Cours d’agriculture (Rozier)/TULIPIER ou LAURIER TULIPIER

La bibliothèque libre.
Hôtel Serpente (Tome neuvièmep. 494-498).


TULIPIER ou LAURIER TULIPIER. Von-Linné le classe dans la polyandrie-polygamie, & il l’a nommé successivement Tulipifera Liliodendron, ou Liliodendron Tulipifera. Comme je n’ai jamais suivi la culture de cet arbre magnifique, qui résiste, en pleine terre, à la rigueur de nos hivers, & que l’en commence singulièrement à multiplier en France, je crois devoir en parler dans le cours de cet ouvrage. Ne pouvant pas instruire les autres par moi-même, je préviens que je vais copier cet article tout entier dans le dictionnaire de Miller.

caractères. L’enveloppe de la fleur est formée par deux feuilles angulaires qui tombent ; le calice est composé de deux feuilles oblongues, unies comme des pétales, & qui tombent ; la fleur est presqu’en forme de cloche. La corolle a six pétales obtus, cannelés à leur base, & dont les trois extérieurs tombent ; elle a un grand nombre d’étamines étroites, insérées au réceptacle de la fleur, & terminées par des anthères longues, étroites & fixées à leur côté, & avec plusieurs germes disposés en cône, sans style, mais couronnés par un stygmate simple & globulaire. Ces germes se changent par la suite en semences écailleuses, disposées les unes sur les autres en forme d’écailles de poisson, & semblables à un cône.

Cet arbre est originaire du nord de l’Amérique, où il s’élève à une hauteur considérable. Il est généralement connu dans tous les établissemens Anglois, sous le nom de peuplier. On a élevé de semences un grand nombre de ces arbres, & ils sont actuellement communs en Angleterre, ou ils fleurissent annuellement. Dans le commencement on cherchoit à le mettre à l’abri du froid, & cette dangereuse précaution en a fait périr beaucoup. Cet arbre aime les terrains naturellement froids & humides.

Les jeunes branches du tulipier sont couvertes d’une écorce lisse & purpurine ; elles sont garnies de larges feuilles dont les pétioles ont près de quatre pouces de longueur ; ces feuilles sont alternativement placées, & d’une forme singulière. Le lobe du milieu est tronqué & creusé à l’extrémité, comme s’il avoit été coupé avec des ciseaux. Les deux lobes latéraux sont arrondis & terminés en pointe émoussée. Ces feuilles ont quatre à cinq pouces de largeur à leur base, sur environ quatre de longueur ; elles ont une forte côte qui est la prolongation du pétiole. De cette côte principale partent plusieurs nervures transversales qui s’étendent jusqu’aux bords & se divisent en d’autres petites. La surface supérieure est lisse, d’un vert luisant, & le dessous est d’un vert pâle. Les fleurs, qui naissent à l’extrémité des branches, sont composées de six pétales dont trois sont extérieurs & trois sont intérieurs, qui forment une espèce de cloche ; ce qui lui a fait donner le nom de tulipe par les habitans d’Amérique. Ces pétales sont rayés de vert & de jaune, & marqués de taches rouges. Les fleurs produisent un effet charmant, quand les arbres en sont bien chargés. Elles paroissent en juillet, (l’auteur écrit en Angleterre) & quand elles sont tombées le germe se renfle & devient une espèce de cône qui ne mûrit point en Angleterre.

Catesby dit qu’en Amérique, il y a quelques-uns de ces arbres de trente pieds de circonférence, & que leurs branches sont inégales, irrégulières & fort tortueuses, ce qui les fait reconnoître à une très-grande distance quand ils sont dépouillés de leurs feuilles. On emploie son bois à différens usages, & surtout à faire des bateaux, & dans son tronc, qui est très-gros, on creuse des canots.

On multiplie cette espèce au moyen de ses graines qu’on apporte d’Amérique. On peut les répandre dans des pots & caisses remplis d’une terre légère de jardin potager, on sur une planche en pleine terre. Celles des pots peuvent être placées sur une couche de chaleur modérée, pour hâter leur accroissement & rendre les plantes plus fortes avant l’hiver ; mais il faut avoir soin que les vitrages soient à l’abri du soleil chaque jour, & que la terre des pots soit souvent arrosée ; car ces semences ne lèveroient pas sans humidité. On doit cependant leur donner de l’eau avec prudence pour ne pas les faire pourrir ; quand les plantes paroissent, on doit les tenir constamment à l’ombre pendant la chaleur du jour, & leur donner journellement de l’ombre pour les empêcher de filer. À mesure que la saison avance, on les endurcit par degrés, en les accoutumant à supporter l’air ouvert, & on les arrose souvent sans cependant leur donner trop d’eau à la fois.

Comme les jeunes plantes continuent souvent à croître tard en été, si les gelées se font sentir de bonne heure en automne, leurs sommets sont souvent détruits, & même elles périssent jusqu’au bas, ou seulement sur une longueur considérable. Pour éviter ces accidens, il faut les réserver des premières gelées qui sont toujours plus funestes que les plus grands froids de l’hiver, parce qu’alors leurs branches sont plus dures : il sera donc nécessaire de les mettre durant le premier hiver sous un chassis commun ou sous des cerceaux couverts de nattes, & de les exposer en plein air dans les temps doux.

Au printemps suivant, & immédiatement avant que les plantes commencent à pousser, il faut les transplanter sur des planches de pépinières, précisément dans un lieu abrité & ou elles ne soient pas trop exposées au soleil.

Le sol de ces planches doit être une marne molle, pas trop ferme, ni trop légère, bien travaillée, & exactement ameublie : il faut avoir grand soin de ne pas déchirer les racines des plantes en les enlevant, car elles sont fort tendres, & de les replanter le plutôt possible. On peut les placer en rang, éloignées d’un pied & à six pouces entre elles dans les rangs. Cet espace sera suffisant, parce qu’elles ne doivent pas rester long-temps en pépinière ; d’ailleurs, en les rapprochant ainsi, il sera plus aisé de les abriter en été & en hiver. Lorsqu’elles sont ainsi disposées, on empêchera la terre de se dessécher trop vite, en la couvrant avec du tan pourri, ou avec de la mousse. On évitera par-là de les arroser aussi souvent qu’on seroit forcé de le faire, si la terre étoit exposée au soleil & à l’air. On aura soin aussi de les tenir nettes des mauvaises herbes. Si la fin de l’été est humide, les plantes croîtront tard en automne, & leurs tendres sommets seront sujets à être détruits par les premières gelées. Dans ce cas, il sera nécessaire de les couvrir avec des nattes pour les en garantir.

Si ces plantes font un grand progrès dans le premier été, on pourra les transplanter encore une fois au printemps suivant, une partie à demeure, & les autres dans une pépinière où on les laissera deux à trois ans pour leur faire acquérir de la force, avant de les mettre où elles doivent rester. Cependant plus on les enlève jeunes & mieux elles réussissent, parce que leurs racines s’entendent considérablement ; si on vient à les couper, on retarde beaucoup les plantes. Ainsi ces arbres ne doivent pas être transplantés étant grands, si l’on ne veut pas s’exposer à les voir périr. J’en ai cependant vu enlever d’assez gros qui ont résisté ; mais j’ai en même temps remarqué que de jeunes plantes de deux ou trois années que l’on avoit tenu serrées dans la pépinière, étoient devenues beaucoup plus grandes en quinze ans que ces vieux arbres.

Lorsqu’on a semé en pleine terre, il faut placer des cercles sur la plante, pour pouvoir la garantir des rayons du soleil durant la chaleur du jour, & on arrose souvent les plantes quand elles commencent à croître ; car si elles étoient trop exposées au soleil, elles ne feroient point de progrès. Tout le soin qu’elles exigent en été, c’est d’être tenues à l’ombre, nettes de mauvaises herbes & souvent arrosées ; mais comme les plantes de pleine terre ne poussent pas aussitôt que celles des couches, & qu’elles continuent à croître plus tard dans l’automne, il est nécessaire de les mettre à l’abri des premières gelées de cette saison ; car leurs branches étant beaucoup plus tendres que celles des plantes plus avancées, elles seroient aussi plus en danger de périr jusque sur terre, ce qui les retarderoit beaucoup ; souvent même elles seroient entièrement détruites, si l’on ne prenoit pas la précaution de les garantir des gelées du premier hiver.

Comme ces plantes auront fait moins de progrès que les autres, il sera nécessaire de les laisser un an de plus dans le semis avant de les transplanter, & il suffira, pendant cette seconde année, de les tenir nettes de mauvaises herbes ; car elles sont alors moins exposées à souffrir du soleil que dans la première année, & il ne faudra pas les abriter avec autant de soin. Si l’automne est sèche, leurs branches cesseront plutôt de croître ; & étant plus dures, elles seront moins exposées à être endommagées par les premières gelées.

Après ces deux premières années, les plantes seront assez fortes pour être transplantées. Ainsi, avant que leurs boutons commencent à se renfler au printemps, on les enlèvera pour les mettre en pépinière, ou on les traitera comme les plantes élevées sur couche.

Quelques personnes multiplient cet arbre par marcottes ; mais alors il lui faut communément deux ou trois ans pour prendre racine, & les plantes ainsi élevées font rarement des arbres aussi droits que ceux qu’on élevé de semences ; cependant les marcottes produisent des fleurs beaucoup plutôt, comme il arrive toujours aux plantes bornées dans la croissance.

Cet arbre se plaît dans un sol humide, léger, sur lequel il profitera beaucoup mieux que dans une glaise forte, ou une terre sèche & graveleuse ; car en Amérique, on le trouve ordinairement dans des terrains humides & légers, où il s’élève à une hauteur prodigieuse. Il n’est pas prudent, malgré cela, de planter ces arbres dans des terres trop humides, parce qu’ils peuvent être en danger d’y pourrir, sur-tout si le fond de ce terrain est une argile ou une marne forte qui retienne l’humidité.