Cours d’agriculture (Rozier)/MOLETTE

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Hôtel Serpente (Tome sixièmep. 556-559).


MOLETTE. Médecine Vétérinaire. Maladie particulière aux chevaux. La molette est formée par un amas de lymphe ou de sérosité qui se manifeste au-dessus du boulet par une tumeur molle ; cette tumeur couvre tantôt la face postérieure du tendon du muscle sublime, tantôt les parties latérales des tendons des muscles sublime & profond. Lorsqu’elle paroît de chaque côté des tendons, on l’appelle molette soufflée ; lorsqu’elle est sur le tendon même, on la nomme molette simple, ou par corruption molette nerveuse.

Pour traiter la molette avec une certaine connoissance, il est utile d’avoir au moins une légère notion des parties qui forment l’extrémité inférieure du canon, près de son union avec le paturon.

La peau & le tissu cellulaire en sont les enveloppes générales. Le tissu cellulaire a des connexions intimes avec la peau qui le couvre ; avec les tendons des muscles fléchisseurs du pied, qui descendent le long de la face postérieure du canon entre les deux péronnés ; avec les deux parties ligamenteuses, qui de la partie postérieure & inférieure du canon, vont se joindre aux adhérences que les muscles extenseurs du pied contractent avec l’articulation du boulet, avec le prolongement de l’artère brachiale, dont le tronc rampe postérieurement le long du canon jusqu’au-dessus du boulet où il se bifurque, pour former les artères latérales qui donnent naissance aux articulaires, avec les divisions de la veine cubitale ; telles que les veines articulaires qui partent du boulet après en avoir entouré l’articulation ; telle que la veine musculaire qui part de ce même endroit & monte jusqu’auprès du genou en se perdant dans les muscles du canon, avec les filets nerveux qui émanent du nerf brachial interne ; ces filets donnent plusieurs rameaux aux muscles fléchisseurs du canon & du pied, & vont ensuite se perdre dans le boulet, dans le paturon, dans la couronne, &c. Le tissu cellulaire remplit encore exactement les interstices qui règnent entre toutes ces parties, l’humeur qui s’en sépare est reçue dans les cellules de ce tissu ; si la sécrétion est lymphatique ou séreuse, & si elle est trop abondante, elle distend les cellules qui la reçoivent, & forme la molette simple ou la molette soufflée.

La cause prochaine de la molette est une lymphe ou une sérosité arrêtée ou infiltrée dans le tissu cellulaire.

1°. Dans les chevaux qui ont le sang trop épais, le ressort des artères n’a pas assez de force pour le chasser en avant, il coule plus lentement, la lymphe a plus de temps pour s’extravaser ; elle passe plus abondamment dans le tissu cellulaire qui les enveloppe, elle le gonfle & le surcharge : or comme la lymphe participe du même caractère que le sang d’où elle sort, elle est conséquemment épaisse, gluante, visqueuse, propre à former des engorgemens, à se durcir & à se pétrifier. Les alimens & tout ce qui est capable d’épaissir le sang & de rendre le chyle crud & grossier, sont des causes éloignées de la molette qui se termine par l’endurcissement.

2°. Dans les chevaux qui ont le sang trop aqueux, la sérosité qu’il contient est trop abondante, celle-ci relâche les fibres des vaisseaux, elle leur fait perdre leur ressort, elle les rend incapables de chasser avec vigueur les liquides, le sang circule lentement dans les artères, la sérosité s’en échappe avec trop de facilité, elle s’infiltre dans le tissu cellulaire, à mesure qu’elle s’y accumule, elle donne naissance à la molette simple ou à la molette soufflée,

3°. Dans les chevaux à qui on comprime, par une ligature quelconque, les vaisseaux sanguins qui se distribuent à l’extrémité inférieure du canon, le sang ne circulant plus avec facilité dans cet endroit, les veines articulaires & la musculaire sont forcées d’y laisser échapper une partie de la lymphe ou de la sérosité qu’elle contiennent ; c’est le tissu cellulaire qui reçoit ce liquide, il en distend les cellules & forme la molette.

4°. Dans les chevaux dont le volume des boulets est trop menu, trop petit, relativement à l’épaisseur de la jambe, ces sortes de boulets, sont la plûpart trop flexibles, & cette flexibilité est un indice presque certain de leur foiblesse ; cette partie ainsi conformée, les chevaux communément se lassent & se fatiguent dans le plus léger travail ; elle est bientôt gorgée, &, l’enflure dissipée, il y reste ou il y survient cette tumeur molle & indolente dans son principe, mais dure & sensible ensuite & par succession de tems, que nous avons nommée molette simple ou molette soufflée.

Diagnostic. On connoît que c’est la lymphe qui forme la molette, lorsqu’après un certain temps, l’impression du doigt reste dans la tumeur ; on conjecture au contraire, qu’elle est formée par la sérosité qui s’est extravasée dans le tissu cellulaire dès que le liquide épanché fait relever la tumeur quand on cesse de la comprimer.

Prognostic. La molette lymphatique & la séreuse, sont plus faciles à guérir au commencement, que lorsqu’elles sont invétérées. Ces liquides croupissant long-temps dans les cellules, deviennent si âcres qu’ils les rongent, ainsi que les tendons des muscles fléchisseurs du pied, les parties ligamenteuses de l’articulation du boulet, les vaisseaux qui s’y distribuent, &c. Les molécules les plus visqueuses de la lymphe, se rapprochent à mesure que la chaleur de la partie affectée dissipe ce qu’elle a de plus fluide ; enfin elle s’épaissit, se durcit, & forme des pierres plus ou moins volumineuses, qui gênent les mouvemens de flexion & d’extention de l’articulation du boulet.

La cure de la molette qui dépend de l’épaississement du sang & de la lymphe, demande des apéritifs & des purgatifs hydrologues. On prescrira donc les tisanes faites avec les racines de patience, d’aunée, de fenouil, d’asperges, de petit houx, de persil, de cerfeuil, avec l’orge. On fera avaler au cheval pendant quinze jours une livre ou deux, une heure avant ses repas. Il faut purger le cheval au commencement ou au milieu & à la fin de l’usage de ces tisanes, avec le jalap, le mercure doux, le turbith, la semence d’ieble, le sel de duobus pulvérisé, la gomme gutte & le syrop de nerprun. (Voyez Méthode purgative) Pendant l’usage de ces remèdes, on emploiera les topiques capables d’atténuer & de résoudre la lymphe visqueuse qui forme la molette, & de dessécher & fortifier les fibres trop relâchées. Pour cet effet on fomentera la partie avec une lessive de cendres de sarment, dans laquelle on aura fait bouillir du soufre, ou avec une décoction de romarin, de sauge, d’absinthe & de camomille, ou avec de l’esprit de vin, auquel on ajoutera parties égales de sel ammoniac & d’eau de chaux. Après les fomentations, on appliquera un cataplasme fait avec la farine de fèves, cuite dans l’oxymel, y ajoutant des roses rouges & de l’alun ; & si malgré ces remèdes, la molette augmente de volume, on aura recours à des résolutifs plus forts. Telles sont les fomentations faites avec les décoctions de romarin, de thym, de serpolet, de laurier, de camomille, d’anis, de fenouil, de moutarde, de semences, de fœnugrec & de fiente de pigeon, dont on fait une forte décoction. On pile le marc & on l’applique en cataplasme sur la molette. Les feuilles d’ieble & de sureau, pilées avec de l’esprit de vin, font aussi un bon cataplasme.

Si la molette résiste, le secours le plus prompt est de faire de légères scarifications sur la molette, de manière à ouvrir la peau & quelques unes des cellules qui contiennent la lymphe ; comme elles ont communication les unes avec les autres, toutes ces cellules se dégorgeront insensiblement par celles qui seront coupées : & si cette lymphe dépravée y a croupi assez long-temps pour y former un calcul d’une forme & d’un volume quelconque, connoissant la structure anatomique de la partie affectée, rien n’empêche qu’on ouvre la peau & le tissu cellulaire, de manière à en extraire avec facilité le corps étranger.

Quand la lymphe ou la pierre sont sorties, les incisions se cicatrisent bien vite, si l’on n’a pas trop attendu à les faire. Il faut cependant appliquer sur les ouvertures, des compresses trempées dans de l’eau vulnéraire ou dans de l’eau-de-vie camphrée, pour rétablir le ressort des fibres. Si les plaies étoient pâles, & qu’il y eût de la disposition à la gangrène, on les panseroit avec le baume de styrax, ou les autres remèdes convenables à cette maladie.

La molette qui dépend d’un sang trop aqueux, demande les mêmes remèdes que la précédente, & principalement ceux qui sont propres pour l’hydropisie ; il ne s’agit que d’évacuer les sérosités trop abondantes, & de fortifier ensuite les fibres qui sont relâchées.

Si la molette provient de quelque compression, elle cesse quand on a levé l’obstacle ; si le tissu adipeux est gonflé & qu’il fasse compression, les atténuans, les apéritifs & les hydrologues décrits dans la cure de la molette visqueuse, y conviennent.

Si la molette est l’effet d’un boulet trop menu, trop petit, alors elle se trouve dans la classe des maladies incurables. M. BRA.