Cours d’agriculture (Rozier)/MÛRE, MÛRIER

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Hôtel Serpente (Tome septièmep. 1-59).


MÛRE-MÛRIER. Arbre précieux ; originaire de la Chine, aujourd’hui naturalisé jusqu’en Hongrie & jusqu’en Prusse. La propagation de cet arbre, à des distances si éloignées de son pays primitif, ne prouve-t-elle pas ce que j’ai avancé au mot espèce, & combien il est possible de naturaliser les plantes de proche en proche, par la voie des semis. C’est ainsi que le tulipier & beaucoup d’autres arbres délicats sont parvenus, dans nos climats, à passer l’hiver en pleine terre, & à y végéter aujourd’hui avec beaucoup d’aisance. Cependant la vigne, que l’on croit originaire de Grèce, le noyer indigène à l’Europe, &c., n’ont pu supporter les hivers rigoureux, tels que celui de 1709 ; l’olivier y périt également, & il souffre beaucoup, lorsque dans nos provinces méridionales il survient un froid de cinq à six degrés pendant le mois de février. Le mûrier au contraire, s’est tellement acclimaté, qu’il brave les grands froids & même les rigoureux hivers du Brandebourg. On parviendra, suivant toute apparence, à le naturaliser en Russie ; les trois mois de chaleur qu’on y éprouve sans interruption, suffiront à sa végétation & à l’éducation du ver à soie. Mais pourquoi le mûrier n’éprouve-t il pas les mêmes variations que la vigne, l’olivier, &c. ? leur tronc périt & se renouvelle par ses racines, sur-tout celui de ce dernier ; un tronc de noyer éclata perpendiculairement en 1709. Je crois qu’outre la texture différente de ces arbres, leur sensibilité tient à ce qu’ils ont été multipliés principalement par boutures, collettes, &c. Les semis endurcissent & acclimatent infiniment mieux la plante que toutes les autres manières. Les semis forment autant d’éducations nouvelles ; les boutures, les marcottes, au contraire, n’offrent jamais qu’un renouvellement de la même éducation. Je ne présente ces idées que comme de simples conjectures, quoiqu’elles ne soient pas sans vraisemblance ; mais l’on peut encore attribuer la forte vitalité du mûrier au peu d’aquosité de son bois qui le rend moins susceptible des impressions du froid. Quoiqu’il en soit, l’expérience prouve que le mûrier est l’arbre qui peut le mieux prospérer dans les quatre parties du monde ; je crois que c’est un exemple unique. Si le caféier réussit aujourd’hui si bien dans toutes nos îles de l’Amérique, il est probable qu’il y a acquis cette indigénéité par les semis faits au jardin du roi à Paris, d’où il a été ensuite transporté en Amérique. (Voyez le mot Café) Il en sera peut-être ainsi du cannelier, & du giroflier, transportés à l’île de France par les soins & la vigilance de M. Poivre ; & bientôt l’Amérique ne laissera plus aux hollandois le privilège exclusif de la culture de ces arbres précieux.

Il paroît démontré que les chinois sont le premier peuple qui ait cultivé le mûrier, & élevé le ver à soie ; de chez eux, sa culture a passé en Perse, & de-là dans les îles de l’Archipel. Sous l’empereur Justinien, des moines apportèrent en Grèce les semences du mûrier, & ensuite les œufs de l’insecte qu’il nourrit. Environ vers l’an 1540, on commença à cultiver cet arbre en Sicile & en Italie ; & sous Charles VII, quelques pieds en furent transportés en France. Plusieurs seigneurs qui avoient suivi Charles VIII dans les guerres d’Italie, en 1494, transportèrent de Sicile, plusieurs pieds en Provence, & sur-tout dans le voisinage de Montélimar. On dit qu’on y voit encore ces premiers arbres dans de vastes emplacemens des jardins de ses maisons royales. Il en fit distribuer les arbres dans les provinces, & il accorda une protection distinguée aux manufactures de soieries de Lyon, & de Tours. Henri II travailla à multiplier les mûriers ; mais Henri IV, malgré les oppositions formelles de Sully, établit des pépinières. Sous Louis XIII, cette branche d’agriculture fut négligée. Colbert qui faisoit consister la prospérité d’un état uniquement dans le commerce, comprit tout l’avantage qu’on pouvoit & qu’on devoit retirer du mûrier ; il rétablit les pépinières royales, fit distribuer les pieds qu’on en retiroit, & les fit planter aux frais de l’état. Ce procédé généreux, mais violent, parce qu’il attaquoit le droit de propriété, ne plut pas aux habitans de la campagne ; & de manière ou d’autre, ces plantations périssoient chaque année : il fallut donc avoir recours à un moyen plus efficace & surtout moins arbitraire. On promit, & on paya exactement vingt-quatre sols par pied d’arbre qui subsisteroit trois ans après la plantation, & ce moyen réussit. Ce fut ainsi que la Provence, le Languedoc, le Vivarais, le Dauphiné, le Lyonois, la Gascogne, la Saintonge & la Touraine furent peuplées de mûriers. Sous Louis XV, des pépinières royales furent établies dans le Berry, dans l’Angoumois, l’Orléanois, le Poitou, le Maine, la Bourgogne, la Champagne, la Franche-Comté &c., & les arbres en furent gratuitement distribués. Telle a été, en général, la progression de la culture du mûrier. Il faut cependant observer, que de Grèce & d’Italie, le mûrier passa dans les provinces méridionales de France & de-là dans le Piémont. Ces arbres furent négligés en France, il fallut ensuite en retirer la graine du Piémont. Quoique cette partie historique & très-succinte soit étrangère au but de cet Ouvrage, j’ai pensé qu’elle feroit plaisir au lecteur : il est temps de s’occuper de la pratique.

Plan du Travail.
CHAPITRE PREMIER. Description des espèces de Mûrier,
Page 3
Sect. I. Des espèces botaniques,
Ibid.
Sect. II. Des espèces jardinières, du n°1, & les seules dont on va s’occuper,
6
CHAP. II. Du sol & de l’exposition qui conviennent au mûrier,
9
CHAP. III. Des semis,
11
Sect. I. Du choix de la graine,
ibid.
Sect. II. Quand & comment doit-on semer,
12
CHAP. IV. Du temps de lever, mettre en pépinière les jeunes plants,
16
Sect. I. De la levée & plantation du semis,
ibid.
Sect. II. Du sol de la pépinière,
19
Sect. III. De la conduite de la pourrette dans la pépinière,
ibid.
CHAP. V. De la greffe de la pourrette en pépinière, & de l’arbre planté à demeure,
22
CHAP. VI. De la transplantation de l’arbre fait,
24
Sect. I. Des fosses destinées à recevoir le mûrier tiré des pépinières,
ibid.
Sect. II. Du temps & de la manière de transplanter cet arbre,
25
CHAP. VII. De la conduite du mûrier en plein vent, nain, en taillis ou en haie,
30
Sect. I. De la taille du mûrier en plein vent,
31
Sect. II. De la taille & conduite du mûrier nain,
38
Sect. III. De la conduite des taillis & des haies,
43
CHAP. VIII. De la multiplication des mûriers par marcottes & par boutures,
46
CHAP. IX. Quand peut-on commencer à cueillir la feuille sur un arbre, & comment doit-on la cueillir,
47
CHAP. X. De l’émondage,
50
CHAP. XI. Des maladies des mûriers,
51
CHAP. XII. Quelle espèce de feuille est préférable quant à la qualité de la soie,
54
CHAP. XIII. Des propriétés économiques & d’agrément des mûriers,
56

CHAPITRE PREMIER.

Description des Espèces de Mûriers.

Section Première.

Des Espèces botaniques.

I. Mûrier Blanc. Tournefort le place dans la quatrième section de la dix-neuvième classe, destinée aux arbres à fleurs à chatons, dont les fruits sont des baies molles, & il l’appelle morus fructu albo. Von-Linné le nomme morus alba, & le classe dans la diœcie-tetrandrie.

Fleurs à chaton, mâles & femelles, séparées, mais sur le même arbre. Les fleurs mâles sont composées de quatre étamines placées dans un calice divisé en quatre folioles ovales & concaves. Les fleurs femelles sont composées de deux pistils en forme d’alène, placées dans un calice à quatre folioles obrondes, obtuses & qui restent adhérentes au fruit jusqu’à sa maturité.

Fruit. Espèce de baie nommée mûre, de forme sphérique, alongée, composée de petites baies formées des calices & des germes renflés, devenus charnus & succulent : c’est de l’agrégation de ces petites baies qu’est formé le fruit : chaque baie partielle contient une semence ovale, aiguë.

Feuilles, portées par d’assez longs pétioles, simples, entières, en forme de cœur, rudes au toucher, dentées par leurs bords, quelquefois découpées en un plus ou moins grand nombre de lobes, sur-tout dans le mûrier non greffé.

Racine, jaune, ligneuse, rameuse, très-courante.

Port. Arbre de la seconde grandeur, & auquel on ne permet pas de prendre toute son élévation, afin de faciliter la cueillette de ses feuilles. Branches entrelacées, chiffonnées ; l’écorce rude, profondément gercée & épaisse ; l’aubier d’un jaune tirant sur la paille ; le vrai bois d’un beau jaune, dont la couleur devient plus foncée vers le centre : les fleurs sont portées par des pédoncules, elles naissent des aisselles des feuilles ; les feuilles alternativement placées sur les branches, & d’un vert luisant en dessus.

II. Mûrier Noir, ou Mûrier d’Espagne. Morus fructu nigro. Tournefort. Morus nigra. Lin. Il diffère du précédent par ses fleurs mâles portées, pour l’ordinaire, sur un pied, & ses fleurs femelles portées sur des pieds différens. J’ai vu cependant les unes & les autres rassemblées sur le même pied. Ses fruits sont beaucoup plus gros, d’une forme plus alongée que ceux du mûrier blanc ; leurs baies remplies d’un suc de couleur vineuse, vive, foncée, & assez abondant. Ses feuilles sont du double & du triple plus grandes, plus fermes, plus nerveuses, ordinairement sans aucun lobe distinct, & quelquefois avec l’apparence de cinq lobes.

On ne peut plus regarder aujourd’hui le mûrier noir comme dans son premier état de nature, il n’est donc pas surprenant qu’il ne suive plus sa première loi. Dans les provinces du nord du royaume, c’est un arbre de médiocre grosseur, & dont la végétation est très-lente ; dans celles du midi, il acquiert la hauteur des amandiers, c’est-à dire qu’elle est à peu près le double de celle du nord. Sa végétation y est moins rapide que celle du mûrier blanc ; ses bourgeons sont courts & serrés.

Il y a une variété de cet arbre dont les feuilles sont un peu moins larges, & dont les bourgeons (voy. ce mot) acquièrent chaque année plus de longueur ; outre cette variété, on en compte plusieurs autres assez inutiles, & dont il n’est pas nécessaire de parler.

III. Mûrier à papier. Morus papyrifera. Lin. Il est originaire du Japon : arbre moins fort que les deux précédens, à feuilles palmées, à fruits velus, à écorce grise & velue sur les bourgeons. Les chinois & les japonois cultivent cet arbre avec soin, & avant l’hiver ils en coupent les bourgeons de l’année, en enlèvent l’écorce, & après différentes préparations, ils en fabriquent leur papier.

On a acclimaté cet arbre en France, & on l’y multiplie aisément par boutures & par marcottes : il y réussiroit mieux encore si on s’occupoit à le multiplier par semis. Il y a un problème à résoudre : cet arbre qui s’élève peu, ou du moins qu’on n’a pas encore vu fort élevé en France, mérite-t-il d’y être cultivé ou comme simple arbre d’agrément, ou comme objet d’utilité, relativement au parti qu’on peut tirer de son écorce pour la fabrication du papier ? À surface égale de terrain cultivé en mûrier, ou en chanvre, ou en lin, de quel côté doit être l’avantage ? Je pense que ces derniers méritent la préférence, parce que outre l’avantage de donner des chiffons à la papeterie, ils servent jusqu’à cette époque, aux vêtemens de l’homme ; & rien encore n’a pu remplacer le linge. N’envions donc pas aux chinois & aux japonois, ce petit avantage, & ne considérons cet arbre que du côté de l’agrément, pour figurer dans nos bosquets d’été.

IV. Mûrier Rouge ou de Virginie. Morus nigra. Lin. Les chatons des fleurs mâles sont cylindriques, de la longueur de ceux du bouleau, (voyez ce mot) ses feuilles en forme de cœur, par-dessous très-cotonneuses, souvent palmées, & plus souvent encore à trois lobes ; l’écorce en est noirâtre ; il est recherché pour les bosquets d’été à cause de son feuillage.

V. Mûrier des Indes. Morus indica. Lin. Comme la culture de cet arbre exige la serre chaude, je n’en parlerai pas ici ; il suffit de l’indiquer.

VI. Mûrier de Tartarie. Morus tartarica. Lin. S’il est vrai, comme l’ont avancé plusieurs écrivains, que les vers nourris des feuilles de cet arbre, donnent la plus belle soie connue, il mérite sans contredit, que l’on cherche, par tous les moyens possibles, à s’en procurer de la graine, & à en faire des semis dans nos provinces méridionales : c’est le mûrier des environs d’Asoff. Ses feuilles sont ovales, oblongues & également par les deux bouts, & pareillement dentées en manière de scie. Les pétioles & les pédoncules des fleurs sont longs, son fruit ressemble à celui du mûrier noir N° II.

VII. Mûrier des Teinturiers, ou Bois de Campêche. Morus tinctoria. Lin. Il est dommage que ce bel arbre qui s’élève très-haut, & qui est si utile, demande en France le secours de la serre chaude. C’est encore le cas de dire qu’il faudroit en tenter les semis dans nos îles de l’Amérique & dans nos provinces méridionales. J’offre mes soins & mon zèle à ceux qui liront cet Ouvrage, & qui seront dans le cas de me procurer des semences des arbres vraiment utiles, & qui n’exigent pas la serre chaude.

Section II.

Des Espèces Jardinières du n°. I, & les seules dont on va s’occuper.

On a vu croître un mûrier sauvageon dans une exposition qui lui convient, sur un sol bien préparé & très-bon ; on a vu que ses feuilles étoient plus amples, moins divisées en lobes & plus épaisses que celles d’un mûrier, posé moins favorablement que celui-ci ; on s’est hâté d’y prendre des greffes, afin de perfectionner les pieds à feuilles moins belles & moins nourries. Des pousses de ces greffes on est successivement parvenu à avoir de la graine ; elle a été semée avec soin : les petites plantes, ou pourrettes bien cultivées dans la pépinière, ont encore offert des pieds à feuilles plus belles ; nouveaux semis, nouvelles greffes, & l’on est enfin parvenu à avoir de beaux arbres à grandes & belles feuilles sans sinuosités : on doit juger par là combien chaque climat, chaque attention a dû influer dans la multiplication des espèces jardinières, (voyez ce mot) & il en est résulté que chaque province a eu & doit avoir encore des espèces de cette classe, qui leur sont particulières. Il a fallu multiplier les dénominations pour les distinguer, & il en est résulté une nomenclature inintelligible pour tout cultivateur qui n’est pas de cette province & même de ce canton. Par exemple, dans plusieurs de nos provinces, on appelle mûrier d’Espagne, le même que dans d’autres on nomme mûrier rose ; sans doute que la graine, ou les premiers pieds ont été tirés d’Espagne, tandis que celle des roses a été tirée d’Italie ou de Piémont &c. La couleur du fruit a encore établi de nouvelles dénominations, parce qu’il s’est établi des variétés : de ces variétés, par exemple, certains pieds de mûrier rose, fournissent des fruits d’un blanc de cire, lors de leur maturité, tandis que le fruit des autres est violet tendre, & ensuite violet foncé, enfin violet noir. Il seroit, absolument parlant, possible d’établir des différences assez bien prononcées dans les espèces jardinières du premier ordre ; mais comment assigner des caractères spécifiques à celles du second ou du troisième ordre ? Tous les secours offerts par la botanique, sont en général superflus ; il ne reste que le coup d’œil guidé par l’habitude de voir & de comparer.

Le Mûrier sauvageon, celui qui n’est pas greffé, est le type de toutes les espèces jardinières cultivées dans le royaume. C’est le vrai chef de cette famille qui se subdivise en deux branches ; l’aînée fournit le sauvageon plus ou moins perfectionné par les semis ; & la cadette, supérieurement ennoblie par la greffe, choisie sur les plus beaux individus des semis, donne des feuilles sans découpures. Ainsi, les feuilles découpées, & à lobes, sont de la première division, & elles proviennent pour ordinaire, du franc, ou du franc greffé sur franc, & à feuilles découpées. Les feuilles entières, épaisses, & dont la forme approche de celle des feuilles du rosier, ce qui fait qu’on a appelé leurs arbres mûriers roses, constituent la seconde division. La dénomination de mûrier blanc, & de mûrier noir est abusive, à moins qu’on ne compare ceux de cette famille avec l’espèce & les variétés du N° II, dont la couleur du fruit approche du noir, & dont celle des feuilles est très-foncée : car les mûriers sauvageons, greffés par des sauvageons, & les mûriers nommés roses, donnent chacun des fruits dont la couleur approche du noir, & des fruits blancs. Cette distinction de noir & de blanc est plus apparente, s’il est question de la couleur des feuilles : en effet, la couleur de celles des sauvageons est moins foncée que celle des roses ; mais ce plus ou moins d’intensité, de couleur, offre un si grand nombre de nuances intermédiaires, qu’il ne caractérise ni ne sépare exactement une espèce jardinière d’une autre espèce ; cette différence de couleur est simplement indicative en général. On pense bien que ce qui vient d’être dit, souffre un grand nombre de modifications, soit relativement au climat, soit par rapport au sol & à la conduite de l’arbre ; enfin, l’on ne doit pas s’imaginer que les mûriers d’un canton ressemblent strictement à tous ceux du royaume. La seule conclusion a tirer, est que l’on doit nommer sauvageon tout mûrier greffé, ou non greffé, dont les feuilles sont découpées, & mûrier rose celui dont la feuille est entière, d’un vert foncé, & dont la forme approche de celle du rosier.

On objectera qu’on ne doit pas appeler sauvageon un arbre greffé : j’en conviens ; mais dès que la feuille est très-découpée, c’est une preuve qu’il n’a pas encore perdu son premier caractère, & qu’il tient de son état sauvage. Quoiqu’il en soit, afin d’éviter toute confusion, j’appellerai dans la suite le mûrier à feuilles minces, découpées, & à couleur claire, mûrier sauvageon ; & celui à feuilles épaisses, amples, d’un vert foncé, de forme ovale & entière, mûrier rose. Je sais que de vrais sauvageons auxquels on n’a refusé ni engrais, ni labours, & qui ont été semés dans un sol excellent & dans un climat convenable, peuvent donner pendant les premières années, des feuilles semblables à celles du mûrier rose ; mais lorsque la grande force de la végétation commence à se ralentir, les feuilles ne tardent pas à prendre peu à peu leur forme naturelle. Ces exceptions peu communes ne détruisent pas la règle générale que j’établis, & j’ajoute que la greffe est le seul moyen de perpétuer les bonnes espèces roses, ou les bonnes sauvageonnes.

M. Constant du Castelet publia en 1760 un Traité sur les mûriers blancs, & sur l’éducation des vers à soie, imprimé par ordre des états de Provence, à Aix, chez David, dans lequel il divise les espèces de mûriers dans l’ordre qui suit ; & un grand nombre de copistes de provinces très-éloignées, ont rapporté la même nomenclature, comme si dans leurs provinces les mûriers avoient conservé la même dénomination.

« Mûriers sauvages. Il y en a quatre espèces : la première est celle qu’on appelle feuille rose. Ce mûrier porte un petit fruit blanc, insipide ; sa feuille est rondelette, semblable à celle du rosier, mais plus grande. La seconde est la feuille dorée, elle est luisante & s’alonge sur le milieu ; le fruit en est de couleur purpurine & petit. La troisième, la reine bâtarde : fruit noir ; feuille deux fois plus grande que celle de la feuille rose, dentée à sa circonférence ; la dent de l’extrémité supérieure s’alonge plus que les autres. La quatrième est appelée femelle : l’arbre est épineux, il pousse son fruit avant sa feuille qui a la forme d’un trèfle.

« Mûriers greffés. La première est la reine à feuilles luisantes & plus grandes qu’aucune des sauvages ; son fruit est de couleur cendrée. La seconde, la grosse reine, à feuilles d’un vert foncé & à fruit noir. La troisième, la feuille d’Espagne : cette espèce est extrêmement matte & grossière ; feuilles fort grandes ; fruit blanc & très-alongé. La quatrième, la feuille de flocs : elle est d’un vert foncé, à peu près semblable à la feuille d’Espagne, mais moins alongée, elle est à bouquets sur ses tiges ; son fruit est très-multiplié, & ne vient jamais au point de maturité. »

Ces définitions sont aussi exactes qu’elles peuvent l’être pour des espèces jardinières, & elles désignent le véritable observateur ; mais sont-elles invariables ? c’est autre chose. J’ai vu ce que l’auteur appelle mûrier sauvage à feuilles roses, donner des fruits noirs & assez gros ; & la même singularité a eu lieu sur celui qu’il nomme feuille d’Espagne. Les mûriers de la partie du Languedoc où je me suis retiré, approchent beaucoup des espèces des environs d’Aix. J’ai comparé les uns aux autres, & cette comparaison m’a fait reconnoître beaucoup de variétés secondaires de ces espèces qui sont déjà elles-mêmes des variétés.

D’après ce qui vient d’être dit, il est démontré qu’on ne peut établir aucune bonne nomenclature pour tout le royaume, & qu’il faut se contenter de la distinction que j’ai établie entre le mûrier sauvageon & le mûrier rose. Ce n’est pas le cas d’examiner ici si la feuille du mûrier greffé est bonne pour la nourriture du ver à soie, ou meilleure que celle du mûrier non greffé ; il en sera question dans le chapitre douzième de cet article.

CHAPITRE II.

Du sol & de l’exposition qui conviennent au Mûrier.

Le point essentiel dans la culture de cet arbre, est de lui faire produire beaucoup de feuilles & de bonnes feuilles. Par bonnes feuilles, je n’entends pas les plus larges, ni les plus succulentes, mais celles dont les sucs nourriciers ont les qualités convenables à l’éducation du ver, & à la beauté de la soie ; enfin, celles qui ne sont pas tachées par les brouillards.

I. Le climat influe singulièrement sur la qualité de la feuille. Quoique le mûrier réussisse très-bien depuis les bords de la Méditerrannée jusqu’en Prusse, la feuille est abreuvée & nourrie par des sucs plus raffinés dans le midi, que dans le nord ; en un mot, la feuille est plus soyeuse & son principe soyeux moins noyé dans le véhicule aqueux. La rareté des-pluies, & la grande chaleur soutenue, bonifie la séve de ces feuilles, comme celles des raisins, des abricots, des pêches, &c. ; enfin celle de tous les arbres originaires des régions chaudes, telles que la Chine, la Perse, la Grèce, l’Arménie, &c. Il est certain que dans le nord, toutes circonstances égales quant à la qualité de l’espèce de mûrier les feuilles y seront plus amples, plus juteuses, plus vertes, parce que leur principe séveux est presque entièrement aqueux. Il en est de ces feuilles, comme du vin : il est, dans le nord, peu riche en esprit ardent & en partie sucrée qui se forme lors de la fermentation. La perfection des feuilles des mûriers du nord ne doit donc jamais égaler celle des mûriers du midi, & par conséquent, la soie qu’on en retirera sera toujours inférieure en qualité, relativement à l’autre.

II. L’Exposition. Lorsque la muriomanie s’est manifestée en France pendant le siècle dernier, on a planté des mûriers par-tout indistinctement. Or, si la distance éloignée des climats a une influence si décidée sur la qualité de la feuille, l’exposition au nord, ou au midi, au levant, ou au couchant, doit agir, d’une manière moins prononcée, à la vérité, sur les feuilles des arbres du même canton. J’ose dire que la feuille des arbres plantés au nord, ou de ceux qui ne reçoivent que foiblement les rayons du soleil, sera très-aqueuse & peu nourrissante ; que celle des arbres plantés au midi, ou au soleil levant jusqu’au soleil de trois & quatre heures, & même de toute la journée, sera bien supérieure aux autres pour la qualité ; il en est de même de celle dont les arbres sont plantés dans des endroits élevés & bien abrités, en comparaison de celle des arbres qui se trouvent dans les bas-fonds, dans les vallons. D’ailleurs, la feuille de ceux-ci est fort sujette à être tachée ou rouillée. Cet accident est encore très-commun près des ruisseaux, près des rivières, d’où il s’élève des brouillards lorsque le vent du sud règne dans la partie supérieure de l’atmosphère, & le vent du nord, dans l’inférieure ; alors les gelées blanches produisent de terribles effets sur les jeunes pousses, sur les feuilles encore tendres ; & si la saison des gelées blanches est passée, la condensation de l’humidité qui s’élève de la terre, & qui s’unit à celle de l’atmosphère, forme le brouillard qui surcharge d’humidité les feuilles déjà développées ; le soleil survient tout à coup, sa chaleur vive frappe sur l’humidité des feuilles, & leur épiderme trop abreuvé, & dont les pores sont par conséquent distendus, est plus ou moins brûlé, suivant l’intensité de l’humidité, & l’activité du soleil. Le parenchyme qui donne la couleur à l’épiderme, est également altéré ; cette feuille ainsi viciée, ne peut plus servir à la nourriture du ver. Combien de cultivateurs ont planté une multitude de mûriers, sans faire aucune de ces observations ! Qu’ils ne soient donc pas étonnés si leurs feuilles sont si souvent rouillées, & si leur récolte est entièrement perdue. C’est de la bonne qualité de la feuille, c’est de la bonne exposition de l’arbre ; enfin, c’est de la nature du sol que dépend la qualité plus ou moins supérieure de la soie.

III. Qualité du sol. Si on n’a pour but que la vigueur de la végétation de l’arbre, la grande abondance de belles & larges feuilles, je dirai : choisissez les meilleurs fonds, tels que celui des terres à lin, à chanvre, pourvu qu’ils aient une grande profondeur de bonne terre ; mais il en sera de ces feuilles, comme des raisins ou de tels autres fruits venus sur des sols semblables ; ils seront noyés d’eau, n’auront presque aucune partie sucrée, & leur grosseur qui flattera l’œil, ne dédommagera pas du goût qui leur manquera. Les feuilles de pareils arbres sont peu nourrissantes ; le ver à qui on les donne, est presque toujours dévoyé, il est mou, lâche, ses mues sont pénibles, & il consomme une plus grande quantité de feuilles, à moins que l’année ne soit très-sèche : alors la sève est un peu mieux élaborée, mais elle ne l’est point encore assez.

Ce que je dis des arbres plantés dans un sol très-substantiel, s’applique bien mieux encore à ceux qui végètent sur un sol aquatique, marécageux ou humide ; la surabondance d’eau dans la feuille qu’on donne au ver, est la chose la plus nuisible pour lui. C’est par cette raison que les sols crayeux & argileux ne conviennent en aucune manière aux mûriers, parce que ces terrains retiennent trop l’eau, & que les racines de ces arbres ne peuvent pénétrer à travers le tissu trop serré de cet espèce de sol, & aller chercher la nourriture nécessaire à l’arbre.

Les terrains aigres, ferrugineux, & tous ceux de ce genre qui ne permettent que difficilement l’extension des racines, ne sont pas propres aux plantations des mûriers ; cependant la feuille en seroit très-bonne, mais en trop petite quantité.

Les coteaux de nature calcaire, les rochers qui se délitent d’eux-mêmes, & dont le grain est facilement converti en terre, sont les endroits à préférer pour la supériorité de la qualité de la feuille. Les racines de l’arbre s’étendent entre les scissures de ces rochers, y trouvent, à la vérité, peu de nourriture, mais elle y est parfaitement préparée. Si le sol est graveleux, sablonneux ; si à ces graviers & à ces sables il se trouve mêlé une certaine quantité de bonne terre, le mûrier y prospérera, & sa feuille sera excellente. Dans un pareil terrain, les racines s’étendront au loin, au grand avantage de l’arbre. Cependant cette extension prodigieuse des racines presque sur la surface, n’est pas ce que j’approuve le plus. J’aimerois mieux que le sol eût beaucoup de fond, & que les racines s’étendissent moins, parce qu’elles dévorent les récoltes voisines qu’on doit compter pour quelque chose, puisque celle du mûrier ne doit être qu’une récolte accessoire, à moins que le terrain ne soit pas propre à d’autres productions, ce qui est fort rare. J’indiquerai dans la suite les moyens d’empêcher cette extension ruineuse.

L’on dit, & on ne cesse de répéter que le mûrier vient par-tout ; cela est vrai, très-vrai : mais entre végéter & prospérer, & donner des feuilles, convenables à la nourriture du ver, c’est très-différent. Dans des cantons, entiers, les vers à soie réussissent très-rarement : leur éducation est décriée, & la hache, mise au pied de l’arbre, n’attend pas qu’on ait examiné sérieusement si c’est sa faute ou celle du planteur ; j’ose affirmer que c’est presque toujours celle du dernier. Lors de la manie des mûriers, on s’extasioit ; le cri général étoit : plantez des mûriers, & on a poussé la folie jusqu’à sacrifier à cette culture des champs entiers qui donnoient le plus beau blé, même les terrains à chènevières & à luzerne. Je dis ce que j’ai vu, & j’ai observé en même temps, que les éducations faites avec les magnifiques feuilles de ces beaux arbres qui végétoient dans ces fonds si substantiels, manquoient presque toujours ; que les vers étoient mous, lâches, & les cocons de peu de valeur. La constitution de l’atmosphère contribue beaucoup à la réussite d’une bonne éducation ; mais la qualité de la feuille en est la base la plus solide. Quand même on auroit une saison à souhait, si la feuille est trop aqueuse, on n’aura jamais une belle récolte de cocons, parce que la majeure partie des vers périra peu à peu par la dyssenterie. Le sol & l’exposition constituent la bonne feuille. Les mûriers plantés sur les coteaux (toutes autres circonstances égales), l’emporteront toujours par la qualité de la feuille sur ceux de la plaine. Quant à la quantité de feuilles, elle dépend de l’espèce du mûrier & du sol.

Ce simple exposé démontre d’où dérive la supériorité des soies, par exemple, de Nanquin, d’Italie, de Piémont, de Provence, du bas-Languedoc, du Vivarais, &c. sur celles du reste du royaume ; le soleil, dans ces premiers endroits, est plus actif, les pluies plus rares, la sève y est mieux élaborée, moins aqueuse, & ses principes plus rapprochés. Quoique les soies des provinces du centre ou du nord du royaume, n’aient pas ce degré de supériorité, ni qu’elles puissent jamais l’acquérir ; cependant on doit singulièrement s’attacher à la qualité de la feuille, & à choisir le sol qui donne la meilleure, puisqu’il n’en coûte pas plus de cultiver un bon arbre qu’un mauvais. Toutes les fois que l’on tend à la quantité, on manque toujours son but, & on obtient une soie de qualité médiocre.

CHAPITRE III.

Des semis.

Pour faire de bons semis, il faut avoir de bonne graine, & une terre convenable pour la recevoir. Examinons séparément ces trois objets.

Section Première.

Du choix de la graine.

Peu de personnes apportent une attention scrupuleuse sur ce choix, parce qu’elles sont dans la persuasion que la greffe remédiera à tout. Je conviens qu’elle fait changer de nature à l’arbre, depuis le lieu de son insertion jusqu’à son sommet ; mais si la base en est foible & viciée dès sa naissance, la greffe ne la corrigera pas. La mauvaise graine donne de mauvaise pourrette, & une pourrette défectueuse produit rarement de beaux arbres, quelques soins qu’on lui donne. Admettons, si l’on veut, qu’il soit possible d’en tirer de bons arbres ; mais n’est-il pas prudent de choisir le parti le plus sûr, & d’abandonner celui qui n’est que simplement probable, sur-tout quand les petites attentions à avoir dans le choix de la graine, coûtent si peu.

Il convient de rejeter celle des arbres trop jeunes ou trop vieux, des arbres plantés en terrains gras ou humides, des arbres cariés & rigoureusement celle des arbres à feuilles découpées, petites ou chiffonnes.

L’amateur choisira un des meilleurs arbres, c’est-à-dire, celui qui réunira le plus grand nombre de bonnes qualités, & il ne le fera point effeuiller. La nature n’a rien fait en vain, elle est admirable jusque dans les plus petits détails, & elle enchaîne toutes ses opérations les unes aux autres. La feuille est la mère nourrice du bourgeon qui doit pousser l’année suivante. Elle est la conservatrice de la fleur & du fruit, sur-tout de ceux du mûrier qui, ainsi qu’il a été dit, naissent de ses aisselles. La feuille est donc nécessaire à une belle fleuraison & à une belle fructification. On dira que les arbres effeuillés donnent des fruits dont les graines germent très-bien. Cela est vrai : mais si l’on prend la peine d’examiner les fruits de l’arbre non effeuillé, on verra qu’ils sont plus gros, & mieux nourris que ceux des arbres effeuillés. La graine suit les mêmes proportions. Que l’on regarde ces précautions comme minutieuses, j’y consens ; cependant, dans toutes les opérations d’agriculture, on doit travailler pour le mieux. Les fleuristes, pour de simples objets d’agrémens, donnent à ce sujet, de belles leçons aux cultivateurs.

Quand faut-il cueillir la graine ? La nature indique l’époque ; c’est lorsque le fruit tombe de lui-même. L’emboîtement par articulation de son péduncule avec l’écorce de la branche ne reçoit plus les sucs nécessaires à l’entretien de la synovie, elle se dessèche, l’articulation se déboîte, le fruit tombe, & l’arbre a rempli sa première destination qui est sa reproduction par la graine ; enfin le but de la nature est rempli. À cette époque, la graine est à coup sûr dans son état de perfection : on peut, si l’on veut, secouer légèrement les branches de l’arbre après avoir étendu des toiles au dessous, ou se contenter de ramasser sur terre les fruits, à mesure qu’ils sont tombés.

La baie est mucilagineuse, sucrée & assez remplie de ce suc. Si on amoncéle les baies, elles fermentent, elles s’échauffent, & de la masse il s’exhale une odeur vineuse. Cette fermentation altère la graine ; afin d’éviter cette altération, imitons la nature qui dissémine ses fruits. Peu à peu le courant d’air & la chaleur enlèvent & font évaporer leur humidité ; enfin la pulpe desséchée se colle contre la graine, qu’elle préserve du contact extérieur de l’air, afin de la conserver. Tel est l’exemple qu’elle nous donne, & que nous devons suivre. On doit, après chaque cueillette de baies, les porter dans un lieu bien aéré & à l’ombre, les séparer les unes des autres, & les laisser ainsi jusqu’à ce que la pulpe soit bien desséchée : alors on les serre dans des boîtes enveloppées dans du papier, en lieu sec & fermé. Cette méthode n’est pas celle de tous les autres qui ont écrit sur ce sujet. Ils conseillent d’écraser la pulpe avec les mains, dans des vases remplis d’eau, de l’y fortement agiter, afin d’en séparer la graine qui doit se précipiter au fond du vase. Alors on vide la partie supérieure de l’eau, en inclinant le vase, de manière que tous les débris s’échappent avec l’eau & que la graine reste au fond. Ensuite on met de nouvelle eau, on répète la première opération, jusqu’à ce que la graine soit nette ; après cela, on l’écoule sur un linge où elle finit de sécher. Pourquoi contrarier ainsi le vœu de la nature qui n’a pas rempli de pulpes ces baies, pour vous donner le plaisir de les paîtrir.

Une autre méthode de conserver la graine, & qui n’est pas à négliger, consiste à la mêler & à l’enfouir dans le sable : elle y conserve mieux fa fraîcheur, & elle est à l’abri du contact immédiat de l’air.

Section II.

Quand & comment doit-on semer ?

§. I. Quand doit-on semer ? Ici comme dans tous les points d’agriculture, une règle générale est abusive. Le moment des semailles dépend de la saison & du climat. Relativement au climat il y a deux époques : dans les provinces méridionales du royaume, telles que celles où l’on cultive les oliviers, & où les grenadiers forment les haies & les buissons, on peut, & on doit semer les graines aussitôt que la baie est bien mûre & desséchée, c’est une année de gagnée, & la pourrette sera en état d’être mise en pépinière après l’hiver.

J’ai voulu connoître jusqu’à quel point la plus ou moins grande maturité de la graine contribuoit à la germination. Des baies dont la couleur de maturité étoit assez clairement prononcée, & mises en terre à cette époque, n’ont pas levé pendant la première année. Quelques-unes de ces baies, assez mûres pour être mangées, ont germé dans une proportion de quatorze sur cent ; très-mûres & prêtes à tomber de l’arbre, plus de la moitié a germé ; la pulpe desséchée, toutes ont germé au bout de quelques jours. Les expériences confirment les assertions avancées plus haut. Les semis ont été faits dans une caisse de neuf pouces de profondeur, & la pourrette y a passé l’hiver sans paillasson ni autre couverture, mais seulement rapprochée d’un abri qui cependant ne l’a pas garantie de la gelée de quatre à cinq degrés. Malgré ce froid, cette pourrette mise en pépinière après l’hiver, a parfaitement réussi. Je n’ose pas dire que cette expérience eût le même succès dans nos provinces du nord ou du centre du royaume : la raison en est simple ; la maturité de la graine y est trop retardée, & les jeunes plants sont encore dans un état trop herbacé à l’approche des froids. Une des causes qui concourt encore à leur destruction, est la trop grande humidité de la terre, qui donne plus de prise & augmente les fâcheux effets des gelées. Afin de prévenir ces inconvéniens, on pourroit semer dans des caisses, & à l’approche de la mauvaise saison les renfermer dans l’orangerie. Malgré ces précautions, la pourrette seroit-elle assez forte pour être mise ensuite en pépinière ? Si elle n’est pas dans ce cas, il vaut autant attendre à semer après l’hiver.

Dans les provinces du centre & du nord du royaume, il convient de semer dès qu’on ne craint plus les fortes gelées. Cependant si, lorsque la graine germe ou a germé, enfin lorsqu’elle est encore tendre, si l’on prévoit des gelées tardives, il est indispensable de couvrir tout le semis avec de la paille longue, & de le laisser, le moins qu’il sera possible, enseveli par-dessous. Semer dans des caisses, met à l’abri de ces inconvéniens, puisqu’on les transporte où l’on veut. La fin de février, les mois de mars ou d’avril, sont à peu près les époques des semis suivant les quatre climats du royaume, que je distingue par climats à oliviers, par climats à grenadiers, à vignes & sans vignes.

§. II. Comment doit-on semer ? Je répondrai à celui qui cherche à perfectionner ses opérations, semez dans des caisses, donnez-leur dix à douze pouces de profondeur, une grandeur & une largeur telles que deux hommes puissent les transporter facilement d’un lieu à un autre, suivant les besoins relatifs aux climats.

Il est plus économique & à peu près aussi expéditif de semer en pleine terre que dans des caisses : pour les semis du mois de juin, dans les provinces méridionales, je préfère les caisses, parce qu’au moyen de l’arrosoir on les humecte autant que l’on veut, tandis qu’en pleine terre, l’irrigation, (voyez ce mot) est indispensable, & cette grande quantité d’eau répandue à la fois, serre trop la terre, la durcit & s’oppose à la levée des graines. Les caisses offrent l’avantage d’enlever la totalité des plants, sans nuire en aucune manière aux racines, sans les mutiler ni les meurtrir. Il suffit d’en déclouer un seul côté, de lever la masse entière, & de séparer avec la main les racines de chaque pied, des racines voisines ; enfin de l’avoir avec toutes ses racines. En pleine terre, au contraire, on est presque forcé de les mutiler, d’en détruire le plus grand nombre lorsqu’on enlève le semis.

On objectera que les caisses seront bientôt remplies de chevelus ; qu’ils n’y trouveront pas une nourriture suffisante dans cette terre ; que ces caisses ne contiennent pas un assez grand nombre de pieds, &c.

Si la terre contribuoit seule à la nourriture des plantes, ces objections seroient bien fondées. Mais une grosse plante de giroflée ne prospère-t-elle pas admirablement bien dans un vase ; un oranger dans sa caisse, &c. ! L’air nourrit les plantes tout autant que la terre, pour ne pas dire plus. Voyez le mot Amendement, & le dernier chapitre du mot culture. Remplissez ces caisses de bonne terre végétale & douce ; au besoin renouvelez la couche supérieure ; entre chaque pied ajoutez de nouvelle terre ; couvrez le tout avec du crottin de cheval, qui empêche en partie la forte évaporation, & ne soyez pas économe d’arrosemens. C’est avec des soins pareils que je parviens, malgré les chaleurs du climat que j’habite, à avoir de beaux & bons semis ; il faut cependant avouer que dans ces caisses je ne laisse pas autant de pieds qu’en pleine terre. Lorsque les arrosemens ont trop délavé le crottin, je le supplée par de nouveau qui ranime la végétation. Cette opération répétée deux fois dans un été, est suffisante. Des caisses supportées par des morceaux de bois, à la hauteur de trois à quatre pouces au-dessus du sol, préservent les semis des larves ou vers du hanneton, du moine, du taupe-grillon sur-tout (voyez ce mot) qui dévorent les racines, & qui font, en peu de jours, périr tout un semis. Cependant on doit observer attentivement, lorsqu’on se sert des caisses, si dans la terre dont on les remplit, il n’y a point d’œufs de ces insectes, afin de les ôter, parce qu’ils y éclosent, & causent ensuite les plus grands dégâts.

La terre de la caisse doit être légère & très-substantielle ; mais si l’on préfère de semer dans un coin du jardin, dans une plate-bande, &c. il est essentiel à la germination & à la prospérité du plant, que la terre ait la même qualité ; mais elle demande à être défoncée à dix-huit pouces de profondeur, enrichie de terreau de vieilles couches, & préparée de longue main ; en un mot, celle qui est rendue la plus légère & la plus substantielle devient la meilleure.

On dira peut-être que ce début d’éducation du mûrier le rendra ensuite trop délicat sur le choix du terrain qu’il remplira un jour. Le premier but dans le semis est d’avoir beaucoup de plants, & d’obtenir dans la même année une pourrette capable d’être mise en pépinière. Si le semis & la végétation des plants n’ont pas bien réussi, c’est une année perdue, & des plants à rejeter. Je n’aime point les vieux semis, & j’ai toujours vu qu’un semis de deux ans réussissoit très-mal.

La longueur des planches, des tables, ou le nombre des sillons, si on arrose par irrigation, est indifférente ; elle doit être proportionnée à la quantité de semences. La largeur, au contraire, de ces planches ne doit pas excéder trois pieds, afin de pouvoir sarcler avec facilité toutes les fois qu’il est nécessaire. Si l’on sème par sillons, la graine doit être jetée dans une raie faite sur la partie de l’ados à laquelle l’eau de la rigole ne monte pas, sans quoi elle germeroit mal. Les planches ou tables sont préférables à cette méthode, lorsqu’il est possible de les arroser à la main.

Chacun a sa manière de semer, & il y attache une grande importance. Tout semis fait à la volée est pernicieux, il ne laisse pas la facilité de sarcler & de soutenir commodément la terre autour des jeunes pieds. Il vaut beaucoup mieux tracer, avec un bâton, de petites rigoles de deux pouces de profondeur, les aligner au cordeau & les recouvrir de terre après le semis. La distance entre chaque raie sera de six pouces au moins, & huit à dix pouces laissent un espace bien suffisant.

Quelques personnes imbibent une corde de chanvre ou de spart, la passent sur les graines, & ainsi chargée, l’enfouissent dans une rigole & la couvrent de terre. C’est compliquer inutilement l’opération.

Presque tous les animaux mangent les mûres, les chiens sur-tout, & dans moins d’un mois, elles les engraissent considérablement. Le raffinement a été porté au point de ramasser les excrémens de ces animaux, de les faire sécher & de les conserver lors des semis. Que de soins dégoûtans pris en pure perte ! La première de ces trois méthodes est la plus simple, la plus sûre & la plus commode.

J’ai dit que la pulpe desséchée conservoit la graine, & qu’elle y restoit adhérente. On peut, si on veut, la laisser & la répandre avec la graine, elle ne produira ni bien ni mal. Il vaut cependant mieux fouler cette graine dans les mains, afin d’en détacher le reste de la pulpe ; la vanner, passer la graine à l’eau, lorsqu’elle est bien nette, & l’y laisser séjourner pendant vingt-quatre heures. La graine ainsi pénétrée d’eau, germe & lève parfaitement.

On a porté le scrupule jusqu’à fixer la quantité de graine à répandre sur une étendue désignée. Semez par raies bien espacées ; semez épais, & Vous serez toujours à temps d’enlever les pieds surnuméraires. Il ne s’agit pas de porter les choses à l’extrême, un grain près de l’autre suffit ; & si on étoit assuré que chaque semence levât & vînt à bien, je dirois : placez ces semences à un pouce de distance les unes des autres ; parce que c’est l’espace à laisser entre les pieds. Cette distance est peu observée par les pépiniéristes ; ils conservent tout ce qui sort, & tout languit, chaque pied file, s’alonge sans prendre une consistance convenable, sur-tout si la graine a été semée à la volée ou dans des raies trop rapprochées.

Il y a deux sortes de sarclages essentiels ; le premier est celui des plants surnuméraires, & le second, celui des mauvaises herbes à mesure qu’elles végètent : pendant le premier sarclage, la main gauche, les doigts étendus entre les jeunes plants, sert à maintenir la terre contre les plants que l’on laisse en place, & la droite sert à arracher les plants surnuméraires. Ce sarclage demande à être fait à plusieurs reprises un peu éloignées les unes des autres. On doit commencer par les endroits les plus fourrés, & éclaircir successivement jusqu’à ce que le meilleur pied reste, & soit éloigné de son voisin à la distance d’un pouce. Il convient d’arroser un peu après chaque sarclage, afin de serrer la terre contre les racines.

L’expérience m’a démontré que les plants prospéroient à vue d’œil, lorsque l’on couvroit l’espace vide de chaque raie avec le crottin de cheval, sur-tout de l’écurie, & qu’aussitôt après qu’il avoit été répandu, on donnoit, à plusieurs reprises, une forte mouillure. Ces crottins, mis à la hauteur d’un pouce, ne brûlent point ainsi qu’on le prétend, si on a soin d’arroser & d’entretenir, dans la terre, une humidité convenable : il faut attendre que les jeunes plants ayent déjà quelques pouces de hauteur, & que les crottins n’en touchent ni le pied ni les feuilles. Ces excrémens perdront peu de leur forme arrondie, malgré les arrosemens ; lorsqu’ils seront secs, & avant de les remplacer par de nouveaux, il convient de les réduire en poussière, & alors de les mêler avec la terre de la superficie lorsqu’on la serfouira. Tels sont les seuls soins que les semis exigent, & on doit au surplus laisser la plante livrée entièrement à elle-même.

Quant au sarclage des herbes parasites, il est inutile de le recommander ; personne n’ignore qu’il doit être multiplié suivant les besoins, & qu’une jeune plante, dont la végétation est plus lente que celle de la plante voisine est nécessairement étouffée par elle.

CHAPITRE IV.

Du temps de lever & de mettre en pépinière les jeunes plants ; de la manière de les conduire jusqu’au moment de la greffe.

Section Première.

De la levée & plantation du semis.

Le pépiniériste ouvre une tranchée de la largeur d’un fer de bêche, dans un des coins du sol où le semis a été fait, & de proche en proche, il ne déterre pas, mais il arrache la jeune pourrette ; cette manière de travailler est on ne peut plus expéditive, mais on ne peut plus mauvaise ; pivot, chevelus, racines latérales, tout est meurtri, endommagé, écorché, brisé. Après cela il rafraîchit les racines, c’est-à-dire, qu’il retranche les parties mutilées, & ne laisse au pivot que trois à quatre pouces de longueur. Ensuite il plante cette pourrette avec une cheville, dans une terre défoncée & bien travaillée, jusqu’à la profondeur de huit à douze pouces.

Cette méthode est à peu près générale dans tout le royaume ; cependant je ne saurois l’approuver : elle suffit pour le pépiniériste, qui n’a d’autre but que de vendre des arbres ; mais le véritable cultivateur qui désire la perfection, & surtout qui craint que les racines latérales & superficielles du mûrier ne détruisent sa récolte à plus de 30 pieds du tronc, opère d’une manière bien différente ; il sait qu’on ne doit espérer aucune vraie réussite qu’en imitant la nature, cherche à e conformer à ses loix, & à ménager les ressources qu’elle présente à l’homme instruit. Sa manipulation devient l’objet des épigrammes de ses voisins ; mais au-dessus de leurs faux raisonnemens, il ne craint pas une petite augmentation de dépense dans la main-d’œuvre ; enfin, la force, la beauté, le produit & la durée de ses arbres justifient ses travaux.

Il a deux méthodes ; la première, de planter à demeure à mesure qu’il sort la pourrette du semis ; & la seconde, de former une pépinière.

Les caisses, sur les avantages desquelles j’ai insisté, lui permettent d’avoir le jeune plant avec tout son pivot, ses racines & leurs chevelus. Il les ménage tous avec le plus grand soin, parce qu’il sait que la nature n’a rien produit en vain, & après avoir doucement séparé chaque plant, il les porte à leur destination.

Dans l’endroit déterminé pour recevoir le plant à demeure, une fossé quarrée est ouverte à deux pieds de profondeur sur trois à quatre de largeur ; le fond même est travaillé par un fort coup de bêche. S’il y a du gazon dans le voisinage, ou s’il peut en transporter commodément, il s’en sert pour garnir le fond de la fosse ; enfin, il plante sa pourrette & dispose ses racines, ses chevelus, qu’il a conservés dans leur intégrité, avec autant de soin que l’amateur des vergers plante ses arbres fruitiers. Si le pivot, racine si essentielle, a tracé dans la caisse, & s’y est alongé de plus de deux pieds, il fait avec une cheville un trou assez profond dans le milieu de la fosse pour recevoir le pivot ; ensuite, à mesure qu’il arrange les racines secondaires, il les enterre, remplit la fosse, & observe qu’un terrain remué à deux pieds de profondeur, doit ensuite se tasser de deux pouces. Si ce cultivateur habite un pays chaud, où il pleut rarement pendant l’été, il a soin, à deux ou trois pouces au-dessous de la surface du sol, d’étendre une couche de vannes de blé, ou d’orge, ou d’avoine, de la recouvrir de terre afin d’empêcher la grande évaporation de l’humidité : enfin, il ravalle la tige à deux pouces. Si le champ où cette pourrette est plantée, est soumis au parcours des troupeaux, il environne, avec des broussailles piquantes l’espace de la fosse, & le jeune arbre est en sûreté.

Que d’objections ne fera-t-on pas contre cette méthode ! comment travailler le sol ? comment l’arroser ? enfin tous les comment possibles ? Je réponds, que dans les provinces du centre & du nord du royaume, les chaleurs sont peu fortes, les pluies assez communes & par conséquent le besoin des arrosemens très-rare : détourner les broussailles pour serfouir la terre, & les replacer, n’est une opération ni longue ni fatigante.

Dans les provinces du midi l’arrosement devient plus nécessaire & plus dispendieux. Je demande, n’y arrose-t-on pas les ormeaux, les peupliers blancs ou ypréaux, les oliviers, pendant les deux premières années de leur plantation ? Le mûrier est-il donc un arbre de moindre valeur que les deux premiers ? Pourquoi n’auroit-on donc pas pour lui les mêmes attentions ? & pourquoi craindroit-on plus la dépense ? ce n’est pas la coutume, voilà le mot de l’énigme. D’ailleurs la terre de la fosse qui contient la pourrette plantée en février, est déjà humectée par les pluies d’hiver ; elle le sera encore par celles de mars & d’avril, & en multipliant sur sa surface les balles de blé, elle peut, absolument parlant, se passer d’arrosement.

Au moyen du procédé qui vient d’être décrit, & en le suivant dans tous ses points, on est assuré que le jeune arbre enfoncera son pivot, pendant les années suivantes, aussi profondément qu’il trouvera de fond ; que ses racines secondaires suivront la même direction ; enfin que ses racines secondaires & latérales n’iront pas affamer les récoltes à la distance de dix toises, lorsque l’arbre aura acquis une certaine grosseur.

Je prie, avec instance, ceux qui trouveront cette méthode singulière & peut-être ridicule, de faire, avant de la condamner, l’expérience suivante : plantez une pourrette à la sortie du semis, & avec les soins indiqués, & dans une fosse voisine, un arbre provenu du même semis qui aura été mis & tiré de la pépinière, après lui avoir chaque fois coupé le pivot, raccourci les racines, &c., & vous verrez, quelques années après, lequel des deux offrira une plus belle végétation, & dix ans après, celui qui affamera le mieux la terre à une plus grande distance. C’est d’après des faits semblables, que l’homme sage se décide & prononce, tandis que la multitude tranche d’un seul mot ; mais heureusement ses décisions ont peu d’autorité. On dira à cette multitude : transportez-vous dans un jardin, dans une forêt ; comparez l’arbre venu de graine, avec celui qui a poussé sur souche, ou qui a été replanté sans pivot, examinez & voyez celui auquel vous donnerez la préférence.

Si des circonstances ne permettent pas au cultivateur de suivre la première méthode, il fait défoncer le sol de la pépinière à deux pieds de profondeur. Lorsque la terre est toute préparée, il ouvre de petites fosses de 12 à 15 pouces sur toute la longueur, il y plante la pourrette avec les mêmes soins indiqués ci-dessus ; & ainsi de rang en rang, tirés au cordeau.

Le pépiniériste défonce la terre à la profondeur d’un fer de bêche, (voyez ce mot) c’est-à-dire à 10 ou à 12 pouces ; il coupe le pivot de la plante, ne lui laisse que deux à trois pouces de longueur, coupe en grande partie les racines latérales, détruit la plus grande, partie des chevelus qui l’embarrasseroient ; enfin, avec une cheville, il fait un trou dans cette terre, y plante la pourrette, & avec cette même cheville il serre la terre contre, c’est-à-dire que les racines restent en paquets. On dira que tous les pépiniéristes ne travaillent pas ainsi : je répondrai que sur cent il y en a plus de quatre-vingts qui opèrent à la hâte, & comme il a été dit. Mais, ajoutera-t-on, ils ont de beaux arbres. Cette vigueur de végétation tient à la qualité & à la quantité d’engrais, & ces engrais sont déjà un grand vice de l’éducation de l’arbre ; ce qui sera bientôt prouvé.

Toute pourrette qui n’aura pas bien végété dans la première année du semis, soit par l’inconstance de la saison, soit par la négligence du cultivateur, doit être rejetée. Les pépiniéristes, pour ne rien perdre, la recèpent à fleur de terre, & laissent ce semis jusqu’à l’année d’après. On auroit tort de suivre cet exemple : toute pourrette qui n’a pas au collet de la racine la grosseur d’une plume à écrire, est trop foible pour être replantée. C’est la raison pour laquelle on ne doit négliger aucun soin dans le semis, & exciter la végétation par les engrais, les arrosemens, l’extirpation des mauvaises herbes, & les petits labours multipliés.

Section II.

Du sol de la pépinière.

Les pépiniéristes qui demeurent près des grandes villes, ont de grandes ressources dans les engrais de toute espèce ; elles sont très-utiles pour eux, & très-préjudiciables aux acheteurs. Ils préfèrent les excrémens humains à tous les autres ; ensuite la colombine, les fumiers des voiries, des tueries, des boucheries, &c. Il est certain que ces engrais occasionnent une végétation prodigieuse, surtout lorsqu’il est facile de largement arroser les arbres. Comme le mûrier ne doit pas être par la suite dans un terrain aussi engraissé, aussi substantiel, il a la plus grande peine à s’accoutumer à un sol, ou pauvre, ou médiocre, ou d’assez bonne qualité ; c’est tout au plus à la longue que cet arbre reprend le dessus. Le bon cultivateur qui travaille pour lui-même, & qui ne veut pas vendre ses arbres, n’imitera sûrement pas le pépiniériste. Il choisira un bon sol, le défoncera profondément, retravaillera souvent, & bannira toute espèce de fumier de sa pépinière. Si la couche inférieure de cette première superficie est argileuse, crayeuse, tuffacée, &c., les arbres réussiront mal, sur-tout si l’hiver y est pluvieux. Les racines ne pourront pas s’enfoncer, pivoter, & elles chanciront par l’humidité surabondante que retiennent ces couches imperméables à l’eau. Si, au contraire, la couche inférieure est graveleuse & sablonneuse, & ces substances mêlées en proportions nécessaires avec la terre végétale ou humus, il est démontré que les pourrettes réussiront à souhait, & encore mieux si la couche supérieure & l’inférieure sont formées par une terre bonne, légère & douce.

Section III.

De la conduite de la pourrette dans la pépinière.

On a déjà vu de quelle manière on devoit planter la pourrette ; elle ne doit pas l’être à la cheville, comme les choux, la vigne, &c., ainsi que le conseillent plusieurs écrivains, à moins qu’on ne soit pépiniériste, ou qu’on aime à brusquer tous les travaux. On doit laisser la distance de trois pieds en tous sens, d’un pied à l’autre.

Dans les pays méridionaux où le printemps est sec, il est très-prudent de planter la pépinière à la fin de novembre, si toutefois les feuilles sont déjà tombées du semis : ces plantations précoces donnent le temps à la terre de se tasser, de se serrer contre les racines, & aux fosses de bien s’imbiber des eaux pluviales. Comme les hivers y sont peu rigoureux, on n’aura rien à craindre des effets du froid. D’ailleurs un peu de paille, ou des balles de blé jetées sur les pieds, les garantira. Il résulte de cette plantation précoce, que les racines travaillent en terre, même dans la saison d’hiver, parce que les gelées ne pénètrent pas assez avant pour arrêter la végétation, & les arbres commencent à végéter quinze jours ou même un mois avant des arbres semblables, en février ou en mars. J’ai sous les yeux la preuve de ce que j’avance. On ne sauroit se figurer combien cette végétation accélérée, influe sur la longueur & la force de la tige qui se développe jusqu’à l’hiver suivant.

Dans des provinces du centre & du nord du royaume, il est possible de suivre la même méthode, puisque les grands froids ne commencent ordinairement qu’à Noël ou aux Rois ; ainsi, avec des précautions contre les gelées, & proportionnées à leur intensité, on gagneroit un temps bien précieux. J’oserois faire une question. Est-il bien démontré que les gelées fassent périr la pourrette réellement ligneuse, & non herbacée que l’on plante avant l’hiver ? Je ne le sais pas par expérience ; mais j’ai vu l’année dernière un pied de pourrette que j’oubliai, & qui resta hors de terre : depuis la fin de novembre jusqu’en février, quoiqu’il fût exposé au hâle, aux pluies, à des gelées de cinq degrés, il poussa très-bien après avoir été planté en février. J’oserois donc dire que le froid n’influe sensiblement sur les jeunes arbres que lorsque la lente végétation dans le semis, n’a pas permis à la substance de la pourrette de devenir ligneuse, c’est-à-dire qu’elle est encore herbacée & tendre.

En effet, le grand hiver de 1709 n’a fait aucun tort aux mûriers. Il en est donc de la pourrette comme du bourgeon qui a poussé sur le mûrier après la taille d’été, & qui est surpris par les gelées d’automne, parce qu’il n’est encore que dans l’état herbacé. Il seroit à propos, dans nos provinces du nord, de conserver les semis qui auroient mal réussi dans la première année, de les conserver pour une seconde, & de les planter en novembre de cette même année ; alors les pieds seroient véritablement ligneux, & ne craindroient pas la gelée. Lorsqu’on fixe la grosseur d’une plume pour exemple de celle que doit avoir la pourrette, c’est qu’alors, elle est assez ligneuse, & tout calibre en dessous est herbacé.

Je ne fixe, pour les provinces du nord, ni la fin de février, ni le commencement de mars, comme époque déterminée de la transplantation. Elle dépend de la manière d’être de l’année, & du climat que l’on habite. On doit replanter lorsqu’on est à peu près sûr que les grands froids sont passés.

Dans la Prusse & autres royaumes température semblable, il ne me paroît pas bien probable que les semis aient le temps, dans la première année, de produire des pourrettes propres à la transplantation ; la chaleur n’y est pas assez forte ni assez long-temps soutenue. Alors on doit y être forcé d’attendre la seconde année, & de garantir les plançons de la rigueur du froid. Cependant je ne présente cette idée que comme une assertion dont je n’ai pas la preuve.

La pourrette plantée dans la pépinière, ne demande plus qu’à être travaillée de temps à autre, & les labours doivent lui tenir lieu d’engrais. C’est le cas de dire avec Lafontaine : Travaillez toujours, c’est le fonds qui manque le moins. Quatre, cinq ou six labours de distance en distance, & même plus encore, seront couronnés du succès. Dans les provinces du midi, où l’eau d’irrigation & les pluies sont rares, & où la chaleur est forte & soutenue, couvrez le sol avec des vannes de blé après chaque labour. La bêche est l’outil par excellence, lorsque le sol n’est pas pierreux ; le trident, s’il est caillouteux ; enfin, les pioches dans les pays où les deux premiers ne sont pas connus.

Lorsque les feuilles des arbres en pépinière seront tombées naturellement, on visitera sa pépinière, & chaque arbre en particulier. Si quelques-uns ont poussé deux tiges, on supprimera la plus foible avec la serpette, (voyez ce mot) sans laisser sur la place ni becs ni chicots ; enfin on supprimera les branches inférieures de la tige à la hauteur d’un pied & demi environ. Si, au contraire, la tige est grêle & foible, il vaut mieux receper l’arbre à deux pouces au-dessus du sol. Je demande que les feuilles soient tombées naturellement ; car, avant cette époque, toute blessure faite à l’arbre est préjudiciable, & cause une extravasation de séve, & souvent des chancres. Je sais que la coutume de plusieurs cultivateurs est d’émonder la jeune tige des rameaux inférieurs à mesure qu’il en survient. Ces rameaux ont lieu par deux causes, ou par l’abondance de séve qui excède la végétation du pied, se porte aux boutons inférieurs, & les force à devenir à bourgeons ; ou parce que la séve n’étant pas assez forte pour s’élever jusqu’au sommet de la tige, elle se jette sur les boutons inférieurs qu’elle développe. Ainsi ces bourgeons naissent ou par excès de force, ou par foiblesse. Laissez dans le premier cas subsister les bourgeons, la nature l’indique, la tige en acquerra plus de volume ; dans le second, il y a peu à espérer d’une tige qui commence déjà à rabougrir ; c’est un arbre à arracher à l’entrée de l’hiver. On trouvera surement alors ses racines attaquées par les vers du banneton, du moine, par le taupe-grillon, ou par la chancie à l’endroit des meurtrissures qu’elles auront reçues lors de la plantation de l’arbre. Cependant si, sur une tige bien venante, on en voit une seconde, ou un trop fort bourgeon qui l’affameront, il convient de couper la tige surnuméraire, ou le bourgeon qui fait l’office de gourmand, (voyez ce mot) & de recouvrir la plaie avec l’onguent de saint Fiacre. (Voyez ce mot)

Si, après la première année de pépinière, la tige n’a pas une consistance assez forte & capable de recevoir la greffe, il vaut beaucoup mieux la receper près de terre ; cette opération fortifie, augmente le nombre & la force des racines, & il est rare qu’à la seconde année on n’ait pas une tige d’une superbe venue. Le morceau de la tige coupée est planté près du pied, & avertit le travailleur de prendre garde à ne pas l’endommager avec le pied : ce retranchement de tige doit avoir lieu en février ou en mars au plus tard, lorsqu’il ne gèle plus ; & avant que la sève soit en mouvement, on fera très-bien de recouvrir la coupure avec l’onguent de saint Fiacre.

Il sort souvent du tronc coupé plusieurs bourgeons qui formeroient autant de tiges. On les laisse végéter pendant quelques jours ; ensuite on les supprime les uns après les autres, & l’on conserve celui qui paroît le meilleur. Cette suppression doit être successive, il faut mettre quelques jours d’intervalle entre la destruction de chacun de ces bourgeons naissans, dans la crainte de fatiguer la plante trop à la fois. Si, l’année suivante, la tige est encore trop fluette, & s’il faut revenir à receper de nouveau, il vaut mieux arracher l’arbre, ou si on le conserve, ce sera pour les taillis, &c. Après deux ans de pépinière, un arbre qui n’a pas fait sa tige capable d’être greffée, ne prospérera jamais bien. Dans les pays très-froids où l’on ne peut espérer une belle végétation, on doit renoncer aux pépinières, & se contenter de faire venir les pieds d’un pays où le climat plus tempéré permet aux arbres de prendre des tiges d’une belle venue : cette assertion demande cependant quelque modification. Si, en sortant de la pépinière, l’arbre doit être planté sans avoir été greffé, alors on pourra l’y laisser jusqu’à que sa tige devienne forte, & on le greffera ensuite en place, ainsi qu’il sera dit ci-après.

Il est rare que dans la pépinière les tiges se recourbent, sur-tout si on a laissé la distance de trois pieds entre chaque plant. Le cas est plus commun lorsque l’on a planté plus serré ; alors on donne un tuteur à l’arbre pour le resserrer & le soutenir, & s’il pousse des branches latérales, on les laisse subsister afin de forcer la tige à prendre plus de grosseur.

CHAPITRE V.

De la greffe de l’arbre en pépinière, & de l’arbre planté à demeure.

Le mûrier est susceptible de toutes les espèces de greffe. (Voyez ce mot) La greffe à écusson est aujourd’hui la seule employée dans les pépinières. On greffe ainsi au bas de la tige de l’année, à six pouces au-dessus du sol. Si, dans cette partie, la tige n’a pas au moins six lignes de diamètre, c’est-à-dire dix-huit lignes de circonférence, elle est trop foible pour recevoir l’écusson. Quelques particuliers laissent un pied de tige au-dessus de l’écusson, afin que la sève étant partagée, ne se porte pas avec trop de force sur la greffe, & ne la noie pas. Ils laissent sur cette partie excédente épanouir quelques boutons ; ils les retranchent peu à peu à mesure que le jet de la greffe se fortifie, & cette partie excédente de la tige sert de tuteur au jet tendre de la greffe. Par cette petite précaution, on redresse le jet en assujettissant doucement & mollement contre le tuteur ; & lorsque le jet est assez fort, on supprime cette partie supérieure de la vieille tige qui devient inutile, & on recouvre la plaie avec l’onguent de saint Fiacre. Cette manipulation me paroît très-avantageuse, sur-tout dans les cantons exposés aux coups de vent. On ne doit greffer que lorsque la séve commence à être en mouvement.

Il est rare, dans les provinces du midi & dans celles du centre du royaume, que les greffes ne donnent pas d’un seul jet, une belle tige. Si, par un accident quelconque, la tige n’acquiert pas une hauteur convenable, il faudra la receper avant la pousse de l’année suivante, à un pouce au-dessus de la greffe, & supprimer rigoureusement les boutons qui s’épanouiront en dessous, sans quoi ils affameroient la partie de la greffe.

On peut également greffer à la seconde séve ; mais la tige ne s’élève jamais avant l’hiver à la hauteur nécessaire, qui est celle de cinq à six pieds. De tels arbres seront utiles dans les plantations en buissonniers, ou taillis, ou mûriers nains.

Si des circonstances quelconques n’ont pas permis de greffer dans la pépinière, à la première ou à la pousse après le recepage de celle-ci, on peut laisser l’arbre croître & se fortifier dans la pépinière jusqu’à ce qu’il ait acquis une grosseur convenable. Alors on le transplante à demeure, on arrête son tronc à cinq, six ou sept pieds de hauteur, & on lui laisse pousser, pendant l’année suivante, un certain nombre de branches. La trop grande quantité de ces branches ne leur permettroit pas de prendre une grosseur convenable ; aussi pendant le cours de l’été on supprime les surnuméraires, on laisse les trois ou quatre, ou cinq au plus, les mieux disposées & les mieux venantes, & on les greffe en flûte. Lorsque la séve est déjà bien en mouvement l’année d’après, la greffe à écusson réussiroit également, & seroit peut-être d’une plus facile exécution que l’autre pour le plus grand nombre des cultivateurs ; celle en flûte demande plus de précision. Il vaut beaucoup mieux profiter des premières pousses ou bourgeons, lorsqu’ils sont assez forts, que de ravaler ces mêmes branches à quelques boutons près, l’hiver suivant. Cependant, si des obstacles quelconques ont empêché de greffer, il faut en venir au ravalement ; mais on a perdu une année, & on a mis la partie au-dessous de la greffe & le tronc même dans le cas de produire beaucoup plus de branches sauvageonnes. Je n’entrerai ici dans aucun, détail sur la manipulation de ces greffes, sur les circonstances où elles doivent être faites. Ces répétitions deviendroient inutiles, puisque chaque objet est spécifié au mot greffe.

Cette transmutation d’une espèce dans une autre, est bien précieuse, & l’admiration devient extrême lorsqu’on l’envisage dans toutes ses parties. C’est le moyen unique d’ennoblir des espèces chétives, de conserver & de perpétuer les bonnes ; mais l’on doit faire attention que le mûrier greffé d’une manière ou d’une autre, vit moins long temps que le sauvageon. Il végète beaucoup plus vite, & avec plus de force ; il est donc naturel que son épuisement soit plus rapide. On doit encore observer que telle espèce de mûrier développe ses feuilles plus tard au printemps que telle autre ; il ne faut donc pas que dans la base d’un arbre la séve soit encore engourdie, tandis qu’elle est en mouvement dans la partie supérieure, & ainsi tour à tour. Il faut donc une appropriation, une affinité entre les deux sujets. Cette différence du mouvement de la séve sur un même arbre greffé, paroîtroit paradoxale si on n’avoit pas sous les yeux les belles expériences de M. Duhamel, rapportées au mot amandier, tome premier, page 458.

CHAPITRE VI.

De la transplantation de l’arbre fait.

On ne doit pas perdre de vue que j’écris pour le cultivateur qui prend soin lui-même de ses pépinières, & non pour le pépiniériste qui ne demande qu’à vendre, ni pour la personne qui achète sans réflexion ce qu’on lui donne, ou qui tient à de vieux préjugés.

Section Première.

Des fosses destinées à recevoir les Mûriers tirés de la pépinière.

Il est très-facile de fixer la largeur & la profondeur des fosses pour les arbres que l’on achète chez les pépiniéristes, & qui sont plantés suivant la plus mauvaise des routines ; six pieds en quarré, deux pieds & demi de profondeur, voilà la loi, ou beaucoup moins, si l’on veut ; il y a de l’espace de reste, puisqu’on ne laisse autour du tronc que des racines de douze à quinze pouces de longueur. Un diamètre de trois à quatre pieds est donc suffisant. Tel est sur ce sujet l’avis de plusieurs écrivains. J’ose dire : proportionnez la grandeur & la profondeur des fosses à l’étendue & au volume des racines ; maïs comme on ne peut connoître quelles seront leurs proportions, que lorsque l’arbre aura été tiré de la pépinière, on ne risque jamais rien de faire des fosses de trois pieds de profondeur sur six à sept de largeur, & de les faire quarrées & non pas rondes, parce qu’il y aura une plus grande masse de terre remuée.

Ceux qui veulent planter aux Avents, doivent faire ouvrir les fosses dans l’été & dans l’automne, pour les plantations de février ou de mars. Il est très-avantageux que la terre du sol reçoive les influences de la lumière & de la chaleur du soleil ; que la terre jetée sur les bords y soit soumise sur une très-grande superficie, ainsi qu’aux engrais météoriques. (Voy. le mot Amandement) Si le sol est de médiocre qualité, s’il est caillouteux, rocailleux, la fosse doit être plus grande & plus étendue en raison du peu de qualité du terrain. La terre végétale qui couvroit la superficie de la fosse, demande à être rangée sur les bords, & celle du dessous jetée au-delà. Cette première terre plus remplie d’humus, mieux divisée, mieux travaillée que l’autre, servira à garnir les racines lors de la plantation.

Si la grandeur des fosses qui vient d’être indiquée, lorsqu’on y présentera les racines de l’arbre, comme il sera dit ci-après, n’est pas suffisante, on sera à temps alors d’élargir le trou dans tous les sens. Que de dépenses & de soins on auroit évité, si la pourrette, sortant de la planche du semis, avoit été plantée à demeure, greffée sur place dans le temps, & travaillée chaque année suivant le besoin !

Ces vastes fosses ne sont pas aussi nécessaires pour les mûriers nains & pour ceux qu’on destine aux taillis. Cependant, plus il y aura de terre travaillée, & mieux l’arbre réussira & prospérera. C’est une première dépense une fois faite pour toujours, dont on sera ensuite amplement dédommagé par le succès. On ne met point assez d’importance dans la plantation d’un arbre, & on ne voit pas que les replantation en regarnissemens des arbres qui meurent, sont plus coûteuses que ne le sera jamais une plantation bien faite, sans parler en outre du temps perdu qui ne se répare jamais. Quoi de plus ridicule que de voir ouvrir des creux de deux à trois pieds de largeur, & y planter un arbre à racines écourtées, comme s’il s’agissoit d’un chou ! La fosse doit-elle être faite pour l’arbre ? ou les racines de l’arbre doivent-elles être écourtées pour la fosse ? Le bon cultivateur trouve facilement la solution de ce problème. On a de beaux arbres, dira-t-on, sans cet excédent de dépense, sans de si grands trous : je conviens de cette assertion ; mais ceux qui seront plantés avec le plus grand nombre de racines possible, ne seront-ils pas dix fois plus beaux ? Dans un espace de temps donné, ne seront-ils pas plus forts, plus vigoureux, & sur-tout en mourra-t-il un si grand nombre que dans les plantations faites à la hâte & guidées par la parcimonie ? Que le plus incrédule des hommes sur ce fait fasse une ou deux expériences, & il se convaincra de la vérité de mes principes.

La distance d’un trou à un autre ne sauroit être fixée : elle dépend de la qualité du sol, du climat & de la destination de l’arbre.

Le mûrier est destiné à border les champs & les grands chemins, ou à couvrir un champ ; je parle du mûrier à plein vent. Le sol est bon, médiocre ou mauvais, sec ou humide. Six toises sont à peine suffisantes dans un bon fond, où les arbres sont placés en lisière ; quatre dans le médiocre, & trois dans le mauvais.

Il faut que la nature du sol soit bien chétive, si on sacrifie un champ entier à la culture du mûrier. Il vaut mieux alors le planter en mûriers nains ou en taillis, les pieds à la distance d’une toise en tout sens pour les taillis, d’une toise & demie pour les nains, & à trois toises, si les arbres sont à plein vent.

Section II.

Du temps & de la manière de transplanter cet arbre.

On gagne beaucoup à transplanter de bonne heure, & on risque beaucoup à replanter tard, sur-tout dans les provinces du midi ; j’en ai déjà dit les raisons. Lorsque les feuilles sont tombées, la sève ne se porte plus aux branches ; cependant on voit encore sous l’écorce un suc épais, couleur de lait, qui suinte à la première incision, & l’intérieur du tronc offre une eau limpide & rousse. Il faut attendre que la première soit rendue plus épaisse par quelque froid ou par le temps, & que la seconde ne soit plus sensible. Le mûrier, dit-on, est le plus prudent de tous les arbres, parce qu’il pousse fort tard ; c’est que sa végétation ne peut avoir lieu que lorsque la chaleur de l’atmosphère est à un certain point. Il est près d’un mois plutôt feuillé dans le bas-Languedoc, dans la Provence, &c. que dans nos provinces du Nord ; cependant il est presqu’aussitôt défeuillé dans l’un & l’autre climat. Il est rare que dans le nord des gelées se fassent sentir avant le mois de novembre, & les gelées blanches sont très-communes au midi vers cette époque, sur-tout dans les cantons qui ont pour abri des chaînes de montagnes. Cette crainte des premiers froids est un reste d’habitude du pays originaire, qui est beaucoup plus chaud que celui où il a été transplanté. Cette chute des feuilles annonce que quinze jours ou trois semaines après, le cours des différens fluides dans le tronc de l’arbre, sera arrêté, & qu’on pourra le transplanter. Cependant on remarquera encore que le suc laiteux est visible, & qu’il ne le sera pas après l’hiver ; malgré cela, on ne court aucun risque de planter à la fin de novembre.

Le mûrier est peut-être celui de tous les arbres qui se prête le plus aux caprices de l’homme. J’ai vu dans le Lyonnois des mûriers de trois à quatre pouces de diamètre, être plantés pendant la seconde séve, & reprendre dans une balme très-sèche. Ils ne donnèrent pas, il est vrai, des feuilles avant l’hiver, mais leur végétation fut très-forte l’année suivante, quoique leur lactation n’eût pas été mieux soignée que celle des arbres les plus communs. Ces exemples ne sont pas rares dans les provinces méridionales. On y plante le mûrier en tout temps, & principalement au renouvellement des deux sèves. Cette transplantation seroit-elle avantageuse dans les Provinces du nord ? Je l’ignore.

Il y a une disproportion étonnante entre la grosseur & la hauteur des arbres dans une pépinière. La cause se présente d’elle-même. On a supposé qu’en levant le semis on a rejeté tous les plants dont la grosseur n’excédait pas une plume à écrire. Les plants préférés ont donc tous à peu près la même grosseur, & la différence qui se trouve alors entre eux, relativement à la grosseur, n’est pas en proportion à celle qui subsistera lorsque le temps de la transplantation viendra. En effet, on trouve dans une pépinière, au commencement de la troisième année, quelques centaines de pieds propres à être replantés ; un tiers à la quatrième, un autre tiers à la cinquième, & ce qui reste est appelé rebut de pépinière. Ces différences démontrent (toutes circonstances égales) que les pourrettes dont on a le plus morcelé, écourté, châtré le pivot, les racines & les chevelus, ont eu plus de peine à reprendre, à pousser de nouvelles racines, de nouveaux chevelus, &c. Mais si cette pourrette a été plantée avec les soins & les attentions indiqués, on ne remarquera certainement pas cette différence frappante de grosseur, & tous les arbres de la pépinière seront en état d’être replantés à la troisième année, parce que leur tronc aura au moins trois pouces de diamètre. Le pépiniériste ne trouve pas son compte dans cette uniformité ; il vend ses arbres en détail, saison par saison ; mais elle sera toute à l’avantage du cultivateur qui se dispose à de grandes plantations.

On a le plus grand tort de planter des arbres dont la base du tronc n’a que douze à dix-huit lignes de diamètre ; comme les canaux séveux sont encore peu serrés, il monte beaucoup de séve, & ils poussent au sommet de fortes branches. On admire leur végétation, sans observer que ces branches ne seront bientôt plus proportionnées à la force du tronc, & qu’à la seconde ou à la troisième année, elles ne recevront pas une quantité de sucs proportionnés à leurs besoins, qu’elles languiront, ou enfin qu’on sera forcé de les charger de plaies en les ravalant. En outre, ces arbres fluets demandent des tuteurs pour les soutenir, & c’est une augmentation de dépense. Les pépiniéristes ne tiendront pas ce langage, ils vous feront admirer la beauté de l’écorce, des feuilles, &c. ; ils veulent vendre, voilà le point.

N’achetez & ne plantez donc que des arbres de fort calibre, ou de trois à quatre pouces de diamètre ; cependant ne vous trompez pas en prenant des plants vieux en pépinière ; vous les reconnoîtrez à leur écorce grisâtre & chargée d’écailles qui se détachent sans peine de l’épiderme. Lorsqu’on les étêtera, on verra une couleur brune, régner presque sur toute la partie ligneuse, signe caractéristique de vétusté dans la pépinière.

Après avoir choisi l’arbre qu’il désire, l’acheteur le fait étêter dans la pépinière, & les ouvriers armés d’une bêche ou d’une pioche, enlèvent la terre tout autour du tronc, & à la moins grande distance qu’ils peuvent, afin de ne pas endommager les racines de l’arbre voisin. Avec le tranchant de la bêche, ou avec la serpe, ils coupent les grosses racines, & lorsque après avoir déraciné l’arbre, elles ont huit à dix pouces de longueur, ils croient avoir fait des merveilles. Peut-on, de bonne foi, dire que c’est bien travailler, & que la nature a pourvu l’arbre de fortes racines, pour donner au pépiniériste le plaisir de les mutiler !

Comme il a eu grand soin de couper le pivot en transportant la pourrette du sol du semis dans celui de la pépinière, il n’est pas obligé de creuser profondément, puisqu’il ne doit rencontrer que des racines latérales, & presqu’à fleur de terre ; c’est aussi ce qu’il demande ; il a moins de peine, & il ménage les pieds voisins, après cela on est surpris de la longue & pénible reprise de l’arbre planté à demeure, & de la quantité de ceux qui meurent à la première ou à la seconde année ? Pour moi, je n’y vois rien que de très-naturel, & je suis même surpris qu’il n’en meure pas un plus grand nombre.

Le cultivateur raisonnable agit d’une manière toute opposée ; il dit : je travaille pour moi, pour mes enfans ; un petit surcroît de peine momentanée, & même de dépense, sera bientôt oublié ; je jouirai plus vite, plus amplement, & je serai bien dédommagé. Il commence par ouvrir une tranchée de trois pieds de profondeur, un peu avant le fond de la pépinière, & il jette la terre par derrière, de sorte que le voilà libre de manœuvrer. Ensuite il attaque la pépinière par la partie la plus basse de la fosse, & il abat la terre du dessus. Dès qu’il trouve des racines, il les ménage, les range sur le côté, jusqu’à ce qu’enfin il soit parvenu à déraciner l’arbre entier. Si son pivot a pénétré au-delà de trois pieds, il creuse plus profondément dans cet endroit, & fait ensorte de l’en retirer tout entier. Ainsi les grosses & les petites racines, & tous les chevelus ne sont point endommagés. Les arbres enlevés de la fosse, & qu’il a eu soin d’étêter à la hauteur convenable avant l’opération, sont portés tout de suite près des trous dessinés à les recevoir, & même il a soin de couvrir leurs racines avec de la paille, afin de le garantir du hâle, du soleil, du froid, &c. Voilà donc un arbre tout entier, & dont les racines ont toute leur étendue. Si la fosse qu’on lui a destinée n’a pas une largeur proportionnée aux racines, il augmente son diamètre suivant le besoin. La longueur du pivot va sans doute l’embarrasser, puisque je n’ai supposé la fosse creusée que de trois pieds de profondeur ; le retranchent-il pour accélérer le travail ? Non ; sans doute ; mais armé d’un grand pal ou aiguille de fer, il ouvrira dans le milieu, & avec cet instrument, un trou semblable à celui dans lequel on plante le saule ou le peuplier, &c. & il lui donnera un diamètre & une profondeur proportionnés à la longueur & à a grosseur du pivot. Il commencera ensuite par y placer le pivot, il le garnira de terre fine tout autour, & il agira de même pour l’extrémité de chaque greffe, afin de la forcer à piquer en terre, de manière que toutes les racines & chevelus une fois disposés, imitent la forme d’un pain de sucre évasé par sa base. À mesure que chaque racine est mise en place, il l’assujettit avec la terre de la superficie de la fosse, mise en réserve, & il finit par combler le trou, en disposant la terre en plan incliné, dont la partie la plus élevée est du côté du tronc ; de cette manière, une petite rigole est toute formée autour de la fosse, elle reçoit les eaux pluviales, les rassemblent, & leur permet de s’insinuer entre la terre remuée & celle qui ne l’a pas été, & qui devient par-là plus perméable aux racines. Si au contraire les racines ont été écourtées, cette rigole autour de la fosse est inutile ; il vaut mieux la pratiquer à un pied & tout autour du tronc, afin que les racines soient abreuvées.

En travaillant de cette manière, on est assuré que les racines ne s’étendront pas horizontalement, & qu’elles ne parcourront pas une superficie prodigieuse entre deux terres, & on ne sera pas ensuite dans le cas de les mutiler avec la charrue lorsqu’on labourera ce champ.

On objectera que ces racines ne sont pas à cette profondeur dans la pépinière, qu’elles y sont plus horizontales ; cela est vrai, lorsqu’on a supprimé le pivot de la pourrette ; mais si on l’a ménagé, on verra très-peu de racines latérales : le fait est aisé à vérifier. D’ailleurs, il faut que les racines mères soient plantées assez bas pour que la bêche ou tel autre instrument ne puisse y atteindre lorsque l’on travaillera le pied de l’arbre. L’époque des racines latérales ne viendra toujours que trop tôt, lorsque celles qui pivotent ne pourront plus s’enfoncer, soit par la qualité du sol, soit par défaut de nourriture. Il est donc important d’éloigner le plus que l’on peut la poussée des racines latérales.

Les arbres plantés à la manière ordinaire, & qu’on a étêtés, poussent peu de racines, & souvent elles ne passent pas la largeur d’une fosse supposée d’un pied. Est-ce la faute de l’arbre ? Non, mais celle du planteur. Avant que l’arbre commence à pousser des tiges & des racines, il faut qu’il se remette des plaies sans nombre, dont on l’a surchargé à la tête & au pied. Il faut que ces plaies se cicatrisent, qu’il s’y forme de nouveaux bourrelets, d’où naîtront les racines, tandis que l’arbre planté, ainsi qu’il a été dit, n’a d’autre travail que de faire adhérer ses racines à la terre & à les y coller ; enfin, d’en attirer l’humidité séveuse. Encore une fois, comparez deux arbres voisins, plantés l’un suivant la méthode ordinaire, & l’autre auquel on aura laissé & racines & chevelus, & diriger vos opérations d’après l’expérience.

Des auteurs ont conseillé, & cette méthode est suivie dans plusieurs cantons des Cévennes, de n’ouvrir les fosses qu’à la profondeur d’un pied & demi sur une toise de largeur, mais d’en ouvrir une nouvelle tout autour de la première, à la même profondeur & sur douze à dix-huit pouces de largeur. Il est certain que par ce travail on facilite l’extension des racines, & lorsqu’on le continue jusqu’à ce que la dernière fosse touche la dernière de l’arbre voisin, toute la partie inférieure du champ est remplie de racines, & les arbres ont bien prospéré. Cependant il ne faut pas croire que toutes les racines soient à la profondeur d’un pied & demi, qui est celui de la fosse, & quand même elles y seroient, il y aura toujours un très-grand nombre de racines latérales supérieures, & il augmentera beaucoup dès que ces premières racines rencontreront celles de l’arbre voisin. Il faut que les racines vivent, il faut pourvoir à la subsistance des branches, &c. Les racines, se porteront donc du côté où elles trouveront le plus de nourriture. Cette méthode est très-coûteuse & très-bonne, lorsque l’on n’a pas planté assez profondément, & lorsque les arbres sont à racines écourtées. D’ailleurs, je me récrierai toujours lorsque je verrai un bon champ à froment, sacrifié à la culture du mûrier. J’accorde qu’on garnisse les lisières, & qu’on borde les grands chemins avec cet arbre plus lucratif que les ormeaux, que les frênes, &c.

Si le sol est de qualité médiocre, on fera très-bien de garnir le fond de la fosse avec des gazonnées, avec du fumier bien consommé lorsqu’on le pourra ; ces substances attireront les racines.

L’arbre une fois planté, il ne reste plus qu’à couvrir les coupures faites au sommet avec l’onguent de S. Fiacre, afin que l’écorce recouvre plus promptement les plaies, & que le hâle ne dessèche & n’endommage pas l’aubier. Tout le monde sait que ces coupures doivent être faites ras l’arbre, & qu’il ne doit y rester, ni chicots, ni irrégularités.

Je n’insisterai pas ici sur la nécessité de ne point enterrer la greffe en plantant l’arbre ; c’est un axiome de culture qui n’est inconnu à aucun bon jardinier, & il sait en même temps que la terre s’affaisse d’un pouce par pied si elle est bonne, & beaucoup plus en raison de son peu de qualité. En conséquence, il a soin de proportionner la hauteur de la greffe au dessus du sol, en raison de son tassement. Jamais greffe enterrée, n’a produit un bel arbre, ni de longue durée ; ses feuilles ont toujours une teinte pâle, un air souffrant, elles tombent très-vite, & nuisent à la bonne éducation du ver à soie.

Les soins que demande la plantation des arbres à haute tige, sont les mêmes pour les arbres nains pour les taillis ; la seule différence est dans la largeur de la fosse qui doit être proportionnée à l’étendue de toutes les racines.

On n’est point d’accord sur la hauteur qu’on doit laisser à la tige des arbres à plein vent. Les uns la veulent de cinq pieds, les autres de six à huit ; il s’agit de s’entendre, & tous auront raison. Dans un champ maigre, que l’on sacrifie en entier aux mûriers, & dans lequel les troupeaux ne doivent pas entrer, une tige de cinq pieds est suffisante, parce qu’il faut plutôt consulter la facilité de la cueillette des feuilles, que les récoltes que ce champ pourroit absolument parlant donner.

Si le sol est bon, s’il est tout planté en mûriers, & qu’on lui demande une récolte en grains, ce n’est pas trop de demander sept, huit à neuf pieds de tige, & beaucoup d’élévation dans les branches, afin que le soleil & l’air se portent librement, sur les blés.

Si le sol est bon, & qu’il s’agisse de border un chemin, l’ordonnance établit que les branches seront élevées à la hauteur de quinze pieds, afin de ne pas gêner la voie publique ; dès lors, une tige de sept à huit pieds devient nécessaire. Mais fixer décidément ces différentes hauteurs, c’est induire en erreur. La règle la plus sûre, est de proportionner la hauteur à la force du pied. Un tronc efflanqué exige un tuteur ; malgré cela, il se tourmente sous la pesanteur de ses branches.

Je reviens à la manière dont le cultivateur éclairé enlève ses arbres de la pépinière qui, à coup sûr, ne ressemblera pas à celle des vendeurs d’arbres. Que fera-t-il des pieds dont le diamètre ne sera pas dans la proportion demandée ? Il les destinera à être plantés comme des arbres nains, ou en taillis : objets dont on va s’occuper.

J’observerai, avant de finir cet article, que le mûrier est encore un des arbres qui souffre le moins de la replantation, quoique le tronc soit déjà d’une certaine grosseur. J’ai fait replanter des mûriers âgés de plus de vingt cinq ans, dont le tronc avoit depuis huit jusqu’à dix pouces de diamètre, & dont la tige n’avoit pas plus de quatre à cinq pieds d’épaisseur. J’en ai étêté quelques-uns ras le tronc, & à d’autres j’ai laissé la naissance des grosses branches sur la longueur d’un pied. Ces arbres furent enlevés avec le plus grand nombre de racines & avec grand soin, & arrosés deux fois dans la première année. Leurs pousses ont été très-belles & prodigieuses à la seconde & à la troisième année. Je viens d’en faire enterrer une grande partie, c’est-à-dire, couvrir de terre le tronc & les branches, de manière qu’il ne sort de terre que l’extrémité des branches. Ils sont dans cet état, depuis le commencement de juillet, & aujourd’hui dernier jour d’octobre, leurs feuilles sont plus vertes que celles des autres. Ces arbres périront-ils ? quand périront-ils ? l’expérience en décidera. Au quinze avril 1786, ces arbres sont en pleines feuilles, & végètent très-bien.

CHAPITRE VII.

De la conduite du Mûrier à plein vents nain & en taillis.

Si on a planté le mûrier à la fin de l’automne, on doit donner le premier labour en mars ; on en donne ensuite un tous les trois mois, & même plus souvent si on le peut : ce travail n’est jamais perdu. Dans les provinces du midi, on fera très-bien de les arroser une fois ou deux dans les deux étés qui suivent la plantation, & sur-tout pendant le mois d’août, temps auquel la sécheresse se fait le plus sentir.

Section Première.

De la taille du Mûrier à plein vent.

Durant la première année, cet arbre n’exige aucun travail particulier, sinon les labours dont on a parlé. Cependant on visite de temps en temps ses arbres, afin de supprimer les gourmands qui s’élancent quelquefois du milieu du tronc. Si au contraire, dans le bas & sur la longueur de la tige, le mûrier pousse de petites branches fluettes, & en petite quantité, on peut les laisser jusqu’à la fin de l’automne : elles contribuent à la grosseur du tronc, & empêchent que la sève ne se porte avec trop de véhémence vers les bourgeons. Si au sommet ou tête de l’arbre, au milieu des branches qui poussent, il en paroît une beaucoup plus forte & plus attirante que les voisines, on doit la retrancher proprement ; elle affame ses voisines & devient un véritable gourmand. Si au contraire, plusieurs branches d’égale force à peu près, couronnent la tête, il faut les laisser subsister sans y toucher, & pousser à leur fantaisie. Ce n’est qu’à l’entrée de l’hiver, ou après qu’il est passé, qu’il convient de ne laisser que le nombre nécessaire de branches, par exemple, trois ou quatre au plus, & recouvrir les plaies avec l’onguent de saint Fiacre.

On a la mauvaise habitude de choisir, lorsqu’il s’agit de créer la tête, trois à quatre branches qui partent de la même hauteur sur le tronc, c’est-à dire, que leur disposition offre un cône renversé, ou la forme d’un entonnoir. On ne fait pas attention que le bourrelet placé à l’insertion de la branche au tronc, établit un rebord tout autour ; que le sommet de ce tronc, souvent mal recouvert par l’écorce, pendant les deux à trois premières années, devient une espèce de réservoir où l’eau pluviale reste stationnaire, gèle, établit un chancre, d’où résulte une pourriture qui dans la suite gagnera insensiblement toute la partie du tronc, & pénétrera jusqu’aux racines. Telle est l’origine la plus commune de ces arbres caverneux, où il ne reste plus que l’écorce. Les chicots concourent également à produire cet effet. On auroit pu prévenir cet inconvénient en couvrant les coupures avec l’onguent de saint Fiacre, & en le renouvelant chaque année, jusqu’à ce que l’écorce ait entièrement cicatrisé la plaie. Qu’on ne s’y méprenne pas : l’écorce est à l’arbre ce que la peau est à l’homme, elles seules se régénèrent ; mais le bois, mais la chair une fois détruits, ne se régénèrent jamais, & la plaie seroit éternelle, si la peau ou l’écorce ne venoit à la fermer. Il vaut donc mieux sacrifier la symétrie & laisser partir les branches d’une inégale hauteur. Alors il n’y a plus d’entonnoir proprement dit, les eaux pluviales ne sont plus retenues, ni rassemblées dans un même lieu ; enfin on ne craint plus l’effet des gelées, ni le croupissement des eaux. Un autre avantage de cette disposition des branches est de faciliter la monte sur l’arbre ; elles forment autant d’échelons.

Si le tronc est maigre & fluet, si les branches sont foibles, ce qui est très-ordinaire sur de pareils troncs, on fera très-bien, au commencement de la seconde année, de les ravaler à un demi-pied, ou à un pied suivant leur force : si au contraire le tronc est fort, les branches vigoureuses & bien disposées, je ne vois pas la nécessité de les ravaler ; les bourgeons qu’elles pousseront à la seconde année, formeront la tête de l’arbre. Cependant si l’on prévoit que la séve doive trop se porter au sommet de ces branches vigoureuses, on peut les arrêter à peu près dans l’endroit où doivent sortir les derniers bourgeons, ou vers le bourgeon s’il est déjà formé. Je n’aime pas faire inutilement des plaies sur les arbres.

Le point essentiel d’où dépend la beauté & la prospérité de la tête de l’arbre, est de conserver, à la seconde année, & dans toutes les suivantes, un équilibre parfait ; c’est-à-dire, faire en sorte que la séve se distribue également dans toutes les branches ; car si une branche se porte d’un côté, elle attirera bientôt à elle tout le courant de la séve, & les branches voisines insensiblement appauvries, languissent & meurent. Cet effet a très-souvent lieu, lorsque la bonne qualité de la terre, ou un fossé, ou un lieu plus humide que les autres, attirent les racines ; les branches suivent pour l’ordinaire, la direction des racines. Si une branche est trop forte, & sa voisine trop foible, la première demande une taille longue, & la seconde une taille courte à un, deux ou trois yeux, suivant sa vigueur. Les jardiniers qui sacrifient tout au coup d’œil, tiennent indifféremment toutes les branches à la même hauteur, & ils appellent cette opération former une couronne. Il ne s’agit pas ici, d’une symétrie qui plaise aux ignorans, mais de la conservation de l’arbre. Les branches foibles ainsi tenues, resteront toujours foibles, & les autres toujours trop vigoureuses. Le cultivateur instruit ravale ces dernières, afin de les obliger à pousser des bourgeons qui se mettront ensuite en équilibre avec les autres branches ; & jusqu’à cette époque, les branches foibles acquerront une bonne consistance. De ces petits détails passons à l’examen de l’objet en grand.

§. I. Quand faut-il tailler ? Chaque pays suit la coutume qui y est établie, & la majeure partie de ses habitans ne met pas seulement en problème s’il est possible & avantageux de s’écarter de cette routine. La taille du mûrier est fixée à trois époques, ou depuis la chute des feuilles jusqu’à la fin de l’hiver, ou après la récolte des feuilles, ou enfin un peu avant le renouvellement de la seconde séve. La taille pratiquée à l’une des deux dernières époques, me paroît contrarier la loi de la nature.

On sait que la récolte des feuilles force la séve à refluer dans le corps de l’arbre, dans les branches, & que si cet arbre ne se hâtoit de repousser de nouvelles feuilles, ses canaux seroient engorgés au point que la séve s’y putréfieroit, & la mort ne tarderoit pas à être la suite de cette stagnation contre nature.

N’est-il donc pas évident que si l’on taille à cette époque, que si on supprime des mères branches, ou une quantité assez considérable des branches du second ou du troisième ordre, la séve concentrée dans les racines, dans le tronc, dans les branches laissées sur l’arbre, s’y trouve en surabondance, & par conséquent elle est gênée dans sa circulation. En effet, l’arbre dépouillé de ses feuilles, a perdu les poumons au moyen desquels il aspiroit pendant la nuit, l’humidité & l’air atmosphérique, & pendant le jour, rendoit à l’atmosphère, l’humidité, l’air pur & les secrétions que la chaleur du soleil faisoit monter des racines aux feuilles.

L’expérience vient à l’appui de ces assertions. J’ai observé, soit en Italie, soit en Piémont, soit dans toutes les provinces du royaume où le mûrier est cultivé en grand, que le tronc de cet arbre taillé à cette époque, étoit chargé de gouttières d’où suintoit une humeur épaisse, visqueuse & ressemblant à de la sanie. On voit encore que cette humeur est plus tenace, plus consistante pendant les grandes chaleurs, qu’elle est plus fluide, plus abondante au renouvellement des deux séves, & après les jours pluvieux ; enfin qu’elle est moins âcre, moins caustique dans ces derniers cas que dans les premiers.

Si on examine séparément presque tous les gros mûriers du bas-Languedoc, à peine en trouvera-t-on quelques-uns exempts de cette carie, si ces arbres ne sont pas déjà caverneux.

Les cavités qu’on y rencontre, les excavations sont elles-mêmes des témoins qui attestent l’action des fluides viciés & sanieux, dont l’activité corrosive a successivement fait pourrir la partie ligneuse. Je conviens que ces cavités prennent quelquefois naissance au sommet du tronc, ainsi que je l’ai dit plus haut, qu’elles gagnent peu à peu jusqu’aux racines, mais on ne doit pas les confondre avec les gouttières sanieuses. Les chicots (voyez ce mot), & la disposition de la naissance des branches en forme d’entonnoir, produisent les premières, & la taille d’été occasionne les secondes. Le mûrier taillé dans la saison convenable, & conformément aux loix de la nature, végète, pousse, subsiste, vieillit, & son tronc reste sain, sans cavité ni gouttière.

La taille faite un peu avant le second renouvellement de la séve, a des suites aussi fâcheuses que la première, & elles sont encore plus multipliées.

Supposons, à cette époque, que la sève monte en masse estimée cent ; que la masse des branches soit également de cent, n’est-il pas évident que si par la taille on supprime trente ou quarante ou cinquante de l’arbre en branches du premier ou du second ordre, le diamètre des canaux des branches restantes sur l’arbre, ne sera plus en proportion de la masse de la séve. Cependant cette sève surabondante est forcée par l’action du soleil, de monter des racines aux branches ; mais ne pouvant y parvenir dans sa totalité, elle distend peu à peu le diamètre des vaisseaux, amincit la partie la plus foible de leur superficie, brise la résistance qui s’oppose vainement à son impétuosité, perce, corrode l’écorce ; enfin se fait jour à l’extérieur où elle produit un chancre, une gouttière qui ne se fermera plus. On peut encore observer que la gouttière s’établit par préférence, sur la partie de l’écorce qui a été autrefois ou meurtrie par des coups, ou par des ligatures, lorsque l’arbre étoit jeune.

La carie est l’effet des deux tailles de l’été, & ce n’est pas le seul mal que la dernière produit. Si depuis la dernière époque, la chaleur n’est pas active & soutenue, s’il survient une gelée précoce, ou des rosées blanches pendant l’automne, elles attaquent les bourgeons nouveaux, encore tendres & herbacés. Ici finit leur végétation, ils périssent & se dessèchent sur pied. Si ce jeune bourgeon n’a pas eu le temps avant le froid, de devenir ligneux, il ne résistera pas à la rigueur de la saison : enfin, s’il est parvenu à l’état de bois parfait, il offrira à la vue une branche chiffonne, qui déparera l’arbre, & absorbera en pure perte une partie de la séve pendant les années suivantes. Tel est le sort de presque toutes les pousses du mûrier taillé vers la seconde séve.

Il est difficile que cela ne soit pas : en effet, comment se persuader que la séve se portera plus facilement à former de nouvelles branches, qu’à continuer sa route dans les vaisseaux déjà établis, & ou elle circule librement depuis le retour de la chaleur. Les anciennes branches ont tout ce qu’il faut pour l’attirer ; garnies de feuilles, elles la pompent & l’épurent pour leur propre accroissement, & afin de servir de nourrice au bouton qui se forme à leur base, & qui ne e développera que l’année d’après.

Enfin la séve suit sa route naturelle, & aucun obstacle ne l’arrête dans sa course. L’humble bourgeon au contraire, craint de paroître, prend à la dérobée quelque peu de la surabondance de la séve, végète languissamment, & à peine a-t-il la force, avant l’hiver, d’acquérir la consistance d’aubier. (Voyez ce mot) L’inspection seule des pousses démontre mieux ce que j’avance que tous les raisonnemens.

Cette taille tardive réussit cependant quelquefois dans nos provinces méridionales, lorsque la chaleur du reste de l’été & de l’automne est soutenue, & lorsque les gelées ou les rosées blanches sont tardives ; malgré cela, je ne saurois la conseiller.

La véritable & seule époque de la taille est indiquée par la nature. Les feuilles tombent, donc la végétation générale cesse ; donc tous les boutons qui doivent former les bourgeons au printemps suivant, ont acquis leur perfection. La taille faite huit à quinze jours après la chute complète des feuilles, donne le temps à la plaie, non pas de se cicatriser, mais à l’écorce seulement & au bois de se durcir à la superficie, & de résister aux intempéries de la mauvaise saison qui approche. L’onguent de saint Fiacre appliqué sur les plaies un peu fortes, est le meilleur préservatif.

Tous les arbres quelconques sont obligés de suivre la loi qui leur est particulière, soit pour le développement, ou pour la chute de leurs feuilles. Une chaleur habituelle de deux à trois degrés suffit au développement des feuilles du sureau ; celle de quatre à cinq pour les saules, les peupliers, les amandiers, les pêchers &c. ; celle de six à sept pour les frênes & pour les alisiers ; enfin les arbres les plus prudens, tels que le noyer, le châtaignier, le mûrier exigent une chaleur de huit à neuf degrés, & la chute des feuilles de ces arbres suit naturellement les mêmes proportions, à moins que des accident ne Viennent en déranger l’ordre. Si une gelée hâtive accélère la chute des feuilles, il convient de ne tailler qu’à l’époque fixée par la nature.

Dès que l’arbre est dépouillé de ses feuilles, il ne monte plus ou presque plus de séve. Son tronc, ses branches sont engourdis ; les racines seules travaillent dans la terre, y élaborent les sucs nourriciers qui doivent y reporter la vie, lorsque l’air atmosphérique aura repris le degré de chaleur nécessaire à l’ascension de la séve ; mais le froid pénètre dans la terre jusqu’à une certaine profondeur ; les racines sont à leur tour engourdies, & cet engourdissement suit la marche du froid. On ne doit jamais perdre de vue que la végétation est toujours en raison de la chaleur ambiante. Ainsi, dès que la séve ne se portera plus aux branches, on n’aura plus à craindre le reflux de la transpiration dans la masse des humeurs, ni que la véhémence du fluide nourricier l’extravase, & forme des chancres & des caries. La nature a donc marqué elle-même l’époque de la taille du mûrier.


Planche XVIII, fig. 25, article Arbre
§ II. Comment faut-il tailler, c’est-à-dire, comment faut-il former & entretenir la tête du mûrier ? Tout arbre suit une loi constante dans la disposition de ses branches. L’arbre naturel qui n’est point contrarié par la main de l’homme, pousse des branches suivant des angles réguliers. Les premiers angles des branches avec la tige, font de dix degrés, & annoncent son enfance. (Voyez Tome I. Planche XVIII, Figure 25, page 570). Cet arbre conserve sa grande force tant que les branches ne s’écartent pas du tronc par des angles de trente à quarante degrés ; il est alors dans l’âge de virilité : cette vigueur commence à décroître par les angles de cinquante à soixante degrés ; l’arbre languit à soixante-dix ; à quatre-vingts il porte déjà l’empreinte fâcheuse de la caducité, & il meurt avant que ces branches soient parvenues à l’angle du quatre-vingt-dixième degré. Ces divisions ne sont point arbitraires, on les trouve écrites en caractères ineffaçables dans le grand livre de la nature, & c’est le seul que l’on doit lire pour apprendre à se conformer aux principes qu’elle dicte.

Il ne s’agit pas ici de l’arbre en espalier, c’est un arbre contre nature, mais de l’arbre ou du mûrier à plein vent. Quelques arbres toujours verts ne sont pas soumis à la loi dont on vient de parler, puisque leurs branches sont naturellement parallèles à l’horizon, & il seroit ridicule de vouloir les rappeler à l’angle de quarante ou de trente degrés.

D’après cette loi immuable, le but de la taille du mûrier est donc de conserver ou de faire prendre à ses branches la direction qui les rapproche le plus de celle de la virilité de l’arbre, c’est-à-dire, l’angle de quarante à quarante-cinq degrés. L’expérience prouve que cette direction est la plus avantageuse, & qu’elle perpétue & ménage la force de l’arbre.

Si on laisse subsister la branche verticale ou sommet de la tige, la séve y afflue avec véhémence, le bois s’emporte, & attire à lui la plus grande partie des sucs nourriciers, & finit par appauvrir & dessécher les branches inférieures : tel est l’arbre forestier. Toute branche perpendiculaire est au mûrier ce que le gourmand (voyez ce mot), est à l’arbre fruitier en espalier ; c’est le destructeur de l’arbre, si on n’y remédie.

Si la taille est parallèle, suivant la coutume d’une grande partie du bas-Languedoc, on aura pendant quelques années, beaucoup de jeune bois, & par conséquent des feuilles larges & bien nourries, mais l’arbre s’épuise, & on est contraint à revenir souvent à de fortes tailles.

Par le parallélisme des branches mères, elles parviennent à l’angle de quatre-vingt à quatre-vingt-dix degrés, signe de décrépitude, ou tout au moins de souffrance. Prodigieusement alongées & surchargées de bourgeons & de feuilles, elles s’inclinent vers la terre, languissent, & le peu de vigueur qui leur reste, se consume à pousser des branches chiffonnes.

Une nouvelle taille dans ce cas, devient indispensable : on sera bientôt forcé à recourir à une autre plus forte que les précédentes ; l’arbre s’exténue & arrive à la complète décrépitude, long-temps avant l’époque fixée par la nature.

Le mûrier au contraire, dont toutes les branches auront à peu près été dirigées sur des angles de quarante à cinquante degrés, ne s’épuiseront pas en bois gourmands ; leur végétation suivra une marche uniforme, le tronc s’élèvera, & grossira en raison de la force & de l’étendue de ses branches, de manière que chaque partie restera en proportion avec le tout, & le tout avec ses parties.

Dans la taille horizontale, au contraire, les mères branches sont peu nombreuses, & les branches perpendiculaires, qu’elles poussent, très-multipliées ; mais comme chaque nouvelle branche en pousse de nouvelles sur le côté, dès la seconde année, ces dernières n’ayant plus ni assez de nourriture, ni assez d’espace pour s’étendre, l’arbre appelle l’homme à son secours ; il faut le couronner, si on veut le rajeunir, ou être sans cesse le fer à la main, ce qui l’épuise.

On a trop sacrifié à la facile cueillette de la feuille ; ces têtes d’arbres sont aplaties en manière de parasol : leurs branches s’étendent au loin ; & l’on ne peut plus semer au-dessous que des grains pour fourrage, encore faut-il le moissonner, qu’ils soient ou ne soient pas au point convenable, avant la récolte de la feuille.

Le mûrier, dont les branches seront à l’angle de 40 à 50 degrés, s’élèvera plus que le mûrier taillé parallèlement. Le nombre des branches du premier & du second ordre, sera plus multiplié, & par conséquent, la personne préposée à la récolte de la feuille, trouvera un plus grand nombre de points d’appui, contre lesquels elle assujettira son échelle ; dès-lors la facilité de la récolte des feuilles, deviendra égale. Un mûrier livré à lui-même, depuis le moment de sa plantation, fourniroit plus de feuilles, puisqu’il auroit plus de surface, & cet avantage est encore plus marqué sur celui dont les branches sont à l’angle de 40 à 45 degrés.

Ce parallélisme des mères branches établit sûrement la cavité, dont on a parlé, & où se rassemblent les eaux sur le pivot de l’arbre. En effet, je n’ai jamais vu aucun de ces gros mûriers, qui ne fût caverneux : c’est d’ailleurs une perte réelle du tronc, qui ne peut plus servir à faire des douves de tonneaux, objet si cher & si précieux dans ces pays peu boisés. Ces fatales cavités sont très-rares dans l’arbre, sur lequel les branches ne partent pas toutes de la circonférence du sommet du tronc, mais dont la base est placée à quelque distance des unes aux autres. Dès-lors, il n’y a plus de stagnation d’eau, d’accumulation de poussière, dès lors la transpiration n’est plus arrêtée dans cette partie, ainsi, il n’en résulte ni chancre ni pourriture.

» Il est constant que la taille des mûriers a plutôt été établie dans les différens cantons, d’après l’habitude, que sur les principes de la végétation. En Espagne, dans le royaume de Valence, les cultivateurs font en sorte que les branches s’étendent le plus horizontalement qu’il est possible, afin de donner une plus grande facilité, pour ramasser la feuille ; & s’il manque à l’arbre quelques-unes de ces branches, ils en greffent avec beaucoup de facilité aux endroits où il convient qu’elles soient. Les Valenciens prétendent que leur soie est plus fine, plus nette, plus légère que celle de Murcie, parce que les Murciens n’émondent leurs mûriers, que de trois en trois ans ; cette méthode, à ce qu’ils prétendent, rend la feuille plus dure & plus filandreuse ; mais cette conséquence est fausse, car j’ai observé, ajoute M. Bowles, dans son Histoire Naturelle d’Espagne, que les habitans du royaume de Grenade ne taillent jamais leurs mûriers, & qu’ils croient, toutefois avec assez de fondement, que leur soie est la plus fine de l’Espagne : à la vérité les arbres de Grenade sont des mûriers noirs ; ceux de Valence & de Murcie sont des mûriers blancs ; & la graine de ver à soie de ces deux derniers endroits, transplantée en Galice, où il n’y a pas de mûriers noirs, n’y a pas réussi, tandis que celle de Grenade y a eu de plus heureux succès, parce que les vers s’y élèvent avec des feuilles homogènes à celles du pays. » Il est clair que la taille particulière à chaque endroit, tient à l’habitude & non aux principes. Je n’ai cessé de répéter qu’il n’y avoit aucune loi générale pour tous les pays ; cela est vrai, quant à ce qui concerne les époques de tailler, de semer, &c. qui sont soumises aux climats, mais les lois de la végétation sont partout les mêmes, la nature n’a qu’une marche uniforme : elle ne doit donc jamais être violée dans aucun endroit.

D’après ce qui vient d’être dit dans cette Section, sans considérer si telle ou telle taille contribue à la qualité de la feuille, & par conséquent à celle de la soie ; mais en ne regardant l’arbre que comme arbre, on doit conclure que la taille horizontale amène plus promptement l’arbre vers sa décrépitude, nuit au tronc, & occasionne une perte très-considérable au sol recouvert par les branches. La taille dirigée vers l’angle de 45 degrés, maintient l’arbre dans sa position naturelle ; il y a annuellement moins de bois à ôter, & la récolte du dessous n’est presque pas endommagée. Dans le premier cas, il faut que l’échelle du cueilleur soit promenée sur toute la longueur des branches qui sont très alongées, & parallèlement étendues ; dans le second, l’échelle ne sert presque que pour monter sur l’arbre, dont les branches sont tellement disposées, que des unes aux autres on parvient facilement au sommet, & on cueille toute la feuille. On objectera que l’on court les risques de tomber de plus haut ; en ce cas il faut donc détruire les cerisiers, & tels autres arbres qui sont aussi élevés que les mûriers. Je conviens que ces accidens sont funestes, terribles, cependant ils ne sont jamais que la suite de l’imprudence du cueilleur. Le bois du mûrier est souple, peu cassant, dès que la branche a une certaine force. La suppression des mûriers, à plein vent, est le seul moyen de remédier à ces chutes ; cette idée n’est point aussi bizarre qu’elle le paroît au premier coup d’œil : c’est ce qu’il faut prouver.

Section II.

De la conduite & de la taille du Mûrier.

L’expérience a prouvé que la pourrette donnoit des feuilles plus précoces que les arbres à plein vent ; que des mûriers en buisson se feuilloient également plus vite, & la nécessité d’avoir des feuilles au moment que le ver à soie vient d’éclore, a obligé de se pourvoir d’un certain nombre de pieds en buissonniers. Peu à peu de tels arbres ont servi à former des haies, autour des champs, & on a trouvé que leurs feuilles étoient très-utiles au premier & au second âge des vers. C’est de-là, sans doute, qu’on est parvenu à l’idée de soumettre, en France, les arbres nains à une culture réglée ; elle n’est pas nouvelle aux Indes orientales, & suivant le rapport de quelques voyageurs, c’est la plus commune : M. de Payan d’Aubenas est le premier qui l’a essayée en grand, & son exemple commence à gagner de proche en proche. Si on n’avoit pas à redouter le parcours des troupeaux, il seroit très-avantageux de circonscrire les champs avec des haies semblables : outre les services essentiels que rend une haie (voyez ce mot) on auroit ici le bénéfice de la feuille ; & je réponds, d’après ma propre expérience, que chaque pied de mûrier greffé par approche sur le pied voisin, ainsi qu’il est dit au mot haie, cloroit plus sûrement une possession, qu’un mur. Cette opération réuniroit l’utile & l’agréable : Revenons aux mûriers nains, & écoutons M. de Payan, dans une lettre adressée à M. Faujas de St. Fond, insérée dans son Histoire Naturelle du Dauphiné.

« Les mûriers nains connus depuis long-temps, par quelques bordures cultivées à Bagnols en Languedoc, dans l’intention d’avoir de la feuille tendre & précoce, furent traités très-en-grand à Aubenas, où j’en fis faire des plantations immenses, il y a environ trente ans.

» Ces plantations, encouragées par le gouvernement, furent imitées de proche en proche, malgré l’opinion où l’on étoit que la mienne ne réussiroit jamais dans le mauvais sol où je l’avois établie.

» En effet, l’observation des anciens propriétaires des mêmes possessions, qui avoient essayé, vainement depuis soixante ans, d’y planter des arbres à plein vent, auroit dû me décourager, ou du moins m’engager à ne faire des essais qu’en petit ; mais j’avois reconnu déjà que le mûrier nain étoit d’un tempérament tout différent de celui qu’on élève en plein vent, & qu’il demandoit une culture d’un autre genre. Le succès répondit à mes espérances, & ma plantation n’a cessé, outre l’exemple qu’elle a donné, d’être de la plus grande utilité à tout le canton, où les habitans ayant tous les mêmes besoins, & manquant souvent de bras & de feuilles, ont la ressource d’au trouver de toutes cueillies. J’ai toujours une grosse chambrée de vers à soie tardifs, que je fais jeter si la feuille vient à manquer ; ce qui empêche bien des gens de jeter les leurs prêts à monter.

» Les adversaires des mûriers nains observèrent en vain qu’ils plantoient des arbres à plein vent pour leurs enfans, & que je plantois des nains pour moi ; le fait est que leurs arbres plantés à quatre toises de distance, sont arrivés au nec plus ultra, plus tard, & n’ont pas autant duré que mes nains plantés à neuf pieds en tout sens ; puisque les premiers plantés dans de très-bons fonds, sont sur leur déclin, & qu’il en est mort au moins un dixième, tandis que les nains que j’ai du même âge sont dans leur plus grand produit, & qu’il en est mort deux ou trois sur cent, sans compter qu’il est plus facile, comme on le verra, de renouveler ceux-ci en perdant tout au plus trois années de revenu.

» Ne pourroit-on pas observer que les mûriers en plein vent ne réussissent pas dans les mauvaises terres, par le peu de progrès qu’y font leurs racines ; & que le grand essor que prennent celles-ci dans les meilleurs fonds, produit un arbre vigoureux en apparence, mais dont la vie est courte, ainsi que la chose peut s’observer à Alais en Languedoc, où les plus beaux arbres périssent subitement, sans espoir de pouvoir les remplacer par d’autres[1].

» On m’alléguoit encore que les mûriers nains périroient dès que les racines s’entrelaceroient, & dès que les sels qui conviendroient aux mûriers, seroient épuisés. J’appelai de cette décision, persuadé, par des expériences, que les racines du mûrier, ainsi que celles de la vigne, se rencontrent sans se nuire, & que l’arbre ne prend sa dénomination de nain que par le peu d’étendue de terre dont il jouit, ainsi que l’oranger qui croît en raison de sa caisse[2].

» Quant aux sels qu’on suppose épuisés lorsque l’arbre tend à sa fin, on ne fait pas attention qu’il a cela de commun avec tout ce qui périt de vétusté. Il vient à la fin un temps où l’abondance des sucs aux arbres, & le comestible aux animaux, sont une foible ressource pour empêcher les fibres charnues & ligneuses de se rapprocher & de s’oblitérer, au point que le sang, ainsi que la séve, circule difficilement ; enfin vient le terme qui avoisine la mort.

» On dira peut-être que l’expérience démontre qu’un arbre planté à la même place où un autre est mort, périt bientôt ; j’en conviens, mais ce n’est pas faute de sel, c’est parce que le mûrier ne peut subsister dès qu’il rencontre les parties cadavéreuses ou racines de son prédécesseur. Ainsi on purge la terre de ces dernières, comme je le fais lorsque je renouvelle quelques parties de mes plantations qui sont bien plus belles que la première fois, tant par le choix des meilleures espèces que parce que j’ai fait fouiller la terre pour en extraire toutes les racines. Elle en est plus améliorée par les travaux, par les engrais, & mes nouvelles plantations produisent déjà un quart de plus que les premières qui étoient à une trop petite distance, & que j’ai placées en dernière détermination à neuf pieds en tout sens.

» On voit avec surprise des fonds produire annuellement, autant qu’ils ont coûté d’achat, lorsqu’ils étoient de si petite valeur que le seigle y produisoit ordinairement deux, & rarement trois pour un : aussi ce domaine qui portoit à peine 300 liv. de rente quitte, produit tous les ans 14 à 1500 quintaux de feuilles, & jusqu’à 1000 quintaux de vin. L’on y voit avec plaisir une allée en treillage soutenu par quatre cents piliers en maçonnerie : cette avenue traverse mes plantations de mûriers.

» Les terres à seigle sont sans contredit celles qui conviennent le mieux aux mûriers ; le sacrifice est d’ailleurs bien moindre que dans celles à froment.

» La sétérée étant ici de six cents toises quarrées, il y entre trente-sept mûriers à plein vent, qui, à quatre toises, ont chacun seize toises quarrées. La même sétérée étant plantée en mûriers nains, peut en contenir 267, à neuf pieds de distance, ce qui fait environ huit pour un.

» Il ne faut que cinq à six ans pour que les arbres nains soient dans un grand produit ; au lieu que le mûrier à plein vent, qui reste médiocre dans un mauvais fond, sur-tout s’il y est établi en quinconce, ne parvient à son fort produit qu’à quinze ans.

» Lorsque l’on veut défricher le sol destiné à la plantation, l’on prépare convenablement la terre, en la cultivant à la bêche à un pied & demi de profondeur : lorsque le quinconce est tracé, on fait le creux d’environ un pied ou quinze pouces, & l’on y plante le mûrier tout greffé. Si la plantation est destinée à être cultivée à bras d’homme, ce qui est le mieux, les arbres ne doivent avoir que 4 pieds d’élévation hors de terre. J’observe que le travail à la main ne coûte en sus de celui fait au labourage, que ce qu’il y a à économiser sur la cueillette de la feuille.

» Si l’on veut, au contraire, que la plantation puisse être cultivée à la charrue, les arbres doivent avoir six pieds hors de terre. Dans les deux cas, on préférera de greffer des espèces dont les jets montent droit, afin de ne pas gêner la culture ; les meilleures sont la feuille rose & la mûre blanche.

» La première culture doit se faire en hiver ; je préfère la bêche à tout autre instrument. Je paye six deniers par arbre, la moitié moins pour le binage qui se fait après avoir cueilli la feuille & nettoyé les arbres.

» Il m’en coûte environ six deniers pour cueillir chaque mûrier, qui produit ordinairement dans un champ médiocre, dix à douze livres de feuilles, en sorte que toute culture payée, il me reste environ cinq sous net par arbre ; ce qui fait soixante-six livres quinze sous par sétérée, produit ordinaire des prairies qui s’arrosent.

» La première année après la plantation, on recueille la feuille sans donner aucune figure à l’arbre ; on laisse à la seconde, quatre ou cinq jets de la longueur d’un pied, sans recueillir la feuille au-dessous du coup de serpette, cueillant tout le reste. C’est sur ces quatre ou cinq jets que l’année suivante on laisse à chacun deux ou trois jets, & ainsi de suite, pour donner une figure régulière à l’arbre.

» Quand on s’aperçoit que les racines se rencontrent & que l’arbre maigrit, on réforme les mauvaises branches, comme superflues, pour réduire l’arbre à une certaine aisance, qu’on entretient ou par des engrais ou par une bonne culture. Enfin, on le couronne ou on le rabaisse seulement, suivant que sa force l’exige, pour que la feuille ne soit ni trop vigoureuse ni trop maigre. L’on y trouve, l’année suivante, à peu près autant de feuilles qu’avant que l’arbre fût couronné ; il est, pour ainsi dire, rajeuni, & la feuille en est beaucoup plus belle & plus aisée à recueillir.

» Quand on ne veut pas cultiver inutilement le mûrier qui ne produit que peu les premières années, l’on peut semer sur le champ & avec choix, afin de ne pas nuire à l’arbre. Par exemple, la première année, des pommes de terre après avoir fumé le champ ; ce qui est avantageux à l’arbre qui tire sa portion de l’engrais. L’on arrache en octobre ces pommes de terre, dont la récolte paye au-delà des frais de culture. L’année suivante, on peut y semer de la vesce, (voyez ce mot) pour la couper en fourrage, sans attendre qu’elle graine, ce qui seroit préjudiciable aux mûriers ; immédiatement après avoir coupé ce fourrage, il faut donner une culture à la terre. L’on peut encore absolument semer après la vesce, du blé sarrasin, ou blé noir, (voyez ce mot) dont la paille servira à faire du fumier, tandis que le grain sera employé à nourrir les bestiaux dont le fumier donnera un nouvel engrais propre à des pommes de terre, que l’on pourra semer dans les années suivantes.

» Il faudra cependant, après quelques années, renoncer à semer, à cause de l’ombrage des mûriers : j’en excepte cependant les années où l’on couronnera les arbres. Au reste, chaque espèce de terrain décide s’il est bon de se conduire ainsi ou autrement ; mais il ne faut absolument jamais semer aucune espèce de grain pour le laisser mûrir.

» Il est peu d’animaux qui ne soient friands de la feuille de mûrier ; aussi doit-on faire cueillir celle

F. des nains, comme très-facile en automne, & la faire sécher. J’en nourris actuellement quatre vingts-brebis. »

Voilà donc la possibilité & le succès des mûiers nains, démontrés en grand ; il s’agit actuellement de voir un si bel exemple se propager de proche en proche, & lorsque ces arbres suppléeront en totalité les mûriers à plein vent, la vie, chaque année, sera conservée à des individus qui meurent de leur chute de dessus ces arbres, ou qui en restent estropiés. Ces arbres réunissent tous les avantages ; 1°. des femmes, des enfans en ramassent la feuille sans peine, sans risque, & plus promptement que les plus habiles cueilleurs ne le feroient sur de grands arbres. 2°. Le propriétaire est plutôt remboursé de ses avances, & tout le terrain est mis à profit. 3°. Les mûriers nains greffés poussent aussi vîte que la pourrette ; ressource précieuse dans les pays chauds, où l’éducation des vers ne réussit qu’autant qu’elle est avancée. 4°. Les nains réussissent où ceux à plein vent ne végètent qu’avec peine. 5°. Leur feuille est aussi bonne que celle des autres, mais il faut observer que les feuilles des plantations nouvelles doivent être données dans les premiers temps de l’éducation, & réserver celles des vieux pieds, pour l’époque de la frèze. (Voyez le mot ver à soie).

M. l’Abbé de Sauvages, à qui l’on doit un excellent Traité sur l’éducation des vers à soie & sur le mûrier, n’est pas du même avis que M. de Puyan sur le produit du mûrier nain, comparé à celui en plein vent. Voici comme il s’explique.

« Il n’est pas douteux que dans les premières années de la plantation, le champ aux mûriers nains ne rende beaucoup plus de feuilles que celui des mûriers de tige : mais celui-ci en revanche, en donnera beaucoup plus que l’autre, lorsque ceux des deux champs auront pris leur entier accroissement. La raison de cette dernière assertion est évidente. Les mûriers nains doivent laisser toujours de grands vides entre eux ; si leurs branches qui s’étendent de côté se touchoient, le peu de hauteur qu’elles ont au-dessus de terre ne permettroit pas aux ouvriers d’y aborder pour les cultures. D’ailleurs, leur tête d’une taille déterminée, n’est jamais plus haute que de cinq à six pieds, & ne peut donner de feuilles qu’à proportion de cette masse, au lieu que celle des mûriers de tige s’élève le plus souvent au-dessus de deux toises ; & d’ailleurs, les branches des deux mûriers voisins, venant à se toucher dans quelques années, remplissent les grands vides qu’elles laissoient d’abord entre elles, sans gêner cependant les ouvriers dans les labours qu’ils font par dessous. S’il est vrai que les terrains les plus ingrats soient propres aux mûriers nains, il ne l’est pas moins qu’on ne doit les y planter qu’autant qu’ils seront à l’abri du bétail qui les brouteroit, & que pour les en garantir on pourra creuser tout autour des fossés profonds, planter des haies vives, &c. » C’est ainsi que parloit M. l’Abbé de Sauvages en 1763, & M. de Payan en 1781, après trente ans d’expérience. Comme je n’ai jamais cultivé de mûriers nains, je ne puis décider sur les avis opposés ; mais en jugeant par analogie, & sur-tout d’après les succès de ce dernier, je dois être de son avis

Section III.

Des Taillis & des haies de Mûriers.

§. I. Des Taillis. Il est possible de considérer cet arbre, abstraction faite de sa feuille, quoiqu’elle puisse être aussi facilement recueillie que celle du mûrier nain, & être presqu’aussi abondante : je n’envisage ici que les pays dénués de bois, ou les pays dont les vignes sont soutenues par des échalas ; enfin les terrains montueux, rocailleux, dont on ne sauroit tirer presqu’aucun parti, & qu’il faut cependant garnir d’arbres, afin de conserver le sol qui se trouve au dessous. La célérité avec laquelle le mûrier végète, son peu de délicatesse sur le choix du terrain, couvriront bientôt les frais des premiers travaux, & le cultivateur dans le plus court espace de temps donné, peut voir une jolie verdure sur un lieu où il n’appercevoit autrefois que rochers. Je n’ai cessé, dans le cours de cet Ouvrage, d’inviter & de presser les pères de famille, qui aiment leurs enfans, de planter des bois, parce que leur rareté est devenue extrême en France, & que le luxe amène insensiblement leur destruction totale. Ce que j’ai dit, je le répète, les taillis de mûriers équivaudront à ceux dont les plants sont de nature à être transformés en bois de charpente, &c.

Dans les provinces méridionales du royaume, quelle quantité immense de terrains incultes, vulgairement appelés garrigues & ailleurs bruyères, dont l’utilité se borne à un simple parcours de troupeaux ! Ne peut-on pas les mettre en valeur ? On objectera la dépense première ; à cela on opposera l’exemple de M. de Payan. Il ne s’agit pas de détruire dans une année la vaste étendue de bruyères, mais peu à peu, & suivant les facultés des propriétaires. On commence, autant qu’on le peut, à les mettre en valeur, on les convertit en vignes. Cette transformation ne paroît, en aucun cas, avantageuse, sinon pour le pauvre particulier qui devient propriétaire d’une portion de sol qu’on lui cède sous une redevance. Alors cette vigne lui fournit le vin nécessaire de sa consommation. Mais dans ces provinces le vin a si peu de valeur par son abondance indicible, que même ce pauvre particulier gagneroit beaucoup plus d’acheter du vin que de cultiver une vigne. Combien de fois n’a-t-on pas vu, même pendant la paix, les 675 bouteilles ne coûter que 12 à 15 livres ; combien de fois n’est-on pas forcé de laisser la moitié de la récolte sur le cep, & cependant la vigno-manie subsiste plus que jamais. Si les habitans des États-Unis de l’Amérique plantent des vignes, ce qu’ils commencent à exécuter, où sera donc le débouché de nos vins ? Cependant si le sol de ces garigues, de ces bruyères, convient aux vignes, il conviendra donc également aux mûriers ? L’expérience prouve plus que la démonstration la plus rigoureuse, & que les raisonnemens les mieux suivis. On a cette expérience ; que faut-il donc de plus ? Elle prouve qu’il ne reste jamais un seul mûrier à louer ; c’est donc encore une preuve qu’il n’y en a pas assez dans le pays, & que tel qui ne faisoit aucune éducation des vers à soie, s’en occupera lorsque cet arbre sera plus abondant.

J’insiste sur l’avantage des taillis de mûriers par plusieurs raisons : 1°. une plus grande abondance de feuilles ; 2°. relativement aux bois de chauffage ; 3°. aux échalas ; 4°. parce que leurs vastes souches & leurs racines superficielles empêcheront que les pluies d’orage n’entraînent le sol. C’est pour avoir, mal à propos, coupé tous les arbres dont étoit couverte cette longue chaîne de montagnes qui traverse le Languedoc de l’est à l’ouest, qu’on n’y voit aujourd’hui que le rocher le plus sec & le plus aride ; il en est de même dans le reste du royaume. (Consultez le mot Défrichement).

Tous les arbres des pépinières qui ne pourront servir aux plantations de mûriers à plein vent ou nains, seront utiles dans les taillis, à moins que le vice qui les fait rejeter ne dépende des racines. Dans ce cas, c’est un arbre à jeter au feu. S’il est possible d’ouvrir une espèce de fosse dans les cavités, dans les scissures des rochers, on la fera pour recevoir cet arbre. Si le rocher ne présente que des scissures, il vaut mieux, avec une aiguille ou pic de fer, ouvrir un trou à une certaine profondeur, y planter une jeune pourrette avec son pivot ; enfin remplir de terre ce trou, & couper la petite tige au niveau du sol, ce dernier, une fois repris y profitera beaucoup plus que l’autre, & ainsi de suite, & autant qu’on le pourra dans toutes les fentes des rochers. Mais, dira-t-on, ce seront des arbres perdus, dont on n’ira pas recueillir la feuille ; je le veux bien : mais au moins, ils serviront à former de la terre végétale, qui, entraînée par les eaux, bonifiera les champs qui sont au dessous, & on aura, tous les quatre, cinq à six ans, du bois de chauffage lorsque l’on coupera tous les jets par le pied ; ce qui formera la tête de la souche, d’où s’élèveront, dans le cours des années suivantes, un grand nombre de tiges, & qu’on, traitera successivement comme celle des taillis.

Si on a des terrains que l’on ne veuille pas cultiver en grain, soit à raison de leur pente trop rapide, soit à cause de leur peu de qualité, soit enfin par rapport à leur éloignement de la métairie, il convient de les sacrifier aux taillis. On ouvre des fosses à six pieds de distance en tout sens, on plante un mûrier rebut de pépinière, & on le recèpe près de terre. Je préfère les pourrettes garnies de leurs pivots ; si ce pivot peut une fois gagner en nouvelle profondeur, on est assuré d’avoir, dans la suite, une tête très-vigoureuse. Il faudra, il est vrai, travailler la terre pendant un plus grand nombre d’années, que pour les arbres dont le collet des racines est déjà fort, mais la pourrette étant devenue forte & après son premier recepage, produira de très-belles tiges propres aux échalas, &c. Si le local le permet, on peut recueillir la feuille de taillis, comme celle des mûriers nains ou à plein vent, après la seconde année de la coupe, & cette récolte subsistera pendant les années suivantes, jusqu’à une nouvelle coupe. Une fois que les têtes sont formées, l’arbre ne demande plus aucune culture, & chaque saison augmente la bonté du sol par la chute & la pourriture des feuilles ; de sorte qu’il est très-possible, à la longue, de convertir ce terrain en un champ passable, qui donnera plusieurs récoltes consécutives en grain. Cependant je préférerois, lorsque le taillis décline, de le renouveler peu à peu par des marcottes.

Si on a planté des pourrettes, on les recèpe après la première & après la seconde année, afin de forcer le pied à se garnir de tiges, de la même manière que les têtes de saule ou d’osier, & on les recèpe encore au besoin, après la troisième année. Cependant si le pied ne pousse que de petites branches chiffonnes & en quantité, il faut en supprimer le plus grand nombre, & ne lui en laisser que trois ou quatre, que l’on recèpera par la suite, lorsqu’elles auront pris une certaine consistance. Ces divers recépages forcent le pied à multiplier, enfoncer & étendre ses racines.

L’entrée de ces taillis doit rigoureusement être défendue aux troupeaux, excepté pendant l’hiver, & encore faut-il que la feuille tombée ait eu le temps de se dessécher, parce qu’elle sert d’engrais. Ce n’est donc que depuis le mois de janvier jusqu’au commencement de mars ou d’avril, suivant le climat, que le parcours sera permis. Après les premières années, la brebis y trouvera une herbe fine & abondante. Je doute qu’il existe un genre de taillis dont l’accroissement soit plus prompt & de produit égal.

§. II. Des haies. Ce que je dis des taillis s’applique, absolument parlant, aux haies faites avec la pourrette, mais la conduite n’en est pas la même. La végétation du mûrier est très-active, & la séve se porte toujours au haut des branches ; dès lors leurs pieds se dégarnissent. Il faut planter la pourrette à dix-huit pouces, & la receper aussitôt après à deux yeux au-dessus du sol : ces deux yeux formeront deux branches ou tiges ; s’il n’en pousse qu’une seule on la recepera de nouveau à deux yeux après la chute des premières feuilles. Aussitôt qu’on le pourra, on inclinera ces tiges encore molles, vers l’horizon, c’est-à-dire, au niveau & presqu’à fleur de terre : c’est de ces tiges que dépendra à l’avenir le fourré de la haie. De ces branches inclinées s’élanceront de nouveaux bourgeons, qu’on inclinera encore en les forçant de former les uns avec les autres, des lozanges très-alongés par les deux bouts, & même en les greffant par approche au point de leur réunion, ainsi qu’il a été dit au mot haie. Enfin, on ne permettra jamais qu’aucune branche soit en ligne droite, parce qu’elle absorberoit peu à peu toute la seve des branches inférieures, & deviendroit un arbre. Cet exemple est frappant dans les haies de mûriers dont les tiges sont droites ; peu à peu le bas se dégarnit, le sommet se charge de branches, il faut receper ces haies par le pied tous les cinq à six ans. Au contraire, en supprimant tout canal direct de la séve, c’est-à-dire, en inclinant chaque branche, & encore mieux en la greffant par approche avec la plus voisine, on est assuré que cette haie subsistera très-longtemps, sans avoir besoin d’être renouvelée. Les soins annuels qu’elles exigent, sont d’être taillées au ciseau, ou au croissant, ou à la serpette, après la tombée des feuilles & avant la séve du mois d’août : ces haies ne laissent pas de donner un assez bon nombre de fagots pour le four. Ceux qui veulent en cueillir la feuille pour la première & même la seconde époque de l’éducation du ver à soie, peuvent conserver les pousses de la seconde séve, & les tailler aussitôt après que la feuille a été recueillie. Après la haie plantée en sureau, celle de mûrier est la plutôt venue, & si au lieu de pourrette on plante de vieux pieds, on en jouira complètement après la troisième ou quatrième année ; mais celle-ci durera beaucoup moins, & sera plus difficile à conduire.

Ces haies ne demandent d’autre travail que celui qu’on donne au champ. S’il est possible de les travailler du côté opposé pendant la première & la seconde années, on fera très-bien, afin de les débarrasser des mauvaises herbes qui leur nuisent beaucoup dans le premier âge. Il sera impossible à tout animal, à la volaille même de la traverser. La haie à tiges droites n’est utile que pour la feuille.

CHAPITRE VIII.

De la multiplication des Mûriers par marcottes & par boutures.

§. I. Par marcottes. Je ne parlerai pas ici de la manière de faire les marcottes ; (voyez ce mot) je n’ai jamais employé cette méthode, ni même je ne l’ai jamais vu pratiquer, parce que le semis est si avantageux, & d’une seule fois il multiplie si fort les individus, que je le crois préférable. Il est dans l’ordre de la nature que tous les arbres provignés ou marcottés prennent racine, & surement le mûrier doit être un de ceux qui réussit le mieux, parce que les boutons percent facilement son écorce. D’ailleurs on a l’exemple de vieux pieds de mûriers successivement enlevés, ou par des alluvions, ou de toute autre manière, & on leur voit pousser des racines dans toute la partie qui est recouverte ; à plus forte raison de jeunes branches couchées & presque coudées dans la partie qui sort de terre, comme celle des marcottes, doivent-elles plus facilement mettre de nouvelles racines.

On ne peut espérer de semblables marcottes, que des arbres nains, ou des taillis, ou des haies ; car le mûrier n’est plus aujourd’hui assez précieux pour que l’on prenne la peine de faire passer une de ses branches dans un vase, supporter ce vase en l’air, l’y maintenir, l’arroser, &c. Je le répète, la marcotte ou provins n’est utile que dans les taillis.

§. II. Des boutures. (Voyez ce mot) Cet expédient est d’une utilité plus générale, sur-tout dans les pays où le mûrier est rare, & où les facultés des particuliers ne leur permettent pas d’acheter des arbres tout faits. Les boutures ne réussiront jamais, si on n’a pas l’abondance d’eau nécessaire aux arrosemens. Cette circonstance est, pour l’ordinaire, très-rare sur les terrains que l’on destine aux mûriers. La bouture a encore le défaut de ne fournir que des racines horizontales, & je ne cesserai de dire que la durée d’un arbre à pivot est au moins du double de celle du mûrier auquel on l’a supprimé.

Les auteurs sont peu d’accord sur l’âge du bois destiné à faire une bouture ; les uns veulent qu’elle ait deux, les autres, trois ou quatre ans. Cependant il est de fait que plus la branche sera âgée, & moins facilement elle poussera des racines. Un bon bourgeon de l’année qui tiendra, à sa base, à une partie du bois de l’année précédente, me paroît préférable. Il en est de ces boutures comme des crocettes de la vigne, (voyez ce mot) elles ne sont jamais franches. D’ailleurs ce morceau de vieux bois forme déjà par lui-même le bourrelet ; & pour qu’une racine pousse, elle doit sortir d’un bourrelet. (Voyez ce mot)

On recèpe la bouture à deux pouces au-dessus de terre, & de temps à autre on travaille & on arrose le sol. Ces deux méthodes auxiliaires ne valent pas celle des semis ; au lieu de vingt ou cent boutures, ou marcottes qui donnent beaucoup de peine & demandent beaucoup de soin, les premières sur-tout, le semis peut donner jusqu’à un millier d’arbres.

CHAPITRE IX.

Quand peut-on commencer à cueillir la feuille sur un arbre, & comment doit-on la cueillir ?

Il n’y a, à proprement parler, point d’âge fixe ; la première cueillette dépend de la force de l’arbre. Si sa tête n’est pas déjà bien formée, il est clair qu’en ramassant la feuille on détruira un grand nombre d’yeux ou boutons qui auroient, dans l’année ou dans les suivantes, fourni les bourgeons nécessaires à la forme de la tête. Il est donc plus prudent de ne pas accélérer une jouissance qui devient préjudiciable. La troisième ou la quatrième années après la plantation, sont en général les époques auxquelles on commence à cueillir. Comme ces jeunes arbres seront les premiers feuillés, c’est par eux que doit commencer la récolte, afin de leur donner le temps de faire des pousses longues, bien nourries, & devenues ligneuses avant la chute des feuilles. Si la nécessité oblige de lever la feuille très-tard, on doit au moins commencer par ceux-ci l’année suivante, afin de leur donner le temps de se remettre. La feuille des jeunes arbres est en général trop aqueuse, pas assez nourrissante, & indigeste. Elle ressemble en ce point à celle des mûriers plantés dans des fonds bas & humides.

De la manière de cueillir la feuille, dépend la conservation de la tête & la prospérité de l’arbre. L’on doit prendre la petite branche d’une main, & glisser l’autre de bas en haut. Si, au contraire, on prend de haut en bas, l’effort de la main fait sauter les yeux ou boutons, & souvent leur rupture entraîne une partie de l’écorce ; de manière que l’on voit sur la branche, plaie sur plaie. On a déjà dit que toute éducation de ver suppose que l’on a une certaine quantité de mûriers nains, ou en espalier, ou en taillis, afin d’avoir de bonne heure une feuille nouvelle & tendre. Si, pour avoir plutôt fait, on arrache le petit bouquet de feuilles qui se présente, on détruit entièrement les bourgeons à venir ; & la sève trouvant une issue libre dans ceux qui restent au sommet, s’y porte avec violence, & il ne repousse plus d’yeux dans la partie inférieure de ces branches ; ce qui oblige à les ravaler beaucoup plus souvent qu’on ne le devroit, d’où résulte l’épuisement rapide de l’espalier, du nain ou des taillis. Le cueilleur doit prendre feuille à feuille, & même laisser les deux les plus élevées du bouquet, afin que celles-ci aident le prolongement de l’œil en bourgeon.

Les cueilleurs de feuilles ont ordinairement un bâton de quatre à six pieds de longueur, armé d’un petit crochet de fer dans le bout. Il est inconcevable à combien de cueilleurs ce malheureux instrument a coûté la vie. À peine en équilibre sur une branche, ils veulent avoir les feuilles d’une branche supérieure, ils la tirent avec leur crochet. Si elle est d’un certain volume, il faut de la force pour l’amener ; souvent celle de l’ouvrier n’est pas suffisante, l’élasticité de la branche entraîne l’ouvrier, il perd l’équilibre & tombe. Si la branche cède, elle se casse, & la tête de l’arbre est défigurée. Tout cela tient à la négligence & à la paresse de l’ouvrier, qui, pour ne pas avoir la peine de descendre de l’arbre & de changer son échelle de place, abîme un arbre, & court le risque de perdre la vie en tombant.

Il est donc indispensable d’avoir des échelles proportionnées à la hauteur de l’arbre. Ces échelles très-simples, puisque ce n’est qu’une longue pièce de bois ordinairement de sapin, de six à sept pouces par le bas, & de quinze à vingt pieds de hauteur, traversée par des chevilles de six à huit pouces de chaque côté, pèchent presque toutes par le bas. On se contente de faire entrer dans une entaille, un morceau de planche que l’on y assujettit ou avec de grands clous, ou avec des chevilles. Si le pied du corps, ou la mauvaise posée de cette échelle contre la branche ou sur le sol, la font tourner, il est bien difficile que le cueilleur ne se précipite par terre. Il vaut beaucoup mieux supprimer cette planche, & adosser contre le pied de chaque côté un morceau de bois qu’on appelle jambe, & qui s’en écarte de dix-huit à vingt-quatre pouces. Alors cette échelle a trois points d’appui ; celui des deux jambes, & celui du bois de l’échelle. Si l’un manque, il en reste encore deux, & l’équilibre n’est pas détruit. Au mot Outils d’agriculture, on en verra la figure. Je préférerois, à tous égards, l’échelle à deux bras ; elle est plus solide, plus sûre, moins sujette à tourner, mais elle pèse davantage. Avec les mûriers nains & les taillis, on ne craint rien pour sa vie ; cette raison majeure invite à donner la préférence à leur culture.

Doit-on chaque année cueillir la feuille ? Presque tous les cultivateurs l’assurent de la manière la plus positive. C’est dans plusieurs cas la plus grande des erreurs. En effet, voit-on périr les arbres que l’on a eu de trop, après l’éducation des vers, ou que l’on n’a pas pu louer ? Il y a plus ; j’ose dire que dans plusieurs circonstances, on ne doit pas la cueillir. Par exemple, si la feuille a été attaquée par la rouille, l’arbre souffre déjà assez sans augmenter son mal-être. Si la feuille est jaune, languissante, c’est encore une preuve que l’arbre souffre. Dans ce dernier cas, des labours & des engrais répareront la foiblesse de l’arbre, si son mal tient à l’épuisement. La nature, en créant les arbres, les a tous destinés a la nourriture d’une ou de plusieurs espèces d’insectes ; mais il est très-extraordinairement rare que leur nombre en soit assez multiplié, pour dépouiller ces arbres de toute leur verdure. Notre travail outre-passe la règle ordinaire établie par la nature, & un arbre n’est jamais aussi beau l’année d’après, que lorsque les insectes ont peu ravagé ses feuilles. D’où l’on doit nécessairement conclure que le mûrier n’exige pas, comme chose essentielle, d’être effeuillé chaque année. Effeuille-t-on le chêne, l’ormeau, &c. ? Nous forçons donc la nature, nos besoins de luxe l’exigent ; mais c’est aux dépens de l’arbre. Un mûrier qui ne sera jamais taillé, vivra beaucoup plus longuement que celui qui est effeuillé chaque année, il aura un tronc plus sain, & il sera moins sujet aux maladies.

À mesure que le cueilleur effeuille un arbre, il doit séparer les mûres, & les jeter de côté. Ce point est essentiel. Les fruits exhalent un air mortel ou fixe, (voyez le mot Air) & l’expérience a prouvé que la mûre en produisoit beaucoup, & plus encore lorsqu’elle approchoit de sa parfaite maturité. Il est donc important de ne pas mêler ces fruits avec les feuilles dans les sacs ou toiles, au moyen desquels on les rapporte des champs. D’ailleurs c’est en pure perte augmenter le poids du fardeau. Les feuilles s’approprient cet air empoisonné, & il devient nuisible au ver à soie. Nous entrerons dans de plus grands détails au mot ver à soie.

Aussitôt que les charges de feuilles sont arrivées au logis, on doit vider les sacs, les étendre dans un lieu bien aéré, finir de séparer rigoureusement les fruits, qu’on jette dans la basse-cour pour la nourriture de la volaille. Si les feuilles restent amoncelées, pressées, serrées, elles s’échauffent, fermement, & causent aux vers des maladies dangereuses.

Lorsque l’on fait tant que de cueillir la feuille, il faut en dépouiller l’arbre complétement. Si on en laisse par-ci, par-là, ou des branches sans l’y cueillir, la séve suit sans peine son cours ordinaire ; elle se porte toute de ce côté, & ne nourrit plus qu’imparfaitement la partie effeuillée. C’est un des points les plus essentiels dans la cueillette de la feuille.

Lorsque l’on loue ou afferme des mûriers, il faut que ce soit en présence de deux témoins, encore mieux par écrit signé de deux contractans. Après être convenu de la somme, on insère ces deux articles. 1°. Que toute la feuille sera rigoureusement cueillie, & que si elle ne l’est pas, le bailleur prendra des ouvriers pour dépouiller celle qui restera, aux frais du preneur. 2°. Que si le preneur casse des branches, il payera le dommage suivant l’estimation des experts. C’est pousser, dira-t-on, le rigorisme bien loin. J’en conviens, mais c’est en même temps le seul moyen de prévenir ces deux inconvéniens. Combien de fois n’ai-je pas vu casser volontairement de grosses branches, afin de les emporter, & même simplement pour avoir le plaisir de les briser, parce que l’arbre n’appartenoit pas à celui qui cueilloit ? Avec un semblable contrat, on est le maître de poursuivre à la rigueur l’exécution des clauses, ou de faire la grâce que l’on veut ; mais, à coup sûr, ces mêmes clauses tiennent les cueilleurs sur leurs gardes, & les rendent plus attentifs. Dans combien de provinces du royaume n’est-on pas forcé de suivre cette marche ?

Si, dans le temps de l’éducation des vers à soie, il survient de longues pluies, on sait combien cette feuille mouillée leur est nuisible, & quelle peine on a pour l’étendre, pour la remuer dans la crainte qu’elle ne s’échauffe, enfin pour la faire sécher. On a proposé un expédient qui n’est pas à négliger & très-facile, si on a un certain nombre de mûriers nains. Il consiste à se procurer des toiles d’une certaine étendue, par exemple, des toiles semblables à celles que l’on étend sur le sol lorsque l’on abat les olives. Au moyen de plusieurs piquets & des cordes nécessaires, on en fait des tentes que l’on place sur un certain nombre de mûriers. Lorsque ceux-ci sont cueillis, on dresse la tente sur d’autres, & ainsi successivement pendant les jours que la pluie tombe. Il y a certainement moins d’embarras à élever & changer ces tentes, qu’à sécher la feuille ; & on a beau la sécher avec le plus grand soin, elle reste toujours de qualité inférieure pour la nourriture du ver.

Dans l’ouvrage intitulé le Gentilhomme cultivateur, le fait suivant est Consigné. « On pratique chez les Chinois, une méthode particulière. Ils font, avant l’hiver, provision de nourriture pour les vers qui éclosent avant que les mûriers soient en feuilles. Ils cueillent en automne les feuilles avant qu’elles commencent à jaunir. Ils les font sécher au soleil, les réduisent presqu’en poudre, & les conservent dans des pots de terre bien bouchés, dont on ne laisse approcher aucune fumée. C’est avec cette poudre qu’ils nourrissent les vers éclos, avant la pousse des feuilles. On doit sentir combien cette attention peut devenir avantageuse dans les années Où les feuilles ne sont point abondantes. » Comme je n’ai pas répété ce procédé, je le donne tel qu’il est rapporté. L’expérience en est facile & peu coûteuse ; ainsi chaque particulier peut se convaincre de la confiance qu’il mérite.

CHAPITRE X.

De l’émondage.

Émonder n’est pas tailler ; mais c’est après la cueillette supprimer tous les bois morts, les chicots, les ergots, le bout des branches cassées, réparer les déchirures, & tout au plus enlever quelques petites branches chiffonnes qui nuiroient à l’accroissement des bourgeons, ou qui leur feroient prendre une mauvaise direction. C’est encore le cas (pour le mûrier seulement) de supprimer les gourmands inutiles, ou de leur donner une direction qui tende à former la tête de l’arbre. Cette opération doit avoir lieu aussitôt après la récolte des feuilles, & la taille après leur chûte naturelle, enfin lorsque l’arbre n’est plus en séve.

On ne fait pas assez attention aux onglets, aux bouts de branches, aux chicots, lorsque l’on taille les mûriers, & on peut dire, à la lettre, qu’ils sont taillés à la serpe. Rarement la plaie est rasée près du tronc, près de la branche, & la partie excédente, raboteuse, chargée d’esquilles, ne peut être recouverte par l’écorce ; le bois pourrit, la pourriture gagne l’intérieur de la branche du tronc, &c. ; le tout a tenu dans le commencement à un chicot (voyez ce mot). C’est le cas, pendant l’émondage, de réparer les défauts ou négligence de la taille.

Quoique, à proprement parler, on ne doive pas tailler en émondant, on peut cependant, si l’on voit des pousses s’emporter & ne garder aucune proportion avec les branches voisines, les arrêter, afin que, poussant des branches latérales, elles n’aient plus la même impétuosité de séve favorisée par le canal direct. On peut encore, si la séve se porte virilement plus d’un côté ou dans une partie de l’arbre que de l’autre, travailler à mettre le tout en équilibre, ou par le raccourcissement, ou par la soustraction de quelques branches. C’est toujours la faute de celui qui a taillé l’arbre dans le temps, si on est obligé lors de l’émondage de recourir à cet expédient. L’arbre vient d’éprouver une forte crise par la soustraction des feuilles ; il ne faut pas encore l’augmenter par une nouvelle taille. Tout paysan se donne pour émondeur, pour tailleur de mûrier. On pourroit dire qu’ils le deviennent par miracle, ou plutôt ils sont & seront toujours les bourreaux des arbres. Une routine sans principe les guide ; & lorsqu’ils ont enlevé une grande quantité de mères branches, ils disent, voilà un arbre bien dégagé, & on admire leur travail. Le propriétaire & l’ouvrier en savent autant l’un que l’autre.

CHAPITRE XI.

Des maladies des Mûriers.

L’éducation des mûriers est une des causes qui influe le plus sur leur dépérissement. On hâte, on presse leur végétation en branches, en feuilles ; & leur épuisement en est accéléré. Il l’est bien plus par la cueillette des feuilles, qui arrêtent presque tout à coup la respiration de l’arbre, par les feuilles, (voyez ce mot) & cette suppression opère un reflux de la matière de la transpiration dans la séve, ce qui la vicieroit complétement si elle n’avoit pas encore un peu sa sortie par les branches, & sur-tout par les bourgeons. La greffe accélère encore les pousses, l’arbre cesse d’être naturel, il devient civilisé, & sa civilisation est l’origine de ses infirmités. La taille charge le tronc & les grosses branches d’une multitude de plaies, qu’on n’a pas le soin de recouvrir avec l’onguent de saint Fiacre, afin d’empêcher le contact de l’air avec la partie ligneuse, & afin de faciliter la formation du bourrelet ou cicatrice, à l’endroit où l’écorce a été coupée. Après la taille restent les onglets, les chicots, &c. ils se dessèchent, se pourrissent, & la pourriture gagne le centre de la branche mère ou du tronc. Ajoutez à toutes ces mauvaises manipulations la taille générale faite après la récolte des feuilles, & vous aurez un abrégé des maux produits par la main de l’homme, auxquels on doit principalement ajouter l’écoulement sanieux du chancre formé par le reflux d’humeur, & par une séve corrompue ou du moins qui se corrompt en suintant par la plaie. Il y auroit lieu de croire que la séve ascendante ne monte plus par la plaie, mais que cette plaie retient la séve descendante.

La rouille & la brûlure des feuilles sont des maladies accidentelles, passagères, & dont les arbres se ressentent quelquefois l’année d’après.

Souvent les feuilles du mûrier, au milieu du printemps ou de l’été, jaunissent, tombent, & l’arbre meurt en peu de jours. Cette maladie, plus commune aux jeunes arbres qu’aux vieux, est produite par deux causes très-opposées. La première tient à une transpiration arrêtée subitement, qui cause une espèce d’apoplexie à l’arbre. Si on déchausse son pied, on trouve les racines flétries, mais entières. J’ai vu deux fois cet exemple lorsqu’il règne des vents froids & violens. Peut-être ce que j’appelle ici transpiration arrêtée, n’est-il qu’une évaporation trop rapide de cette transpiration, qui augmente l’intensité du froid. Quoi qu’il en soit, à peine a-t-on eu le temps de s’apercevoir que l’arbre est malade, que la mort survient aussitôt.

La larve ou ver du hanneton, nommé ver-blanc ou turc, & celle du rhinocéros ou moine, s’attache à une mère racine, l’arbre souffre ; mais si plusieurs larves se réunissent au même endroit, ce qui arrive souvent, il se fait une extravasion considérable de séve, & l’arbre périt. Dans ces deux cas, j’ai éprouvé une seule fois, pour le premier, qu’ayant fait creuser & enlever une grande partie de la terre qui environnoit les racines, & après avoir fait jeter plusieurs seaux d’eau dans la fosse, l’arbre se remit aussi-tôt. La même ouverture sert à découvrir s’il y a des insectes rongeurs autour des racines, & de l’eau dans laquelle on a fait éteindre de la chaux, versée dans le creux, en écarte ces insectes. La chaux est-elle nécessaire ? Je ne puis l’affirmer, puisque de l’eau simple, & en quantité, m’a procuré le même succès.

Plusieurs écrivains parlent d’une espèce de maladie épidémique qui fait périr tous les arbres d’une plantation, les uns après les autres. Je n’ai jamais été dans le cas d’examiner ce fait ; mais je ne vois pas qu’on en ait désigné la véritable cause. Je vais hasarder quelques conjectures.

Admettons que la couche de terre dans laquelle on a planté les mûriers, soit de qualité requise, mais a-t-on examiné si la couche inférieure n’est pas argileuse ou crétacée, ou un tuf pur. Dans ces derniers cas, les racines parvenues à ces secondes couches, ne trouvent plus à plonger ; elles s’étendent horizontalement entre deux, & pour peu que la saison soit pluvieuse, elles nagent, pour ainsi dire, dans une nappe d’eau. Si les choses se passent ainsi, il n’est pas surprenant que la pourriture gagne les racines, que tous les arbres du champ périssent les uns après les autres. Il n’est guères probable que la pourriture se propage par la racine d’un arbre à la racine d’un autre arbre, qu’il s’exécute une espèce d’inoculation par attachement, car jetez dans une fosse nouvelle, où vous voulez planter un mûrier, des racines d’autres mûriers, celles-ci pourriront, tandis que l’arbre ne cessera de prospérer.

D’après l’acharnement qu’on a d’écourter & de mutiler les racines de l’arbre que l’on plante, il est certain que de la première, de la seconde, & même de la troisième année, les nouvelles racines ne remplissent pas toute l’étendue de la fosse, & n’ont pas encore pénétré dans la terre voisine. Ne se peut-il pas que dans une longue sécheresse le sol se trouve si sec, qu’il n’y reste plus l’humidité nécessaire à l’ascension de la séve ; & si la séve s’est soutenue jusqu’à cette époque, elle a dû son ascension à l’humidité que les feuilles attirent de l’atmosphère pendant la nuit. Au surplus, je n’offre ces raisonnemens que comme de simples probabilités.

Une raison plus satisfaisante paroît dépendre de la qualité de la terre qui est épuisée. J’oserois presqu’avancer que lorsque cette épidémie arrive, on doit trouver le champ rempli de racines jusque vers sa superficie, & si on lui a demandé une récolte en grains, on a fini d’affamer sa couche supérieure, qui seule servoit à nourrir ces racines. Les irrigations, les engrais, sont des palliatifs au mal, le vrai remède est de détruire un arbre entre deux.

Tout a son terme, & la vieillesse nous conduit pas à pas à la mort. On peut cependant retarder ce moment de destruction complète du mûrier. On a proposé de couronner cet arbre, & on suit généralement cette méthode. Il en résulte que l’arbre est rajeuni, pour quelque temps, qu’il s’épuise à donner de nouvelles branches ; qu’il faut venir à les ravaler peu d’années après ; enfin, mettre la coignée au pied de l’arbre. Le couronnement complet est au mûrier ce que les grandes saignées sont aux vieillards, elles les remettent de leur maladie pour leur en occasionner une plus forte, l’épuisement. Il vaut beaucoup mieux s’y prendre plus long temps d’avance, ravaler petit à petit les mères branches ; à la fin de chaque année supprimer la plus foible, mais jamais deux dans la même année, s’il est possible de faire autrement.

Le point auquel on doit ravaller les grosses branches, est indiqué par elles, c’est à l’endroit où elles cessent d’être saines, & tant soit peu au-dessous. Ceux qui aiment la symétrie, ravalent toutes les branches à la même hauteur, comme si toutes les branches étoient également défectueuses au même niveau ! il s’agit ici de la longévité de l’arbre, & rien de plus. Sur la partie qui restera des mères branches, on doit également ravaler les petites suivant leur force & leur santé. Il vaut mieux revenir à l’opération l’année d’après, que de trop mutiler l’arbre en une seule fois.

Le remède palliatif ou corroborant consiste dans les fréquens labours tout autour de l’arbre, & à une certaine distance du tronc. On ne doit pas épargner les engrais ; les placer près de l’arbre est un abus ; l’origine des grosses racines est trop dure, trop coriace, elles absorbent trop peu les principes de la séve ; il vaut mieux ouvrir une fosse à une toise & demie du tronc, sur une largeur & une profondeur d’un pied ; y enterrer du fumier déjà bien consommé, & le recouvrir de terre. Cette opération doit être faite à l’entrée de l’hiver, afin que l’eau des pluies de cette saison délave cet engrais, & en entraîne leurs principes aux racines placées en dessous, & à celles de la circonférence. On a recommandé dans les papiers publics de déchausser les vieux mûriers qui périssent pièce à pièce. Je ne vois, dans cette opération, qu’un fort labour donné à l’arbre lorsqu’on rejeté la terre dans la fosse. La nature n’a pas établi les racines pour rester découvertes ; c’est donc le recreusement qui a agi comme labour, & non autrement. Si la maladie provient de la stagnation des eaux près des racines, le seul moyen est d’ouvrir de larges & profondes fosses pour les y attirer & en débarrasser les racines. Si cet expédient ne suffit pas, on doit renoncer à planter des mûriers dans un sol qui leur convient si peu.

Le rabougrissement est encore une maladie du mûrier. Elle dépend presque toujours de la manière dont l’arbre a été planté, dont il a été conduit, & quelquefois du terrain. Dans cet état il semble rentrer en lui-même, ses pousses sont mesquines, maigres, fluettes, & avec toutes les marques de la misère ; son écorce écailleuse, raboteuse. On aura beau faire & beau travailler au pied, lui donner des engrais, s’il est depuis longtemps en cet état, c’est un arbre à arracher & à jeter au feu.

CHAPITRE XII.

Quelle espèce de feuille est préférable quant à la qualité de la soie ?

Ce problème n’est pas encore résolu, & ne le sera peut-être jamais. Il en est de la qualité de la soie, comme de celle des laines, des vins, &c. ; elles tiennent au climat, au sol & à l’espèce qui se plaît plus dans un lieu que dans un autre. On sent combien cette vérité fondamentale offre de modifications, de divisions & de sous-divisions à l’infini. Les brebis espagnoles, à laine fine, donneront-elles de semblable laine, si on les transporte en Flandres, & vice versà ? Les raisins de Malaga, de Madère, &c. donneront ils la même qualité de vin, transportés en Hongrie ou en Provence ? & ainsi du reste. Enfin, les plus belles soies d’Espagne, de France, seront-elles jamais comparables à celles de Chine, de Perse, &c. ? J’admets, si l’on veut, que dans quelques cantons d’Espagne, de France, & par les soins les plus assidus & les plus multipliés, on parvienne à avoir quelque peu de soie égale en beauté à celles de Perse. On citera cet exemple comme un modèle d’encouragement, & on fera très-bien, parce que chaque particulier doit perfectionner, autant qu’il lui est possible, la beauté, & par conséquent porter à un plus haut prix la valeur intrinsèque de ses récoltes ; mais j’ose dire affirmativement que la différence sera toujours très-grande entre la soie du Languedoc, de Provence, &c. & celle de la Bourgogne, de la Champagne, &c.

Admettons encore que l’on parvienne par-tout à avoir des soies de qualité supérieure ; je demande pour qui sera le bénéfice le plus clair ? Il sera pour celui qui fait filer, & non pour le petit particulier qui lui vend ses cocons. Ceux qui font métier de la filature ressemblent aux commissionnaires. (Voyez ce mot) Le petit particulier porte chez eux les cocons, & ces entrepreneurs lui disent, dans un mois ou deux vous serez payé, lorsque le prix des cocons sera établi. Or ce prix, c’est entre eux qu’ils le fixent, & bien entendu que ce n’est pas à leur désavantage. Il en résulte que le petit particulier qui a livré de très-beaux cocons, n’est pas plus payé que celui qui a donné des cocons moins beaux & plus médiocres. L’époque de la foire de Beaucaire, est celle où le prix des soies est fixé, & cette taxe devient à peu près celle de tout le royaume ; si elle varie ensuite, cela tient au prix plus ou moins fort des soies étrangères, ou aux spéculations de quelques gros financiers. Comme le nombre des particuliers qui ne font pas filer, est trois ou quatre fois plus considérable que celui des personnes qui font filer, il importe donc fort peu aux premiers que leur soie ait une qualité très-supérieure, & il est de leur intérêt d’avoir le plus grand nombre possible de bons cocons & bien pesans. Ceci posé, voyons quelle espèce de mûrier procure la soie la plus fine, & quelle espèce donne plus de soie de qualité.

Il est de fait que le mûrier planté dans un sol léger, substantiel, & naturellement sec ; que celui qui est planté dans un sol rocailleux, pierreux, & qui a du fond ; que le mûrier qui croît sur le rocher calcaire, & dont les racines pénètrent dans les scissures, fournissent une feuille moins abondante en sucs, moins noyée d’eau, mais que ses principes en sont mieux assimilés, & ses parties nutritives plus élaborées.

Les mûriers, au contraire, qui végètent dans un sol qui a beaucoup de fond de terre végétale, qui fournit un excellent champ à blé, à lin ou à chanvre, donnent une feuille plus large, plus épaisse, plus aqueuse. On ne peut mieux comparer la qualité de ces feuilles qu’à celle du vin que l’on retire des vignes qui y sont plantées ; le ver trouve sur ces feuilles une ample nourriture, mais une nourriture plus grossière.

Il est rare, dans les années pluvieuses, de voir la soie de belle qualité, toutes circonstances égales, parce que la feuille est trop remplie d’eau de végétation. Dès-lors ses sucs sont mal élaborés, &c. Il en est ainsi du vin. Quelle sera donc habituellement la soie des vers nourris avec la feuille de l’arbre planté dans un bas-fond, dans un terrain aquatique, ou dont la couche inférieure est de l’argile ? À coup sur elle aura peu de qualité, & rarement, & très-rarement les vers seront exempts de ces maladies qui en détruisent la moitié.

La même distinction opérée par le sol, le climat, &c. l’est également par la greffe. Il est constant qu’un mûrier sauvageon, c’est-à-dire, qui n’a pas été greffé, à feuille rose & bonne, est plus près de la nature, & par conséquent plus assimilée à la nourriture du ver, que la feuille du mûrier greffé ; & l’arbre sauvageon vit beaucoup plus longtemps que l’autre. Ce qui a fait donner la préférence au greffé, est la beauté de la feuille, & la facilité de la cueillir. Elle est constamment plus ample, jamais découpée, il en faut moins, & un seul homme en ramasse plus dans un jour, que dans deux sur le sauvageon. Plusieurs écrivains, d’après le témoignage d’un auteur, ont élevé jusqu’au nues les avantages du mûrier greffé ; mais ils n’ont pas fait attention que cet auteur avoit ses vues, lorsqu’il vantoit le mûrier greffé. Il falloit se débarrasser de ses vastes pépinières.

Je ne donne l’exclusion ni au sauvageon, ni au mûrier greffé. Ces deux espèces, au contraire, sont à cultiver avec soin, relativement au climat & au but qu’on se propose. Si on plante des mûriers pour en louer la feuille, il est clair qu’il est plus avantageux au propriétaire d’avoir des mûriers greffés ; la beauté de la feuille & sa quantité frapperont celui qui loue, & il paiera chèrement : si, au contraire, le propriétaire se propose de faire filer ; s’il a un plus grand bénéfice, en préparant de la soie de qualité superfine ; si le climat & le sol secondent ses vues, c’est le cas de planter des sauvageons à feuilles roses. Les uns ont donc eu raison de vanter les mûriers greffés, & les autres, ceux qui ne l’étoient pas.

CHAPITRE XIII.

Des propriétés économiques & d’agrément des Mûriers.

§. I. Propriétés médicinales. Les fruits mûrs appairent la toux, & favorisent l’expectoration. Le suc exprimé & passé à travers un linge, donné en gargarisme, calme l’inflammation des amygdales & du voile du palais. Le suc exprimé des fruits ne diffère pas du sirop de mûres ; mais comme on ne peut pas le conserver aussi long-temps qu’on le désire, on est réduit à le faire cuire avec du sucre, jusqu’à consistance de sirop ; on le prescrit depuis demi-once, jusqu’à deux onces, seul ou en solution dans cinq onces d’eau.

On a regardé la feuille de mûrier comme vulnéraire, appliquée sur une coupure aussitôt qu’elle est faite ; elle a soustrait la plaie au contact de l’air atmosphérique : voilà tout son mérite.

§. II. Propriétés économiques. L’écorce de mûrier préparée comme le lin, donne de la soie ; cette propriété étoit connue très-anciennement, & cependant les papiers publics viennent d’annoncer cette propriété comme une découverte nouvelle. Écoutons parler Olivier de Serre, sieur de Pradel, dans son Théâtre d’Agriculture, ouvrage précieux, & qu’on lit trop peu.

« Le revenu du meurier blanc ne consiste pas seulement en la feuille, pour en avoir la soie, mais aussi en l’escorce pour en faire des toiles, grosses, moyennes, fines & déliées, comme l’on voudra ; par lesquelles commodités se manifeste le meurier blanc être la plante la plus riche & d’usage plus exquis, dont encore ayons eu cognoissance. De la feuille du meurier, de son utilité, de son emploi, de la manière d’en retirer la soie, a été ci-devant discouru au long : ici ce sera de l’escorce des branches de tel arbre, dont je vous représenterai la faculté, puisqu’il a pleu au Roi de commander de donner au public l’invention de la convertir en cordages, toiles, selon les épreuves que j’en ai présentées à Sa Majesté… Ainsi m’en a-t’il prins, touchant la cognoissance de la faculté de l’escorce du meurier blanc. Car pour sa facile séparation d’avec son bois, estant en sève, en ayant fait faire des cordes, à l’imitation de celles de l’escorte de tillet, (tilleuil) qu’on façonne en France, mesmes au Louvre en parisis, & mises sécher au haut de ma maison, furent par le vent jettées dans le fossé, puis retirées de l’eau boueuse, y ayant séjourné quelques jours, & lavées en eau claire ; après de torses & séchées, je vis paroître la teille ou poil, matière de la toile, comme soie ou fin lin ; je fis battre ces écorces-là à coup de massue pour en séparer le dessus, qui, s’en allant en poussière, laissa la matière douce & molle, laquelle broyée, sérancée, peignée, le rendit propre à être filée, & ensuite à être tissue & réduite en en toile. Plus de trente ans au pararavant, j’avois employé l’escorce des tendres jetons de meuriers blancs, à lier des entes à écusson, au lieu de chanvre, dont communément l’on se sert en délectable mesnage. »

» Voilà la première espreuve de la valeur de l’escorce du meurier blanc, lequel accident rédigé en art, n’est à douter, de tirer bon service au grand profit de son possesseur. Plusieurs plantes & arbres rendent aussi du poil ; mais les unes en donnent petite quantités ou de qualité foible ; il n’est pas ainsi du meurier blanc, dont l’abondance du branchage, la facilité de l’escorcement, la bonté du poil, procédant d’icelui, rendent ce mesnage très-assuré : voire avec fort petite dépense, le père de famille retirera infinies commodités de ce riche arbre, duquel la valeur, non cognue de nos ancestres, a demeuré enterrée jusqu’à présent, comme par les yeux de l’entendement, il le reconnoîtra encore mieux par les expériences. Mais afin qu’on puisse rendre, de durée, ce mesnage, c’est-à-dire, tirer du meurier l’escorce sans l’offenser, ceci sera noté : que pour le bien de la soie, il est nécessaire, d’esmunder, d’eslaguer, d’étester les meuriers, incontinent après en avoir cueilli la feuille, pour la nourriture des vers, selon, toutes fois, distinctions requises. Les branches provenant de telles coupes serviront à notre invention ; parce qu’estant lors en séve (comme en autre point, ne faut jamais mettre la serpe aux arbres) très-facilement s’escorceront-elles, & ce sera faire profit d’une chose perdue ; car aussi bien les faudroit jeter au feu, mesmes toutes dépouillées d’escorce, ne laisseront bien d’y servir ; si mieux l’on aime, au préalable, les employer en cloisons de jardins, vignes &c. où tel branchage est très-propre pour ses durs piquetons, étant sec & de long service pour la durée, ne pourrissant de long-temps : d’où finalement retiré pour dernière utilité, est bruslé à la cuisine. »

» Et parce que les diverses qualités des branches diversifient la valeur des escorces, dont les plus fines procèdent des tendres summités des arbres, les grossières des grosses branches endurcies, les moyennes, de celles qui tiennent l’entre-deux, lorsque l’on taillera les arbres, soit en les esmundant, eslagant, ou étestant, le branchage en sera assorti, mettant à part, en faisceaux, chacune sorte, afin que sans confus meslange, toutes les escorces soient retirées, & maniées selon leurs particulières propriétés. Sans délai, les escorces seront séparées de leurs branches, employant la fleur de la séve, qui passe tost, sans laquelle on ne peut ouvrer en cet endroit, & ayant embotelé les escorces, chacune des trois sortes à part, l’on les tiendra dans l’eau claire, ou trouble, comme s’accordera, trois ou quatre jours, plus ou moins, selon leurs qualités & les lieux où l’on est, dont les essais limiteront le terme. Mais en quelque part qu’on soit, moins veulent tremper dans l’eau, les minces & tendres escorces, que les grosses & fortes : retirées de l’eau à l’approche du soir, seront entendues sur l’herbe de la prairie, pour y demeurer toute la nuit, afin d’y boire les rosées du matin ; puis devant que le soleil frappe, seront amoncelées jusqu’au retour de la vespérée ; lors remises au serein, de-là retirées du soleil comme dessus, continuant cela dix ou douze jours à la manière des lins, & en somme, jusqu’à ce que cognoîtrez la matière estre suffisamment rouie, par l’espreuve qu’en ferés, desséchant & battant une poignée de chacune de ces trois sortes d’écorces, remettant au serein celles qui ne seront pas assés appareillées, & en retirant, les autres comme le recognoitrés à l’œil. »

Voilà donc cette opération si prônée de nos jours, comme une précieuse découverte, suivie, il y a long-temps dans toute son étendue. L’auteur ne propose pas d’établir des pépinières dans la vue de retirer la soie des jeunes branches de la pourrette, ni même de leurs tiges ; on le pourroit cependant, si on attendoit l’époque de la seconde séve, car pendant la première, de pareilles coupes répétées chaque année, auroient bientôt épuisé la pourrette : d’ailleurs, les pousses après la seconde séve, seront peu considérables, & resteront herbacées en très-grande partie, si le climat est sujet à des gelées précoces, ou n’est pas naturellement chaud. Je conviens que retirer de la soie des écorces, seroit une économie ; malgré cela, les loix physiques de la végétation s’opposent à la taille des arbres pendant l’été ; c’est bien assez de les priver de leurs feuilles. Ne seroit-il pas possible, en taillant aussitôt après la chute naturelle des feuilles, époque à laquelle il reste encore un peu de séve dans les branches, de les plonger alors dans l’eau, de les y laisser pendant quelques jours, & examiner ensuite si on pourroit les écorcer. La séparation de l’écorce sera plus difficile que pendant la séve, mais je ne la regarde pas comme impossible. La saison actuelle ne me permet pas de faire cette expérience, & chacun peut la tenter ; il en résulteroit que l’on auroit le bénéfice de l’écorce, & que l’arbre seroit ménagé.

Le fruit du mûrier engraisse très-promptement la volaille, les cochons, & les feuilles rassemblées après leur chute & mises à sécher, sont dévorées par les troupeaux : c’est pour eux une excellente nourriture d’hiver.

Le bois des taillis est employé utilement, comme perches à soutenir des treillages, comme tuteurs pour les arbres ; celui du tronc & des grosses branches fendu & scié en planches d’un à deux pouces d’épaisseur, sert à la fabrication des vaisseaux vinaires, qui contiennent depuis 1100 jusqu’à 3000 bouteilles & plus. Ce bois est encore avantageux pour les vins blancs, il leur communique un petit goût agréable & approchant de celui que l’on appelle violette. Dans les pays de vignobles à échalas (voyez ce mot), longs ou courts, on apprécie le bois du mûrier. Il dure infiniment plus que tous les bois blancs, moins que le chêne, à la vérité, mais autant que celui des taillis de châtaignier, sur-tout si on a la précaution de l’écorcer.

On a dit que les couchettes faites de bois de mûrier, ne sont pas sujettes aux punaises, ni à la vermine : le fait est faux ; la propreté seule écarte ces insectes.

§. III. Propriétés d’agrément. Le mûrier devient un arbre très-précieux, dans les provinces méridionales, pour les décorations des jardins, puisque la charmille, le hêtre ne sauroient y croître, sans être largement arrosés, & l’eau y est trop rare pour être consommée en objets de pur agrément. Le mûrier craint peu la sécheresse, ses branches se prêtent volontiers à la forme qu’on veut leur donner ; & si on sait les conduire, si on sait à propos les incliner & supprimer le canal direct de la séve, on peut en faire des berceaux agréables, & des palissades semblables à celles des charmilles, & dont les feuilles seront d’un vert plus gai.

Le mûrier noir à gros fruit, à larges feuilles, ou mûrier vulgairement appelé Espagne, pousse peu en branches ; on le taille sans peine à la manière des orangers, & sa tête arrondie, produit un joli effet. Quant aux palissades & tonnelles, elles demandent à être traitées, ainsi qu’il a été dit au mot haie : si on veut se hâter de jouir, si on laisse pousser perpendiculairement de longs rameaux, la palissade & tonnelle seront bientôt formées & couvertes ; mais la séve emportera ces branches, & toutes celles de l’intérieur se dessécheront. Le grand point, le point unique, est de tirer toutes ces branches près la ligne horizontale, & conserver cette direction aux bourgeons qui en proviendront. Lorsque l’une ou l’autre est formée, on la taille ou avec le croissant, ou avec les ciseaux nommés forces ; on ne doit point cueillir la feuille sur ces palissades, ni sur ces tonnelles.


  1. Note de l’Éditeur. Sans savoir précisément quelle est l’espèce de sol dont veut parler l’auteur, sans connoître sa profondeur, j’ose croire que cette caducité précoce tient à ce que l’on a supprimé le pivot de ces arbres en les plantant, & que le sol n’a pas assez de fond, même pour les racines horizontales ; enfin, si on ne peut pas les remplacer par d’autres, c’est que ces mêmes racines n’ont pas empestè le terrain, comme on le dit, mais qu’elles l’ont affamé. Il en est des plantations de ces mûriers comme des luzernières ; lorsque celles-ci sont épuisées, on ne peut semer de nouvelle luzerne que cinq à six ans après, afin que les sucs nutritifs de la superficie aient eu le temps de pénétrer jusqu’à une certaine profondeur, afin d’y remplacer ceux que les racines pivotantes des luzernes ont absorbés. (Voyez le mot Luzernes)
  2. Les racines sont toujours en proportion de la tête de l’arbre. Celle de l’anneau, de l’érable, &c., taillés en boule, pour la décoration des jardins, ne s’étendent guères au-delà d’une toise, & celles de l’ormeau, livré à lui-même, parcourent un espace de plus de dix à vingt.