Cours d’agriculture (Rozier)/LAVEMENT, ou CLYSTERE, ou REMEDE

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Hôtel Serpente (Tome sixièmep. 234-237).

LAVEMENT, ou CLYSTERE, ou REMEDE. Substance fluide qu’on injecte dans les intestins par le fondement, au moyen d’une seringue.

Les lavemens sont simples ou composés, & leur dose doit être proportionnée à l’âge du sujet auquel on les donne.

La dose ordinaire pour l’homme est d’une demi-bouteille de pinte, mesure de Paris, d’un quart ou d’un tiers de cette mesure pour un enfant, d’une pinte & demi ou deux pintes pour un bœuf & pour un cheval.

On compose ces remèdes suivant l’indication de la maladie, soit afin de tenir simplement le ventre libre, soit pour redonner du ton aux intestins, soit pour calmer leur trop grande rigidité, causée par l’inflammation intérieure, &c. Si on donne le lavement trop chaud, le malade le rend presqu’aussi-tôt ; simplement tiède, il séjourne trop long-temps dans les intestins, & devient quelquefois nuisible. On connoît le degré de chaleur convenable, lorsqu’on applique la seringue contre la joue, & qu’on en peut supporter la chaleur. On fait en général trop peu d’usage de ce médicament : dans nombre de cas il peut suppléer tous les autres, & souvent il est unique dans son espèce.

Souvent l’idée ridicule de vouloir passer pour un savant compositeur de remèdes, a fait multiplier les drogues qui entrent dans la préparation de ce remède ; les plus simples & les moins composés sont toujours les plus efficaces, & l’on juge beaucoup mieux de leur manière d’agir.

Avant de donner un lavement aux bœufs & aux chevaux, il faut que le valet d’écurie frotte sa main & son bras avec de l’huile ; qu’il insinue sa main dans le fondement de l’animal, qu’il en retire les excrémens qui y sont endurcis ; qu’il recommence cette opération en enfonçant le bras aussi avant qu’il le pourra. Sans cette précaution préliminaire & indispensable, le remède ne produira aucun effet. Dès que l’animal aura reçu le lavement, on le fera trotter afin qu’il le garde plus longtemps ; autrement il le rendroit tout de suite. Si l’animal est trop malade pour courrir, on donnera deux lavemens de suite ; le second dès que le premier sera rendu, & même un troisième s’il ne garde pas assez longtemps le second.

Comme souvent dans les campagnes il n’est pas facile de se procurer une seringue proportionnée au volume de l’animal, voici le moyen d’en fabriquer une promptement & à peu de frais. Prenez un morceau de roseau des jardins. (Voyez ce mot) ou un morceau de sureau dont vous ôterez la moelle, long de six à huit pouces ; adaptez à une de ses extrémités une vessie, & fixez-la par plusieurs tours de corde. Elle formera une vaste poche dans le bas du tuyau. À l’extrémité supérieure du sureau, placez tout autour de la filasse ou du chanvre peigné, ou du coton, ou bien encore un morceau d’étoffe que vous assujettirez avec du fil, afin de former dans cet endroit une espèce de bourrelet qui empêchera que l’intestin ne soit blessé par l’introduction & le frottement du bois qui sert de canule. Le tout ainsi préparé, vuidez par le haut du tuyau a matière du lavement qui se précipitera dans la vessie ; introduisez cette espèce de canulle dans le fondement de l’animal ; de la main gauche soutenez la vessie, & de la droite, pressez fortement de bas en haut cette vessie. La pression forcera l’eau à pénétrer dans l’intestin de l’animal.

Le même instrument peut au besoin servir pour l’homme ; il suffit de diminuer la longueur & la grosseur de la canule. On peut encore mettre la dose convenable du lavement dans la vessie, & l’assujettir ensuite contre le sureau.


Lavemens raffraîchissans & antiputrides.


Le lavement le plus commun est celui qui est fait avec l’eau simple. Il suffit dans les constipations & les inflammations légères. On peut suppléer à l’eau simple par la décoction de mauve ou de pariétaire, ou de mercuriale, &c. Si la saison empêche de cueillir ces plantes, ou si on ne les connoît pas, on fera dissoudre dans l’eau un peu de gomme arabique ou de cerisier, d’abricotier, de pêcher, &c. ; ou on fera bouillir de la graine de lin. C’est en raison de leur mucilages que ces substances agissent & rendent l’expulsion des excrémens plus facile. L’eau relâche l’intestin, & le mucilage le tapisse. Prenez une once de graine de lin, ou demi-once de gomme, ou une poignée des plantes indiquées, faites les dissoudre dans l’eau chaude, ou faites-en une décoction, & vous aurez un lavement adoucissant.

Si on désire qu’il calme davantage l’irritation des intestins, il suffit d’ajouter un peu de vinaigre, jusqu’à ce que l’eau acquiert une agréable acidité. On ne peut trop recommander ce remède, soit pour les hommes, soit pour les animaux, dans toutes les maladies putrides & inflammatoires, & il peut suppléer tous les autres de ce genre. L’eau de poulet en lavement est très-rafraîchissante ainsi que l’eau de son.

Bien des gens regardent l’huile d’amande douce comme très-adoucissante ; elle ne l’est pas plus que celle d’olive nouvelle. C’est en raison de leur mucilage que l’une & l’autre agissent, & elles le déposent en viellissant. Cette perte du mucilage est la première cause de leur rancidité, & en été l’huile d’amandes est rance souvent après quinze jours. Toute huile dont la saveur est déjà forte, est âcre & irritante. Ainsi, cette substance devient, dans cet état, âcre, irritante, & produit un effet tout opposé à celui que l’on attendoit, & la prudence exige que l’on s’assure de la qualité de l’huile avant de l’employer.

Les lavemens, même simplement composés d’eau, produisent de très-bons effets, dans les ardeurs & les rétentions d’urine ; leur action est encore plus marquée si on y ajoute un peu de vinaigre. On le répéte, le vinaigre seul & uni à l’eau d’une décoction mucilagineuse, est de tous les remèdes de ce genre, celui que l’on doit préférer, soit pour rafraîchir, soit pour s’opposer aux effets de la putridité & de l’inflammation.

Les maladies épizootiques qui se manifestent pendant l’été, sont toutes putrides ou inflammatoires, & souvent l’une est effet de l’autre. Dans ces cas, donnez ces lavemens au nombre de cinq ou six par jour ; continuez & ne diminuez ensuite leur nombre qu’en raison de la diminution des symptômes de la maladie ; mais n’employez jamais les huileux, mettez à leur place les décoctions des plantes mucilagineuses ou les substances gommeuses. Dans plusieurs épizooties j’ai souvent dû, presque aux seuls lavemens, la guérison des animaux. On peut ajouter le miel en décoction, & supprimer les plantes mucilagineuses… Les graines de concombres, de courges, démêlons, les amandes pilées ; en un mot, leur émulsion servent aux lavemens rafraîchissans & anti-putrides. Mais, pourquoi recourir à toutes ces préparations longues, lorsque l’eau, le vinaigre & le miel suffisent ? C’est qu’on croit augmenter l’efficacité du remède par la multiplication & la préparation des drogues.

Une des plus heureuses découvertes de ce siècle, est sans contredit celle des différentes espèces d’air. (Voyez ce mot) Ici la physique est venue au secours de la médecine, & lui a fourni un des plus grands remèdes contre la putridité. On donne aujourd’hui des lavemens d’air fixe, qui produisent les plus grands effets. Il est fâcheux que l’appareil pour obtenir cet air, ne soit pas à la portée des habitans de la campagne. Cet air s’unit très-bien avec l’eau simple, & cette eau, imprégnée d’air, donnée soit en boisson, soit en lavement, est le remède le plus efficace dans les maladies putrides, même inflammatoires. Le succès a surpassé mes espérances sur les hommes comme sur les animaux.


Des lavemens toniques.


Toutes les plantes odoriférantes, comme le thim, le romarin, le serpolet, la lavande, la camomille romaine, &c. peuvent servir à la décoction du lavement. Si on veut le rendre purgatif, on y ajoutera du sucre rosat, ou une décoction de séné, ou des sels neutres, ou même du sel de cuisine.

On appelle lavement carminatif, ou propre à expulser les vents, celui que l’on compose avec la décoction de camomille, de mélilot, de coriandre, d’anis, de baies de genièvres, &c., avec le miel commun. Ce lavement est tonique, & il fait rendre beaucoup de vents mais n’est-ce-pas en augmentant encore leur nombre ? J’ai toujours vu que des lavemens émoliens diminuoient beaucoup l’irritation des intestins, & que l’air y étant moins raréfié par la chaleur, les vents sortoient sans peine. Il est très-prudent de faire rarement usage des remèdes incendiaires. Il est des cas cependant où les lavemens actifs sont d’un grand secours. Par exemple, dans l’apoplexie d’humeur, alors prenez séné, coloquinte, de chacun une once ; ajoutez à la colature deux onces vin-émétique trouble. Comme il est possible qu’on n’ait pas sous la main, & dans une circonstance où les momens sont précieux, les substances dont on vient de parler, on peut les suppléer par une décoction de deux onces de tabac, soit en feuilles sèches, soit en corde, soit en poudre, & encore mieux par un lavement de fumée de tabac, dont il sera question à l’article Noyé.

Dans les fièvres, on donne des lavemens avec la décoction du quinquina.