Dans le bleu

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PoèmesImprimerie de l’Œuvre (p. 10).


Dans le bleu

L’effort de la lumière pour percer l’obstacle s’exprime par le rayon jaune et lui donne un sens ; l’effort de l’ombre pour venir à nous à travers la lumière, en l’adoucissant et en s’y égayant, s’exprime par le rayon bleu.

Il serait singulier, en effet, que la lumière bleue se manifestât toujours quand un fond obscur est vu à travers la clarté, et que ce fait-là n’eût point de signification. Quand un vase d’eau claire est posé sur un fond noir, l’eau paraît bleuâtre. Dans les rayonnantes journées d’été, l’ombre portée sur un mur blanc, vu à distance, semble bleue : les montagnes noires, à mesure qu’on s’en éloigne par un beau temps, bleuissent ; et lorsque, au couchant, un nuage sombre, voisin du soleil, au lieu de s’interposer entre lui et nous, reçoit à sa surface les rayons glissants, il apparaît d’un bleu admirable et il se confond avec le bleu même du ciel ; si bien que, quand le soleil se cache et que le prestige s’évanouit, l’œil est étonné de trouver un pesant nuage là où il n’avait cru rencontrer que la pureté profonde de l’air. Le ciel qui, la nuit, quand il n’est éclairé que par les étoiles, est noir, vu à travers la lumière du soleil, apparaît bleu. Ainsi toutes les grandes manifestations de la couleur bleue sont liées aux mêmes conditions ; est-ce là un fait fortuit ? Le bleu, comme pour bien marquer son rapport à l’obscur, confine au noir et au gris par une multitude de degrés. Le soir, une partie du ciel est déjà noire qu’une autre partie est encore bleue ; et il semble au regard qui en fait le tour qu’il passe seulement d’un bleu plus clair à un bleu plus sombre. À mesure qu’on s’élève en ballon vers les hauteurs du ciel, le bleu est plus sombre et plus voisin du noir.