Cours d’agriculture (Rozier)/VERD (le)

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Libairie d’éducation et des sciences et des arts (Tome dixièmep. 27-42).


VERD (le). C’est ainsi que se nomme la nourriture fraîche, herbacée, qu’on donne, dans quelques circonstances, aux animaux tenus habituellement au régime sec ; tels que les chevaux, les mulets et assez rarement les ânes ; les bêtes à corne et les bêtes à laine n’y étant jamais soumises que lorsque la végétation est accidentellement interrompue, et les pâturages impraticables.

Donner le verd, mettre au verd, sont donc deux expressions synonimes qui signifient tenir à la nourriture fraîche, pendant un tems déterminé, et comme moyen médical, un animal ou des animaux soumis habituellement au régime sec.

Plan de cet article.
Chap. I. Utilité du verd en général.
Chap. II. Circonstances qui modifient cette utilité.
Chap. III. Époque la plus favorable pour mettre les animaux au verd.
Chap. IV. Du verd pris dans les pâturages, et du verd donné à l’écurie ; comparaison de ces deux méthodes.
Chap. V. Du choix des végétaux les plus propres à remplir l’objet qu’on se propose en donnant le verd.
Chap. VI. Précautions à prendre dans la récolte et dans la distribution du verd.
Chap. VII. Soins qu’exigent les animaux mis au verd.
Chap. VIII. Tems pendant lequel les animaux doivent rester au verd.
Chap. IX. Précautions à prendre dans le passage du régime verd au régime sec, et du repos au travail.

CHAPITRE Ier.

Utilité du verd en général.

Par-tout où la nature a placé des animaux, on ne peut douter qu’elle n’ait rassemblé autour d’eux tout ce qui pouvoit être nécessaire à leur subsistance. Si quelques faits particuliers semblent quelquefois s’élever contre ce principe, on peut assurer avec confiance qu’ils sont toujours dûs à des causes étrangères, et souvent même contraires aux vœux de la nature les plus énergiquement prononcés. Un de ces vœux a été sans doute que les animaux herbivores vécussent de végétaux frais : la répugnance qu’elle leur a donnée à tous pour les végétaux desséchés ne permet pas de méconnoître cette vérité. Il n’est aucune espèce dans l’état de nature, qui, avant de se déterminer à goûter des plantes desséchées, n’ait épuisé, non-seulement les herbes fraîches, mais encore les pousses et les écorces des arbustes et des arbres. Les besoins de l’homme l’ont mis dans la nécessité de renverser cet ordre de choses ; aidé du secours puissant de l’habitude, il est parvenu à triompher, en quelque sorte, de la nature. Mais ce triomphe ne s’obtient souvent qu’après une lutte assez longue, et il n’est jamais si complet que celle-ci ne revendique de tems en tems ses droits.

C’est ainsi que nous voyons les chevaux et autres animaux domestiques qu’on retire des pâturages, pour les mettre à la nourriture sèche, languir le plus souvent, pendant un tems plus ou moins long, avant d’être, en quelque sorte, façonnés à ce nouveau régime ; combien même périssent victimes de cette subversion des lois de la nature.

Cette sorte de transmutation, s’il est permis de s’exprimer ainsi, pourroit être beaucoup moins pénible, et ses victimes seroient incontestablement moins nombreuses, au moyen de quelques modifications bien faciles dans le passage, entre deux régimes aussi diamétralement opposés : mais ces précautions tiennent à des connoissances qui, toutes simples qu’elles sont, n’en sont pas moins ignorées de tous les herbagers ou de ceux qui achettent d’eux les animaux, pour les mettre dans le commerce, comme cela arrive presque toujours ; au lieu de s’occuper des moyens préservatifs dont l’effet est ordinairement sûr, on laisse le mal se développer, puis on cherche un remède parmi les moyens curatifs qui trompent si souvent la confiance de ceux qui les emploient.

On ne peut douter que le plus efficace de tous, celui évidemment indiqué par la nature, ne soit de ramener pour un tems, à la nourriture verte, les animaux affaiblis, émaciés par le régime sec auquel on les a fait passer. Les effets de l’herbe verte sur les chevaux peuvent, sous ce rapport, être comparés aux effets du lait qu’on donne aux hommes attaqués d’épuisement et de consomption.

Indépendamment de l’effet direct que produit la nourriture verte sur la constitution des animaux, il en est un indirect qui n’est pas moins puissant : c’est celui du repos dont jouissent les animaux, pendant tout le tems qu’on les tient au verd. On ne connoît pas plus de gradations dans l’exercice des chevaux que dans leur régime : pour les dix-neuf vingtièmes des hommes qui les emploient, un cheval doit toujours faire ce que fait un autre cheval, qu’il soit jeune ou vieux, qu’il sorte de l’herbage, où il n’a pris qu’une nourriture aqueuse et molle, de chez le marchand qui l’a bourré de son, ou de la culture, ou des charrois, en un mot qu’il ait ou n’ait pas de vigueur, qu’il soit ou ne soit pas en haleine : tout cela leur est égal : il faut qu’il fournisse sa journée comme un cheval adulte, robuste et exercé ; la lenteur de ses mouvemens, la sueur qui bientôt couvre son corps, sont des indications perdues pour le charretier qui n’y voit que des symptômes de lâcheté et un prétexte pour mettre en jeu son fouet implacable. On imagine aisément combien de chevaux doivent être journellement victimes de pareils écarts.

On ne sauroit douter que le verd ne soit très-propre à en diminuer le nombre. Mais dans cette circonstance, c’est souvent bien moins le verd lui-même qui produit cet effet, que l’inaction dans laquelle on abandonne les animaux, ou plutôt la facilité qu’on leur laisse de ne se livrer qu’aux mouvemens auxquels les porte l’instinct de leur conservation et le plaisir de jouir de leur liberté.

Ce seroit peut-être ici le cas d’examiner quelle est la manière d’agir du verd, sur les animaux ; comment il produit les heureux effets qu’on lui attribue. Ce point seul pourroit être l’objet d’une dissertation bien savante, enrichie des vues les plus profondes de la physiologie ; mais ces vues si profondes m’ont toujours paru sujettes à tant d’écarts, et la connaissance des pourquoi, des comment, si obscure et si peu importante en comparaison de celle des faits que je crois devoir me borner à rapporter ces derniers qu’assez d’autres chercheront à expliquer.

Le premier effet que produit le verd est de purger les animaux. Cette purgation dure cinq, six, huit jours, et quelquefois davantage, elle ne cesse que peu à peu et par gradation, et les animaux gardent pour l’ordinaire le ventre libre, pendant toute la durée du verd.

Les urines se montrent beaucoup plus abondantes, dès les premiers jours : elles sont d’abord crues et très-limpides, mais bientôt elles se colorent et deviennent dépuratoires.

Le poil qui, pour l’ordinaire, est terne, piqué, sec et décoloré dans les chevaux que l’on met au verd, dans ceux du moins qu’on doit y mettre, commence bientôt à reprendre son éclat, sa flexibilité, son onctuosité : la transpiration interrompue se rétablit peu après et devient très-abondante ; la peau se détache peu-à-peu des os, et reprend sa souplesse. L’animal recouvre à vue d’œil l’embonpoint qu’il avoit perdu, et avec lui celle vivacité, ces saillies impétueuses, cette noble fierté, cette gaîté désordonnée qui forment l’ensemble de son caractère.

Le verd, celui du moins qui se prend dans la prairie, et en liberté, a aussi une influence extrêmement utile sur les articulations fatiguées par un travail forcé et sur-tout prématuré ; les extrémités reprennent jusqu’à un certain point les aplombs qu’elles avoient perdus ; les engorgemens humoraux qui n’affectent point la substance même des os, s’y dissipent ou s’atténuent considérablement. Mais ces heureux changemens ne sont de quelque durée, qu’autant que les chevaux sont très-ménagés ; on les désigne, pour l’ordinaire, sous le nom de chevaux refaits, et malheur à l’acheteur qui les prend pour des chevaux neufs et les soumet imprudemment à un travail trop fatigant. Il les voit bientôt retomber dans leur premier état. Tels sont les effets les plus ordinaires du verd donné aux animaux ; mais ces effets ne sont pas toujours aussi heureux ; nous allons indiquer les exceptions et les causes auxquelles elles sont dues.

CHAPITRE II.

Circonstances qui modifient l’utilité du Verd.

Le verd, si utile aux jeunes chevaux, non seulement ne l’est pas également aux vieux, mais on a même cru remarquer qu’il leur étoit funeste. Si l’on réfléchit sur les effets que nous venons d’indiquer, on ne sera point étonné de cette espèce d’exception. Nous avons dit en effet qu’il produisoit une crise violente, une révolution considérable dans toute la machine ; l’ébranlement universel, occasionné par une pareille secousse, ne peut que porter une atteinte funeste à des organes affaiblis, usés en quelque sorte par le travail et les années. D’un autre côté, la grande habitude du régime sec est devenue, pour ainsi dire, une seconde nature, dont il n’est guère moins dangereux de s’écarter que de la première. Comme dans les jeunes chevaux, le verd produit dans les vieux un relâchement général, mais avec cette différence que, dans les premiers, la fibre ne tarde guère à reperdre son énergie et son élasticité, et que, dans les seconds, le relâchement va toujours en augmentant, et se termine par une atonie complète qui est suivie d’engorgemens généraux ou partiels dus à l’inertie des solides.

C’est ainsi que dans les vieux chevaux qu’on met au verd, on voit le plus souvent les jambes se gorger, le dessous du ventre s’œdématir, et assez souvent l’animal périr d’hydropisie.

On doit induire de ces observations que le verd ne doit pas convenir aux animaux, quel que soit leur âge, affectés de maladies dues au relâchement des solides et à la décomposition des humeurs. Aussi observera-t-on généralement que les engorgemens causés par le farcin ou par la morve, augmentent considérablement d’intensité, lorsque les animaux qui en sont affectés sont mis au verd, et que ce régime précipite leur destruction.

Quelque générale que soit cette observation, elle reconnoît pourtant quelques exceptions. J’ai vu, par exemple, que le verd ne produisoit point sur les vieux chevaux les effets funestes que je viens d’indiquer, lorsque ces chevaux ont été mis au verd tous les printemps, ou du moins plusieurs fois dans leur vie ; le relâchement qu’il produit, dans ce cas, est bien moins considérable, et il reste à la nature assez de force pour rendre à la fibre son énergie.

J’ai encore vu le verd produire des effets heureux sur des chevaux attaqués d’un principe de morve ou de farcin, lorsque ces vices étoient récents, le produit de la communication, et que les animaux étoient jeunes, et d’une constitution très-vigoureuse.

Je dois dire encore qu’une partie des mauvais effets qu’on attribue au verd, est due, le plus souvent, à l’ignorance ou à l’incurie de ceux aux soins desquels ils se trouvent confiés. Ou expose brusquement à l’air libre, le jour et la nuit, au froid, au vent, à la pluie, des animaux qui, presque toute leur vie, ont été tenus dans des écuries hermétiquement fermées, et dans lesquelles encore ils étoient souvent chargés d’une couverture de laine bien pesante. Il ne faut que les premiers élémens du sens commun, pour sentir qu’un pareil saut ne peut être que funeste aux animaux auxquels on le fait franchir ; on conçoit aisément, au reste, que, sous ce rapport et sous un grand nombre d’autres, l’époque à laquelle on donne le verd, doit beaucoup influer sur ses effets.

CHAPITRE III.

De l’époque la plus favorable pour mettre les animaux au verd.

L’époque la plus favorable pour mettre les animaux au verd, c’est, sans contredit, celle indiquée par la nature elle-même ; celle où les animaux qui n’ont pas perdu entièrement l’habitude de la nourriture verte, annoncent, par le dégoût que leur inspire la nourriture sèche, le besoin qu’ils ont de la première ; c’est aussi le moment où toutes les humeurs sont mises en mouvement, et, jusqu’à un certain point, disposées à la révolution que doivent opérer sur elles les alimens frais. Cette époque s’étend depuis le 1er. floréal jusqu’à la fin de prairial ; la saison du froid et des pluies est passée, celle des grandes chaleurs n’est pas arrivée, et les animaux n’éprouvent point encore le tourment de ces myriades d’insectes ailés qui les assaillissent à une époque plus reculée. La partie la moins avancée de cette période, offre déjà des végétaux élaborés par le soleil ; et la plus reculée présente un grand nombre d’espèces qui n’ont pas encore perdu toute leur eau de végétation, et conservent tous leurs sucs nourriciers.

Quoique cette saison soit la plus favorable pour le verd, on peut cependant le donner avec avantage dans toutes les autres, sans même en excepter l’hiver ; ce qui dépend presque entièrement de la méthode qu’on adopte pour l’administrer.

CHAPITRE IV.

Des diverses méthodes de donner le verd.

On fait prendre le verd dans la prairie même, ou bien on le donne à l’écurie.

Dans le premier cas, on laisse les animaux divaguer dans l’herbage, ou bien on le divise en portions plus ou moins resserrées, qu’on enclot avec des claies, des barrières, ou toute autre espèce de clôture, et qu’on abandonne successivement aux animaux ; ou bien enfin, on pratique dans une partie de l’herbage une sorte de hangard, sous lequel on place des râteliers qu’un homme est chargé de remplira mesure qu’ils se vuident. On laisse autour du hangard une enceinte assez considérable, pour que les animaux puissent s’y promener et y développer leurs mouvemens avec quelque étendue.

La première méthode a l’inconvénient d’entraîner la perte d’une très grande quantité d’herbe que les animaux foulent aux pieds. L’herbe une fois foulée, ils ne la mangent plus avec appétit, en sorte que la partie qu’ils consomment n’est rien en comparaison de celle qu’ils dissipent en pure perte.

La seconde méthode prévient, jusqu’à un certain point cet inconvénient, mais très imparfaitement ; ou les divisions qu’on donne aux animaux sont très grandes, ou elles sont très-resserrées. Dans le premier cas, on voit reparoître l’inconvénient de la première, la destruction inutile d’une grande quantité de fourrage ; dans le second, les animaux trop resserrés ne peuvent se livrer aux mouvemens qui concourent si puissamment au succès du régime auquel on les soumet ; l’herbe d’une enceinte trop petite, est d’ailleurs bientôt foulée ; les animaux s’en dégoûtent, et si le gardien n’a pas le soin de les faire passer continuellement d’une section dans l’autre, ils restent fort long-tems sans vouloir manger. Au reste, toutes ces méthodes ont l’inconvénient de laisser les animaux exposés aux intempéries de l’athmosphere ; ce qui, comme je l’ai dit plus haut, donne lieu à plus d’un accident.

Le verd donné à l’écurie soustrait les animaux à cet inconvénient ; mais il les prive de cette liberté si nécessaire. Il exige d’ailleurs un transport continuelle de fourrage verd de la prairie où il se coupe, dans l’écurie où il se consomme : Ce fourrage entassé dans les charrettes, déposé dans des grandes où il est toujours plus ou moins amoncelé est sujet à s’échauffer et à fermenter, ce qui le rend désagréable et même nuisible aux animaux.

Le hangard construit au centre ou à une extrémité de la prairie, suivant les convenances locales, semble tenir le milieu entre ces diverses méthodes ; il n’a les inconvéniens d’aucune, et il a les avantages de toutes. Il prévient les transports de fourrage : il les met, ainsi que les animaux, à l’abri de la pluie. L’espace libre ménagé autour du hangar, permet à ceux-ci l’exercice de leurs membres, cet exercice aiguillonne l’appétit, favorise la digestion, dissipe les engorgement et contribue peut-être plus que le verd lui-même à rendre aux animaux leur première vigueur.

Quelle que soit celle de ces méthodes que l’on préfère, le choix des plantes dont doit être composé ce verd, concourt puissamment au succès qu’on se promet.

CHAPITRE V.

Du choix des végétaux les plus propres à remplir l’objet qu’on se propose en donnant le verd.

Parmi les végétaux nombreux dont se nourrit chaque espèce d’animaux, je n’en connois aucun qui ne puisse leur être donné avec avantage avant qu’il ait atteint le dernier terme de sa végétation ; je n’en excepte ni les racines, ni même les arbres ; on ne peut donc donner, à cet égard, que les règles extrêmement générales, soumises à une foule de modifications relatives au climat, au sol, aux usages des pays divers et à un grand nombre d’autres circonstances locales.

Les plantes que l’on préfère ordinairement sont prises dans la classe des graminées ; ce qu’il y a d’assez extraordinaire, c’est qu’on préfère pour le verd celles qui croissent dans les lieux bas, humides, marécageux. J’ai recherché la cause de cette singulière préférence ; je l’ai trouvée dans l’observation qu’on a faite que ce fourage grossier, aqueux purgeoit les chevaux et plus promptement et plus abondamment que celles des prairies hautes. Reste à savoir maintenant si cette purgation si prompte et si abondante sur des animaux épuisés, tels que sont presque toujours ceux que l’on met au verd, est aussi avantageuse qu’on le prétend : j’ai bien de la peine à le croire. Je sais que pour prononcer avec exactitude sur ce qu’on donne comme le fruit de l’expérience, il faudroit avoir fait un grand nombre d’essais comparatifs qui n’ont été tentés ni par moi, ni par personne que je sache ; mais quand quelques faits semblent en contradiction avec des principes généralement adoptés, il faut être sur ses gardes et ne jamais perdre de vue que dans la foule des erreurs qui ont inondé et inondent encore le monde, il n’y en a pas une qui n’invoque en sa faveur l’autorité des faits : on observera que celui sur lequel je me permets d’élever des doutes dans cette circonstance, ce n’est pas la propriété purgative des plantes marécageuses, dont j’ai été cent fois témoin, mais bien les résultats qu’on attribue à cette purgation si prompte et si copieuse.

Quelle que soit au reste la nature de l’herbe que l’on donne en verd, on doit être bien assuré quelle purgera plus ou moins, ce qui pourroit bien ne pas tenir davantage à la qualité de l’herbe en elle-même, qu’au changement de régime. Il y a peut-être autant de chevaux purgés par le régime sec qui succède immédiatement au régime verd, que par le régime verd qui succède au régime sec. Ces sortes de transpositions de causes ne sont pas moins communes dans l’hygiène des hommes, que dans celle des animaux. C’est ainsi, par exemple, qu’on attribue aux eaux de la Seine une vertu puissamment purgative, et qu’on ne voit pas que celle du Rhône à Lyon, de la Loire à Orléans produisent sur les étrangers à ces villes, les mêmes effets que l’eau de la Seine sur les étrangers à Paris, que dans cette commune ceux qui ne boivent point d’eau du tout ou ceux qui ne boivent que de l’eau d’Arcueil, paient le même tribut que les autres ; ce qui prouve jusqu’à l’évidence ou que l’eau ne contribue point à cet effet, ou qu’elle n’y contribue que très-secondairement et en proportion seulement du rang qu’elle occupe dans tout ce qui compose le régime nouveau auquel sont soumis les étrangers, indépendamment encore de l’influence du climat qui souvent pourroit suffire seul pour cet effet.

Ces considérations me déterminent à conseiller, en dépit de l’usage, de donner la préférence aux fourages verds que les animaux recherchent avec le plus d’activité, et qui sont reconnus pour être les plus substantiels ; or, sous ce double rapport, les plantes des prairies hautes ne peuvent souffrir aucune comparaison avec celles des prairies basses ; que les premières soient formées de plantes graminées, ou que les graminées s’y trouvent mêlées avec d’autres espèces, le verd est également bon, pourvu que la prairie soit de la nature de celles dont le foin est généralement estimé ; or, l’opinion sur les bonnes ou mauvaises qualités des foins est peut-être celle qui admet le moins de variations, du moins dans tous les pays que j’ai parcourus.

Le produit des prairies artificielles telles que la luzerne, le trèfle, le sainfoin, la spergule et la pimprenelle se donnent en verd avec beaucoup d’avantage ; en Angleterre, on préfère généralement la luzerne à tous les autres fourrages pour donner le verd aux chevaux : dans la ci-devant Alsace, on nourrit avec du trèfle verd ceux même qu’on emploie aux services les plus pénibles ; j’ai vu les chevaux des postes de Lauterbourg, d’Altkirch, et de plusieurs autres du Haut et Bas-Rhin nourris avec du trèfle verd dans le temps même qu’ils fournissoient les courses les plus pénibles, on ajoutoit seulement à cette nourriture un peu de maïs en grain, macéré avec de la baie d’épeautre.

Dans le ci-devant Brabant, on cultive la spergule pour la donner en verd aux animaux qui l’aiment beaucoup, et dont elle augmente considérablement l’embonpoint.

L’emploi des plantes, dont sont composées les prairies artificielles exigent quelques précautions, dont l’oubli pourroit devenir funeste ; elles seront indiquées dans un chapitre relatif à l’administration du verd.

Les gramens annuels sont souvent donnés en verd aux bestiaux ; le seigle, l’avoine et l’orge sont très-fréquemment cultivés pour cette destination ; la variété du dernier connue sous les noms d’escourgeon, de durillon n’est guère employée presque par-tout qu’à cet usage ; dans quelques cantons on la fait pâturer, puis on la laisse grainer ; dans d’autres on la coupe à l’époque où l’épi est prêt à sortir de son fourreau, et on la distribue dans les râteliers.

On cultive également, et dans les mêmes vues le maïs qu’on sème dans ce cas très dru ; et dans les pays même où il a une autre destination, on donne aux animaux le panache des fleurs mâles qui surmonte l’épi, lorsque celui-ci a été fécondé.

Tous ces gramens contiennent dans leurs tiges une matière sucrée qui les rend tout à la fois très-agréables aux animaux, et très-propres à leur procurer de la vigueur et de l’embonpoint : il serait bien à désirer que la culture du maïs, envisagée sous ce rapport, s’étendît dans les cantons d’où elle a été exclue jusqu’ici, parce que la plante n’y parvient pas à une maturité parfaite ; il n’en est point qui donne un fourrage verd meilleur et plus abondant.

On cultive encore pour les donner en verd les diverses espèces de vesces, de gesses et de pois, l’ers, le lupin, la lentille ; le moment le plus favorable pour leur emploi, est celui où la semence commence à se former, c’est le moment où la plante est le plus riche en sucs bien élaborés et nourrissans.

Les plantes légumiaires sont employées au même usage avec beaucoup de profit ; parmi elles, les diverses espèces de choux méritent peut-être la préférence, celle surtout connue sous le nom de chou cavalier que dans quelques lieux on nomme chou-arbre ; il n’est pas d’espèce aussi productive ; les feuilles qu’on enlève sont bientôt remplacées par d’autres qu’on récolte peu de tems après, et ces récoltes successives sont très-nombreuses, il résiste mieux aux gelées qu’aucune autre espèce comme dans nos climats ; il est étonnant que la culture d’une espèce aussi estimable se trouve en quelque sorte resserrée dans le cercle étroit de quelques uns de nos départemens. Les carottes, les navets, les betteraves, les panais, les diverses espèces de courges ; les topinambours et sur-tout les pommes de terre peuvent remplir toutes ou presque toutes les indications qu’on se propose en donnant le verd.

Toutes les espèces d’animaux refusent d’abord les pommes de terre crues ; mais lorsqu’on les a accoutumés à cette nourriture, ce qui est très-facile en la leur donnant mêlée avec un peu de son, d’avoine ou tout autre aliment de leur goût, il n’en est aucun auquel ils ne préfèrent bientôt les pommes de terre.

Cette observation donne lieu à deux remarques importantes ; la première est relative au peu de fonds qu’on peut faire sur le prétendu instinct des animaux, pour connoître quelles sont les substances qui leur conviennent ; comme l’homme, les animaux sont très-habitudinaires : l’aliment auquel ils sont accoutumés est souvent celui qu’ils préfèrent à tous les autres ; ils refusent tous les pommes de terre, et tout le monde sait avec quelle avidité ils les dévorent ; combien elle les nourrit et les engraisse, lorsqu’une fois ils y sont accoutumés : j’ai vu des chevaux refuser de goûter à de la luzerne verte. Les chevaux et les bœufs accoutumés à boire de l’eau fangeuse, restent plusieurs jours sans boire avant de goûter de l’eau pure et limpide, tandis que ceux accoutumés à cette dernière, refusent tout aussi long-tems l’eau bourbeuse ; ces faits et mille autres qu’il serait facile d’y ajouter, me paraissent devoir sapper par leur base les observations de Linné sur les végétaux mangés par les diverses espèces d’animaux ou tout au moins annuller tous les résultats qu’on voudroit en tirer relativement à l’économie rurale.

La seconde remarque c’est que les animaux accoutumés à manger les pommes de terre et les autres racines crues, les mangent avec autant d’avidité que si on les leur donnoit cuites ; dans le premier état les nourrissent elles aussi bien ? je sais qu’on ne le croit pas : mais sur quoi se fonde-t-on ? je l’ignore ; personne que je sache n’a fait d’expériences comparatives pour éclaircir un point si intéressant, et pourtant, ce n’est que par des expériences qu’il peut être éclairci ; j’en ai fait une sur quatre cochons de la même portée et de même force ; les deux nourris aux pommes de terre crues, étoient, après un temps donné, aussi gros que les deux autres qui avoient consommé la même quantité de pommes de terre cuites. Mais qu’est-ce qu’une seule expérience pour résoudre une question aussi importante ? Elle ne peut qu’engager à en faire de nouvelles. En principe, je ne vois pas ce que l’ébullition peut ajouter de parties alimentaires aux substances qui y sont soumises ; elles ne pourroit les rendre plus nutritives qu’en les rendant plus digestives : mais l’estomac des animaux les digère parfaitement dans l’état de crudité. Cet objet, au reste, quoiqu’il ne soit pas étranger à l’objet qui nous occupe, n’en est pourtant qu’un accessoire éloigné. Je m’empresse d’y revenir.

Les feuilles d’un grand nombre d’arbres fournissent aux animaux une nourriture verte, tout-à-la-fois agréable, saine et nourrissante. Ces arbres sont les ormes, les chênes, les aulnes, les peupliers, les érables, les néfliers, les cormiers, les hêtres, les sureaux et sur-tout les diverses espèces d’acacia dont la végétation est d’une richesse qu’on trouve rarement dans les autres arbres. Parmi les espèces d’acacia, il en est une surtout qui me paroît mériter l’attention des cultivateurs, sous le rapport de la nourriture des animaux ; c’est le robinia inermis ou l’acacia sans épines. Je ne connois pas d’arbres aussi riches en feuilles longues, molles, douces, pourvues enfin de tous les caractères qui semblent indiquer une excellente nourriture ; un champ planté de robinia seroit une prairie perpétuelle qui fourniroit plusieurs coupes chaque année, beaucoup plus abondantes que celle de la luzerne la plus riche ; on n’a encore trouvé malheureusement aucun autre moyen de multiplier cette espèce que la greffe ou l’ente sur l’acacia ordinaire qui, comme on sait, réussit assez bien sur les plus mauvais terrains.

On emploie aussi la feuille verte de frêne à la nourriture des animaux ; cette feuille puissamment purgative ne produit aucun effet fâcheux sur les animaux à quatre estomacs qui, comme je l’ai démontré dans un ouvrage ad hoc, digèrent sans en être incommodés, des poisons très-actifs, à des doses énormes ; mais je crois qu’il seroit dangereux de donner la feuille de frêne en verd au cheval ou à d’autres animaux à un seul estomac, non-seulement à raison de la propriété que je viens d’indiquer, mais parce qu’il arrivera souvent que ces feuilles sont chargées de cantharides qui avalées par les animaux, produiroient sur eux des effets funestes. Je dois avouer, au reste, que cette observation n’est fondée sur aucun fait dont j’aie connoissance, mais seulement sur le simple raisonnement qui avertit de se méfier d’une plante dont les sucs ont une propriété si active.

Dans les pays vignobles, on donne aux animaux les feuilles des vignes après les vendanges ; on leur donne également, dans les départemens méridionaux, les feuilles et les jeunes branches des oliviers provenant des tontures de cet arbre.

Les feuilles de tous les arbres fruitiers peuvent être employées au même usage avec un égal avantage.

Au reste, si les effets du Verd dépendent beaucoup de la nature des végétaux qui le fournissent, la manière de les récolter et de les distribuer y contribue aussi très-puissamment.

CHAPITRE VI.

Des précautions qu’exigent la récolte du verd, et sa distribution aux animaux.

C’est une opinion générale, et la pratique est conforme à cette opinion, que le verd doit être récolté avant que la rosée dont il est couvert, se soit évaporée ; cette conduite est encore fondée sur la remarque que l’on a faite, que l’herbe ainsi chargée de rosée purgeoit les animaux, et plus vite et plus abondamment ; or, c’est à cette purgation que l’on attribue presqu’entièrement les bons effets du verd ; ce que j’ai dit dans les chapitres précédens sur les effets de cette crise doit suffire pour mettre à même d’apprécier cette opinion. Non seulement cette purgation si abondante et si prompte n’est pas un aussi grand avantage qu’on le croit, mais elle est souvent dangereuse, souvent elle est accompagnée de tranchées violentes et quelquefois de météorisations mortelles ; mais son effet le plus ordinaire est de laisser long-temps l’estomac dans un état de débilité et d’atonie dont le repos et la bonne nourriture ne parviennent pas toujours à triompher.

Les fourrages récoltés mouillés sont entassés sur des voitures où ils commencent à fermenter ; on en forme des tas dans les granges attenantes aux écuries, et quelquefois dans les écuries mêmes ; c’est ordinairement le soir, au moment de la rosée que se récolte la provision du matin, et le matin celle du soir ; le temps qui s’écoule entre l’entassement et la consommation, suffit pour que le pâturage s’échauffe, et dans cet état les chevaux ne le mangent qu’avec dégoût, et en jettent plus de la moitié sous leurs pieds, inconvénient assez grand, sans parler de l’effet que peut produire, sur les animaux, ce commencement d’altération.

Il est rare qu’on soupçonne la vraie cause de ce dégoût ; on cherche il y remédier par des médicamens ; on donne aux animaux qui en sont attaqués, du crocus, ou bien on leur fait une saignée plus ou moins abondante, ce qui, le plus souvent, ne fait qu’aggraver le mal en achevant de détruire le ton des organes digestifs.

Si tels sont les effets des plaintes graminées, récoltées chargées d’humidité, celles des plantes légumineuses, telles que la luzerne, le trèfle, le sainfoin, les pois, les vesces, etc. récoltés dans le même état, sont bien autrement funestes encore ; mais le danger même de ces effets a servi à les prévenir, en sorte que ce n’est jamais que par imprudence et défaut de soin, et non par l’effet d’une erreur, qu’on donne aux animaux ces plantes humides ; on a grand soin, pour l’ordinaire, d’attendre que le soleil ait dissipé la rosée ; si au lieu de produire des météorisations, des timpanites, le plus souvent mortelles, elles ne produisoient que des tranchées, et une diarrhée copieuse, il n’y a pas de doute qu’on ne se conduisît avec elles comme avec les graminées.

De quelque nature que soient les végétaux que l’on donne en verd, on ne doit donc les récolter que lorsque la rosée est dissipée, et, dans le cas où on se verroit forcé par la pluie, de couper des fourrages humides, on doit avoir la précaution de les étendre jusqu’au lendemain, sur un espace assez vaste pour que la couche ne soit pas trop épaisse, et puisse être facilement retournée et secouée, afin de faciliter l’évaporation de l’humidité.

Lorsqu’on donne des racines, il faut avoir l’attention de les couper en morceaux assez petits pour qu’ils ne puissent pas être arrêtés dans l’œsophage, accident assez souvent suivi de la mort de l’animal, et auquel on ne peut remédier que par l’ouverture de ce canal, opération qui exige des connoissances qui manquent aux maréchaux qu’on appelle presque par-tout au secours des animaux malades.

Quel que soit le goût des herbivores pour l’herbe verte, la plus légère souillure suffit ordinairement pour la leur faire dédaigner, la seule impression de leur haleine lui ôte bientôt la saveur qui excitoit leur appétit, au point qu’il n’est pas rare de voir des chevaux regarder pendant des jours entiers l’herbe dont on remplit leurs râteliers, sans vouloir y toucher.

Cette observation doit faire sentir la nécessité de ne donner le verd que par petites portions à la fois ; c’est par ce renouvellement continuel qu’on tient toujours ouvert l’appétit des animaux, et qu’on parvient à leur faire manger sans perte, une quantité de fourrage à laquelle j’aurois moi même peine à croire, si je n’en avois fait plusieurs fois le calcul. Je me suis assuré qu’un cheval à qui on donnoit le verd avec toutes ces précautions, consommoit dans vingt-quatre heures cent cinquante et quelquefois même deux cents livres d’herbe ; lorsque, malgré cette attention, il paroît se dégoûter, ce qui arrive souvent quelques jours après qu’il est soumis à ce régime, on laisse par intervalle le râtelier vide ; ce qui vaut infiniment mieux que de recourir, comme on le fait, aux ressources si souvent infidèles de la pharmacie.

On conçoit aisément que des précautions aussi continuelles, aussi attachantes, demandent dans l’homme chargé du gouvernement des animaux, un zèle, une activité, une vigilance, qu’on ne trouve que rarement dans les salariés ; les animaux eux-même exigent des soins qu’on ne pourroit leur refuser sans d’assez graves inconvéniens.

CHAPITRE VII.

Des soins qu’exigent les animaux mis au verd.

Il est des pratiques si bizarres, si ridicules, si contraires aux premiers principes du sens commun, qu’on ne pourroit concevoir comment elles ont pu s’établir, si l’on ne savoit pas que, pour une classe très-nombreuse de l’espèce humaine, les choses les plus incroyables sont précisément celles qui ont le plus de droit à sa croyance ; mais que les meilleurs esprits se laissent eux-mêmes entraîner par ces opinions qui choquent toutes les notions, c’est ce qui est véritablement étonnant.

Qui croirait qu’on regardé comme un principe incontestable, non seulement que les animaux mis au verd n’exigent aucuns soins de la main, mais que ces soins, quand on les leur donne, contrarient et retardent les effets du verd ? que cette opinion ait eu lieu relativement aux chevaux qu’on abandonne dans les herbages, on le conçoit ; la propreté est une qualité commune à tous les animaux en liberté : et le cochon qu’on cite quelquefois en preuve du contraire, bien loin d’être une exception à cette règle, ne fait que la confirmer ; car cet animal ne se vautre dans la fange qu’au défaut d’eau claire, que lui rendent si nécessaire et sa constitution et le régime échauffant auquel il est soumis. Le cheval abandonné dans un herbacé ne se couche jamais que sur un lit de verdure ; aucun corps étranger ne s’attache à sa robe ; s’il s’y en attachoit, les pluies, l’herbe fraîche sur laquelle il se roulé, les auroient bientôt enlevés ; comme il n’est soumis à aucun exercice violent, il n’a jamais qu’une transpiration insensible dont la matière s’évapore à mesure qu’elle s’échappe des pores de la peau ; mais en est-il donc ainsi du cheval qu’on laisse nuit et jour à l’écurie, qui est forcé de se coucher sur ses excrémens, dans lequel l’humeur respirable est retenue et fixée en quelque sorte sur la peau par la couche de matière étrangère dont elle est enduite ? Comment peut-on s’imaginer que cette humeur puisse être arrêtée dans ses couloirs sans les plus grands inconvéniens, lorsque la nature tend sans cesse à l’expulser, et lorsque sa retenue donne lieu à des maladies si fréquentes et si graves ? Quelques personnes vont bien plus loin encore, elles prétendent que la litière sur laquelle on tient les chevaux ne doit point être renouvelée : en sorte que ces animaux croupissent dans l’ordure pendant tout le tems qu’ils sont au verd : j’en ai vu quelque uns qui portoient de chaque côté du corps une couche d’excrémens de plus d’un demi pouce d’épaisseur.

Pour faire sentir l’absurdité d’une pareille pratique, il suffit de la soumettre à la réflexion des hommes qui en sont capables. Non seulement les chevaux au verd ne doivent pas croupir dans l’ordure, non seulement on leur doit le même pansement de la main que lorsqu’ils sont à leur régime ordinaire, mais j’ajouterai même que comme un des effets du verd est de provoquer une transpiration plus ou moins abondante, on ne doit négliger aucun moyen de favoriser cette excrétion si intéressante : or tout le monde sait que rien ne la favorise aussi puissamment que le pansement de la main ; bien loin de le supprimer entièrement, on doit donc au contraire le multiplier et ne pas se contenter de détacher la crasse avec l’étrille, mais encore l’enlever complètement avec la brosse, le bouchon et l’époussette.

J’ai vu des officiers de cavalerie et plusieurs autres personnes qui pensoient que les chevaux ne devoient pas boire ou presque point pendant tous le temps qu’ils étoient au verd : il est certain qu’à la rigueur, les animaux nourris de plantes en végétation, peuvent se passer de boire ; mais il est pourtant vrai de dire que les chevaux soumis à ce régime éprouvent quelquefois le besoin de la soif, et que c’est aller contre le vœu de la nature que de ne pas l’étancher.

Je conseille donc de tenir des baquets remplis d’eau auprès des animaux qui prennent le verd en liberté, et quant aux autres, on doit leur présenter un seau d’eau claire le matin et le soir, quand on ne peut pas les conduire à l’abreuvoir.

C’est une autre erreur que de croire que les chevaux qui prennent le verd à l’écurie ne doivent point sortir pendant tous le temps de sa durée ; le séjour trop long à l’écurie ruine plus les chevaux qu’un travail fatigant. Sans doute on ne doit exiger d’eux aucun service pénible, sur-tout dans les premiers jours et pendant tout le temps de la purgation : mais il est certainement très-utile de les faire sortir pour les promener soit en mains, soit sous l’homme ; cet exercice, dirigé par des mains sages, favorise très-puissamment les effets du verd : il prévient les stagnations qui sont trop souvent l’effet du relâchement dont le régime du verd est d’abord suivi.

Je ne puis pas d’avantage adopter la méthode si générale, que je ne sais si elle a quelque exceptions, de saigner les chevaux quelques jours après leur arrivée ; l’objet qu’on se propose est de prévenir la pléthore dont on apperçoit en effet quelques traces lorsque le verd a commencé à produire ses effets ; à moins que les chevaux ne soient accoutumés aux saignées du printemps, je voudrois proscrire celle-ci qui me paroît contr’indiquée ou tout au moins inutile. Il est très-certain que par le relâchement qu’elle opère, la saignée ne fait qu’accroître la disposition à la pléthore, en sorte qu’au bout de quelque temps les chevaux ont plus de sang qu’avant d’avoir été saignés, c’est ce que n’ignorent pas les herbagers qui nourrissent des bœufs. Ils les saignent de temps en temps pour leur faire prendre graisse plus promptement. On prévient au reste les inconvéniens de la pléthore en ne laissant les animaux au verd que le tems convenable.

CHAPITRE VIII.

Du tems pendant lequel les animaux doivent rester au Verd.

Il est bien difficile de donner, à cet égard des règles générales ; la seule d’après laquelle on doive se guider, c’est de retirer les chevaux du verd aussi-tôt qu’il a produit sur eux l’effet qu’on en attendoit ; or cet effet se produit bien plus promptement chez certains individus que chez d’autres. Il en est qu’il suffit de laisser au verd pendant quinze jours, d’autres ont besoin d’y être pendant un mois, d’autres deux, quelques-uns jusqu’à trois : cela dépend de l’âge, de la constitution, et sur-tout de l’état de l’animal, lorsqu’on le met à ce régime. Il est des chevaux sur lesquels le verd ne paroît produire aucun ou presqu’aucun effet pendant le premier mois, et qui le second en retirent les plus grands avantages.

Quelques personnes laissent leurs chevaux au verd tant qu’elles s’aperçoivent qu’il leur fait du bien. Cette méthode très-bonne au premier aspect, peut n’être pas sans inconvénient relativement à des animaux destinés à être soumis à un autre régime, dont il serait dangereux de les désaccoutumer entièrement. D’autres retirent leurs animaux du verd lorsqu’il commence à durcir, ou bien ils leur procurent une herbe plus tendre, ce qui produit sur eux une nouvelle révolution qui est nuisible dès qu’elle n’est pas nécessaire : c’est entendre bien mal les intérêts des animaux : il me paroît au contraire de la plus grande importance de leur donner toujours la même herbe : leur estomac s’habitue graduellement à une nourriture plus substancielle et moins digestive ; et l’herbe, à l’époque de sa maturité est peut être le lien le plus favorable entre le régime verd et le régime sec, dont la succession exige des ménagemens absolument inconnus, ou du moins généralement méconnus.

CHAPITRE IX.

Des précautions qu’exige le passage du régime Verd au régime Sec et du repos au travail.

La nature réprouve les sauts, les transitions trop brusques : cet axiome qui est dans toutes les bouches, ne se retrouve presque jamais dans la pratique. Lorsqu’un cheval sort du verd on le remet tout d’un coup à son ancien régime et on le soumet au même exercice que s’il n’avoit pas été interrompu. Que résulte-t-il de cette conduite ? que bien souvent l’animal retombe dans le même état où il était avant d’être mis au verd : alors il est décidé par les écuyers, cavaliers, postillons, cochers, et charretiers, que le cheval n’est qu’une rosse, qu’il n’est bon que pour l’écarisseur, tandis qu’avec quelques attentions ou eût souvent trouvé dans cette rosse un animal brave et généreux.

Ces précautions consistent à commencer à donner au cheval des nourritures sèches avant même de le retirer du verd ; on choisit pour cet effet le foin le plus fin, le mieux récolté : du grain est très-propre à remplir cet objet. Lorsque le cheval est rentré à son régime ordinaire, on doit continuer à lui donner le foin le plus fin, et pendant quelque temps y joindre, si on le peut, une portion quelconque de fourrage verd qu’on diminue de jour en jour jusqu’à ce qu’enfin on la supprime entièrement.

Il importe sur-tout d’observer les mêmes nuances dans l’exercice ; un animal qui est resté dans l’inaction est incapable d’aucun service un peu long ou fatigant. Il faut les premiers jours sortir l’animal seulement pour le promener et le mettre un peu en haleine ; ces premières courses doivent être courtes, on les augmente graduellement : on peut ensuite l’atteler à une voiture vide ou à une voiture légèrement chargée, et à mesure qu’on lui voit reprendre des forces, on exige de lui un service plus pénible, jusqu’à ce qu’enfin on lui demande tout ce qu’on peut raisonnablement en obtenir.

Je ne me dissimule pas que ces attentions exigent quelques soins, que la plupart des employés au service des chevaux les trouveront minutieux, même impossibles, quoique dans le fait ils soient très simples ; mais quand ils donneraient quelque embarras de plus, les chevaux sont-ils donc des animaux si peu importons, qu’on doive regretter de faire pour leur conservation d’aussi légers sacrifices ? Gilbert.