Désenchantement (Delphine Gay)

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Femmes-Poëtes de la France, Texte établi par H. BlanvaletLibrairie allemande de J. Kessmann (p. 103-106).



DÉSENCHANTEMENT.


Adieu, — ne blâmez point mon exil volontaire ;
Le monde et ses flatteurs ne m’offrent plus d’attraits,
Qu’importe un vain éclat ? — Pour l’âme solitaire,
Chaque plaisir est un regret.

Un triomphe isolé ressemble au météore
Dont l’éclat fugitif brille un moment — et fuit.
Dans le vide d’un cœur la gloire est trop sonore….
Sans écho, sa voix n’est qu’un bruit.

Misérable destin ! — Quoi ! vivre sans son âme,
Méconnaître l’amour, et toujours le rêver ;
Parler, sans s’émouvoir, un langage de flamme ;
Peindre un bonheur, sans l’éprouver !


Dans l’ivresse des vers, lorsque ma voix flexible
Modulait des accords que le monde admirait,
Mon cœur indépendant restait seul insensible
Aux chants d’amour qu’il m’inspirait.

Ainsi, lorsque les mers balancent son image,
Font trembler ses rayons sur les flots furieux,
L’astre pâle des nuits, insensible à l’orage,
Reste immobile dans les cieux ! …

J’ai vu tous ces heureux que le plaisir entraîne,
Dont le regard est tendre — et le souris moqueur :
L’un d’eux m’offrit l’attrait d’une brillante chaîne,
Mais il n’entendait pas mon cœur.

L’espoir de m’inspirer avait pour lui des charmes,
L’éclat de ma douleur flattait sa vanité,
Et, pour son cœur léger, tout le prix de mes larmes
Était dans leur célébrité.

Ce n’était point ainsi, pour charmer ma souffrance,
Que parlait à mon cœur le fantôme adoré ?
Ce n’était point celui qu’en mes jours d’espérance
Un songe heureux m’avait montré !


Image sans modèle ! idéal de ma vie !…
De loin je t’appelais, et je volais vers toi ;
Dès mes plus jeunes ans en vain je t’ai suivie !…
Tu fuyais toujours devant moi.

Les grâces de l’enfance animaient mon visage,
Mais ses jeux ne savaient déjà plus me charmer ;
Et, triste, devinant le bonheur d’un autre âge,
Je voulais vieillir pour aimer.

Et je n’ai point connu cette joie enivrante
Qu’à mes vœux innocens promettait l’avenir ;
Dans le passé désert, en vain mon âme errante
N’a qu’un rêve… pour souvenir !

Est-il dans nos forêts d’assez sombres demeures
Pour voiler à mes yeux les clartés d’un long jour ?
Quel assez lourd beffroi peut mesurer les heures
D’une jeunesse… sans amour ?

Nul objet ne distrait mon regard qui sommeille ;
Nul ordre ne m’arrête… ou ne me fait agir ;
Nul pas ne me conduit, — nul accent ne m’éveille ;
Pas un nom ne me fait rougir !


Lorsque, de son tombeau levant la froide pierre,
Une ombre vient errer dans l’absence du jour,
Elle gémit ; son âme attend une prière
Pour monter au divin séjour ;

Moi, comme elle, implorant une voix généreuse,
J’erre dans la tristesse et dans l’isolement ;
Et comme elle, ici-bas, j’attends, pour être heureuse,
La prière d’un cœur aimant !