Cours d’agriculture (Rozier)/IRRITABILITÉ

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Hôtel Serpente (Tome cinquièmep. 703-709).


IRRITABILITÉ, Physiologie végétale. Pour bien entendre tout ce que nous allons dire sur l’irritabilité végétale, consultez auparavant les notions que nous avons données de la fibre végétale, (voyez ce mot), & des différentes propriétés que l’on lui reconnoît facilement ; elles mettront sur la voie pour entendre ce qui va suivre sur l’irritabilité de quelques parties des plantes.

L’irritabilité animale, telle que les physiologistes & sur-tout le célèbre Haller l’a définie, est une propriété de la fibre musculaire animale, par laquelle elle est mise en jeu ; elle se contracte, elle se raccourcit à l’approche d’un corps étranger stimulant. Ainsi, le cœur, le diaphragme, le canal intestinal, l’estomac, en un mot, tous les muscles sont en convulsion, lorsqu’on les irrite en les piquant, les égratignait, ou qu’on les excite par le fer, la chaleur, l’air ou quelques liqueurs acides.

Avant que d’entrer dans de plus longues discussions, il faut observer que l’on doit bien distinguer l’irritabilité de l’élasticité, de la force morte & de la sensibilité. Par l’élasticité, une partie mise en action, comprimée ou dilatée, réagit & se rétablit dans son premier état ; mais la force qui agissoit avec elle, cessant d’avoir lieu, le jeu de l’élasticité cesse de son côté. Par l’irritabilité, au contraire, la partie continue d’être en convulsion long-temps après que le stimulant a cessé d’agir. L’élasticité est une propriété qui appartient aussi bien aux corps morts & inanimés, qu’aux corps vivans ; l’irritabilité cesse avec la vie ; elle ne dure que peu de temps après la mort ; dans les animaux à sang chaud, elle existe à peu près autant que la chaleur ; dans les animaux à sang froid, elle est un peu plus durable, mais le dessèchement la détruit. Nous verrons plus bas qu’elle n’a pas même autant de durée dans le règne végétal, tandis que l’élasticité paroît avoir, pour ainsi dire, plus d’énergie après la mort de la plante.

L’irritabilité diffère de la force morte, en ce que cette dernière propriété est commune à toutes les fibres du corps animal, comme membranes, vaisseaux, tissu cellulaire ; que la première n’appartient qu’à la fibre musculaire ; que la force morte ne consiste que dans la tendance continuelle de la partie au plus grand raccourcissement possible, à résister à l’extension, & à rétablir la fibre dans sa brièveté naturelle, quand elle a été forcée à se laisser tendre ; effet qui a lieu, après la vie, puisqu’elle subsiste dans la fibre du cadavre, comme dans la corde à boyau, une membrane desséchée, une peau. Si vous la piquez ou la coupez, la blessure s’élargit d’elle-même par le rétrécissement du tissu fibreux qui l’environne. Rien de pareil dans la fibre musculaire irritée ; elle éprouve des accès de contraction & de relâchement alternatif, mais point de rétrécissement constant & permanent.

La sensibilité est une affection de l’ame à l’occasion d’un changement arrivé dans le corps. Ainsi, la différence entre l’irritabilité & la sensibilité est frappante. Bien plus, l’une & l’autre peuvent exister ensemble, & dans la même partie, sans que cependant, l’une puisse être confondue avec l’autre. Une partie qui contient des nerfs & des muscles, sera irritable par les muscles, & sensible par les nerfs. Le nerf est sensible par sa force nerveuse, mais il n’est pas irritable. Piquez un nerf, irritez-le, il n’éprouvera point le jeu de l’irritabilité, mais le muscle auquel il se distribue entrera sur le champ en convulsion. Au contraire, irritez les fibres charnues d’un muscle, il n’y aura point de contraction dans le tronc du nerf. La sensibilité n’est pas proportionnée à l’irritabilité dans les parties qui réunissent l’un & l’autre. L’estomac est extrêmement sensible, les intestins le sont moins, & cependant ils sont plus irritables que l’estomac.

L’irritabilité survit à la sensibilité. L’animal mort, plus de partie sensible, & le cœur & les muscles sont encore irritables. On pourroit pousser encore plus loin ce parallèle de l’irritabilité & de la sensibilité, mais il deviendroit inutile dans cet Ouvrage, où nous voulons examiner si le règne végétal jouit réellement de cette faculté singulière.

Les agens qui mettent en jeu les fibres irritables, sont, d’après l’observation de différens physiologistes, qui se sont occupés de cette partie, les corps aigus & tranchans, une chaleur vive, le feu, les liqueurs acides, mais sur-tout l’air, principalement pour les vaisseaux irritables.

D’après cet apperçu sur l’irritabilité animale, cherchons quelles sont les parties de la plante qui jouissent de la même faculté.

On ne peut nier qu’on n’aperçoive dans les plantes certains mouvemens spontanés ou produits par la présence d’un autre corps. Le mouvement insensible, & toujours existant, qui produit la circulation des différens fluides qui animent la plante, le retournement & la nutation des tiges & des feuilles, l’explosion des anthères & le jet de la poussière séminale, le bâillement du stigmate du pistil à l’instant où la poussière séminale le touche, l’action par laquelle certaines fleurs s’ouvrent le jour & se referment la nuit, l’épanouissement des autres, l’explosion de quelques péricarpes, &c. &c., peut-être tous ces mouvemens spontanés ne sont-ils l’effet que de l’irritabilité ; mais il en est d’autres que l’on ne peut se refuser de reconnoître pour tels, & qu’il faut bien distinguer des effets de l’élasticité, & de la force morte sur-tout.

La fibre végétale est douée de flexibilité, d’élasticité, de la force morte que l’on nomme rétraction, & de la distractilité par laquelle elle peut s’alonger jusqu’à un certain point, en faisant, néanmoins, un effort continuel pour retenir toutes ses parties, & empêcher leur séparation. Elle partage donc avec la fibre animale toutes ses propriétés, pourquoi seroit-elle privée de la principale, de l’essentielle, de celle qui tient le plus à la vie ? La fibre musculaire est composée d’élémens terrestres & d’une mucosité gélatineuse ; tous les physiologistes conviennent que c’est dans cette dernière partie que réside l’irritabilité. La fibre végétale offre à peu près le même composé, & l’art vient à bout d’extraire des plantes la partie gélatineuse. Pourquoi ne seroit elle pas irritable ? Il peut se faire que le degré d’irritabilité propre à chaque plante dépende de la quantité, de la nature de la partie gélatineuse & de sa proportion avec la terre ; & comme cette proportion peut, & varie nécessairement, non-seulement dans les différentes espèces de plantes, mais encore dans les diverses parties de la même, il n’est pas étonnant que l’irritabilité soit plus ou moins sensible dans les individus qui composent le règne végétal.

Pouffons plus loin l’analogie. On seroit porté à croire que l’irritabilité #e pourroit se retrouver dans le règne végétal, parce qu’on n’y retrouve point de nerf ; mais cette objection est plus spécieuse que solide ; 1°. parce que, comme nous l’avons vu plus haut, le nerf n’est point irritable, il ne sert qu’à occasionner l’irritabilité au muscle qu’il veut faire mouvoir ; 2°. c’est que les parties irritables le sont tellement, indépendamment des nerfs, qu’après la mort elles en conservent quelque temps le jeu, quoique séparées de tout nerf ; 3°. c’est qu’il y a des milliers d’animaux sans tête, sans moelle de l’épine, sans nerf, & qui cependant sont très-irritables. Ne citons que le polype, il est si irritable, que la lumière l’affecte très-sensiblement, quoiqu’il n’ait pas d’yeux.

Après avoir démontré que la fibre végétale pouvoit être irritable comme la fibre musculaire, essayons d’élever cette probabilité à la démonstration, & cherchons des faits : nous trouverons plusieurs parties dans la plante qui sont irritables, & nous les trouverons sur-tout dans les parties délicates & essentielles à l’économie végétale, dans les trachées & les parties sexuelles. Le savant M. Bonnet va être ici notre guide, & ses idées sur les trachées nous paraissent si justes, que nous resalions rapporter.

« De tous les vaisseaux des plantes, dit-il, les trachées sont ceux qui semblent les plus propres au mouvement. La lame spirale & écailleuse dont elles sont formées, est douée d’une élasticité qui suppose une action à exercer. Ces trachées si universellement répandues dans le corps de la plante, imitent parfaitement celles des insectes. Ces dernières sont pourvues de membranes ; les trachées des plantes pourroient donc aussi être pourvues de membranes, & ces membranes pourroient être des muscles où résidèrent une irritabilité assortie à la nature du végétal. Ce seroit donc les trachées répandues dans les parties sexuelles qui y opéreroient ces jeux variés qu’on y admire… Il faudroit observer au microscope les trachées des plantes dans d’autres parties que les fleurs, dans les jeunes pousses des arbres, par exemple, & tenter sur ces parties, en différens temps, des expériences semblables à celles qu’on a exécutées sur les parties sexuelles. Suivant la conjecture que je hasarde, les trachées ne seroient donc pas seulement les poumons de la plante, elles en seroient encore les muscles, & ces muscles influeroient sur les mouvemens des tiges & des feuilles, comme sur ceux des parties sexuelles. Je n’affirmerois pas, néanmoins, que les trachées soient les seules parties irritables de la plante ; car l’irritabilité pourroit résider encore dans d’autres vaisseaux ».

Les parties sexuelles des plantes paroissent être celles où on a reconnu l’irritabilité au plus haut point. Les deux observateurs qui ont poussé le plus loin les recherches dans ce genre, sont M. Gmelin, à Saint-Pétersbourg, & M. Corolo, en Italie. Le premier fit des expériences sur les étamines d’un grand nombre de plantes, & dans presque toutes, il trouva des signes plus ou moins certains d’irritabilité. Les étamines des orchis lui offrirent le premier exemple. Ces étamines fraîches encore & brisées dans un lieu chaud, lui parurent se contracter & se relâcher alternativement, & éprouver ensuite une espèce de trémoussement. D’autres exemples, plus frappans encore, lui ont été offerts par ces fleurs que les botanistes nomment composées, telles que celles du chardon, de la jacée, de la centaurée, &c. L’étamine touchée avec la pointe d’une aiguille se contractoit en dessous. Les filets auparavant presque droits, se courboient de manière à imiter un muscle qui entre en contraction ; le stile, jusqu’alors emprisonné, s’élançait au dehors, par la contraction de l’anthère, & se chargeoit, en passant, de la poussière fécondante. Les filets laissés à eux-mêmes s’étendoient de nouveau en ligne droite, puis se contractoient encore pour se relâcher ensuite ; enfin, l’on voyoit succéder quelques oscillations.

Des différentes observations faites fur plusieurs plantes, M. Gmelin tire deux remarques importantes ; la première, que l’irritabilité se manifeste sur-tout dans les fleurs prêtes à s’épanouir, ou épanouies depuis peu, & qu’elle décroît graduellement à mesure que la fleur perd de sa fraîcheur ; la deuxième, qu’on n’apperçoit des signes d’irritabilité, que lorsqu’on applique immédiatement le stimulant à la partie dont on veut éprouver la sorte de sensibilité.

Voici encore quelques résultats principaux que ce savant naturaliste a tiré de ses nombreuses expériences.

1°. L’irritabilité végétale, comme l’irritabilité animale, ne se manifeste que dans les parties molles ; elle diminue peu à peu, à mesure que ces parties perdent leur souplesse ; elle disparoît enfin, quand elles ont achevé de se dessécher.

2°. L’irritabilité végétale est excitée par un stimulant, comme l’irritatabiiité animale.

3°, À la contraction des fibres succède un relâchement sensible, & les alternatives de contraction & de relâchement sont proportionnelles au degré de l’irritabilité, & l’action du stimulant.

4°. Lorsque le jeu a cessé dans les parties véritables, on peut l’y faire renaître par un nouveau stimulant.

5°. Un temps chaud & un peu sec favorise toujours, plus ou moins l’action du stimulant.

6°. Ce ne sont pas seulement des parties entières qui donnent des signes d’irritabilité ; elles en donnent encore après qu’on les a mutilées ou coupées par morceaux.

7°. L’irritabilité végétale a moins d’énergie que l’irritabilité animale, & elle a aussi moins d’étendue, on ne l’aperçoit guère que dans les parties sexuelles, & on ne la retrouve pas dans celles de toutes les plantes.

M. Corolo, ingénieux observateur d’Italie, a fait, sur l’irritabilité des plantes, bien des expériences curieuses qui confirment celles de l’académicien de Pétersbourg. Il a vu, comme lui, les jeux variés des étamines de la centaurée, & il s’est convaincu, par plusieurs procédés, que l’irritabilité de ces parties sexuelles est absolument indépendante des autres parties de la fleur. Il s’est assuré encore que chaque étamine a son irritabilité propre, indépendante de celle de ses voisines. Après avoir observé la force contractile se déployer à la fois dans toutes les étamines, par un léger mouvement imprimé à la fleur, il l’a vu se déployer séparément dans chaque étamine, lorsqu’il venoit à les toucher. Coupées transversalement, & touchées un moment après, les étamines lui ont paru se mouvoir à la manière des bras du polype ; enfin, il a vu une étamine entièrement séparée de la fleur, se contourner en différens sens comme un petit ver dès qu’il venoit à la piquer ; & ce qui est bien plus remarquable, il a vu ces mouvemens s’exécuter dans des fragmens d’étamine, comme dans l’étamine entière.

Le même savant a observé les mêmes faits essentiels dans les parties mâles de quantité d’autres espèces de plantes. L’illustre botaniste de Saint-Pétersbourg, Kolreuter, a aussi remarqué que les parties femelles se contractent avec plus ou moins de promptitude, suivant que le stigmate est arrosé par la poussière fécondante.

« Il semble donc, ajoute M. Bonnet, après tous ces faits, que nous avons extraits de lui, que les parties sexuelles de beaucoup de végétaux possèdent une sorte d’irritabilité fort semblable à celle qu’on observe dans l’animal, & qui se manifeste par les mêmes signes ou par des signes analogues. Dès qu’on l’a reconnue dans les fleurs d’un si grand nombre de plantes, il devient assez probable qu’elle réside de même dans celles où l’on n’a pu encore la découvrir, apparemment parce qu’elle y réside dans un degré trop inférieur. On ne verroit pas au moins pourquoi certaines plantes seroient douées d’irritabilité, tandis que d’autres en seroient entièrement privées ; car nous observons que tous les animaux, depuis l’homme jusqu’à l’insecte, en sont doués ».

Après avoir reconnu les parties principales des plantes susceptibles d’irritabilité, peut-on soupçonner les causes agissantes de cet effet, & leur produit dans l’acte de la végétation ? Ici l’analogie va être encore notre guide, & suppléera, du moins en partie, aux expériences complètes que nous avons commencées, & qu’il nous a été impossible de déterminer.

On a vu que, dans le règne animal, l’air & la chaleur sont deux stimulans très-actifs de l’irritabilité : ils le sont aussi dans le règne végétal. L’air agit sur la fibre irritable, & comme air atmosphérique, & comme acide aérien : dans la plante, on peut soupçonner le même mécanisme, lorsqu’elle aspire l’air extérieur, pour l’élaborer, & s’en approprier la partie nourrissante. (Voy. le mot Air). Cet élément circule dans son intérieur, enfile ses différens canaux, & sur-tout les trachées, & s’y décompose comme air atmosphérique, & comme air fixe ou acide aérien. Il agit directement sur les fibres des trachées ; L’irritation qu’il y produit, les fait entrer en contraction & dilatation successives ; mouvement si facilement entretenu par la forme même spirale que ces vaisseaux ont toujours. Il est probable que ce mouvement se fait dans tous les sens, non-seulement dans l’allongement & le rétrécissement de la hauteur de la spirale, mais encore du diamètre intérieur de ce vaisseau. Cette fluctuation, si l’on peut s’exprimer ainsi, perpétuelle, & durant autant que la plante, est entretenue par la circulation de l’air introduit comme nourriture, ou chassé comme excrément. Elle est même plus, vive dans ce dernier cas, parce qu’alors l’acide aérien, dégagé de L’air atmosphérique par l’acte même de la végétation, a une énergie infiniment plus puissante. Nous verrons au mot Sève, l’effet de cette action vitale : & qui oseroit assurer qu’elle n’est pas le principe du mouvement, & par conséquent de la vie de la plante ?

La lumière a une influence directe sur les plantes & elle les force, pour ainsi dire, à un mouvement duquel elles semblent ne pouvoir s’abstenir. (Voyez le mot Lumière Mais comment expliquer cet effet ? Est-ce le résultat de la chaleur que la lumière peut produire ? Est-ce un acte simple & immédiat de ce fluide considéré en lui-même ? Oui, & nous pouvons l’assurer que l’influence de la lumière sur la plante a pour effet une irritation actuelle, & l’augmentation de l’irritabilité. Il est vrai que nous n’avons pas encore assez d’expérience pour le démontrer positivement ; le mouvement vital de toute la plante étant le résultat des mouvemens partiaux de chaque portion, dès qu’un sera affoibli ou cessera, il doit s’ensuivre non-seulement un changement, mais encore une maladie, & à la longue la destruction. L’étiolement, ce phénomène végétal, si singulier, est du à l’absence de la lumière. (Voyez Étiolement & Lumière). Qu’est-ce autre chose qu’une altération dans le mouvement qui produit la transpiration, comme nous l’avons insinué au mot Étiolement, & comme nous le démontrerons pleinement au mot Transpiration ? Ce mouvement se ralentit, parce que la lumière n’irrite point les organes propres à la transpiration ; ces fibres alors tombent nécessairement dans l’état d’inaction & de foiblesse. La lumière agit encore sur les plantes comme acide, & l’on sçait que les acides sont de puissans stimulans de l’irritabilité. M. M.