Critique de la raison pure (trad. Barni)/Tome II/DIV. 2 Dialectique/Livre Deuxième/Ch2/S9/II./Remarque

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Traduction par Jules Barni.
Édition Germer-Baillière (2p. 130-134).


Remarque finale sur la solution des idées mathématiques transcendentales, et remarque préliminaire sur celle des idées dynamiques transcendentales.


En représentant en un tableau l’antinomie produite dans la raison pure par toutes les idées transcendentales, et en montrant le principe de ce conflit et l’unique moyen de le dissiper, moyen qui consiste à tenir pour fausses les deux assertions opposées, nous avons partout représenté les conditions comme appartenant à leur conditionnel suivant les rapports d’espace et de temps, ce qui est l’hypothèse ordinaire de la raison commune, et ce qui est aussi le principe de tout ce conflit. A ce point de vue toutes les représentations dialectiques de la totalité, dans la série des conditions d’un conditionnel donné, étaient absolument de même espèce. C’était toujours une série dans laquelle la condition était liée au conditionnel, comme à un membre de la série, et où par conséquent ils étaient de même espèce ; la régression n’y devait donc jamais être conçue comme accomplie, ou, si cela arrivait, c’est qu’un membre conditionnel en soi aurait été faussement regardé comme premier, et par conséquent comme absolu. Si donc ce n’était pas l’objet, c’est-à-dire le conditionnel, c’était du moins la série des conditions du conditionnel qui était partout envisagée au seul point de vue de sa quantité, et la difficulté qu’on ne pouvait résoudre par aucun accommodement, mais seulement en coupant le nœud, consistait en ce que la raison faisait à l’entendement la chose ou trop longue ou trop courte, de telle sorte que celui-ci ne pouvait jamais égaler l’idée de celle-là.

Nous avons négligé ici une distinction essentielle qui domine parmi les objets, c’est-à-dire parmi les concepts de l’entendement que la raison s’efforce d’élever au rang d’idées ; je veux parler de la distinction qui existe, d’après notre précédent tableau des catégories, entre deux d’entre elles désignant une synthèse mathématique des phénomènes, et les deux autres qui en désignent une synthèse dynamique. Nous pouvions jusqu’ici la laisser de côté, puisque, dans la représentation générale de toutes les idées transcendentales, nous en tenant toujours aux conditions dans le phénomène, nous n’avions aussi dans les deux catégories mathématiques transcendentales d’autre objet que l’objet dans le phénomène. Mais à présent que nous arrivons aux concepts dynamiques de l’entendement, en tant qu’ils doivent s’accorder avec l’idée de la raison, cette distinction devient importante, et elle nous ouvre une perspective toute nouvelle au sujet du procès où la raison est engagée. Ce procès avait été précédemment écarté par ce motif qu’il se fondait de part et d’autre sur de fausses suppositions ; mais maintenant qu’il se trouve peut-être dans l’antinomie dynamique une supposition compatible avec la prétention de la raison, il se peut que, de ce point de vue, le juge suppléant au défaut des moyens de droit qu’on avait méconnus des deux côtés, le différend soit terminé à la satisfaction des deux parties, ce qui était impossible dans le conflit auquel donne lieu l’antinomie mathématique.

Les séries des conditions sont assurément toutes homogènes, en tant que l’on regarde simplement à leur extension pour voir si elles sont appropriées à l’idée, si elles sont trop grandes ou trop petites pour elle. Mais le concept de l’entendement, qui sert de fondement à ces idées, contient ou bien simplement une synthèse de l’homogène (ce qui est supposé dans toute quantité, tant dans la composition que dans la division), ou même une synthèse de l’hétérogène, ce qui du moins peut être admis dans la synthèse dynamique, soit dans celle de la liaison causale, soit dans celle du nécessaire avec le contingent.

De là vient que dans la liaison mathématique des séries des phénomènes aucune autre condition n’est possible qu’une condition sensible, c’est-à-dire une condition qui soit elle-même une partie de la série, tandis que la série dynamique des conditions sensibles permet encore une condition hétérogène, qui ne soit pas une partie de la série, mais qui, étant purement intelligible, réside en dehors de la série, ce qui donne satisfaction à la raison et place l’absolu en tête des phénomènes, sans troubler la série de ces phénomènes, qui restent toujours conditionnels, et sans la briser contrairement aux principes de l’entendement.

Or, par cela même que les idées dynamiques permettent une condition des phénomènes en dehors de leur série, c’est-à-dire une condition qui ne soit pas elle-même un phénomène, il arrive quelque chose qui est tout à fait distinct de la conséquence de l’antinomie. Celle-ci en effet faisait que les deux assertions dialectiques opposées devaient être déclarées fausses. Au contraire le conditionnel qui se trouve sans discontinuité dans les séries dynamiques 1[1] et qui est inséparable de ces séries considérées comme phénomènes, avec la condition, il est vrai empiriquement inconditionnelle, mais aussi non sensible, à laquelle il est joint, donne satisfaction, d’une part, à l’entendement, et, de l’autre, à la raison *[2] ; et, tandis que les arguments dialectiques qui cherchaient d’une manière ou de l’autre la totalité absolue dans de simples phénomènes, tombent également, les propositions rationnelles, ainsi rectifiées, peuvent être vraies toutes deux. Cela ne pouvait avoir lieu dans les idées cosmologiques qui concernent simplement l’unité mathématiquement inconditionnelle, parce que, dans ces idées, on ne trouve pas d’autre condition de la série des phénomènes que celle qui est elle-même un phénomène et à ce titre constitue un membre de la série.


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Notes de Kant[modifier]

  1. 1 Das Durchgängigbedingte der dynamischen Reihen.
  2. * En effet l’entendement ne permet point parmi les phénomènes une condition qui serait elle-même empiriquement inconditionnelle. : Mais, si l’on, peut concevoir au conditionnel (dans le phénomène) une condition intelligible, qui à ce titre n’appartienne pas comme membre à la série des phénomènes, sans rompre pour cela le moins du monde la série des conditions empiriques, une telle condition pourrait être admise comme empiriquement inconditionnelle, de telle sorte que la régression empirique continue n’en serait nullement interrompue.


Notes du traducteur[modifier]