Cours d’agriculture (Rozier)/PORE, POREUX, POROSITÉ

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Hôtel Serpente (Tome huitièmep. 255-257).


PORE, POREUX, POROSITÉ. Espaces vides qui se trouvent entre les parties intégrantes des corps, ou au moins espaces vides de la matière de ces corps. Il n’existe dans la nature aucun corps qui ne soit criblé de pores, & de leur plus ou moins grand diamètre dépend en général leur pesanteur ou leur légèreté. Ce n’est pas le cas d’examiner ici en physicien ce qui constitue la porosité, comment elle rend les corps diaphanes ou opaques ; il suffit de les considérer comme servant à l’inspiration & à l’expiration, c’est-à-dire comme pores exhalans & pores absorbans ; la sueur & la transpiration insensible s’exécutent dans l’homme, les animaux & les végétaux par les premiers, & les seconds permettent l’intromission des virus morbifique par l’attouchement de l’eau, de l’air, de la chaleur, &c. Les pores exhalans doivent de toute nécessité être en bien plus grande quantité dans les végétaux que dans l’homme & dans les animaux, parce que ceux-ci ont des conduits destinés aux sécrétions excrémentitielles, & les végétaux en sont privés.

On doit juger par l’abondance des pleurs de la vigne, lorsque la sève commence à monter, quelle seroit la quantité qui s’en accumuleroit par les sarmens, si par la transpiration elle n’en poussoit au dehors la plus grande partie. Cependant ces pleurs n’ont lieu qu’au premier printemps où la chaleur est encore foible, & par conséquent l’ascension du fluide bien moins considérable que dans les fortes chaleurs. Aussi la nature toujours prévoyante, dans ses moindres opérations, a criblé les feuilles & les jeunes bois d’une infinité de pores qui rendent par la transpiration insensible la partie fluide que la trituration, l’ascension & la descension de la sève n’ont pas pu combiner & faire servir à la charpente & à l’accroissement de la plante. Il en est ainsi de la partie aqueuse & aérienne que la plante pompe pendant la nuit, de l’atmosphère qui l’environne. L’oignon de colchique & plusieurs autres liliacées, végètent, poussent, fleurissent simplement suspendus à un plancher : il a donc fallu que la végétation se soit entièrement exécutée par l’inspiration des parties aqueuses & aériennes de l’atmosphère. Or, cette végétation n’a pu avoir lieu que par des pores absorbans. C’est par le libre & perpétuel exercice de ces pores, que l’homme, les animaux & les végétaux se conservent dans leur état de santé. L’animal est-il malade, il annonce son état de détresse par son poil terne & hérissé, & il devient tel, parce que les pores de la peau ne font plus ou presque plus leurs fonctions ; il en est ainsi dans les maladies des plantes velues ou armées de pointes, comme les orties. Toute sueur & transpiration sensible ou insensible produit sur les uns, comme sur les autres, un reflux d’humeurs ; de là l’origine de grandes maladies & souvent de la mort.

Plus une plante transpire, & plus elle porte au loin son parfum ou sa mauvaise odeur. Cependant ces odeurs sont moins sensibles pendant la forte activité du soleil, que vers le matin ou sur le soir ; ce phénomène qui sembleroit contredire ce qui vient d’être dit, tient uniquement à ce que la fraîcheur du matin & celle du soir condensent les exhalaisons & les retiennent dans la région inférieure de l’atmosphère ; mais comme chaque plante suit une loi particulière, plusieurs n’exhalent leur parfum que pendant la nuit ; tel est le bec de grue nommé géranium triste.

Les plantes aqueuses, marécageuses, ont moins de pores & par conséquent moins de transpiration que les plantes qui végètent dans des terrains secs & dans des climats chauds. Le persil, le céleri sont des poisons lorsqu’ils végètent dans leur pays natal, c’est-à-dire, dans l’eau ; mais transportés dans nos jardins, ils perdent par la transpiration leur qualité vénéneuse, & leur transpiration aromatique devient si forte, qu’en Languedoc & en Provence, on sent à plus de vingt pas l’odeur du céleri. Aussi voit-on que dans les pays très-chauds naissent les plantes & les arbres les plus odoriférans, mais que ces plantes, comme les thims, les romarins, les lavandes, qui sont naturels à nos provinces méridionales, perdent beaucoup de leurs odeurs lorsqu’elles sont transportées dans les provinces septentrionales, le froid, le peu de chaleur y resserre leurs pores, & diminue leurs sécrétions odoriférantes.

Ce qu’on vient de dire des odeurs, s’applique également à la saveur des fruits. Tout arbre à plein vent donne, en général, des fruits bien plus savoureux que les arbres, en espalier ; il en est de même des grains des pays élevés ; ils sont plus farineux & plus nourrissons. Si au contraire on diminue la transpiration des céleri, des cardons, des chicorées, en les enterrant, ils perdent l’amertume & l’odeur forte que la grande transpiration entretenoit. Les pores jouent donc un grand rôle dans l’économie végétale & animale, & on peut les regarder comme les issues infiniment petites d’autant de vaisseaux particuliers.