Cours d’agriculture (Rozier)/SEMIS (Supplément)

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SEMIS, (Jardinage pratique.) Les semis sont la voie de multiplication la plus naturelle, l’unique pour les plantes annuelles, celle qui procure une multiplication plus abondante, qui fournit des sujets plus vigoureux, de la plus belle venue et de plus longue durée ; elle donne des variétés dont quelques unes ont des qualités perfectionnées et des propriétés plus éminentes que celles des espèces auxquelles elles doivent leur existence ; elle procure enfin des races qui s’acclimatent plus aisément au sol et au climat sous lequel elles sont nées, que les pieds en nature transportés de leur pays natal. Sous tous les rapports, cette voie de multiplication doit être préférée pour la propagation des espèces, et pour l’obtention de nouvelles variétés.

Préparation des graines. Les enveloppes interposant un corps étranger entre les semences et la terre dans laquelle les jeunes plants doivent prendre racine, et dont ils doivent tirer une partie de leur substance, il est utile de les en dépouiller ; on doit donc séparer les semences des capsules, bâles, calices, gousses, siliques, baies, pommes, brou, cornes dont elles sont enveloppées. Cette opération doit se faire à peu de distance de l’époque des semis, parce que ces diverses enveloppes servent à la conservation des graines.

Pour accélérer la germination des graines dont l’enveloppe des lobes a une certaine consistance, comme les pois, les haricots, les fèves, etc., on doit les faire tremper dans l’eau ordinaire pendant douze, quinze et vingt heures. La peau des semences s’amollit, les germes se renflent, et, semées dans une terre fraîche, leur plumule se développe bientôt au dehors en même temps que leur radicule s’enfonce en terre ; cette prompte germination assure la réussite des semis, parce que les graines restent moins long-temps exposées à la voracité des insectes, des oiseaux et des musaraignes.

Lorsque des semences ont leur enveloppe très-dure ou qu’elles ont été récoltées sous des climats chauds, telles que différentes espèces de mimosa, de guilandina, de glycine, et autres à coques dures, on doit les plonger dans l’eau dont la chaleur peut être portée depuis vingt degrés jusqu’à quarante-cinq, sans inconvénient pour la vitalité des germes ; mais il est bon que cette chaleur leur soit donnée graduellement ; elle dilate le tissu des coques, imbibe et fait grossir les germes et accélère la végétation des semences, qui, semées sans cette préparation, pourroient rester sous terre deux et même cinq ans sans lever.

Si des semences sont viciées de nielle ou carie, telles que celles des plantes céréales, on doit les passer dans une lessive composée de chaux vive et de cendre. On les y baigne à plusieurs reprises pour que toutes leurs parties en soient imprégnées, et que le virus de la maladie soit détruit. Cette opération, faite peu de jours avant les semis, fait renfler les graines, et les dispose à lever plus promptement.

On soumet à l’immersion dans l’acide muriatique oxigéné, celles dont les enveloppes sont très-dures, d’une substance boiseuse et cornée, telles que celles des erythrina, des ilex et de quelques palmiers, etc. On prétend aussi que cette liqueur est propre à développer les germes dans les semences surannées qui paroissent avoir perdu leurs propriétés germinatives.

On fêle les noyaux des graines dont l’enveloppe est épaisse, ligneuse et très-dure, tels que les noyaux de pêches, de quelques espères d’abricots, de prunes, d’amandiers et autres de cette nature ; mais cette pratique n’est pas sans inconvénient. Il faut employer beaucoup de précautions pour ne pas endommager les amandes, et l’on y parvient rarement ; de plus, les lobes des semences passant subitement d’une grande sécheresse à une humidité considérable, peuvent en être affectés d’une manière défavorable. Il faut faire usage de ce moyen avec modération, et lorsqu’il est possible de varier les chances, employer des procédés moins équivoques.

La stratification se pratique pour toutes les semences qui perdent leurs propriétés germinatives promptement, comme celles des plantes des familles des rubiacées, des myrtes, des lauriers, et pour beaucoup d’autres graines de plantes dont on veut hâter la germination. On l’emploie aussi pour assurer la conservation des graines qui pourroient s’avarier par un long séjour, hors de terre, telles que celles du thé, de quelques ombellifères.

Cette opération consiste à placer, lit par lit, dans du sable ou avec de la terre, et dans des vases, les graines qu’on veut conserver. La terre ou le sable qu’on emploie dans cette circonstance ne doit être ni trop sec. ni trop humide ; trop sec, il absorberoit l’humidité des graines ; trop humide, il les feroit pourrir ou exciteroit leur germination à une époque peu favorable à la végétation du jeune plant. La stratification s’opère peu de temps après la maturité des semences, et les vases qui les renferment doivent être placés à l’abri de la pluie et des fortes gelées. Au premier printemps, les semences sont tirées de leurs vases et mises en terre.

Choix des terres. Les graines qui prospèrent dans les terres fortes sont plus particulièrement celles des grands arbres, dont les racines ligneuses et fortes sont destinées à fournir à une végétation élevée, et à la mettre à l’abri des grands vents et des pluies d’orage. Tels sont, parmi nos arbres indigènes, les chênes, les frênes et les plantes voraces qui aiment l’humidité.

Les végétaux, dont les graines lèvent de préférence dans les terres maigres, sont ceux qui craignent l’humidité et qui se plaisent dans les sols secs, légers et chauds : tels que les amandiers, quelques érables, les rosiers, les marrubes, les borraginées, les ombellifères, les seigles, les orangers, etc.

On sème dans les terres de jardin amendées qui offrent un très-grand nombre de variétés de terrains, mais qu’on ameublit et qu’on amende suivant l’exigence des besoins, les graines de légumes, de salades et de plantes employées à l’ornement des jardins.

Les terres à semis ordinaires conviennent à la plus grande partie des semis des plantes utiles ou curieuses qui se font dans des pots, des terrines ou des caisses.

Le terreau de bruyère convient aux graines des airelles, d’un grand nombre de liliacées à semences menues, de diverses espèces d’arbres résineux de l’Amérique septentrionale, et enfin à celles d’une grande partie des plantes alpines à semences fines.

On sème sur terre et sous de la mousse les graines des arbustes et arbrisseaux qui constituent les familles des bruyères, des kalmia, des mille-pertuis et de quelques plantes qui appartiennent aux familles des orchis et des fougères. Les vases qui renferment ces semis doivent être placés, par leur partie inférieure, dans une terrine qu’on entretient pleine d’eau pour suppléer aux arrosemens à l’arrosoir, qui seroient nuisibles aux graines germantes.

On sème le riz sur terre et sous l’eau ; on le répand sur la terre nouvellement labourée, après quoi on la couvre d’eau de l’épaisseur de trois doigts ; quelques ombellifères, telles que les cicuta, les phellandrium, les sium inundatum, plusieurs renoncules, etc., pour semer, exigent cette même culture.

On sème les plantes aquatiques dont les racines sont implantées dans la vase et sous l’eau à la profondeur de plusieurs pieds, tels que les nymphéa, les stratiates, les châtaigniers d’eau, etc. On enveloppe les graines que l’on veut semer de cette manière, dans une boule de terre grasse argileuse, et on la descend précisément à la place où l’on veut faire croître la plante.

On fait germer sur du coton imbibé d’eau, et à une température de dix-huit à vingt-quatre degrés de chaleur, un grand nombre de semences fines et dures de plantes des climats chauds, telles que celles des dorstenia, des mûriers, des figuiers, etc. ; à mesure que les semences sont germées, on les enlève de dessus le coton, et on les met dans des petits vases remplis d’une terre légère que l’on place sur une couche chaude.

On sème les graines des plantes parasites, telles que des viscum, des laurentiers, des épidendrons et de plusieurs espèces de fougères, sur des branches, dans les fourches qu’elles forment avec le tronc. On choisit les places où il se trouve des lichens et des mousses. L’exposition qui convient le mieux à la réussite de cette espèce de semis est celle qui se trouve ombragée, qui est humide et chaude.

Temps des semences. Aussitôt la maturité des graines. Beaucoup de semences dont le germe est accompagné d’un corps corné comme dans beaucoup d’espèces de rubiacées, et notamment dans celle du café, perdent leurs propriétés germinatives peu de temps après leur maturité ; d’autres renferment une huile essentielle qui se corrompt promptement, réagit sur le germe et le détruit, comme dans la famille des lauriers et des myrtes. Il en est d’autres, comme dans les mespilus, la famille des nerpruns, dont les semences sont des osselets très-durs qui se racornissent en séchant. Si l’on attend au printemps à les mettre en terre, ils y restent un an entier avant que de lever. On remédie à tous ces inconvéniens en semant ou stratifiant ces sortes de graines immédiatement après leur maturité.

À l’automne. Plusieurs graines de plantes vivaces, de la famille des ombellifères, des fraxinelles, des rosiers, etc., doivent être semées en automne. Si l’on attend le printemps suivant, il est rare qu’elles lèvent dans l’année, et elles peuvent être mangées en terre ou détruites par les insectes avant leur germination. Étant semées d’automne, elles lèvent au printemps suivant.

En février. Après la cessation des fortes gelées, lorsque la terre devient maniable, et dans la saison des pluies, on sème une grande quantité de graines d’arbres de pleine terre. On y répand aussi les semences de prairies naturelles, quelques céréales et de menues grenailles.

On sème aussi les graines de plantes potagères rustiques, dont les jeunes plants ne craignent pas de foibles gelées passagères qui surviennent à cette époque.

On sème aussi, sous des châssis et sur des couches chaudes, des graines de plantes des climats chauds, dont on veut obtenir des fruits précoces, ou hâter la végétation de jeunes arbres, pour leur faire passer l’hiver avec succès.

En avril. C’est dans ce mois que se fait, dans les départemens septentrionaux de la France, la plus grande partie des semis de pleine terre. On sème en pleine terre les graines de toutes les plantes annuelles de climats analogues à la température du nôtre. On sème dans des pots et sur couches les semences des plantes des pays méridionaux. Celles des végétaux des tropiques sont semées sous des châssis, et, enfin, on met en terre sous des bâches les graines de plantes de la zone torride, qui sont de nature annuelle.

En mai. On sème dans ce mois, en pleine terre, différentes espèces de légumes et de fleurs dont la végétation n’a besoin que d’environ quatre mois pour s’effectuer et donner leurs produits, soit utiles ou soit agréables : telles sont les diverses variétés de haricots, de capucines et autres plantes qui craignent les plus foibles gelées.

Dans toutes les saisons. Les plantes qui se sèment en pleine terre, presque toute l’année, excepté pendant le temps des gelées, sont quelques espèces de légumes dont on veut se procurer des produits non interrompus dans toutes les saisons, tels que les épinards, les petites raves et des salades. Dans les jardins de botanique, ce sont les semences des plantes qui vieillissent promptement, comme certaines ombellifères, des rubiacées et autres de cette nature : on les traite, pour les conserver, comme on gouverne les plantes qui les ont produites.

Exposition Des Semences. En pleine terre, à la volée. Les graines qui se sèment à la volée, sont celles des céréales, des fourrages, des plantes textiles, oléagineuses, et enfin de la plupart de celles qui se cultivent en grand dans les campagnes. Dans les jardins, on sème ainsi les carrés de gros légumes, les gazons, etc. Un semeur intelligent, portant dans un tablier serré autour de ses reins la graine qu’il veut semer, parcourt à pas mesurés le champ qu’il veut ensemencer ; chaque pas qu’il fait, il prend une poignée de graines et la répand le plus également possible dans une étendue déterminée. Lorsque les semences sont trop fines pour remplir sa main, il les mêle avec quantité de terre sèche, de sable ou de cendre déterminée, et les répand ainsi. Les Chinois se servent, pour répandre également leurs semences de céréales et particulièrement celle du riz, d’un semoir porté sur un brancard de charrue, armé de deux socs et suivis d’un rouleau qui recouvre de terre les semences. Duhamel-Dumonceau a aussi imaginé un semoir ; mais, jusqu’à présent, on fait peu d’usage de ces machines, soit parce qu’elles ne sont pas encore assez perfectionnées, ou soit parce que l’ancienne routine de semer y met de l’opposition.

Par planches. Cette manière de semer ne se distingue de la précédente, qu’en ce qu’au lieu de semer une pièce en plein, on la sème en planches plus ou moins larges, qui sont divisées par des sentiers. Le semeur emploie le même moyen.

On emploie avec succès cette sorte de semis pour les cultures rurales dans les départemens méridionaux, dans le Milanais, la Romagne, et autres parties de l’Italie. Chaque planche est bordée d’une ligne d’arbres sur lesquels s’élèvent des vignes. Cette culture convient à un climat très-chaud où la chaleur a besoin d’être tempérée par de légers ombrages ; mais elle ne réussiroit pas dans des pays septentrionaux, où la chaleur est à peine suffisants pour faire mûrir les récoltes les mieux exposées à l’action constante du soleil.

Dans les jardins légumiers, presque tous le» semis se font en planches, qui rarement passent deux mètres de large sur une longueur à volonté.

Par rayons. Le semis par rayons est très-usité dans les campagnes pour les cultures de menus grains, tels que les pois, les lentilles, les gesses et même de quelques céréales qu’on établit sur les ados des fossés de vignes et autres cultures.

On le pratique communément dans les jardins pour la culture des légumes dont on borde les carrés et les planches.

Dans les pépinières, il est fort en usage pour les semis de graines d’arbres.

Il consiste à tracer sur un terrain nouvellement labouré, un sillon plus ou moins large et plus ou moins profond, suivant la nature des graines qu’on se propose d’y semer, à y répandre les graines le plus également qu’il est possible, et à les recouvrir de terre fine, de l’épaisseur qui convient à leur nature. On affermit ensuite la terre du fond du sillon avec le dos d’un râteau, et on la recouvre de terreau de feuilles, ou autres engrais, suivant l’exigence des cas.

Ce procédé offre un avantage, celui de tenir les semis plus frais, et ensuite de chausser les jeunes plants, à mesure qu’ils grandissent, et qu’ils en ont besoin. La terre des ados des sillons, étant en pente assez rapide, s’émiette aisément, étant exposée à l’air, et les pluies qui surviennent la détrempent et la font tomber successivement au fond du sillon.

Par potelots ou pochets. Les potelots ou pochets sont de petites fossettes circulaires de six à huit pouces de profondeur, sur environ quinze de diamètre, et formées par lignes régulières, à des distances de dix à quinze pouces, dans un terrain nouvellement labouré.

Ils sont destinés à recevoir les graines qui se sèment de cette manière : telles sont celles des diverses espèces et variétés, de haricots, soit à la campagne ou dans les potagers.

Dans les écoles de botanique, on sème de cette manière toutes les graines de plantes qui n’ont pas besoin du secours de la couche pour lever et fournir leur végétation dans notre climat.

Après avoir répandu les semences au fond du pochet le plus également qu’il est possible, on les recouvre de terre plus fine et mieux amendée que celle du sol, et on la bat légèrement avec le dos de la main pour l’affermir sur les graines. Un très-léger lit de court fumier recouvre le fond du pochet, brise les rayons du soleil, empêche la terre d’être trop battue par les pluies, et protège la germination des graines.

Ce semis partage les avantages de celui par rayons, pour le butage des plantes, à mesure qu’elles grandissent, et pour leur procurer une humidité plus constante.

Seule à seule. On sème seule à seule, par lignes, à des distances déterminées, les grosses graines, telles que celles des chênes, des châtaigniers, des noyers, des marronniers d’Inde, des amandiers, pêchers, abricotiers et autres de cette nature qui ont été stratifiées dans le sable à l’automne, et qui sont en état de germination ou sur le point d’y entrer. Lorsqu’on se propose de laisser croître à demeure les arbres qui doivent provenir de ces semis, on plante les graines germées avec leur radicule entière ; les arbres en deviennent plus grands, plus beaux, et ils sont moins exposés à être déracinés par les vents. Mais, lorsqu’on destine ces jeunes arbres à être transplantés, il est convenable de couper, avec l’ongle, l’extrémité de la radicule ; alors le pivot de la racine, au lieu de descendre perpendiculairement, se divise en plusieurs racines qui s’étendent à rez terre. La reprise des sujets dans leur transplantation est plus assurée.

Ce moyen est pratiqué pour des semis de petits bois de chêne, de hêtre, de châtaignier ; dans les campagnes, on l’emploie aussi dans les potagers, pour établir en place, entre les arbres d’un espalier qui commence à donner des signes de dépérissement, des sauvageons robustes qu’on greffe ensuite des espèces qu’on désire.

Dans des vases. En caisses. Cette espèce de semis ne s’emploie guères que pour des graines délicates, dont le jeune plant a besoin d’être surveillé et placé à différentes expositions dans diverses saisons, ou rentrés dans une serre pendant l’hiver.

Elle est pratiquée dans les pépinières d’arbres étrangers, pour les semis d’arbres résineux d’une culture exigeante, telle que celle des sapinettes de Canada, des cèdres du Liban, de diverses espèces de genévriers et d’autres arbres et arbustes du nord de l’Amérique.

On établit au fond de la caisse qu’on se propose de semer un lit de menus plâtras d’environ deux pouces d’épaisseur ; on couvre ce premier lit d’à peu près deux doigts de terre franche qu’on affermit avec le poing : on remplit le reste de la capacité de la caisse jusqu’à un pouce de son bord supérieur, de terre préparée et convenable aux semis qu’on se propose de faire.

La caisse ainsi semée est placée à l’exposition qui convient à la germination des graines, et, à l’automne, elle est couverte de litière, placée au midi ou rentrée dans l’orangerie, suivant la délicatesse et l’état du jeune plant.

En terrines. Les semis en terrines ont plus particulièrement pour objet, dans les potagers, les semis de légumes de primeurs, telles que différentes variétés de choux-fleurs, de brocolis, de fraisiers des Alpes, etc. On les sème à l’automne ou au premier printemps, et on les place, soit dans une costière bien exposée au midi, dans une serre froide ou sous des châssis. Dans les jardins fleuristes, on sème en terrines, sur couches, sous châssis ou sous cloches, des graines de giroflées, de quarantaines, d’amarantes, de balsamines, et autres fleurs d’ornement pour les parterres.

Enfin, dans les pépinières et les jardins d’éducation de plantes et d’arbres étrangers, on sème dans les terrines les graines qu’on possède en trop grande quantité pour être semées dans un pot, mais pas suffisante pour occuper une caisse

Ce semis ne diffère en rien de celui qui se pratique dans des caisses. C’est la nature de la plante qui doit déterminer celle de la terre qui lui convient, de la situation, de l’exposition et de la culture qu’il est utile de lui donner.

En pots. Les semis en pots conviennent à de petites quantités de graines de plantes de climats étrangers, et d’une température plus chaude que celle du pays dans lequel on les fait. C’est particulièrement chez les cultivateurs de plantes étrangères et dans les jardins de botanique qu’on pratique ce genre de culture. On les exécute une grande partie de l’année, mais plus particulièrement, et en très-grande quantité au printemps. Le moment le plus favorable est celui où les bourgeons du tilleul commencent à s’ouvrir, et à laisser voir les premières feuilles.

Cette opération, l’une des plus importantes pour la tenue et l’augmentation des richesses végétales d’un jardin de botanique, mérite quelques développemens.

Un jardinier soigneux et prévoyant n’attend pas le moment des semis pour faire toutes les dispositions préliminaires qui doivent assurer la réussite de son opération ; elles consistent :

1°. À éplucher la partie des graines qu’il veut semer, et les séparer des calices, capsules, siliques, gousses, baies, pommes, cônes, etc., qui les renferment ;

2°. À les ranger dans l’ordre méthodique où il veut les semer ; l’ordre du jardin auquel sont destinés les semis doit être préféré à tout autre ;

3°. À faire le catalogue de ces semences avec des numéros en marge, qui doivent être relatifs à ceux des étiquettes qu’il doit placer sur les pots à fur et à mesure qu’il les sème ;

4°. À disposer ses numéros dans une série numérique non interrompue, afin qu’il ne commette pas de quiproquo nuisible à l’exactitude de la nomenclature de ses plantes ;

5°. À préparer les diverses terres dont il prévoit avoir besoin pour effectuer ses semis. Il faut qu’il se précautionne de cet objet essentiel long-temps, plusieurs années même auparavant, parce que les terres composées sont d’autant meilleures, qu’elles ont été préparées plus anciennement ;

6°. À rassembler le nombre, la qualité et les diverses grandeurs de pots nécessaires aux semis.

7°. À tamiser les diverses compositions de terres qui lui sont nécessaires pour recouvrir les diverses espèces de graines, après qu’il les aura répandues sur la surface de la terre de ses vases ;

8°. À construire des couches sourdes, des couches chaudes, préparer des châssis, et raviver la chaleur de ses couches de tan, pour y placer les pots de semis des plantes des climats chauds qui exigent d’être protégées par la chaleur de ces diverses sortes de couches ;

9°. Et enfin, à préparer des vases remplis d’eau pour y placer, à différentes profondeurs, les semis qui exigent d’être imbibés ou d’être submergés.

Toutes choses ainsi disposées, et le moment favorable pour semer étant venu, on doit y procéder sans interruption. Le semeur se place dans un lieu renfermé, à l’abri du vent et de la pluie ; il a autour de lui les pots qui doivent recevoir ses semis ; sur une table placée à hauteur d’appui, se trouvent amoncelées les diverses sortes de terres qu’il doit employer à recouvrir les semences, après les avoir répandues sur la surface de la terre, dont sont remplis les pots ; à côté de lui est le tiroir où sont rangés les sachets de graines qu’il doit semer, et en face se trouve le catalogue de ces mêmes graines avec leurs numéros en marge ; sur le côté, se trouvent les étiquettes numérotées et rangées par dizaines : une certaine quantité de pots remplis de terre à semis, et de différentes grandeurs, se trouvent à peu de distance de lui.

Il commence son opération par prendre le premier sachet de graines ; il en tire la quantité de semences qu’il veut semer, et la répand le plus également possible sur la surface bien unie de la terre du pot qu’il a choisi ; ensuite, il y place l’étiquette numérotée, après s’être assuré que ce numéro est en rapport avec celui du catalogue qu’il a sous les yeux ; après cela, il recouvre sa graine avec la terre qui lui convient, et de l’épaisseur qui est nécessaire à sa prompte germination ; il la bat légèrement ensuite avec le dos de la main, et l’opération est finie.

Mais, pour distinguer les pots qui doivent être placés sur différentes couches, sous des châssis et aux différentes expositions qui conviennent à la réussite des semences qu’ils renferment, il les marque par des signes de convention avec ses ouvriers, afin qu’ils les placent aux diverses positions où ils doivent être cultivés.

Ces vases, nouvellement semés, doivent être placés bien horizontalement les uns à côté des autres, et arrosés, ou plutôt bassinés avec un arrosoir à pomme, à trous très-fins : on passe rapidement l’arrosoir sur les pots, de manière à produire une pluie très-fine qui imbibe la terre sans la battre ou la faire couler hors du pot, et l’on répète cette opération trois ou quatre fois dans la journée des cinq au six premiers jours qu’ont été faits les semis.

Lorsqu’on a semé une suffisante quantité de pots pour garnir une couche, un châssis ou une bâche, ou les y plante sans retardement, et avec les précautions qui seront détaillées ci-après.

Sur couche sourde. La couche sourde s’établit dans une fosse de trois pieds de profondeur sur quatre à cinq de largeur, et sur une longueur déterminée par le besoin : on la construit en toutes sortes de matières fermentescibles, telles que des tontures de buis, d’ifs, du marc de raisin, de pommes et d’olives, de tannée et de diverses sortes de fumiers, ou tout simplement de balayures de chantiers, de bois, ou de rues. Il convient de mélanger les substances de manière à ce que cette couche ne produise qu’une foible chaleur, mais durable.

On la recouvre d’environ sept pouces de terreau de couche qui s’élève au dessus du niveau du terrain ; c’est dans ce lit de terreau qu’on enterre les pots de semis nouvellement faits : on les y place bien horizontalement les uns à côté des autres, et l’on remplit très-exactement, avec du terreau, les intervalles qui se trouvent entr’eux. Dans le climat de Paris et de ses environs, cette espèce de couche convient à la culture des semis de plantes du midi de la France, de l’Italie et de l’Espagne.

Sur couche chaude. La couche chaude se distingue de la précédente, en ce qu’elle est construite avec du fumier lourd et de litière, et qu’elle est établie sur la surface du sol, et non en terre.

On donne le plus ordinairement à cette sorte de couche cinq pieds de large sur trois et demi de haut, sur une longueur à volonté. Ses bords sont formés avec des bourrelets de fumier moelleux, mêlé avec les deux tiers environ de litière triturée. La partie du milieu est formée, lit par lit, des mêmes substances, auxquelles ou ajoute du fumier à demi-consommé. Chaque lit qu’on établit, et auquel on donne de huit à dix pouces d’épaisseur, doit être affermi par un piétinement répété à chaque lit que l’on forme. Lorsque la couche est arrivée à sa hauteur, on la règle, c’est-à-dire, qu’après l’avoir marchée à plusieurs reprises dans toute son étendue, on remplit avec du fumier lourd les endroits bas qui s’y trouvent. Si le fumier qu’on a employé dans la fabrication de la couche n’étoit pas assez humide pour entrer prochainement en fermentation, ou qu’on eût besoin d’une plus vive chaleur que celle qu’on peut espérer du fumier, on l’arrose abondamment ; un seau d’eau par pied carré versé à sa surface suffit à peine pour imbiber la masse de la couche ; après qu’elle a été ainsi arrosée, on la laisse reposer douze ou quinze heures ; alors elle entre en fermentation, et fournit une chaleur très-vive, dont le centre du foyer se trouve dans le milieu de toute sa longueur : on marche de nouveau sur la couche qui s’affaisse sensiblement ; on l’égalise de nouveau avec du fumier lourd dans les endroits qui ont besoin d’être rehaussés, et on la tient un peu bombée dans son milieu.

Cette opération faite, on terreaute la couche, c’est-à-dire qu’on la couvre de terreau dans toute sa surface ; on l’y étend sur une épaisseur d’environ six pouces, et on la garnit sur le-champ de semis dont elle doit protéger et activer la germination.

Quelques personnes attendent quelques jours après la confection de cette sorte de couche, pour y planter leurs pots de semis, dans la crainte que la trop vive chaleur de son premier feu n’échaude les graines, et qu’elles ne lèvent point. Cette crainte est timorée et n’aboutit qu’à faire perdre une chaleur précieuse qui, dirigée sur des semences qui sont à très-peu de distance de la surface, n’en peuvent être maltraitées, et convient au contraire à leur prompte germination. La preuve s’en tire tout naturellement de la grande quantité de plantes et graines adventives qui se trouvent contenues dans le terreau qui recouvre la couche, et qui, malgré qu’elles soient beaucoup plus exposées à la chaleur de la couche que celles semées dans les vases, n’en lèvent pas moins abondamment.

Mais une précaution nécessaire et même indispensable, est d’arroser souvent, et en forme de pluie fine, les pots de semis nouvellement plantés sur la couche ; de les tenir dans une humidité constante, et cela jusqu’à l’époque où les germes soient sortis de terre ; alors, on modère les arrosemens et on ne les administre que lorsque les plantes l’exigent. La chaleur et l’humidité sont les deux principaux moteurs de la germination des graines.

On emploie avec succès, dans notre climat, la chaleur des couches chaudes, pour faire lever les graines des végétaux qui croissent naturellement sur la côte de Barbarie, dans les îles de l’Archipel, au Levant, en Égypte, au cap de Bonne-Espérance, à la Louisiane, dans la partie méridionale de la Chine et les pays qui se trouvent en deçà des tropiques.

Sous châssis. Les châssis propres à la culture des semis de plantes étrangères sont posés sur des couches semblables à celles que nous venons de décrire ci-dessus ; il existe seulement quelques différences dans leurs dimensions. Les caisses des châssis n’ont ordinairement que quatre pieds de large sur dix-huit de long.

On donne aux couches qui doivent les supporter six pouces de plus sur leur largeur et sur leur longueur. On borde celle-ci en gros bourrelets de paille, et on la termine par un autre bourrelet isolé d’environ quatre pouces de haut, que l’on place à l’endroit ou doit être posée la caisse du châssis. Le derrière de la caisse étant plus haut, par conséquent plus lourd, et devant faire tasser la couche davantage, le bourrelet qu’on place dessous doit être plus élevé de deux pouces que celui qui porte le devant. D’ailleurs, le reste de la couche est construit avec la même nature de fumier, pratiquée, piétinée, arrosée et terreautée de la même manière.

Lorsque la couche est faite et réglée, on place dessus la caisse de châssis, et l’on plante, sur le terreau qui la recouvre, les pots de semis qu’elle doit recevoir. Les panneaux de vitres ne se placent sur la caisse que cinq ou six jours après que la couche a été plantée, pour laisser passer le premier coup de feu de la couche qui, agissant dans une atmosphère circonscrite et abritée du contact de l’air ambiant, pourroit échauder les graines et détruire leur germe.

Après quinze jours de construction, lorsque la chaleur de la couche commence à foiblir, on la ravive au moyen des réchauds qu’on pratique tout autour. Ces réchauds se font avec du fumier moelleux mêlé avec de la litière, et disposés en forme de contre-mur le long des parois extérieures de l’ancienne couche, et dans toute sa circonférence. On en enlève les bords supérieurs au niveau du châssis, et, après l’avoir bien affermi et arrosé, on le couvre de quelques pouces de terreau pour concentrer davantage la chaleur. La chaleur humide du réchaud pénètre promptement l’épaisseur de l’ancienne couche, y rétablit la fermentation, et en développe une nouvelle chaleur. Vient-elle à s’abaisser au dessous du degré convenable ? on renouvelle les réchauds autant de fois qu’il en est besoin, pendant le courant de l’été et de l’automne, que les semis doivent rester sous le châssis.

On sème dans des pots sur une couche chaude, et sous châssis, les graines des plantes annuelles dont on veut accélérer la végétation, à l’effet de jouir plus tôt de leurs produits, soit utiles ou agréables.

Dans quelques parties de la Hollande, on sème sous châssis, dès le mois d’avril, les graines de tabac dont le jeune plant est destiné à être repiqué en plein champ dès que la belle saison arrive.

Dans les jardins potagers, on fait lever sous châssis les graines de laitues, de petites raves, de pois, de haricots, dont on veut des fruits précoces.

Les fleuristes de Paris et de ses environs élèvent sous châssis les plantes de fleurs annuelles destinées à l’ornement des parterres, telles que les passevelours, les tricolore, diverses espèces de giroflées, quarantaines, les basilics, les héliotropes, etc., etc.

Chez les amateurs de plantes étrangères, et dans les jardins de botanique, les châssis sont affectés à l’éducation des graines de plantes qui croissent sous les tropiques et dans leur voisinage.

Sous bâches. Les semis qui se font sous des bâches se placent sur des couches chaudes construites, soit en fumier de cheval, soit en tan qui sort de la fosse des corroyeurs, ou soit en sciure de bois, suivant qu’on est plus à portée de se procurer ces différentes matières ; mais la tannée est préférable au fumier, parce qu’elle fournit une chaleur plus douce, plus égale, de plus longue durée et moins humide que celle du fumier. Lorsque la tannée est trop sèche, on peut, sans inconvénient, construire la couche, partie en fumier et partie en sciure de bois ou en tan. Dans ce cas, le lit de fumier doit occuper le fond de la fosse, et en remplir environ deux tiers de la profondeur ; le reste du vide, et même six pouces au dessus, peut être comblé par les substances indiquées.

C’est sur des couches ainsi formées que se planteront, dès le commencement du mois de pluviôse, les pots de semis des semences de végétaux de la zone torride, qui sont dures, coriaces, et qui ont besoin de rester plusieurs mois en terre pour entier en germination. Les graines de plantes annuelles du même climat, qui lèvent dans l’espace de quinze à vingt jours, ne doivent pas être semées en même temps que les premières, parce qu’il seroit à craindre dans cette saison humide, et dans laquelle le soleil n’est que peu d’instans sur notre horizon, que le jeune plant levé ne fondît et ne mourût. On retarde les semis de cette division de végétaux jusque vers la moitié de ventôse, et on la préserve de l’excès d’humidité par la chaleur du feu.

À l’air libre. L’exposition à l’air libre convient généralement à toutes les plantes rustiques qui croissent dans les climats de même nature que celui sous lequel on les sème. Elle convient encore aux semis des plantes étrangères qui ont été acclimatées par une longue culture à la température du pays dans lequel on en fait les semis. Enfin, il est des plantes annuelles de climats très-chauds, qui, étant semées en plein air aux approches de l’été, dans un climat septentrional, supportent fort bien le plein air, et fournissent leur végétation complète, comme dans leur pays natal.

Au levant. On sème à l’exposition du levant beaucoup de graines d’arbres de l’Amérique septentrionale, qui croissent sous les épaisses forêts, et que les rayons du soleil du midi pourroient incommoder et faire périr, telles que différentes espèces de gentianes, de rubus, de spirsa et autres de cette nature.

On place aussi sur des couches exposées au levant les pots, les terrines et les caisses de semis de graines qui, croissant à l’ombrage des arbres qui les ont produites dans les pays plus chauds que celui dans lequel on les fait, ont besoin d’être préservées du grand soleil. En général, les graines très-fines, comme celles des lobelia, de plusieurs espèces de campanules, de mille-pertuis, etc., qui ne sont recouvertes que de l’épaisseur d’une ligne de terre très-légère, réussissent infiniment mieux à cette exposition qu’à toute autre.

Cette exposition convient plus particulièrement aux semis de graines des plantes des climats chauds, soit qu’ils soient faits en pleine terre ou dans des pots ; mais il faut proportionner les arrosemens, les rendre plus fréquens et plus abondans à cette exposition qu’à toute autre.

Au midi. Il est cependant des cas où des semis de plantes de la zone torride, placés sous des châssis ou des bâches, ont besoin d’être défendus, dans leur jeunesse, des rayons du soleil du midi ; on se sert, pour cet effet, de toiles, de canevas ou de paillassons à claire-voie. C’est sur-tout lorsque les rayons du soleil passent entre des nuages groupés et discontinus, que cette précaution est nécessaire.

Au nord. L’exposition au nord est affectée plus particulièrement aux semis de graines de végétaux des pays plus septentrionaux que celui où on les fait, soit qu’ils soient exécutés en pleine terre ou dans des vases. On en fait usage aussi pour faire lever les graines des plantes des hautes montagnes, et enfin, pour les plantes de la zone torride qui croissent sous les épaisse forêts et dans des lieux très-ombragés ; mais ces derniers devant être à une température chaude, analogue à celle de leur pays, ce n’est que dans une serre chaude, ou sous une bache qu’on peut les cultiver à l’abri du soleil, et leur donner l’exposition du nord.

Observations générales. On demandera : à quoi bon labourer et ameublir les terres, puisqu’après les avoir labourées on les foule et on affermit la surface ? Il est aisé de répondre à cette question : les labours n’ont pas seulement pour objet de remuer la terre, mais de la retourner à une certaine profondeur ; de la mêler, d’accélérer la décomposition du carbone qu’elle contient, afin de le rendre propre à être absorbé par les racines des végétaux, entrer dans leur nutrition, et devenir partie intégrante de leurs substances. Or, le carbone, après une récolte, se trouve fort diminué dans le lit de terre qu’occupoient les racines des végétaux qui l’ont produit, tant parce qu’elles ont absorbé tout celui qui se trouvoit au point de ténuité propre à être saisi par les organes, que parce que les eaux pluviales ont entraîné à une plus grande profondeur, et mis hors la portée des racines, une autre partie de ce même carbone.

Ainsi, la succion des racines d’une part, et d’une autre les eaux, ont contribué à dépourvoir la couche de terre dans laquelle ont vécu les racines, l’année précédente, des sucs nourriciers dont ont besoin les futures récoltes.

Comme la couche de terre extérieure qui a fourni une récolte contient beaucoup de substances propres à fournir du carbone, puisqu’il s’y trouve les détrimens de tous les insectes éphémères qui ont vécu sur le champ, les feuilles desséchées des plantes qu’il a produites, les parties mâles de leurs fleurs qui, après avoir fécondé leurs germes, sont tombées, et enfin une portion des tiges et les racines de ces mêmes plantes ; toutes ces substances qui contiennent le carbone dans un état de division très-considérable, joint à celui qui a été entraîné par les eaux dans la couche inférieure, aux racines et aux engrais nouveaux qu’on y ajoute, redonnent à la terre les moyens de fournir à de nouvelles végétations. Mais, pour cela, il faut que ces substances soient disséminées dans la couche végétale accessible aux racines, et il n’y a que les labours qui puissent opérer ce mélange.

Mais pourquoi, ne manquera-t-on pas d’observer, si la couche de terre dans laquelle ont vécu les racines qui ont produit une récolte a absorbé tout le carbone qui s’y rencontroit, d’autres végétaux de familles différentes, et souvent même qui n’en différent que par le genre seulement, croîtront-ils très-bien, et fourniront-ils une nouvelle récolte, sans qu’il soit besoin de mettre de nouveaux engrais sur ce champ prétendu épuisé ?

On sait d’abord que les racines des végétaux descendent en terre, à différentes profondeurs ; qu’il en est qui forment un réseau de chevelu à la surface de la terre, et qui ne s’y enfoncent que de quelques lignes ; d’autres qui embrassent une épaisseur de terre de plusieurs pouces ; que plusieurs, dans la division des plantes vivaces sur-tout, vont chercher leur nourriture à deux et trois pieds de profondeur ; et qu’enfin, il existe des arbres dont les racines pivotantes s’enfoncent à plus d’une toise. Si l’on alterne ses cultures avec des végétaux qui offrent de telles différences dans la disposition de leurs racines, il n’est pas difficile de résoudre l’objection proposée, puisqu’on peut attribuer ce fait à l’aptitude des racines, dont les unes atteignent le carbone que n’ont pu atteindre les autres, et que toutes trouvent leur aliment sur le même sol, mais à des profondeurs différentes.

Mais enfin, pourquoi, demandera-t-on encore, deux plantes de même famille, dont les racines ont à l’extérieur la même configuration, et qui s’étendent à la même profondeur, peuvent-elles se succéder avec avantage sur le même sol et y fournir de bonnes récoltes ; tandis que la même espèce de plante ne pourra être semée deux années de suite, dans la même pièce de terre, sans que la deuxième récolte ne soit très-inférieure à celle de la première, semis, culture, engrais, température, toutes choses étant égales d’ailleurs ? Ce fait, observé dans la plus haute antiquité, a donné lieu à l’établissement d’un principe général, reconnu des agriculteurs, et d’où est dérivée la pratique d’alterner les cultures sur le même sol. Ce principe n’admet aucune exception, tant pour la culture des champs, que pour celle des jardins, des vergers et même pour la plantation des forêts. Beaucoup de physiciens ont cherché à expliquer ce fait remarquable ; mais, jusqu’à présent, ils n’en ont pas donné une solution satisfaisante.

Essayons de hasarder des vues qui pourront jeter quelques lumières sur l’explication de ce fait important.

D’abord, il n’est pas certain que des racines, qui ont à l’extérieur et à l’œil la même configuration, aient la même organisation intérieure, et soient également douées de la faculté de s’emparer des mêmes sucs nourriciers et dans le même degré de ténuité ; la différence qu’elles offrent dans le port extérieur de leur végétation et dans la forme de leurs parties prouve au contraire qu’il existe des différences dans leur organisation interne, puisque l’une est une suite nécessaire et indispensable de l’autre.

D’une autre part, on sait que les engrais agissent, dans la terre, de différentes manières ; les uns en la divisant ; les autres en agglomérant ses diverses particules ; quelques uns la conservant humide ; d’autres, au contraire, en la desséchant ; et tous lui fournissant plus ou moins de carbone, sur-tout ceux tirés du règne végétal.

Ce carbone ne passe pas subitement à l’état de combinaison et de ténuité qui le rend propre à être absorbé par les racines des végétaux ; tout semble prouver, au contraire, qu’il lui faut plusieurs années d’élaboration : si donc un champ de blé a épuisé, pendant sa végétation, tout le carbone qui se trouvoit dans l’état convenable à sa nutrition, et le fumier qui doit la remplacer n’ayant pas eu le temps d’être élaboré au point convenable, le nouveau blé qu’on sèmera dans ce même champ, l’année suivante, trouvant moins de parties nutritives, ou qui ne sont point encore élaborées au point convenable à sa nature, croîtra moins vigoureusement et fournira une récolte inférieure à la première.

Mais, si l’on sème sur ce même champ une autre espèce de froment, une graminée d’un genre différent, et, encore mieux, une plante d’une autre famille, celle-là, trouvant le carbone délaissé par le froment, auquel se trouva uni celui enterré par les labours, s’en emparera, en fera son profit et fournira une végétation vigoureuse. Cette explication, qu’on pourroit appuyer sur un grand nombre d’observations, paroît avoir quelque degré de certitude ; mais, quoi qu’il en soit, il n’est pas moins vrai que la pratique d’alterner les cultures de toutes espèces ne soit une des plus utiles au perfectionnement de l’agriculture, à l’abondance des produits et à la conservation des propriétés productives des terres. Nous terminerons cet article par quelques indications sur la profondeur à laquelle doivent être enterrées les diverses espèces de graines que l’on sème.

Si l’on observe les moyens qu’emploie la nature pour la reproduction et la multiplication des végétaux par la voie des semences, on verra qu’elle est aussi simple dans ses procédés que ceux-ci sont vastes et assurés : c’est en les imitant autant que le permettent les localités dans lesquelles on se rencontre, et en les suppléant, autant qu’il est possible, qu’on peut espérer de réussir.

Dans l’état de nature, les graines mûrissent sur les végétaux qui les produisent ; quelques unes tombent immédiatement après leur maturité ; d’autres, au contraire, restent sur leur pédoncule, jusqu’à l’époque d’une nouvelle sève qui, trouvant oblitérés les vaisseaux qui conduisent à ces graines mûres, s’en détournent pour se porter vers des boutons ou des rameaux qui exigent son fruit vivifiant ; mais les uns et les autres tombent à terre sur des couches d’humus végétal produites par la décomposition des feuilles, des brindilles et autres parties de végétaux ; d’autres trouvent pour lits, des couches de plantes herbacées, dans lesquelles elles se trouvent enveloppées et couvertes ; il en est qui ne rencontrent dans leur chute que de légères couches de mousse, de lichen et autres plantes cryptogames de petite stature ; bientôt elles sont recouvertes par des particules terreuses qu’y charrient les vents ou qu’y entraînent les pluies, et par les feuilles desséchées des végétaux supérieurs. Les fruits pulpeux tombent entiers, leur chair se décompose, les siliques, les calices et autres espèces d’enveloppes exposées à l’humidité, se détruisent ; il résulte, de la décomposition de toutes ces substances, un humus végétal, dans lequel se rencontre une très-grande quantité de carbone, dans un état de division tel, qu’il est propre à entrer presque sur-le-champ dans l’organisation végétale.

Ainsi donc, les germes des semences, après avoir été développés par l’humidité et la chaleur, se nourrissent d’abord du lait végétal contenu dans les lobes qui les accompagnent ; leurs radicules s’enfoncent ensuite dans une couche presque uniquement composée d’humus végétatif, dans laquelle elles tirent, par leurs suçoirs, un aliment moins élaboré, mais plus substantiel que celui fourni par les lobes des semences, et plus analogue à l’état de la jeune plantule : peu de temps après, le jeune plant devenant plus robuste, enfonce ses racines en terre à une plus grande profondeur ; il y trouve des sucs élaborés, plus nutritifs, plus forts et plus assimilés à l’état de vigueur et de force des végétaux à cette époque de leur âge.

On voit qu’il existe une grande analogie entre les végétaux et les animaux, pour la manière dont ils se nourrissent.

Ceux-ci, en naissant, vivent presque uniquement du lait de leur mère ; il leur faut ensuite une nourriture plus succulente ; et enfin, arrivés à leur état parfait, ils ont besoin d’alimens plus substantiels, plus forts, et qui conviennent mieux à leur tempérament vigoureux et robuste.

D’après ce qui vient d’être dit, il est aisé de sentir 1°. que la couche de terre dans laquelle se font les semis doit être abondante en parties nutritives, et dans un état d’élaboration tel, qu’elles puissent remplacer l’aliment que fournissent aux jeunes semis leurs cotylédons, et servir de nourriture intermédiaire entre ce premier et celui qu’ils doivent tirer des couches de terre inférieures ; 2°. que cette couche de terre doit être très-meuble, pour que les radicules et le tendre chevelu des racines des jeunes plants puissent la pénétrer et y chercher leur nourriture ; 3°. et enfin, que la couche de terre qui doit recouvrir les semences doit avoir peu d’épaisseur, être meuble et légère, pour que les pulpes des semences puissent aisément la traverser lors de leurs développemens.

Si l’on ne recouvroit les semis qui se font à mains d’hommes qu’aussi peu que ceux qui se font naturellement dans les campagnes, on manqueroit son but, on réussiroit rarement à faire lever les graines que l’on sèmeroit. Les semis qui se font naturellement, sont abrités par des herbages ou des arbres, dont la fraîcheur et l’ombrage léger protègent la germination des graines, et les défendent des rayons trop ardens du soleil. Les semis faits à mains d’hommes, se pratiquant dans une terre nue, nouvellement remuée et exposée aux rayons du soleil, n’auroient ni assez d’humidité ni assez d’abri pour lever : on est donc obligé de les couvrir davantage, et il est une règle assez généralement suivie, qui, à quelques exceptions près, peut guider dans la pratique : c’est la grosseur des semences qui doit indiquer, à peu près, l’épaisseur de la couche de terre qui doit les recevoir, pour faciliter et assurer leur germination.

Les semences très-fines, telles que celles des raiponces (campanula rapunculus) ou des mille-pertuis, (hypericum) des pourpiers, (portulans) et autres de cette nature, doivent être recouvertes d’une ligne de terre, et encore doit-elle être légère. Les graines de la grosseur d’un pois michaud, (pisum sativum nanum) ont besoin d’être recouvertes de terre, de l’épaisseur de trois quarts de pouce. Enfin, les graines les plus grosses parmi celles de nos arbres fruitiers, comme les amandes, les noyaux d’abricots, de pêcher et même les noix, peuvent être enfoncées en terre entre deux et trois pouces. En suivant la même progression pour les grosseurs de semences intermédiaires entre les trois que nous venons d’indiquer, on arrivera à des données assez exactes pour recouvrir de l’épaisseur de terre convenable les différentes sortes de graines. Mais il est bon d’avertir que les graines les plus grosses, telles que celles du palmier cocotier des Maldives, qui est le plus gros noyau que nous connoissions, ne doit être enfoncé en terre qu’à la profondeur de quatre à cinq pouces.

S’il est important d’enfoncer les semences à une profondeur convenable pour leur réussite, il ne l’est pas moins, pour la célérité de leur germination, qu’elles ne soient pas trop enfoncées en terre. Les graines les plus fines enterrées à un pouce, ne lèvent point ; elles se conservent en terre, jusqu’à ce qu’un concours de circonstances les rapproche de la surface de la terre. (Th.)