Cours d’agriculture (Rozier)/SEIGLE ou SEGLE

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Hôtel Serpente (Tome neuvièmep. 154-167).


SEIGLE ou SEGLE. Tournefort le place dans la troisième section des plantes à fleurs, sans pétales, & à étamines, qu’on nomme blés, parmi lesquelles plusieurs sont propres à faire du pain ; & il l’appelle secale hybernum vel majus. Von-Linné le nomme secale cereale, & le claisse dans la triandrie digynie. Le seigle qu’on sème avant l’hiver est appelé hybernum vel majus & celui qu’on sème au printemps, verum vel minus ; ce dernier est une simple variété dégénéré : du premier, & qu’on rappelleroit à son état primitif si on le semoit plusieurs années de suite avant l’hiver & dans de bons terrains : ce ne sont pas ces espèces distinctes, comme quelques auteurs l’ont avancé ; il en est de ces deux seigles comme du froment d’hiver & du froment marsais. (Consultez ce mot.) On les distingue encore par la dénomination de grand ou de petit seigle.

Fleur ; l’épi n’est qu’un amas de fleurs, chacune est composée de trois étamines & d’une balle ou enveloppe formée de deux folioles opposées en forme de carène, renfermant deux fleurs ; sous l’enveloppe on trouve deux autres valvules qu’on peut considérer comme une espèce de corolle, l’intérieure est plane & en forme de fer de lance ; l’extérieure, roide, renflée, aiguë, garnie de cils à ses bords extérieurs, terminée par une longue barbe.

Fruit ; dans chaque espèce de corolle, on trouve une semence oblongue, cylindrique, un peu pointue & qui se détache facilement, mais bien moins facilement que dans le froment. Chaque épi, si la saison a été favorable, & si le sol est bon, renferme depuis soixante jusqu’à cent vingt grains.

Feuilles ; plus vertes, plus larges, un peu velues, formant une touffe plus considérable que celles du froment : elles sont également plus couchés sur terre.

Racines, horisontales, fibreuses.

Port ; la hauteur des tiges varie suivant le climat, le sol & la saison. Dans les bons terrains on en voit quelquefois qui ont jusqu’à sept pieds de hauteur ; elles sont plus grêles & moins fortes que celles du froment. Les fleurs naissent au sommet des tiges, disposées en épis plus alongés & plus plats que ceux du froment, très-barbues, accompagnées de deux fleurs florales… Que l’on diminue actuellement, toutes les proportions de grandeur & de largeur de toutes les parties du seigle d’hiver, & on connoitra la variété qui constitue le seigle marsais.

Lieu. On ignore son pays natal ; cultivé dans toute l’Europe ; la plante est annuelle.


CHAPITRE PREMIER.

Du sol propre à la culuture du sigle.

La nature n’a jamais rien produit en vain ; & la providence a fourni cette plante alimenteuse aux habitans des pays froids, élevés, & des pays septentrionaux de l’Europe, où l’on tenteroit en vain la culture du froment. En effet, il y a des climats où le seigle reste dix & onze mois de l’année en terre. On a même vu, dit M. Villars, dans son excellent ouvrage intitulé l’Histoire des plaines du Dauphiné, des champs de seigle recouverts par des gavaches qui n’ayant pas pu fondre la première année, l’ont été dans la seconde, & le seigle a mûri après avoir passe deux années révolues en terre. Ce fait prouve deux choses : la première, que les champs exposés aux gavaches sont nécessairement dans une exposition très-froide, & que le seigle y résiste aux plus grands froids ; la seconde, que l’art peut rendre les plantes biennes & même triennes, si on a le soin de leur empêcher de porter fleur, & sur-tout de grainer. La nature tend sans cesse à la reproduction des individus par la graine : aussitôt que la graine commence à mûrir, la plante annuelle se dessèche parce qu’elle a rempli le vœu de la nature. Actuellement, s’il est bien prouvé que le seigle ne craint pas les froids, s’il est même prouvé qu’il aime les pays élevés, & qu’il y réussit bien, pourquoi, par une habitude mal entendue, ne le relègue-t-on pas sur les hauteurs, & pourquoi le cultive-t-on dans nos plaines ? ce problème mérite d’être examiné.

On cultive le seigle dans nos plaines, ou parce que le sol y est de médiocre qualité, on parce qu’on a semé un champ en froment pendant plusieurs récoltes consécutives. On dit communément qu’il & faut le rafraîchir en semant ensuite du seigle ; je ne conçois rien à ce raisonnement. On le fait généralement par-tout, & sa généralité ne prouve pas sa justesse ; nous y reviendrons tout-à-l’heure.

Tout sol de médiocre qualité est destiné au seigle ; communément il produit de deux années l’une, & l’année non productive est appelée jachère. (Consultez ce mot essentiel ici, afin d’éviter les répétitions, & afin de connoître les abus de cette année de repos.) Dans certains endroits, & ou le sol est bien mauvais, on ne sème qu’après trois ou quatre années & même plus ; il faut encore avoir écobué les terres, (consultez ce mot) opération coûteuse. & presque inutile.

Quoique j’aye dit plus haut que la culture du seigle devroit être reléguée dans les pays élevés & froids, cependant dans les plaines il convient de tirer un bon parti de toute espèce de sol. Ainsi on doit y consacrer à sa culture celui qui n’est pas susceptible de produire du froment, & plus le sol est mauvais, & plus il demande de préparations. Mais ce terrain supposé mauvais, cultivé d’une autre manière, ne rendroit-il pas plus qu’en seigle ? En effet, sur dix récoltes, à peine en obtient-on une bonne, deux médiocres, & les autres rendent à peine les semences, ou du moins leur produit ne couvre pas les frais d’exploitation. Les valets de la ferme & le bétail ne perdent pas moins un temps qui seroit bien mieux employé ailleurs. Il n’y a donc point d’avantage à cultiver du seigle dans du mauvais terrain ; un sol de médiocre qualité peut être rendu meilleur comme on le dira ci-après, dès-lors pourquoi ne pas le cultiver en froment ?

Rafraîchir la terre. Expression vide de sens. On veut dire, sans doute, que lorsqu’un champ a produit plusieurs récoltes consécutives de froment, il est épuisé, mais qu’il lui reste encore assez de force pour une récolte passable en seigle. On convient donc, sans y penser, que ces récoltes épuisent le sol, dès-lors qu’il est nécessaire de recourir a l’année de jachère afin de lui rendre de nouveaux principes : mais l’année de jachère en donne peu ; elle est donc presque inutile ; j’ajoute, elle est abusive : c’est ce qui a été démontré dans cet article dont la lecture est indispensable.

Le seigle vient dans tous les sols, plus ou moins bien, soit en plaine, soit dans les pays élevés. Le grand froid ne le fait pas périr ; s’il souffre, c’est par les gelées & les dégels successifs & prompts, ce qui n’arrive jamais dans les régions élevées.


CHAPITRE II.

Des préparations à donner à la terre, du temps de semer et de Récolter.

Presque par-tout on laboure de la même manière, & autant de fois les champs a seigle que ceux destinés à porter du froment. Je ne répéterai pas ici ce qui a été dit dans l’article froment, relativement aux labours, ce seroit un double emploi.

C’est toujours la faute du propriétaire si un bon champ, dans quelque circonstance que ce soit, est ensemencé avec du seigle ; parce qu’il ne tient qu’à lui d’alterner ses récoltes. (Consultez ce mot essentiel.) Du moment qu’il supprimera la jachère, & que cette prétendue année de repos sera consacrée à produire de l’herbe, le sol de son champ ne s’appauvrira pas, & il aura encore le double avantage de recueillir de belles récoltes en fourrage, dans l’année que ses voisins emploieront à fatiguer la terre & le bétail par des labourages infructueux. L’expérience de tous les temps, de tous les lieux, a prouvé que plusieurs récoltes consécutives en froment épuisoient la terre, parce qu’on lui enlevoit sans cesse ses principes, sans lui fournir les moyens d’en récupérer de nouveaux ; mais la même expérience démontre aujourd’hui aux bons cultivateurs, qu’en alternant ses récoltes, loin d’épuiser le sol on le bonifiais. Si je ne craignois de parler de moi, je produirais un grand nombre de lettres de différens cultivateurs, qui me mandent que depuis la publication du premier volume du Cours d’agriculture, ils ont alterné leurs champs & ont presque doublé leurs revenus, & triplé dans les cantons où les prairies naturelles étoient rares : on sent bien que je ne parle pas ici des cantons où la chaleur n’est pas assez forte pour obtenir une bonne maturité du froment. Lorsque cette ligne de démarcation existe, il est clair qu’il faut se résoudre à cultiver du seigle, quand même le fonds seroit très-excellent, puisqu’on ne viole jamais impunément les lois de la nature : par-tout ailleurs, si le sol est bon, c’est un abus.

Si le sol est de médiocre qualité, il est également démontré qu’après un certain nombre de récoltes alternées, il est assez bonifié pour produire du froment. J’en ai chaque jour la preuve sous les yeux. S’il est de petite qualité, l’année qu’on appelle de jachère ou de repos, doit être sacrifiée à produire de l’herbe & à l’enterrer. Il suffit de donner un fort labour croisé avant l’hiver, & même de passer deux fois la charrue dans le même sillon, afin de ramener sur la superficie la plus grande quantité de terre neuve que l’on pourra, & l’exposer à l’action de l’air & des élémens. La neige, les gelées surviennent par-dessus, & plus cette terre est profondément détrempée & imbibée d’eau, plus le froid a d’action pour la pénétrer profondément, car je ne connois pas de meilleur laboureur que la gelée. Après l’hiver, les molécules de cette terre se trouvent très-divisées, & les labours qu’on lui donne de nouveau, mêlent & combinent exactement & les terres anciennes de la surface & celles du dessous. Lorsque l’on ne craint plus les gelées, on sème des lupins, (consultez ce mot) & encore mieux du sarrasin ou blé-noir très-épais. (Consultez cet article) Je préfère cette dernière plante à cause de la promptitude de sa croissance & de sa facile décomposition quand elle est enfouie au moment qu’elle est en pleine fleur. Dans plusieurs de nos provinces on peut la semer & l’enfouir trois fois, presque par-tout deux fois avant de faire le dernier labour & le semis du seigle. Il n’est pas possible que la récolte du seigle ne soit très-belle l’année d’après, à moins que la saison ne s’y oppose. Ces labours, ces semis de graines dont on doit enfouir les plantes, paroîtront au premier coup-d’œil un objet de grosses dépenses ; cependant si on compare ces labours avec ceux que l’on a coutume de donner chaque année, on verra que la différence est bien mince. On doit, j’en conviens, mettre en ligne de compte l’achat de la graine ; cette avance sera largement couverte par une bonne récolte en seigle. Les raves ou turneps, semées pendant l’année de repos, méritent beaucoup d’attention, ainsi que les carottes & toute autre espèce d’herbe destinée à être enfouie ; malgré cela je préférerois toujours le sarrasin semé épais ; il devient un des meilleurs amendemens connus, & aussitôt après que la récolte du seigle sera levée, on peut en semer de nouveau & l’enfouir par les labours avant l’hiver ; ce sera une avance en grains pour l’année suivante. En procédant de cette manière & sans perdre de temps, dans les climats tempérés, on aura le temps, avant de resemer du seigle, d’enfouir trois fois l’herbe, & quatre fois dans les provinces naturellement plus chaudes. C’est ainsi que chaque année on bonifie un champ mauvais, & qu’on convertit un médiocre en un bon ; on peut encore alterner ce dernier avec le grand Trèfle semé par-dessus le blé, ainsi qu’il a été dit dans l’article Trèfle ; par ce moyen l’année qui auroit été consacrée à la jachère, devient une année de prairie artificielle ; & ainsi successivement en grains. On est parvenu de cette manière à donner de l’activité & de la valeur même à certains champs de la Champagne pouilleuse.

On ne sauroit semer de trop bonne heure le seigle, soit dans les pays élevés, soit dans les plaines : plus la plante reste en terre & plus belle est sa récolte, si les circonstances sont égales. Sur les hautes montagnes on sème en août ; au commencement où au milieu de septembre, à mesure que l’on descend dans une région plus tempérée, afin que la plante & sa racine aient le temps de se fortifier avant le froid. Si ensuite la neige couvre la terre, & que la gelée ne l’ait pas encore pénétrée, la végétation du seigle n’est plus suspendue, la neige la favorise au contraire ; (consultez ce mot) elle n’est arrêtée que par de fortes gelées.

Dans les provinces du midi du royaume, il importe que les semailles soient finies à la fin de septembre, parce qu’il est nécessaire que les racines & les feuilles profitent beaucoup pendant les mois d’octobre, novembre & décembre, & acquièrent assez de force afin de résister à la chaleur & souvent à la sécheresse des mois d’avril & de mai suivans. Toutes semailles faites à la fin d’octobre y sont fort casuelles, & bien plus encore à mesure qu’on approche de la fin de l’année. Si on sème après l’hiver, par exemple en février, le grand seigle y profite moins que les seigles marsais dans les provinces du nord du royaume, attendu que sa végétation y est trop précipitée ; les grains sont alors petits, maigres, retraits, enfin de qualité très-inférieure.

Les seigles marsais ou trémois sont inconnus dans la majeure partie du royaume ; c’est dans les pays des montagnes qu’ils sont plus en usage, & leur récolte, quoique favorisée par le climat, est presque toujours médiocre : il en est ainsi par-tout du froment trémois, sur dix années, on en compte une bonne. La perfection de la plante, tient au temps qu’elle met à végéter & à couver sa graine ; tout ce qui est trop-précipité contrarie les loix de la nature, & ce n’est jamais impunément.

J’ai dit que je ne connoissois pas de meilleur laboureur que la gelée ; en voici la preuve : les hivers de 1775 à 1776, de 1788 à 1789 sont les deux hivers les plus rigoureux dont, de mémoire d’homme, l’on se souvienne ; ils ont été plus froids même que celui de 1709, qui fut désastreux à cause des gels & dégels successifs & coup sur coup. Cependant, généralement parlant, la récolte de seigle a été superbe dans tout le royaume, quoiqu’elle ait été contrariée à plusieurs époques du printemps & de l’été. Son abondance a été la suite du grand froid ; la gelée a pénétré la terre presque par-tout à 12 & 15 pouces de profondeur. Or l’effet de l’eau glacée est d’occuper plus d’espace que dans son état de fluidité ; mais comme cette eau est interposée entre chaque molécule de terre, elle les soulève, les sépare des molécules voisines, & les divise mieux que ne feroient jamais les charrues ni la bêche : ainsi la totalité de la terre reste soulevée & divisée aussi profondément que la gelée a pénétré. Des que le froid cesse, la végétation se ranime, les racines s’étendent ; alors, trouvant un sol bien meublé, elles se hâtent de pivoter, d’aller au loin chercher la nourriture, & elles la communiquent au reste de la plante. Si la terre est couverte de neige, lorsque le dégel survient, cette neige, en fondant, rend au sol l’air fixe qu’elle a retenu, & qu’elle s’est approprié à mesure qu’il s’échappoit de la terre. Ainsi, dans la circonstance présente, tout a concouru à bonifier la végétation de la plante & à doubler sa force. Il est donc indispensable que la récolte soit abondante, & il faut de grands obstacles de la part des saisons, pour qu’elle ne vienne pas à bien. Malgré ces avantages, on peut dire cependant que l’époque de la fleuraison est vraiment ce qui détermine le plus ou le moins de récolte ; mais si cette époque est heureuse, & qu’elle ait été devancée par les circonstances dont il s’agit, on est assuré d’une récolte des plus abondantes. C’est ce qui arriva à tous les grains semés après le fâcheux hiver, de 1709, & à tous les blés hivernaux & printaniers de 1789. Plus la terre est forte, compacte, & même argileuse, & plus l’effet du froid est sensible, si cette terre est humide. En effet, malgré les pluies du printemps, assez abondantes dans la majeure partie du royaume, la terre se trouvoit encore soulevée en juin, au point qu’on la béchoit presque avec la même facilité que le sable, tant elle restoit émiettée, quoique de sa nature elle fût compacte. Je cite ces observations aux cultivateurs, afin de les engager de donner deux forts labours croisés avant l’hiver ; & si la saison & leurs occupations le permettent de faire passer la charrue, deux fois dans le même sillon. Il y aura une plus grande masse de terre soulevée & soumise à l’action de la gelée. Tous les labours faits après l’hiver seront plus faciles & plus utiles. Ces observations sont encore très-intéressantes pour les propriétaires de terrains à craie ou à argile. Un hiver un peu fort travaillera plus dans une saison que toutes leurs charrues réunies ne le feront en deux ou trois ans. Mais, dira-t-on, c’est ramener la terre crue sur la surface ; cela est vrai, & elle cesse d’être telle, si, labourée plusieurs fois pendant l’année de jachère, elle est mêlée intimement avec l’ancienne de la superficie ; elle aura eu le temps d’être décruée, si je puis m’exprimer ainsi, & par le froid, & par l’action du soleil, & par celle de tous les météores. J’en ai la preuve la plus certaine. Si, aussitôt après l’hiver, cette terre est semée en herbe quelconque, & que cette herbe soit enfouie à l’époque convenable, on trouvera alors qu’une grande partie est retenue, soulevée par des racines. Au reste, que le cultivateur en fasse l’expérience, elle deviendra pour lui une démonstration. Je ne saurois trop dire & trop répéter, 1°. que l’année de jachère est l’abus le plus criant introduit en agriculture ; 2°. que sa suppression rendra au propriétaire au moins un grand tiers en sus du produit annuel ; 3°. que les forts labours faits avant l’hiver, sont les meilleurs les plus avantageux.

Il n’existe peut-être aucune partie de l’agriculture qui ne soit accompagnée d’un abus. L’homme veut toujours en savoir plus que la nature, & il pense la maîtriser en la contrariant. Il s’agit des méteils ou mélange par parties égales, ou par tiers, ou par quart de grains de froment & de seigle. Dans quelques cantons du royaume que ce soit, si les circonstances sont égales, la récolte du seigle devance de beaucoup celle des fromens. Or, dans l’intervalle de la maturité de l’un à l’autre, qui ne voit que le moindre coup de vent fait égrainer le seigle, qu’il égraine à outrance lorsque l’on moissonne le tout. Si on en doute, il suffit, deux mois après, de jeter les yeux sur le même champ, & l’on verra qu’il est couvert de jeunes plantes de seigle. Il le seroit bien plus, si les fourmis, si les oiseaux n’avoient pas enlevé la majeure partie du grain tombe. Cependant c’est le meilleur grain, car il ne reste sur l’épi que les grains du haut ; c’est-à-dire les derniers murs & les plus petits. Supposons une nouvelle plante graminée, dont la semence fût nutritive, & dont la maturité fût quinze jours après celle du froment ; je demande quel seroit le cultivateur assez stupide pour faire le mélange des deux semences ? — Cependant le seigle & le froment établissent la même parité. — Je conviens que le seigle égraine plus difficilement, qu’il exige sur l’aire plus de coups de fléau pour en séparer tout le grain. Mais on n’a pas fait attention que le grain, depuis le bas de l’épi, s’égraine sans peine, & que la difficulté consiste a séparer de sa balle celui du haut, parce qu’il est plus petit, moins poussé, moins mûri & par conséquent plus enchâssé que celui d’en bas. Telle est la solution de la difficulté. ;

Si on alterne les champs, si on supprime l’année de jachère, les terrains médiocres porteront du froment & fourniront aux propriétaires le grain nécessaire à leur consommation. Ils n’auront plus alors aucun prétexte de semer du méteil. Ils auront beau objecter que c’est la coutume, que le mélange se trouve tout-à-fait dans le grain à livrer pour la nourriture des valets de la métairie ; la coutume est abusive, il faut la détruire ; le prétexte du mélange est spécieux, puisque dans moins d’un quart-d’heure on a mêlé dix mesures de seigle avec dix mesures de froment ; la mouture achevé ensuite le mélange intime des farines. La chose la mieux démontrée, c’est la perte réelle.

On laboure ces terres, on les herse, &c. comme pour semer du froment ; la récolte, le battage sont les mêmes. (Consultez l’article Froment.) Plus long-temps le seigle reste en meule, & plus il se bonifie : son grain, ainsi conservé, même jusqu’à la seconde année, est supérieur à celui de la première.


CHAPITRE III.

De Ses propriétés.

Propriétés économiques. Dans les cantons où les fourrages sont rares, en peut employer utilement l’année de jachère, en semant du seigle, que l’on coupe lorsque la tige est formée & avant que l’épi soit entièrement développé. Ce fourrage est excellent, & vaut beaucoup mieux que celui des prairies naturelles. La plante fauchée, repousse de nouveau ; quand elle est parvenue à sa plus grande hauteur, on l’enterre par des coups de charrue très rapprochés.

Plus de la moitié des habitans du royaume ne mange que du pain de seigle. Presque par-tout il est mal pétri, mal levé & mal cuit. Cependant il est très-possible de faire avec sa farine d’excellent pain, & aussi blanc que le pain de pur froment. (Consultez l’article Pain, il y est question de la manière de faire celui de seigle.)

Propriétés Médicinales. Le seigle en décoction est utile dans tous les cas où l’orge est indiqué. (Consultez cet article.)


CHAPITRE IV.

Des maladies du seigle.

Ce grain n’est pas aussi communément attaqué de la carie ni du charbon que le froment : il se conserve aussi-bien que lui dans les greniers, s’il y règne un courant d’air assez fort pour le débarrasser de son humidité surabondante. Il a encore l’avantage de ne pas être attaque par le charançon. Les oiseaux & les souris sont les seuls animaux qu’il redoute.


De l’Ergot.

L’ergot est la principale maladie qui affecte ce grain sur la plante. On appelle ergot ou blé-cornu, des excroissances dont la forme imite l’ergot d’un coq, ou une corne, dont la couleur est noire ou brune ; leur saveur est âcre. — Quelle est la cause de cette production monstrueuse ? Les avis ont long-temps été partagés sur ce sujet, & on a hasardé une infinité d’hypothèses aussi futiles les unes que les autres, & inutiles a rapporter. Si on désire les connoître, on peut consulter le quatrième volume du journal de Physique, année 1774, page 41, où son auteur a consigné le précis des différens sentimens. Cette maladie est très-rare dans les seigles des pays élevés, & beaucoup plus commune dans certaines provinces. Il étoit réservé à M. l’abbé Fontana, physicien du grand-duc de Toscane, observateur consommé, & naturaliste exempt de préjugés, de lever le voile qui couvroit ce mystère.

« L’hiver passé, dit l’auteur, je semai dans mon jardin, une quantité du plus beau blé & du plus beau seigle que je pusse avoir. La terre étoit tant soit peu humide, & j’y fis de petits trous coniques, profonds d’environ deux pouces. Dans ces trous, j’y mis un seul grain de froment ou de seigle, & sur ce grain je laissai tomber quelques grains d’ergot ; je couvris le trou légèrement… Peu loin de celui-ci j’en semai un autre semblable au premier, mais que j’avois auparavant arrosé avec de l’eau, dans laquelle j’avois jeté une grande quantité de cette poudre noire & puante, que l’on appelle en Toscane la volpe, & nommée par M. Duhamel, la nielle ; (consultez ce mot) sur ce grain, dans les mêmes trous, je fis tomber de petites graines d’ergot… Dans l’entre-deux de ces deux semis, sur une longueur d’environ deux aunes quarrées, je semai du blé arrosé seulement d’eau niellée. Ces dernières plantes ayant poussé des épis, je trouvai que la plus grande partie étoit niellée, & que les épis sains étoient en très-petit nombre. Les épis des premiers trous étoient presque tous infectés d’ergot… Le plus grand nombre des autres avoient les deux maladies de l’ergot & de la nielle ; car dans les mêmes balles il y avoit de petits grains d’ergot, & à côté d’eux d’autres grains malades, lesquels étant ouverts, se trouvoient remplis de poudre noire de nielle & de petites anguilles générantes, ce qui sera expliqué dans la suite.

» L’ergot est donc une maladie contagieuse comme la nielle, & cette vérité pourroit être d’une très-grande conséquence, puisqu’on pourroit infecter le blé d’un pays entier, & y causer peut-être même des maladies parmi les hommes, si ce qu’on a écrit de l’ergot est vrai, & s’il est aussi infecté que le véritable ergot dont parle Bauhin.

» L’on a cru jusqu’à présent que ce faux ergot étoit le grain dégénéré par maladie ; mais je suis d’un avis tout-à-fait différent. J’ai observé que dans les mêmes balles, on n’en trouve, lorsque les mêmes épis sont sains, jamais deux ou plusieurs ; mais en fait d’ergot, on en trouve deux, trois, & même plus, les uns à côté des autres ; & dans les balles qui contiennent l’ergot, on ne trouve jamais le grain formé par le germe… On trouve bien souvent & dans les mêmes balles, & le germe, & les étamines, & les anthères, & de petits grains d’ergot en même-temps. Si le germe & l’ergot subsistent à-la-fois, & dans les mêmes balles, si l’ergot n’est pas toujours composé d’un seul grain, mais de plusieurs, l’ergot n’est donc pas le vrai grain formé par le germe ? Ce n’est donc pas non plus un germe dégénéré comme est la nielle. Je me flatte mettre dans son vrai jour cette vérité inconnue jusqu’à présent parmi les naturalistes ; & le règne animal sera enrichi d’une nouvelle galle ou coque, fait, e par un petit animal microscopique invisible.

» La multiplication du germe dans la même balle est encore plus surprenante. On sait que le germe du grain est toujours seul dans la balle, & qu’il n’y en a jamais deux ou plusieurs, même par aucune maladie connue jusqu’à présent. Où existe la petite galle ou tumeur du grain cornu ? Très-souvent on trouve le germe double, triple, & quelquefois multiplié jusqu’à dix germes, tous bien distincts, quoique rassemblés, sans que cette multiplication rende moins certaine l’autre observation, que l’ergot est une vraie coque ; car j’ai bien souvent trouvé le germe seul non multiplié, & en méme-tems le grain d’ergot, tantôt seul, tantôt accompagné d’autres ; & j’ai trouvé l’ergot même hors des balles qui renferme le germe ; c’est une observation sans réplique.

» Après avoir examiné la multiplication de ces germes, on peut dire avec toute assurance, que la pluralité des grains d’ergot dans les mêmes balles, ne vient sûrement pas des germes multiplié. Le petit grain d’ergot tout seul est séparé du germe. Les germes, multipliés formant parmi eux un seul corps, ils sont tous attachés à un seul pied, & sur une même balle, & quelquefois on trouve dans les mêmes balles le grain de l’ergot, & le germe non multiplié, non divisé, mais seul & entier… Si cette multiplication des germes, ne sert point à former les coques du grain cornu, elle sert à multiplier les grains de nielle attaqués de la maladie de l’ergot, ou ergotés ; & c’est une observation neuve, unique & sans exemple. On trouve très-souvent dans les mêmes balles, deux ou trois grains de nielle qui ont à leur sommité leurs pistils. On sait que la nielle est le germe dégénéré, non fécond, & comme le germe est seul, le grain de nielle l’est toujours dans les mêmes balles. Dans les épis & dans les balles où règnent les deux maladies unies d’ergot & de nielle, on trouve les grains de nielle multipliés, soit qu’ils soient à côté des grains d’ergot, soit qu’ils soient seuls… Un grain niellé doit être regardé comme atteint de la maladie de l’ergot, lorsque dans sa substance interne, qui est toute formée de petits globules noirs, on trouve les petites anguilles générantes.

» Nous avons vu jusqu’à présent, que le faux ergot est une maladie du blé & du seigle ; qu’elle est contagieuse ; que nous pouvons la communiquer, si nous voulons, aux grains sains du blé & du seigle ; que l’ergot n’est point le germe dégénéré, mais une coque ou tumeur de la plante ; que là où il y a l’ergot, le germe se multiplie ; que l’on peut donner aux grains les deux maladies d’ergot & nielle ; que dans les grains de nielle, infectés d’ergot, il y a de petits animaux tout comme dans l’ergot ; & enfin que dans les mêmes balles on trouve plusieurs grains de nielle. Quoique toutes ces vérités puissent sembler neuves & des paradoxes, elles n’en sont pas moins exactes & vraies. Voici des observations sans répliques.

» J’ai examiné nombre de fois, dans l’épi verd, de petites coques ou tumeurs. Ces coques étoient vertes, tendres & très-petites. Je les ai examinées dans tous les états de maturité, & j’y ai toujours observé une telle constance de faits, qu’ils forment la démonstration la plus complette de la vraie nature animale de ces petites anguilles… Si on ouvre des coques vertes, tendres & pas mûres, avec des aiguilles courbes & tranchantes ; que l’on n’offense point la cavité interne, & qu’on y laisse tomber quelques gouttes d’eau, on y voit des serpens gros, vivans, mouvans & remplis de vrais œufs & de petites anguilles. Ces serpens sont des colosses en comparaison des anguilles que l’on trouve dans le même grain plus adulte & plus mur ; & dans le grain cornu ordinaire, sec & noir, ces serpens sont les véritables mères des anguilles microscopiques, si renommées de l’ergot ; & en observant bien, on parvient jusqu’à les voir jeter les petits œufs par une partie bien visible, peu équivoque, & qui en caractérise le sexe parfaitement… Les œufs étant pondus, il est aisé de voir à travers la petite peau qui les enveloppe, la petite anguille repliée en plusieurs nœuds & mouvante ; & les observant comme l’on doit, on voit enfin les petites peaux se déchirer, les petits serpens vivans en sortir & nageans dans l’eau. Outre les mères, il y a d’autres serpens vivans qui sont d’un tiers plus, gros que les anguilles mères. C’est avec raison qu’on les croit mâles générans, d’autans plus qu’ils ont un corps gros, conique, mobile à la partie inférieure du corps, qui les fait juger tels… Dan les gains même attaqués des deux maladies d’ergot & de nielle, il y a les mâles & les femelles qui pondent des œufs, d’où sortent les anguilles de la même manière que nous venons de le dire. Il est donc certain que les petites anguilles de l’ergot sont de vrais animaux. »

L’ergot ne se présente pas toujours sous une forme alongée comme une corne. Dans cet état, ses suites sont moins redoutables, parce qu’il est aisément séparé du bon grain au moyen des cribles ; mais souvent il n’est ni plus gros, ni plus long que le grain ordinaire, & alors il est plus multiplié que le premier, plus difficile à séparer, & par conséquent plus dangereux, lorsque ses débris se trouvent en certaine quantité mêlés avec la farine. Avant de parler de ses effets funestes, il importe de faire connoître une autre maladie du seigle.


Section II.

Du dessèchement de l’épi du Seigle.

On voit souvent avant la récolte, des épis desséchés, tandis que les voisins, & souvent ceux des chaumes qui partent de la même touffe, ne le sont pas. On en recherche la cause & on ne la trouve pas, parce qu’on n’observe pas exactement. Un insecte est encore la cause du dégât. Von-Linné l’appelle Phalœena pyralis secalis, & le décrit ainsi : alis griseo-suscis, striatis, macula reformi A latim inscripta. La chenille a seize pieds ; elle est brillante, lisse, longue d’un ponce, de la grosseur d’une plume de pigeon, avec dix raies transversales rouges ; la tête est ferme, arrondie, tachetée sur les côtés. Chaque stigmate est distingué par une petite tache obscure ; le ventre est tout verd… Cet insecte monte le long de la tige du seigle jusqu’au niveau supérieur, & s’insinue en cet endroit entre la tige & la feuille. C’est-là qu’il mord la plante, & qu’il en tire le suc destiné à nourrir l’épi, qui blanchit & meurt. Il passe d’une tige à l’autre, & fait de grands ravages lorsqu’il est nombreux. Les rayons du soleil & l’air libre l’incommodent. Lorsqu’il n’y a point de seigle verd, il se cache sous la terre, & y meurt faute de nourriture, avant de s’être multiplié. Il est donc utile, dans un champ infecté de cette chenille, de ne pas y semer du seigle, pendant deux années consécutives, afin que les chenilles qui éclosent, meurent de faim & sans postérité. On peut les détruire en arrachant au commencement de l’été les épis blancs qui sont pour l’ordinaire sur les bords du champ.

Sa chrysalide a la forme ordinaire. Elle est petite, verd-pâle au commencement, & ensuite de couleur de feu. Le papillon est de couleur rouge-obscur & cendrée, avec quelques raies cendrées, avec une grande tache rouge, au bord de laquelle on voit une tache jaunâtre, qui a la forme d’un A ; les aîles inférieures sont d’un gris teint de couleur de feu : la pointe a un bord jaune pâle. Il sort du corcelet deux espèces de scies fendues, & le dos porte trois petits bouquets ou flocons ; les jambes ont des crochets, & sont alternativement jaunes & cendrées.


CHAPITRE V.

Des Maladies causées par l’Ergot aux hommes et aux animaux.

À la fin du siècle dernier, & au commencement de celui-ci, il se manifesta dans l’Orléanois, & principalement dans la Sologne & les cantons voisins, une maladie terribles, nommée gangrène sèche ; elle n’étoit précédée ni de fièvre, ni d’inflammation, ni de douleur considérable ; mais les parties gangrenées tomboient d’elles-mêmes, sans qu’il fût besoin de les séparer, ni par le fer, ni par les remèdes, de manière que plusieurs malheureux perdirent, l’un une jambe, une cuisse, & l’autre les deux cuisses, les deux jambes, &c. Cette gangrène commençoit presque toujours par le gros orteil. Les cantons dont on vient de parler ne sont pas les seuls où cette maladie se soit manifestée. L’Allemagne, l’Angleterre, la Suisse, &c. l’ont également éprouvée du plus au moins, à des époques plus rapprochées ; partout ou presque partout, on l’a attribuée à l’usage du seigle ergoté. Les auteurs qui ont écrit, & sur cette gangrène, & sur sa cause, ne sont pas d’accord sur la quantité de grains ergotés, capables de produire un mauvais effet. Il paroît démontré, par plusieurs expériences faites sur les animaux, que les unes leur ont été très-funestes, & par d’autres, qu’ils n’en ont éprouvé aucune suite fâcheuse. La question prise dans sa généralité, reste douteuse. Deux choses sont à examiner : est-ce à l’ergot seul qu’on doit attribuer les funestes effets qu’on lui reproche ? Dans quelles cironstances est-il capable de les produire ?

Tous les exemples anciennement ou nouvellement cités de la maladie épidémique dont il s’agit, prouvent qu’elle n’a eu lieu qu’après les années de cherté & de disette, où le peuple manquant de pain, s’est jeté avec avidité & a consommé les blés nouveaux avant qu’ils eussent perdu, par la dessiccation, leur eau de végétation. Personne n’ignore ou ne doit ignorer, que les seigles, & même les fromens les plus sains, lorsqu’ils sont trop nouveaux & soumis à la panification, déterminent de très-grandes maladies, & qu’elles attaquent un très-grand nombre d’individus. — On ne peut pas leur donner le nom d’épidémiques, puisque ceux qui ne mangent pas ces blés nouveaux en sont exempts. L’expérience de tous les lieux a prouvé que le petit peuple seul en étoit attaqué, parce que le petit peuple est forcé de se nourrir de ce qu’il trouve sous sa main, & n’est pas dans le cas d’attendre, lorsque le besoin est urgent. Ou n’a point encore assez réfléchi sur les effets de cette eau de végétation dans les fruits & dans les grains, & sur les dérangemens qu’elle occasionne. Le manihoc (consultez ce mot) en fournit un exemple en grand, puisque l’eau qu’on en retire par la pression, est un poison violent, & les fibres de cette racine, ensuite desséchées, deviennent la nourriture des habitans de l’Amérique, comme le pain l’est des habitans de l’Europe. Dans un besoin pressant, la fécule que l’on retire de la racine de Brione (consultez ce mot) donne un excellent pain, tandis que le suc de cette racine fournit un purgatif des plus violens. On pourroit rapporter cent faits semblables… Il est donc bien plus probable que les maladies sont la suite du pain fait avec du grain trop frais, qu’à la petite quantité d’ergot qui se trouve mêlée avec du seigle. Je conviens que si on nourrit des cochons, des poules, &c. uniquement avec du grain ergoté, & même niellé, ces animaux périront ; mais il faudra encore prouver qu’ils sont morts par l’effet du poison, & non pas d’inanition. Tout le monde convient que dans les grains ergotés, cariés, niellés, charbonnés, enfin dans tous les grains viciés, leur substance est non-seulement détériorée, mais détruite, & qu’il ne reste plis un atome de substance nutritive. On auroit en vain fait manger dix livres de ce prétendu pain à un chien, à un cochon, on aura lesté son estomac d’une substance corrompue, sans lui donner une seule partie nourrissante. Il n’est donc pas surprenant que l’animal périsse, & par la corrosion de l’espèce d’aliment, & par la faim. Je ne prétends pas justifier l’emploi du seigle ergoté, ni regarder son usage comme sans conséquence ; mais je dis seulement que la quantité est trop petite en comparaison de celle des bons grains, pour qu’on attribue à lui seul le dégât dont on l’accuse, & j’ajoute, les maladies sont plutôt dues à l’usage du grain nouveau. Si les circonstances fâcheuses forcent à l’employer du moment qu’il vient d’être battu, l’expérience de tous les lieux a prouvé qu’en le laissant sécher dans un four modérément chaud, & le remuant de temps à autre, il devient aussi sain, aussi salubre que celui conservé pendant une année dans un grenier bien aéré.

Il est aisé de conclure, d’après ce qui vient d’être dit, & avant de prononcer sur les effets de l’ergot, qu’il faut examiner les circonstances ; car l’expérience a prouvé, que lorsqu’il étoit parfaitement desséché, il ne faisoit aucun mal. Or, si même le grain le plus sain est nuisible lorsqu’il est frais, le grain vicié & frais doit donc l’être davantage, puisque sa substance intime est altérée, & l’ergot contient & renferme beaucoup plus d’humidité, à cette époque, que tout autre grain ; c’est précisément cette eau de végétation corrompue qui devient si nuisible, & que l’exsiccation fait disparoître.

J’ai insisté sur cet objet afin de détruire un ancien préjuge, presque généralement reçu, parce qu’on n’a pas cherché à connoître la véritable cause du mal ; mais on auroit le plus grand tort de conclure que j’autorise l’usage du grain ergoté. Dans quelque état qu’il soit, il faut le séparer du bon grain, attendu qu’il communique au pain une saveur amère & très-désagréable. D’ailleurs, les débris de ce grain ajoutent au volume du pain, sans augmenter sa partie nutritive. Ils la détériorent, & c’est précisément pourquoi on doit rigoureusement séparer le mauvais du bon grain. — La conservation de la santé dépend presque toujours de la qualité du pain que l’on mange, puisqu’il est la base fondamentale de nos alimens.