Cours d’agriculture (Rozier)/GAZON, GAZONNER

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Hôtel Serpente (Tome cinquièmep. 255-257).


GAZON, GAZONNER. On appelle ainsi une portion de terre couverte d’herbe courte & menue, & on entend par gazonner le placage d’une légère couche de terre garnie d’herbe, sur un endroit qui en est dépourvu. La beauté du gazon consiste en la finesse de son herbe, & en ce que cette herbe ne s’élève jamais bien haut ; enfin, dans l’uni & le beau velouté vert qu’il doit présenter à l’œil.

On ne peut disconvenir que le gazon ne soit un des plus beaux ornemens d’un parterre, d’un parc, & de la campagne, sur-tout quand il borde & qu’il est à fleur d’une grande pièce d’eau, d’un bassin, d’un petit ruisseau, & on a raison de penser que dans ces lieux il y règne plus de fraîcheur qu’ailleurs, soit en raison du local, soit en raison de la grande transpiration des plantes qui augmente l’humidité de l’atmosphère, & dont l’évaporation augmente le frais. Qu’il est agréable de se coucher sur le gazon, auprès d’un petit ruisseau ! À quelle douce rêverie n’est-on pas entraîné comme malgré soi ! Si l’on promène en même temps la vue sur des groupes de fleurs placés sans art, & comme disposés par les mains de la nature, le charme augmente, & l’homme goûte des plaisirs purs, parce qu’il n’est occupé que de lui, & de l’agrément du site ; mais depuis que l’anglomanie ou la fureur des prétendus jardins chinois s’est emparée de toutes les têtes, les parterres ne sont plus que des prés, des gazons symétriquement dessinés, tirés au cordeau, entrecoupés d’allées, &c. Le mélange des fleurs & des gazons décoroit autrefois nos parterres, on en a banni le plus bel ornement, & on n’a conservé que l’accessoire ; on appelle cependant cette manie l’imitation de la nature. En ce cas, au lieu d’un parterre, ayez un pré sous vos fenêtres, sans allées à sable rouge, jaune, &tc. sans compartimens, & vous aurez la véritable imitation de la nature, puisque ce sera la nature même. Que ces parterres (s’ils méritent ce nom) uniquement en verdure, sont froids, monotones ! combien peu ils disent à la vue & à l’ame ! Animons ce qui nous environne, & laissons aux endroits un peu éloignés de notre demeure, quoique soignés, la beauté & la simplicité de la nature.

La riante & magnifique verdure tient au climat ; tous les efforts de l’art ne donneront jamais dans les provinces méridionales des gazons, par exemple, comme à Lyon. La fraîcheur de ceux de Paris sera aussi supérieure à ceux-ci que la fraîcheur de ceux des environs de Londres & d’Amsterdam, le sera à ceux de Paris. Cela tient uniquement au climat, & non à la qualité des plantes, puisqu’elles sont les mêmes à Londres & à Marseille, mais différemment modifiées. On m’a envoyé de la graine des gazons si vantés de l’Angleterre ; je l’ai semée avec le plus grand soin, & les plantes qui en sont provenues sont dures & fortes, & d’un vert noirâtre comme celles du pays où j’écris.

Après avoir bien travaillé la terre, on peut semer en octobre ou après l’hiver, je préfère le premier, parce que les plantes sont plus formées au printemps, & craignent moins la sécheresse. Il faut choisir la graine dans les prés bas, parce que l’herbe y est plus fine, & la semer très-épaisse ; si on sème clair, chaque plante tallera, & donnera une herbe grossière. Plus une plante est rapprochée de sa voisine & plus l’herbe est fine, parce qu’elle est plus pressée & trouve moins de nourriture. Aussitôt après avoir semé, enterrez la graine, nivelez le terrain, & arrosez copieusement avec des arrosoirs garnis de leurs grilles à petits trous.

On voit lorsque l’herbe est sortie de terre les endroits trop clairs, on y sème de nouveau, ou bien on attend au mois de septembre ou d’octobre de l’année suivante. Le point le plus essentiel est de ne laisser végéter aucune plante étrangère, & de l’arracher dès qu’elle paroît ; tous les huit jours cette revue doit être faite, & l’herbe également fauchée tout les huit ou quinze jours. Plus elle est coupée souvent, & plus elle s’épaissit. Il faut souvent arroser ces gazons, ou par le moyen des pompes, ou avec des arrosoirs. On a imaginé des rouleaux en pierre ou en en fer, que l’on passe & repasse sur les gazons, afin d’aplanir le sol, d’affaisser l’herbe, & d’empêcher qu’un brin ne passe pas l’autre, & on appelle cela imiter la nature ; quelle imitation !

Il y a une seconde manière de gazonner ; elle consiste à appliquer sur un endroit des gazons tout formés, pris dans un autre. On choisit à cet effet les pelouses rendues les plus rases, par le passage fréquent des troupeaux. On les coupe en morceaux égaux, d’un pied & demi de longueur sur un pied de largeur, & de trois pouces d’épaisseur, & on les enlève avec la bêche (Voyez ce mot). On plaque ces morceaux contre les talus, les rampes, les glacis, dans les boulingrins, les allées, &c. & des hommes armés de battes, les plaquent & les collent à coups redoublés contre le sol, de manière que le placage s’identifie avec le sol : l’opération finie, on les arrose, le tout largement, & on n’épargne pas l’eau dans la suite, relativement aux besoins de la plante.