Déclaration adressée au nom du roi à tous les anciens Français de l’Amérique septentrionale

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Déclaration adressée au nom du roi à tous les anciens Français de l’Amérique septentrionale
Paris, Imprimerie nationale (3p. 464-466).

déclaration adressée au nom du roi
à tous les anciens françois de l’amérique septentrionale


Le soussigné autorisé par Sa Majesté, et revêtu, par là, du plus beau des titres ; de celui qui efface tous les autres : chargé au nom du Père de la patrie et du Protecteur bienfaisant de ses sujets, d’offrir un appui à ceux qui étaient nés pour goûter les douceurs de son gouvernement ; à tous ses compatriotes de l’Amérique septentrionale.

Vous êtes nés François, vous n’avez pu cesser de l’être : une Guerre qui ne nous avait été annoncée que par l’enlèvement de presque tous nos matelots, et dont nos ennemis communs n’ont dû les principaux succès qu’au courage, au talent, et au nombre des braves Américains qui les combattent aujourd’hui, vous a arraché, ce qui est le plus cher à tous les hommes, jusqu’au nom de votre patrie ; vous forcer à porter malgré vous des mains parricides contre elle, seroit le comble des malheurs, vous en êtes menacés : une nouvelle guerre doit vous faire redouter qu’on ne vous oblige à subir cette loi la plus révoltante de l’esclavage. Cette guerre a commencé comme la précédente, par les déprédations (sic) de la partie la plus intéressante de notre commerce. Les prisons de l’Amérique contiennent depuis trop longtems un grand nombre de François infortunés, vous entendez leurs gémissements. Cette guerre a été déclarée par le message du mois de Mars dernier, par l’Acte le plus authentique de la souveraineté angloise ; annonçant à tous les Ordres de l’État que commercer sans cependant interdire le même droit à personne, c’étoit l’offenser, que le lui dire avec franchise, s’était la braver, qu’elle s’en vengeroit, et qu’elle se réservait de le faire, quand elle le pourrait à son avantage ; et de surprendre alors plus légalement que dans la dernière guerre ; car elle déclaroit en avoir le droit, la volonté, et en demandoit les moyens.

Le fléau de la guerre actuelle ainsi proclamée, a été restreint et retardé, autant qu’il a été possible par un Monarque dont les vues pacifiques et désintéressées ne réclament des marques de votre ancien attachement que pour votre bonheur : contraint de repousser la force par la force, et des hostilités multipliés par des représailles qu’il a enfin ordonné ; si la nécessité porte ses armes ou celles de ses alliés dans un pays qui lui est toujours cher, vous n’aurez point à craindre les embrasements ni les dévastations ; et si la reconnaissance, si la vue d’un Pavillon toujours révéré par ceux qui l’ont suivi rappelle sous les drapeaux de la France, ou des États-Unis, des Indiens qui nous aimoient, et qui étaient comblés des présents de celui qu’ils appeloient aussi leur père ; jamais, non jamais, ils n’emploiyeront contre vous leurs trop cruelles coutumes de faire la Guerre : ils y renonceront, où ils cesseront d’être nos amis.

Ce ne sera point par des ménaces faites à nos Compatriotes que nous tacherons d’éviter de les combattre : ce ne sera point non plus par des injures proférées contre une grande et brave nation que nous savons respecter et que nous espérons de vaincre, que cette déclaration sera affaiblie.

Je ne dirai point en qualité de gentilhomme François à ceux d’entre vous qui le sont nés comme moi, qu’il n’est qu’une auguste maison dans l’univers, sous laquelle le François puisse être heureux et servir avec délices ; parceque son chef, et ceux qui lui tiennent le plus près par les liens du sang, se sont plû depuis une longue suite de Monarques, dans tous les temps, et se plaisent plus que jamais aujourd’hui à porter ce même titre que Henri IV regardoit comme le premier des siens. Je ne ferai point regretter ces qualifications, ces marques, ces décorations, trésors précieux à une façon de penser commune à nous tous et actuellement fermés, par notre malheur commun pour des Français américains qui savoient si bien s’en rendre dignes. Leur zele j’ose l’espérer et le promettre, les fera répendre bientôt sur eux : ils le mériteront lorsqu’ils oseront devenir les amis de nos alliés.

Je ne demanderai point aux compagnons d’armes de M. le Marquis de Levi ; à ceux qui ont partagé sa gloire, qui ont admiré ses talens son tact Militaire, qui ont chéri sa cordialité et sa franchise, caractère principal de notre Noblesse, s’il est d’autres noms chez d’autres peuples auprès desquels ils aiment mieux voir placer les leurs. Les Canadiens qui ont vu tomber pour leur deffense le brave Monsieur de Montcalm, pourroient-ils être les ennemis de ses neveux, combattre contre leurs anciens chefs et s’armer contre leurs parents ? à leurs noms seul, les armes leurs tomberoient des mains !

Je n’observerai point aux Ministres des autels que leurs efforts évangéliques auront besoin d’une protection particulière de la providence, pour que l’exemple ne diminue point la croyance ; pour que l’intérêt temporel ne l’emporte pas ; pour que les ménagements politiques des souverains, que la force leur a donné, ne s’affoiblissent point à proportion de ce qu’ils auront moins à craindre ; qu’il est nécessaire pour la Religion que ceux qui la prêchent forment une corps dans l’État, et qu’il n’y auroit point de Corps plus considéré ni qui eût plus de pouvoir de faire le bien que celui des Prêtres du Canada prenant part au gouvernement ; parceque leur conduite respectable leur a mérité la confiance du peuple.

Je ne ferai point remarquer à ce peuple, à tous mes compatriotes en général, qu’une vaste Monarchie ayant la même Religion, les mêmes mœurs, la même langue, où l’on trouve des parents, des anciens amis, et des frères, est une source intarissable de Commerce, et de Richesses, plus faciles à acquérir ; par une réunion avec des voisins puissants ; et plus sûres qu’avec des Étrangers d’un autre hémisphère, chez qui tous est dissemblable, qui tôt ou tard, souverains jaloux et despotes, les traiteroient comme des vaincus, et plus mal sans doute que leurs ci-devant compatriotes qui les avoient fait vaincre. Je ne ferai point sentir à tout un peuple ; car tout un peuple quand il acquere le droit de penser et d’agir, connoît son intérêt ; que se lier avec les États-Unis c’est s’assurer son bonheur ; mais je déclarerai comme je le déclare formellement au nom de Sa Majesté qui m’y a autorisé et qui m’a ordonné de le faire, que tous ses anciens sujets de l’Amérique septentrionale qui ne reconnaîtront plus la suprématie de l’Angleterre peuvent compter sur sa protection, et sur son appui.

Fait à bord du vaisseau de Sa Majesté le Languedoc en rade de Boston ce vingt-huit Octobre mil sept cent soixante-dix.

estaing.
Bigrel de Grand-Clos,
Secrétaire nommé par le roi, à la suite de l’escadre
commandée par M. le comte d’Estaing
.

À bord du Languedoc, de l’Imprimerie de F. P. Demange, imprimeur du Roi de l’Escadre.

Archives de la Marine, B 141, fos 248-249. (Imprimé.)


N. B. Les nombreuses fautes qui se trouvent dans cette pièce figurent sur l’impression du bord.
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