Cours d’agriculture (Rozier)/HYPOCONDRIAQUE

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Hôtel Serpente (Tome cinquièmep. 612-615).


HYPOCONDRIAQUE. (Affection). Médecine Rurale.

C’est ainsi qu’on appelle une maladie compliquée de mille accidens extraordinaires, qui attaque le genre nerveux, & qui a son siège dans la région du bas-ventre appelée hypocondre. Cette maladie est familière aux personnes qui mènent une vie molle, oisive & trop sédentaire, & qui, par état sont obligées de rester chez elles. Elle attaque aussi très communément celles qui ont longtemps vécu dans la débauche, & dont les forces sont entièrement ruinées. Les gens de lettres, ceux qui sont dans l’adversité, & qui sont tourmentés par des peines d’esprit, n’en sont point à l’abri.

L’affection hypocondriaque est aux hommes ce que l’affection hystérique est aux femmes ; les mêmes symptômes la caractérisent, ses paroxysmes ne diffèrent presque point des accès hystériques ; aussi beaucoup de personnes confondent ces deux maladies sous la dénomination de vapeurs. Quoi qu’il en soit, nous les traiterons chacune en particulier.

L’affection hypocondriaque se manifeste par une infinité de maux si compliqués entr’eux, qu’il est impossible de les appercevoir d’une manière évidente, mais que les malades font connoître par les rapports les plus minutieux ; ils exagèrent toujours en paroles les incommodités que d’autres mépriseroient ; ils sont toujours à faire des remèdes pour les combattre. Ils querellent tantôt leurs médecins, & tantôt ils les fatiguent par des demandes & des répétitions ennuyeuses. Ils sont fort chagrins sur l’événement & la terminaison de leur maladie ; nulle autre chose ne les occupe, & ils s’embarrassent peu de tout le reste.

Outre les vents dont ils sont tourmentés, ils éprouvent de grandes douleurs dans l’estomac & de fréquentes cardialgies. Ils ont les hypocondres fort tendus & gonflés ; ils ressentent dans les entrailles un sentiment de douleur très-aiguë ; leur appétit est vicié, ils ont du goût pour des alimens de mauvaise qualité & qu’ils digèrent très-mal ; c’est aussi ce qui leur occasionne de fréquens rapports, des borborygmes, des nausées, le vomissement des matières acides, âcres, bilieuses & atrabilaires ; ils vont difficilement à la selle ; leur sommeil est interrompu ; c’est ce qui les fait tomber dans un état de maigreur, de sécheresse & de marasme, & qui donne à leur peau une certaine crasse, une malpropreté dégoûtante, & à leur visage, une couleur brune.

Les urines qu’ils rendent sont blanchâtres, quelquefois fort claires & abondantes, & très-souvent noires ; la timidité, la crainte & la peur sont inséparables de leur état ; la tristesse, une mélancolie affreuse, & beaucoup de frayeur troublent presque sans cesse leur imagination ; les symptômes qui se manifestent dans le paroxysme, sont des spasmes dans tout le corps, & sur-tout à la gorge ; la déglutition est interrompue ; les convulsions surviennent ; le tremblement, l’engourdissement de toutes les parties, le hoquet s’y joint, les larmes coulent, elles sont toujours l’annonce de la fin du paroxysme.

Cette maladie peut être l’effet d’une grande application à une étude sérieuse & très-réfléchie. Les chagrins, les peines d’esprit peuvent la déterminer ; elle peut être occasionnée par la suppression des règles & du flux hémorroïdal, par l’excès des plaisirs amoureux, par la trop grande sensibilité & l’irritabilité des nerfs, par la suppression de quelque éruption cutanée, par la rétrocession des pustules, & par l’obstruction du foie & des viscères du bas-ventre.

Les grandes hémorragies, les pertes excessives, l’abus des liqueurs spiritueuses, l’usage des alimens grossiers, venteux & de difficile digestion, peuvent déterminer l’affection hypocondriaque, de même que des purgatifs forts & des narcotiques. Elle vient souvent de la suppression subite d’un flux de ventre salutaire, du mauvais traitement de quelque logorrhée ou de quelque fièvre intermittente. Les secours moraux doivent faire la base du traitement destiné à combattre avec quelque succès cette maladie, parce que l’imagination des malades est toujours très-affectée ; mais comme ils ne sont point suffisans, il faut se tourner d’un autre côté & avoir pour objet 1°. d’entretenir le ventre libre ; 2°. de combiner les toniques avec les résolutifs ; 3°. de combattre les symptômes accidentels qui surviennent dans cette maladie.

Nous ne parlerons point de celle qui est produite par un état nerveux général ou particulier aux organes digestifs, mais de celle qui reconnoît pour cause l’embarras qui dépend d’une circulation lente dans les rameaux de la veine-porte ventrale ; ce qui produit les obstructions des viscères du bas-ventre, soit que ces obstructions soient sensibles, soit quelles ne le soient pas. La tension ne vient point toujours de l’obstruction de la rate, elle est due quelquefois au spasme des muscles du bas-ventre.

La nature détermine divers flux spontanés pour la solution de cette maladie. Le flux hémorroïdal est le plus ordinaire, mais pour qu’il soit critique, il faut qu’il ait des retours réguliers. Les déjections atrabilaires sont aussi critiques, parce qu’elles sont causées par la dégénération de la rate ; mais elles ne soulagent que pour un temps. Les cours de ventre ordinaires ne sont pas d’un grand secours, s’ils ne sont constans, & de matière atrabilaire. Il survient quelquefois des sueurs, cependant rares, & qui terminent cette maladie.

1°. Pour combattre les embarras des viscères du bas-ventre qui forment des concrétions polypeuses, il faut donner des lavemens, appliquer des émolliens, & passer ensuite à d’autres plus résolutifs qu’il faut faire garder long-temps au malade ; on en pourra retirer quelque avantage, en les composant avec le son, le suc de chicorée & de camomille. Baglivi a guéri des affections hypocondriaques par un long usage de l’eau de rhubarbe ; mais comme elle est astringente, elle peut faire beaucoup de mal, en empêchant la sortie des vents qui rendent cette maladie incurable, comme l’a fort bien observé Sauvages. Les purgatifs doux, tels que la manne, la casse, produisent des vents, & sont contraires. Les purgatifs forts auroient de grands inconvéniens ; mais en général ils sont moins contre-indiqués que les émétiques dont l’effet est suivi d’étranglement & de spasme. Cependant Picarn préféroit l’émétique & croyoit que ce remède enlevoit le foyer de la maladie ; mais auparavant il préparoit le malade par la décoction d’orge, le lait & autres adoucissans.

2°. Il faut combiner les résolutifs avec les toniques. On combine avec beaucoup de succès les savonneux, le suc des plantes chicoracées avec l’extrait de fumeterre & autres amers. Ces derniers, pris en extrait, agissent beaucoup mieux que sous tout autre forme. Les eaux minérales ferrugineuses conviennent très-bien dans cette maladie, mais il faut les prendre pendant long-temps ; on connoît les bons effets qu’elles procurent, aux excrétions noirâtres qu’elles excitent ; il est encore très-à-propos que l’on fasse prendre des bains, en même temps que l’on boit ces eaux, à moins que les viscères du bas-ventre n’aient déjà souffert quelque altération dans leur substance.

3°. Quant aux symptômes accidentels qui peuvent compliquer l’affection hypocondriaque, & la rendre plus difficile à être guérie, il faut donner des cordiaux spiritueux, tels que l’alcali volatil fluor, dans les attaques violentes qui causent la stupeur & l’engourdissement ; & si ces symptômes tiennent de l’état spasmodique, on aura recours aux antispasmodiques, comme le castoreum, le succin & la rue, qui y sont très-appropriés. Les bains froids & les acides végétaux soulagent beaucoup les malades, sur-tout en été ; mais quand le spasme est porté au plus haut point, & qu’il y a lésion des viscères, il faut alors se borner à la cure palliative.

Les hypocondriaques doivent tenir un régime de vie analogue à leur situation. Ils éviteront avec soin les trop grandes abstinences ; ils mangeront souvent dans la journée ; ils s’abstiendront de tout aliment grossier, venteux & de difficile digestion. La viande leur convient très-bien ; l’eau qui sert à leur boisson sera mêlée avec une certaine quantité de bon vin rouge ; s’ils ne peuvent supporter ou s’ils n’aiment pas le vin, ils boiront de l’eau avec un peu d’eau-de-vie. Ils doivent être gais & contens, & pour cela il est important de les distraire agréablement ; on ne sauroit assez leur recommander l’exercice & la promenade à la campagne. La promenade à cheval est un moyen trop salutaire pour le négliger ; mais on aura l’attention de n’aller pas toujours au même endroit : on le variera tous les jours, les différens objets qu’on apperçoit nous distraient toujours plus & nous affectent aussi d’une manière plus agréable. Outre les avantages, l’exercice à cheval, ou en voiture, par les secousses qu’il imprime à la machine, change la manière d’être du principe vital, & donne une égale distribution des forces.

La musique peut être un remède très-salutaire à certains hypocondriaques, en variant les airs, & en procurant un plaisir délicieux, à ceux qui l’aiment par goût. Ce secours n’est pas à négliger, il a réussi très-souvent. Un moyen dont l’empire sur nos sens est si étendu, qui produit sur l’ame un effet aussi marqué, qui la remue de tant de manières différentes, n’est-il pas un puissant remède dans les affections nerveuses, puisque l’on trouve dans les nerfs la source de toutes nos passions, & que leur dérangement est la cause morale de la maladie dont nous venons de parler ? M. AMI.