Cours d’agriculture (Rozier)/NOURRICE

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Hôtel Serpente (Tome septièmep. 115-117).


NOURRICE. Médecine Rurale. Une nourrice est, à proprement parler, une femme qui donne à teter à un enfant, & à laquelle on confie l’éducation de ses premières années.

S’il ne faut que du lait à une nourrice pour mériter ce nom, le choix n’en sera point difficile ; mais si le moral, pour le moins aussi essentiel que le physique, doit se trouver dans la même personne, l’on conviendra aisément que ce choix demande beaucoup d’attention, de soins, & de précautions.

On peut même dire, sans craindre de se tromper, qu’une bonne nourrice est très-rare. On ne sauroit donc assez souvent répéter que toutes les mères (celles qui le peuvent) doivent nourrir leurs enfans, & que celles qui confient un devoir aussi essentiel à des mercenaires, ne méritent pas le doux nom de mères ; dans le fait, elles ne sont que des marâtres.

Il y en a qui ne peuvent point allaiter leurs enfans, sans s’exposer aux dangers les plus évidens de leur perte, & de celle de leur nourrisson. C’est à elles seules qu’est réservé le choix d’une bonne nourrice, & ce choix doit être fait avec beaucoup de justesse & de discernement.

On doit d’abord examiner son âge, s’informer depuis quel temps elle est accouchée ; il faut encore voir si elle jouit d’une bonne santé, si elle est d’une bonne constitution, si son tempérament n’est pas incompatible avec celui de l’enfant qu’on doit lui confier ; il faut aussi ne pas perdre de vue la bonne conformation de sa poitrine. L’état de ses mamelles, la nature du lait, enfin ses mœurs exigent l’examen le plus scrupuleux & le plus réfléchi.

Une femme peut être nourrice de très-bonne heure, mais elle n’aura pas pour cela un meilleur lait ; il semble que la nature, dans un âge tendre & très-peu avancé, n’a pas donné assez de force ni d’énergie aux parties solides du corps, pour préparer & donner au lait cette qualité nutritive, qui dépend toujours d’une bonne constitution & d’un tempérament bien formé. L’âge le plus convenable pour une nourrice est depuis vingt à vingt-cinq ans jusqu’à trente cinq à quarante.

Il est très-important de savoir précisément l’époque à laquelle elle est accouchée, parce que un lait nouveau est toujours préférable à un lait vieux ; quoique ce soit une règle généralement reçue, elle mérite néanmoins quelques exceptions. Beaucoup d’enfans ne s’accommodent pas toujours d’un lait nouveau ; on est souvent forcé de leur en procurer un vieux que leur estomac digère beaucoup mieux, parce qu’il est d’une meilleure qualité. J’ai très-souvent vu une pareille méthode suivie & couronnée des succès les plus brillans, & des enfans maigres, desséchés, réduits à un état de consomption, être parfaitement rétablis au bout de quelque mois par le seul usage d’un lait vieux.

Une nourrice doit jouir d’une bonne santé ; on est en droit d’exiger d’elle cette condition : ses épaules doivent être larges ; elle ne doit être infectée ni de tache, ni de vice écrouelleux, scorbutique & vérolique. Les parens de l’enfant ne doivent pas se fier à tout ce qu’elle peut dire pour les persuader sur ces derniers objets. Il convient de visiter à nu toutes les parties de son corps. Cette visite est de rigueur. D’ailleurs elle tranquillise l’imagination d’une mère qui est réduite à la cruelle nécessité de ne pas nourrir. La nourrice ne se refusera certainement pas à une pareille visite, si elle est assurée de n’avoir aucun virus.

Une nourrice doit encore avoir un certain embonpoint, mais non pas excessif ; sa stature ne doit être ni trop haute ni trop basse. Sa taille sera moyenne, son visage modérément monté en couleur. On préférera toujours une nourrice qui aura outre cela, le teint un peu brun, des dents blanches, des gencives fraîches & vermeilles, une peau douce flexible, & prêtant beaucoup à la transpiration ; des chairs fermes, la chaleur du corps modérée, une haleine douce ; mais on rejettera celle qui l’auroit forte ou fétide, comme pouvant beaucoup préjudicier à l’enfant.

Le tempérament de l’enfant doit beaucoup influer sur le choix de la nourrice. Il faut, autant qu’on le peut, le lui assimiler.

Le tempérament trop vif d’une nourrice, ne convient nullement à un enfant doux & tranquille ; il faut lui donner une nourrice dont le tempérament ait la même trempe.

Quant à la nature du lait, nous avons déjà parlé de ses bonnes ou mauvaises qualités. (Consultez ce mot)

Mais une des conditions le plus essentielles d’une nourrice, est la bonne conformation de sa poitrine qui doit être large, ample, charnue & nullement voûtée ni resserrée, peu sujette à contracter des fluxions.

Ses mamelles doivent être médiocrement fermes & charnues, exemptes de toute dureté, assez amples pour contenir une suffisante quantité de lait, sans être néanmoins excessivement grosses, pointues vers le mamelon, & à peu près configurées comme celles d’une chèvre. Brouzet prétend que, pour que les mamelles des femmes soient bien placées, il faut qu’il y ait autant d’espace de l’un des mamelons, à l’autre, qu’il y en a depuis le mamelon jusqu’au milieu de la fossette des clavicules, en sorte que ces trois points fassent un triangle. Les bouts des mamelles ne doivent être ni trop gros, ni durs, ni calleux, ni enfoncés. Il faut, au contraire, qu’ils soient un peu élevés, de grosseur & fermeté médiocres, & percés de plusieurs trous, afin que l’enfant n’ait point trop de peine en les suçant & en les pressant avec sa bouche.

Quant aux mœurs, le célèbre Jean-Jacques veut qu’elle soit aussi saine du cœur que du corps. L’intempérie des passions peut, comme celle des humeurs, altérer son lait : de plus, ajoute-t-il, s’en tenir uniquement au physique ce n’est voir que la moitié de l’objet. Le lait peut être bon, & la nourrice mauvaise ; un bon caractère est aussi essentiel qu’un bon tempérament. Si l’on prend une femme vicieuse, il ne dit pas que son nourrisson contractera ses vices, mais il en pâtira. Ne lui doit-elle pas avec son lait, des soins qui demandent du zèle, de la patience, de la douceur, de la propreté ? Si elle est gourmande, intempérante, elle aura bientôt gâté son lait ; si elle est négligente ou emportée, que va devenir à sa merci, un pauvre malheureux qui ne peut ni se défendre ni se plaindre.

Il faut de plus, que la nourrice vive plus commodément qu’auparavant ; qu’elle prenne des alimens un peu plus substantiels, mais non qu’elle change tout-à-fait de manière de vivre ; car un changement prompt & total, même de mal en mieux, est toujours dangereux pour la santé ; & puisque son régime ordinaire l’a rendu ou laissé saine & bien constituée, à quoi bon lui en faire changer. M. AMI.