Critique de la raison pure (trad. Barni)/Tome II/DIV. 2 Dialectique/Livre Deuxième/Ch2/S2/C3/Remarque

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Traduction par Jules Barni.
Édition Germer-Baillière (2p. 64-67).


Remarques sur la troisième antinomie


1o Sur la thèse.
2o Sur l’antithèse
L’idée transcendentale de la liberté est loin de former tout le contenu du concept psychologique de ce nom, concept qui est en grande partie empirique : elle se borne à présenter la spontanéité absolue de l’action, comme étant le fondement propre de l’imputabilité ; mais elle n’en est pas moins la pierre d’achoppement de la philosophie, qui trouve des difficultés insurmontables à admettre cette sorte de causalité inconditionnelle. Ce n’est donc proprement qu’une difficulté transcendentale qui, dans la question de la liberté de la volonté, a si fort embarrassé jusqu’ici la raison spéculative : il s’agit seulement de savoir si l’on admettra une faculté capable de Ceux qui défendent la toute puissance de la nature (Physiocratie transcendentale) contre la doctrine de la liberté, pourraient opposer la proposition suivante aux arguments captieux de cette doctrine : Si vous n’admettez dans le monde rien de mathématiquement premier sous le rapport du temps, vous n’avez pas besoin non plus de chercher quelque chose de dynamiquement premier sous le rapport de la causalité. Qui vous a priés d’imaginer un état absolument premier du monde, et, par conséquent, un commencement absolu de la série des phénomènes successifs, et d’imposer des bornes à la nature qui n’en a pas, afin de pouvoir procurer un point de
commencer d’elle-même une série de choses ou d’états successifs. Il n’est pas aussi nécessaire de pouvoir répondre à la question de savoir comment une telle faculté est possible, car nous ne sommes pas plus avancés à l’égard de la causalité qui a lieu suivant des lois naturelles : il faut également que nous nous contentions de reconnaître à priori qu’une causalité de ce genre doit être admise, bien que nous ne comprenions en aucune façon comment il est possible qu’un certain état d’une chose soit amené par celui d’une autre, et qu’à cet égard nous devions nous en tenir à l’expérience. Or nous n’avons proprement démontré la nécessité de placer dans la liberté le premier commencement d’une série de phénomènes, que pour pouvoir comprendre l’origine du monde, tandis que l’on peut prendre tous les états successifs comme dérivant les uns des autres suivant de simples lois naturelles. Mais, puisque la faculté de commencer tout à fait spontanément une série dans le temps a été une fois prouvée (bien qu’elle ne soit pas saisie en elle-même), il nous est permis aussi maintenant de faire commencer spontanément, sous repos à votre imagination ? Puisque les substances ont toujours été dans le monde, ou que du moins l’unité de l’expérience exige cette supposition, il n’y a point de difficulté à admettre aussi que le changement de leurs états ; c’est-à-dire la série de leurs changements a toujours été, et que, par conséquent, il n’est pas besoin de chercher un premier commencement, ni mathématique, ni dynamique. Il est impossible, à la vérité, de comprendre comment les phénomènes peuvent ainsi dériver les uns des autres à l’infini, sans un premier membre par rapport auquel tous les autres seraient purement successifs ; mais, si vous rejetez pour cette raison ces énigmes de la nature, vous vous verrez forcés de rejeter beaucoup de propriétés synthétiques fondamentales (de forces constitutives), que vous ne pouvez pas comprendre davantage, et même la possibilité d’un changement en général doit vous être une pierre d’achoppement. En effet, si vous ne trouviez pas par l’expérience qu’elle est réelle, jamais vous ne pourriez imaginer à priori comment est possible cette succession perpétuelle d’être et de non-être.

D’ailleurs, quand même on

le rapport de la causalité, diverses séries de phénomènes dans le cours du monde, et d’attribuer à leurs substances la faculté d’agir en vertu de la liberté. Il ne faut pas se laisser arrêter ici par ce malentendu, à savoir que, comme une série successive ne peut avoir dans le monde qu’un commencement relativement premier, puisqu’il y a toujours dans le monde un état antérieur des choses, il ne peut y avoir de commencement absolument premier des séries dans le cours du monde. En effet nous ne parlons pas ici du commencement absolument premier quant au temps, mais quant à la causalité. Si (par exemple) je me lève maintenant de mon siège tout à fait librement et sans subir l’influence nécessairement déterminante des causes naturelles, alors avec cet événement et tous les effets naturels qui en dérivent à l’infini commence absolument une nouvelle série, bien que, par rapport au temps, cet événement ne soit que la continuation d’une série précédente. Cette résolution et cet acte ne sont donc pas une simple conséquence de l’action de la nature, mais les causes naturelles déterminantes qui ont précédé cet événement cessent tout à fait par rapport reconnaîtrait une puissance transcendentale de liberté, qui servirait de point de départ aux changements du monde, du moins cette puissance ne pourrait être qu’en dehors du monde (quoique ce soit toujours une prétention bien téméraire que celle d’admettre, en dehors de l’ensemble de toutes les intuitions possibles, un objet qui ne peut être donné dans aucune intuition possible). Mais il ne peut jamais être permis d’attribuer une pareille faculté aux substances qui existent dans le monde même, puisqu’alors disparaîtrait en grande partie l’enchaînement des phénomènes qui se déterminent nécessairement les uns les autres suivant des lois universelles, et, avec cet enchaînement, que l’on désigne sous le nom de nature, la marque de la vérité empirique, qui distingue l’expérience du rêve-En effet, à côté d’une faculté affranchie de toutes lois comme la liberté, il n’y a plus guère de place pour la nature ; puisque les lois de celle-ci seraient incessamment modifiées par l’influence de celle-là, et que le jeu des phénomènes, au lieu d’être régulier et uniforme, comme il arriverait avec la seule nature, serait ainsi troublé et incohérent.
à lui ; et, s’il leur succède, il n’en dérive pas, et par conséquent il peut bien être appelé un commencement absolument premier, non pas à la vérité sous le rapport du temps, mais sous celui de la causalité.

Il y a une chose qui confirme d’une manière éclatante le besoin qu’éprouve la raison de chercher, pour la série des causes naturelles, un premier commencement dans la liberté, c’est que tous les philosophes de l’antiquité, (à l’exception de ceux de l’école épicurienne) se sont crus obligés d’admettre, pour expliquer les mouvements du monde, un premier moteur, c’est-à-dire une cause librement agissante, qui ait commencé d’abord et d’elle-même cette série d’états. En effet ils ont désespéré de pouvoir faire comprendre un premier commencement avec la seule nature.


Notes de Kant[modifier]


Notes du traducteur[modifier]