Œuvres poétiques de Chénier (Moland, 1889)/Dédicace à milady Coswai

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Œuvres poétiques, Texte établi par Louis MolandGarnierVolume 1 (p. 112-114).

DÉDICACE À MILADY COSWAI[1]


Un frais zéphyr d’été, promené sur les eaux,
Émeut moins doucement l’ombrage et les roseaux ;

Sur une mer brillante, un ciel semé d’étoiles
À s’approcher de terre enhardit moins les voiles[2] ;
Vers l’ardente Clytie un regard du soleil
La fait moins se pencher sur son disque vermeil,
Que l’éloquent regard d’une belle attentive
N’émeut et n’encourage une muse craintive.
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Brillante comme vous, comme vous calme et belle,

Voici la note qu’écrivait mon père (Louis-Sauveur de Chénier) sur Mme Coswai en 1819 :

« Milady Coswai était alors une jeune dame anglaise, pleine de grâce et de candeur, qui joignait à la beauté l’amour des beaux-arts et un talent assez distingué pour la peinture qu’elle pratiquait assidûment. Elle a gravé à l’eau-forte, avec esprit et légèreté, divers sujets de sa composition ou tirés des tableaux de Raphaël, Rubens et autres artistes célèbres. Bartolozzi a gravé à la manière du crayon son portrait peint par elle-même. L’enthousiasme des beaux-arts et la beauté du climat déterminèrent cette femme intéressante à se fixer à Rome où l’on croit qu’elle existe encore (1819), et qu’elle continue à cultiver la peinture. »

Les huit vers italiens qui suivent, écrits à la louange de Mme Coswai, sont d’André.

Le petit manuscrit, qui fut plié en quatre, porte pour suscription : Mme Coswai, Pall Mail, London ; mais cette suscription n’est pas de la main de l’auteur.

Voici ces huit vers :

Seona e Tamigi, unite al fie sorelle,
D’Arno la figlia ammirano, aurea lira
Cui diè il Febo toscan ; cui lascio Apelle
Vivo pennel per cui la tela spira ;
Che doice canta, e sulle chiavicelle
La dotta mano, e sulle corde gira.
Tue son le muse, o Coswai in Pindo amata ;
Tu grata a Senna, a Tamigi tu grata.

(G. de Chénier.)

Les yeux, avec amour, se porteraient sur elle.
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Dirait : « Que cette muse est belle et séduisante !
Que son éclat est doux ! que sa grâce est décente !
Dans sa simplicité que de charmes secrets !
Qu’une fierté modeste ennoblit tous ses traits !
Qu’on la quitte avec peine ! et que sa voix aimable
Vous laisse, au loin, dans l’âme, une trace durable ! »
Tel serait leur langage ; et mes vers répétés
Encore après mille ans, seraient lus et vantés.
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Au moins daignez souffrir que cette main suspende
À votre belle image une rustique offrande ;
Accueillez mon Esclave...........
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Il pleure loin de lui sa famille éplorée.
Vos parents loin de vous, vous, leur bien, leur orgueil,
Feraient couler vos pleurs et vivraient dans le deuil.
Il aime, et de regrets son âme est consumée.
Amour profond, brûlant ; comme vous eût aimée
Tout mortel dont l’aspect serait doux à vos yeux,
Dont vos regrets suivraient l’absence et les adieux,
Dont le nom remplirait vos pensers solitaires.
........Ah ! si le sort jaloux !…
Mais quels désirs ont droit de monter jusqu’à vous ?
Toutefois.................
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Et de l’humble mortel un vœu religieux
S’élance impunément jusqu’au trône des dieux.

  1. André avait connu Mme CoswaI et sa famille à Londres, pendant les quatre années qu’il y passa. Il y avait recherché avec empressement les personnes dont le goût pour la littérature et les arts pouvait avoir quelque sympathie avec lui, afin de tromper cet ennui profond et intolérable qu’il éprouvait sous le ciel de plomb de l’Angleterre.
  2. Le manuscrit porte cette variante :
    Sait moins à fuir le port encourager les voiles. (Id.)