Création de Introduction à la vie dévote (Boulenger)/Troisième partie/31

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Texte établi par Fernand Boulenger,  (p. 240-241).


CHAPITRE XXXI

DES PASSETEMPS ET RÉCRÉATIONS, ET PREMIÈREMENT
DES LOISIBLES ET LOUABLES


Il est force de relâcher quelquefois notre esprit et notre corps encore, à quelque sorte de récréation. Saint Jean l’Évangéliste, comme dit Cassian, fut un jour trouvé par un chasseur tenant une perdrix sur son poing, laquelle il caressait par récréation ; le chasseur lui demanda pourquoi, étant homme de telle qualité, il passait ; le temps en chose si basse et vile ; et saint Jean lui dit : « Pourquoi ne portes-tu ton arc toujours tendu ? » — « De peur, répondit le chasseur, que demeurant toujours courbé, il ne perde la force de s’étendre quand il en sera métier ». — « Ne t’étonne pas donc, répliqua l’apôtre, si je me démets quelque peu de la rigueur et attention de mon esprit pour prendre un peu de récréation, afin de m’employer par après plus vivement à la contemplation ». C’est un vice, sans doute, que d’être si rigoureux, agreste et sauvage, qu’on ne veuille prendre pour soi ni permettre aux autres aucune sorte de récréation.

Prendre l’air, se promener, s’entretenir de devis joyeux et amiables, sonner du luth ou autre instrument, chanter en musique, aller à la chasse, ce sont récréations si honnêtes que pour en bien user il n’est besoin que de la commune prudence, qui donne à toutes choses le rang, le temps, le lieu et la mesure.

Les jeux èsquels le gain sert de prix et récompense à l’habilité et industrie du corps ou de l’esprit, comme les jeux de la paume, ballon, paillemaille, les courses à la bague, les échecs, les tables, ce sont récréations, de soi-même bonnes et loisibles. Il se faut seulement garder de l’excès, soit au temps que l’on y emploie, soit au prix que l’on y met ; car si l’on y emploie trop de temps, ce n’est plus récréation, c’est occupation : on n’allège pas ni l’esprit ni le corps, au contraire on l’étourdit, on l’accable. Ayant joué cinq, six heures aux échecs, au sortir on est tout recru et las d’esprit ; jouer longuement à la paume, ce n’est pas récréer le corps, mais l’accabler. Or, si le prix, c’est-à-dire ce qu’on joue est trop grand, les affections des joueurs se dérèglent ; et outre cela, c’est chose injuste de mettre de grands prix à des habilités et industries de si peu d’importance et si inutiles, comme sont les habilités des jeux.

Mais surtout prenez garde, Philothée, de ne point attacher votre affection à tout cela ; car pour honnête que soit une récréation, c’est vice d’y mettre son cœur et son affection. Je ne dis pas qu’il ne faille prendre plaisir à jouer pendant que l’on joue, car autrement on ne se récréerait pas ; mais je dis qu’il ne faut pas y mettre son affection pour le désirer, pour s’y amuser et s’en empresser.