certaine consistance, & le pied un certain diamètre, on enlève son écorce qui, cette fois, n’est bonne qu’à brûler, ou pour les tannées. L’opération s’exécute en coupant cette écorce circulairement au haut & au dessous des branches. On la coupe également au-dessus des racines, ensuite on la fend du haut en-bas, en un, deux ou trois endroits différents, suivant le diamètre du tronc. Dans l’espace de sept, huit à dix ans, cette écorce se régénère ; mais elle n’a pas encore la perfection qu’on désire : elle sert aux pêcheurs, pour soutenir leurs filets à fleur-d’eau. Huit ou dix ans après on recommence l’opération, & à cette époque l’écorce a ordinairement acquis l’épaisseur convenable à la fabrication des bouchons. (Voyez ce mot) L’incision de l’écorce s’exécute avec le tranchant d’une hache, dont l’extrémité inférieure du manche est terminée en coin, qu’on enfonce peu-à-peu entre l’écorce & le bois. Il faut éviter avec grand soin de meurtrir une peau ou écorce qui fixe, qui recouvre la partie ligneuse, parce que c’est elle qui régénère l’écorce supérieure. Après avoir enlevé ces écorces, on les coupe sur une longueur & largeur donnée ; l’excédent sert sur les lieux à la fabrique des bouchons. Si la superficie n’est pas unie, on enlève avec la plaire les parties raboteuses. Aussitôt après ces planches de liége sont flambées des deux côtés, de manière que la flamme les pénétre à-peu-près de l’épaisseur d’une ligne. Cette opération resserre les pores, & donne plus de nerf au liége. Le blanc, celui qui n’a point été flambé, est moins estimé que l’autre. Les qualités qui constituent un bon liége, sont d’être souple, pliant sous le doigt, élastique, point ligneux ni poreux, de couleur rougeâtre. Le jaune est moins bon, le blanc est le plus mauvais. Quant aux proportions qui constituent un bon bouchon, voyez ce qui est dit au mot Bouchon.

On lit dans le journal économique, du mois de juin 1771, une observation de M. Ruden Schueold, conseiller de commerce en Suède, qui mérite d’être rapportée. Il dit que la cire vierge, & blanchie au soleil, mêlée avec du suif de bœuf, bien nettoyé, (deux tiers de cire & un de suif) communique au liége trempé deux ou trois fois dans ce mélange, la propriété nécessaire pour ne laisser aucun passage aux parties les plus subtiles des liquides les plus forts & les plus spiritueux. Chaque fois qu’on aura trempé le bouchon dans ce mélange, il faudra le mettre, le côté le plus large en-bas, sur une pierre, ou sur une plaque de fer, & le tenir ainsi dans un four chaud, jusqu’à ce qu’il soit parfaitement sec. Si on fait bouillir le liége dans cette mixtion, il acquiert plutôt la vertu dont il s’agit ; mais il perd une partie de sa flexibilité & de son élasticité. Au moyen de cette préparation, le liége ne laisse échapper aucune partie volatile de quelque liqueur que ce soit. Il est vrai qu’à la longue l’eau-forte le ronge ; mais il résiste beaucoup plus longtemps. Les bouchons ainsi préparés ne donnent aucune odeur au vin, au lieu que les bouchons d’Angleterre qu’on fait bouillir dans l’huile, lui en communique une désagréable.