Cours d’agriculture (Rozier)/SEMAILLE, SÉMINATION, SEMIS

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Hôtel Serpente (Tome neuvièmep. 170-172).


SEMAILLE, SÉMINATION, SEMIS. Ces trois mots expriment la fonction de répandre des semences en terre pour les faire germer, mais ils désignent trois manières différentes de semer. La sémination est uniquement l’ouvrage de la nature qui disperse à son gré les graines après leur maturité. Le semis appartient plus au jardinier & au forestier. Les semailles sont du ressort du laboureur. C’est improprement que bien des gens, en province sur-tout, disent les semences pour le temps & l’action de semer ou d’emblaver les terres. Le jardinier fait des semis à demeure & des semis en pépinière ; il sème sur couche, dans des caisses, des vases, des terrines. On fait aussi des semis en plein champ, en lin, en chanvre, &c. On en fait en gland, en farine, en pin, en châtaigne pour former les bois : ce qui suppose une terre plus ou moins préparée. La sémination est un semis naturel, par lequel la nature reproduit les arbres des forêts & toutes les plantes champêtres. La terre est toute disposée à faire germer les graines quand elle contient assez d’humus ou de terre végétale, produit du débris d’autres végétaux. L’exposition favorable & l’influence des météores achèvent l’ouvrage de la végétation.

La sémination considérée dans chaque famille de plantes, que dis-je, dans chaque espèce & dans chaque individu, offre bien des réflexions à faire au philosophe, & des leçons à suivre par le cultivateur. La nature opère la reproduction des plantes sans le secours de l’homme. Celui-ci les multiplie, & n’obtient des succès qu’en ajoutant à ses soins les procédés de la nature. Cultivateurs intelligens, voyez, examinez comment telle graine se sème d’elle-même, à quelle profondeur & à quelle distance l’une de l’autre ; en quel terrain, à quelle exposition elle réussit mieux ; épiez le temps où la plante l’abandonne à la terre, & celui où elle germera de nouveau, l’intervalle vous indiquera combien de temps on peut conserver les semences ; calculez les jours & les mois ou les années qui s’écouleront avant qu’elles ne fructifient ou qu’elle ne reparoissent en graine ; apprenez à saisir le moment de la parfaite maturité ; (voyez ce mot, où, l’on explique le mécanisme de la chûte des fruits, &c.) c’est celui auquel un fruit parvenu à son point, se détache spontanément de l’arbre, où une capsule s’entr’ouvre & éclate, où la gousse & la silique se fendent ; où la baie se flétrit ; où des graines ailées, à plumes & à aigrettes, suivent l’impression & la direction du vent ; où celles qui sont hérissées s’accrochent & se laissent entraîner par ce qui les touche ; ou les glutineuses adhèrent aux corps qui les enlèvent ; où les pesantes s’enfoncent dans la terre ; où les légères suivent le cours des eaux ; où celles qui servent de nourriture vont subir une fermentation dans les entrailles des animaux qui les transportent au loin, en les rendant avec leur fiente, &c. & ne soyez plus surpris de voir naître certaines plantes en des lieux où vous ne les aviez jamais observées, & dans le champ dont vous les aviez extirpées. N’attribuez point les merveilles de la reproduction & de la végétation à un hasard aveugle : elles ont leurs loix invariables. Ce qui nous paroît souvent un écart est pourtant calqué sur un ordre fixe, & c’est ce qui doit encore plus exciter notre surprise.

Les enveloppes des graines & des fruits qui se présentent sous tant de formes, & pourtant toujours déterminées sur un type constant, ne sont faites que pour la conservation du germe, & en favoriser le développement lorsque les circonstances convenables se présenteront. Telle graine a la faculté de lever en quelques jours, selon la saison ; telle autre reste assoupie pendant dix années entières. L’humidité, la chaleur & l’air, combinés ensemble, mettront en jeu le principe végétant ; la terre servira d’abord de matrice à la graine, & ensuite de mère nourrice à ses racines.

Quand nous verrons donc des plantes croître sur les plus hautes montagnes, dans les fentes des rochers, dans les joints des murailles dans une caverne, sur des fouilles profondes, au fond d’un précipice, & sur la fange des marais, &c. ne cherchons plus le comment ; admirons avec respect, & disons, dans notre ignorance : la nature nous instruit en tout ; elle est le grand semeur des plantes agrestes. A. X.

En général, les jardiniers & les laboureurs sèment trop épais : il en résulte que les jeunes plantes s’affament si on n’a pas le soin de les éclaircir. Cette opération remédie au mal à venir, & non pas au mal passé. Combien de plantes restent rachitiques, pour avoir été épuisées dans leur enfance ? D’un excès on est tombé dans un autre ; sur-tout quand il s’agit des semailles en grand ; par exemple, du froment, du seigle, &c. Des particuliers ont fait des expériences soit dans des jardins, soit dans des champs de bonne terre, & ils ont vu que très-peu de semences produisoient beaucoup plus qu’un très-grand nombre dans le même espace donné. De là ont paru aussitôt des calculs sur l’économie de plusieurs millions de mesures que l’on gagneroit dans tout le royaume, en diminuant la quantité de semences. Dans l’un & l’autre cas, on ne se met pas au point de la question, & tout calcul général est abusif. Chaque propriétaire doit connoître la nature & la qualité séparément de chacun de ses champs, & il doit se dire : la coutume du pays est de semer également par-tout, tant de mesures de grains. Cette coutume est-elle bonne ou mauvaise. Je vais m’en convaincre par l’expérience, & cette expérience aura lieu sur chacun de mes champs séparément, ne pouvant pas conclure de l’un pour l’autre, attendu la différente qualité du sol.

Je suppose que tout le terrain d’un champ est de même qualité : après l’avoir fait labourer dans son entier, après lui avoir donné toutes les préparations convenables, & les mêmes, je partage ce champ en deux parties égales. Une moitié sera semée a la manière du pays, & servira de pièce de comparaison pour l’autre moitié, que je divise en quatre parties égales. Je suppose qu’il ait fallu un quintal, poids de marc, de froment pour semer la première moitié ; actuellement, sur l’une des autres, je sèmerai 30 livres, sur la seconde 50, sur la troisième 70, & sur la dernière 80. Lors de la récolte, tous les produits seront mis à part, & pesés exactement après la fin du battage : je tiendrai même compte du poids de la paille de chacun. Il sera aisé de voir, après ces expériences, quelle quantité totale de grains aura produit chaque qualité partielle, & on aura pour toujours une règle sûre du nombre de mesures de grains à répandre sur chaque champ. On ne peut pas se tromper, puisque les circonstances sont supposées toutes égales, soit labourage, soit époques des semailles, soit les saisons en général, soit enfin la récolte, le battage, &c. Il peut cependant arriver que les saisons soient si désastreuses, qu’on ne soit pas dans le cas de juger sainement pour les années suivantes ; alors il faut recourir à de nouvelles expériences, puisqu’il s’agit que chaque propriétaire sache à quoi s’en tenir. En supposant l’année passable, je parierois presque, que le poids total du produit des 70 livres de semences seroit le plus fort, parce qu’on sème par-tout trop épais. Il ne faut donc pas calculer par le produit de quelques pieds plus ou moins isolés, mais par celui de l’étendue qu’ils couvrent, avec le produit de la même étendue, couverte d’un plus grand nombre de plantes, raisonnablement multipliées. — Je le répète, c’est à l’expérience à prononcer, & les expériences faites a Lille en Flandres ou près de Paris, ne prouvent rien pour Marseille, Montpellier, &c. Il y a plus ; de paroisses à paroisses limitrophes, elles ne peuvent servir que de simples indices. Chaque champ demande la sienne propre. Tous les extrêmes sont aussi dangereux les uns que les autres, détournent les véritables agriculteurs, & les préviennent contre la pratique de bonnes expériences qu’il leur seroit utile de répéter.

Quant au choix des semences, & la nécessité de les renouveler, consultez ce qui a été dit à l’article Froment.