Critique de la raison pure (trad. Barni)/Tome II/DIV. 2 Dialectique/Livre Deuxième/Ch2/S2/C4

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Traduction par Jules Barni.
Édition Germer-Baillière (2p. 67-69).



QUATRIÈME CONFLIT DES IDÉES TRANSCENDENTALES


Thèse
Antithèse
Il y a dans le monde quelque chose qui, soit comme sa partie, soit comme sa cause, est un être absolument nécessaire. Il n’existe nulle part aucun être absolument nécessaire, ni dans le monde, ni hors du monde, comme en étant la cause.
PREUVE
PREUVE
Le monde sensible, comme ensemble de tous les phénomènes, contient en même temps une série de changements. En effet, sans cette série, la représentation même de la succession du temps, comme condition de la possibilité du monde sensible, ne nous serait pas donnée *[1]. Mais tout changement est soumis à une condition qui le précède dans le temps et dont il est l’effet nécessaire. Or tout conditionnel, qui est donné, suppose, relativement à son existence, une série complète de conditions jusqu’à l’inconditionnel absolu, qui seul est absolument nécessaire. Il faut donc qu’il existe quelque chose d’absolument nécessaire, pour qu’un changement existe comme sa conséquence. Mais ce nécessaire appartient lui-même au monde sensible. En effet supposez qu’il soit en dehors du monde, la série des changements du monde en Supposez que le monde lui-même soit un être nécessaire ou qu’il y ait en lui un être nécessaire, ou bien il y aurait dans la série de ses changements un commencement qui serait absolument nécessaire, c’est-à-dire sans cause, ce qui est contraire à la loi dynamique de la détermination de tout phénomène dans le temps, ou bien la série elle-même serait sans aucun commencement, et, bien que contingente et conditionnelle dans toutes ses parties, elle serait absolument nécessaire et inconditionnelle dans le tout, ce qui est contradictoire. En effet l’existence d’une multiplicité ne peut pas être nécessaire, quand aucune de ses parties ne possède une existence nécessaire en soi.

Supposez au contraire qu’il y ait en dehors du monde une cause du monde absolument nécessaire, cette cause, étant le premier membre de la série des causes des changements du monde, commencerait d’abord l’existence de ces changements et de leur série *[2]. Or

dériverait, sans que cette cause nécessaire appartint elle-même au monde sensible. Or cela est impossible. En effet, puisque le commencement d’une succession de temps ne peut être déterminé que par ce qui précède dans le temps, la condition suprême du commencement d’une série de changements devait exister dans le monde alors que cette série n’existait pas encore (car qui dit commencement, dit une existence qu’a précédée un temps où la chose qui commence n’existait pas encore). La causalité de la cause nécessaire des changements, partant aussi la cause même, appartient donc au temps, et par conséquent au phénomène (dans lequel seulement le temps est possible comme sa forme) ; on ne peut donc la concevoir séparée du monde sensible, c’est-à-dire de l’ensemble de tous les phénomènes. Il y a donc dans le monde même quelque chose d’absolument nécessaire (que ce soit la série entière du monde, ou une partie de cette série). il faudrait alors qu’elle commençât aussi à agir, et sa causalité rentrerait dans le temps, par conséquent dans l’ensemble des phénomènes, c’est-à-dire dans le monde, d’où il suit qu’elle-même, la cause, ne serait pas hors du monde, ce qui est contraire à la supposition. Il n’y a donc ni dans le monde, ni hors du monde (comme en étant la cause), un être absolument nécessaire.


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Notes de Kant[modifier]

  1. * Le temps, comme condition formelle de la possibilité des changements, leur est, à la vérité objectivement antérieur ; mais subjectivement et dans la réalité de la conscience la représentation n’en est donnée, ainsi que toute autre, qu’à l’occasion des perceptions.
  2. * Le mot commencer se prend en deux sens. Le premier est actif, et signifie que la cause commence (infit) une série d’états qui sont ses effets : le second est passif, et signifie que la causalité commence (fit) dans la cause même. Je conclus ici du premier au second.


Notes du traducteur[modifier]