Dans le restaurant

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Poems
A.A. Knopf (p. 29-30).

Dans le Restaurant



Le garcon délabré qui n'a rien à faire
Que de se gratter les doigts et se pencher sur mon épaule :
  « Dans mon pays il fera temps pluvieux,
  Du vent, du grand soleil, et de la pluie ;
  C'est ce qu'on appelle le jour de lessive des gueux. »
(Bavard, baveux, à la croupe arrondie,
Je te prie, au moins, ne bave pas dans la soupe).
  « Les saules trempés, et des bourgeons sur les ronces ―
  C'est là, dans une averse, qu'on s'abrite.
J'avais sept ans, elle était plus petite.
  Elle etait toute mouillée, je lui ai donné des primavères. »
Les tâches de son gilet montent au chiffre de trente-huit.
  « Je la chatouillais, pour la faire rire.
  J'éprouvais un instant de puissance et de délire.

        Mais alors, vieux lubrique, à cet âge...
  « Monsieur, le fait est dur.
  Il est venu, nous peloter, un gros chien ;
  Moi j'avais peur, je l'ai quittee a mi-chemin.
  C'est dommage. »

      Mais alors, tu as ton vautour !
Va t'en te décrotter les rides du visage;
Tiens, ma fourchette, décrasse-toi le crâne.
De quel droit payes-tu des expériences comme moi ?
Tiens, voilà dix sous, pour la salle-de-bains.

Phlébas, le Phénicien, pendant quinze jours noyé,
Oubliait les cris des mouettes et la houle de Cornouaille,
Et les profits et les pertes, et la cargaison d'etain :
Un courant de sous-mer l'emporta tres loin,
Le repassant aux étapes de sa vie antérieure.
Figurez-vous donc, c'etait un sort penible ;
Cependant, ce fut jadis un bel homme, de haute taille.