Dans une église de village

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Dans une église de village
Revue des Deux Mondes4e période, tome 153 (p. 435-438).
POÉSIE

DANS UNE ÉGLISE DE VILLAGE


Le fin clocher du bourg, sur la côte normande,
De loin semble petit devant la mer si grande.
Il sert pourtant, debout dans le ciel sombre ou clair,
De signal aux marins en péril sur la mer.
Mais, ce matin, le flot bat doucement la plage.
Allons par là. L’église est au bout du village,
Et son ombre, au couchant, s’étend jusqu’au blé mûr.
J’ai suivi la ruelle où, séchant contre un mur,
Un filet suspendu répand son âpre arôme,
Et j’ai vu, par-dessus les épais toits de chaume,
Grandir le clocher gris, bien d’aplomb sur sa tour.
Et l’azur apparaître en ses trèfles à jour.
Il me montrait le ciel, la mystique patrie,
Et, de loin, il semblait me dire : « Viens et prie, »
Le gothique clocher qu’obsèdent les corbeaux.
J’ai suivi le sentier au milieu des tombeaux,
Où les pavots épars jettent leur pourpre vive,
Et, seul, dans la fraîcheur de la nef en ogive,
M’étant agenouillé dans l’un des bancs de bois,
J’ai fait avec respect le signe de la croix
Et j’ai prié.

Mon Dieu, que mon cœur est aride !
Pourtant, vous le savez, je vous ai pris pour guide.
Ardemment, tendrement, je redis le Credo.
J’accepte votre joug, je veux votre fardeau.
Votre nom est au fond de toutes mes pensées.
Jésus, je joins mes mains devant vos mains percées ;
Devant vos deux genoux douloureux et ployés,
Je me prosterne et baise éperdument vos pieds,
Et, voyant dans vos chairs la blessure cruelle,
Je voudrais que mon cœur fût palpitant comme elle !
Mais qu’il est froid et sec ! Ai-je vraiment la foi ?
Dieu de miséricorde, ayez pitié de moi !
Rendez-moi, rendez-moi ma ferveur enfantine,
Quand j’étais sûr, pendant ma prière latine,
D’être écouté d’un Père et quand, après l’Ave,
Je voyais — que de fois du moins l’ai-je rêvé ! —
La bonne Sainte Vierge, en ses blancs et longs voiles,
Incliner vers mon front sa couronne d’étoiles !
Vous connaissez, mon Dieu, ma bonne volonté.
J’ai vaincu mon orgueil et mon impureté.
Exaucez-moi, rendez ma prière meilleure,
Et faites que mon cœur se fonde et que je pleure.
Je veux croire ! Je crois ! Ce doute est le dernier.
Jésus, donnez-moi la foi du Centenier,
Afin que plus jamais, mon Dieu, je ne vous dise,
Comme aujourd’hui, devant l’autel, dans votre église :
« Seigneur, m’entendez-vous ? Seigneur, êtes-vous là ? »

Ainsi, pendant longtemps, ma plainte s’exhala.
L’âme du vieux pécheur, sur le tard convertie,
Est comme un sol couvert d’herbe folle et d’ortie ;
En vain il la travaille, acharné laboureur,
Il n’en peut extirper la semence d’erreur,
Et sa foi, que pourtant, seule, il sait bonne et vraie,
Est comme un blé d’avril étouffé par l’ivraie.

Pourtant cette humble église est un lieu doux au cœur ;
Et, tout en admirant, sur les dalles du chœur,
Le reflet diapré qui tombe des verrières,
Je crois que ces vieux murs, saturés de prières,

Vont me verser la foi des simples paysans
Qui parlent au bon Dieu, là, depuis six cents ans,
Et dont aucun jamais n’a connu mon angoisse.
Devant ce Saint Martin, patron de la paroisse,
À cheval et coupant du glaive son manteau,
Des cœurs d’or et d’argent sont mis en ex voto,
Et voici l’if de fer où brûle encore un cierge
Devant une rustique image de la Vierge
Tenant sous son talon le serpent écrasé,
Et montrant dans son sein un cœur martyrisé
Que sept poignards aigus font saigner sous leurs pointes.
Le long contact des fronts courbés et des mains jointes
À fini par polir le dossier des vieux bancs.
Tout là-haut, avec ses vergues et ses haubans,
— Don de pauvres marins sauvés d’une tempête, —
Un petit trois-mâts pend au-dessus de ma tête.
Tout enfin, dans l’église, évoque autour de moi
La piété naïve et la profonde foi.

O foi du peuple, foi des humbles, je t’envie !
Ils sont sûrs que la mort est l’éternelle vie,
Et quand, près de ce grand portail à deux vantaux,
Un cercueil de sapin est mis sur les tréteaux
Et reçu par les chants des clercs en lourde chape,
Ils pensent dans leur cœur que l’âme qui s’échappe.
Pure, de ce bas monde et vole aux cieux ouverts,
Va recevoir le prix des maux qu’elle a soufferts.
Cette foi simple habite en ces voûtes sacrées ;
Elles en sont, depuis six siècles, pénétrées.
Dans cette vieille nef, tant de chrétiens pieux,
Et leurs pères, et les aïeux de leurs aïeux,
Perdus dans un passé dont plus rien ne surnage,
Ont tant prié, depuis le lointain moyen âge !
Ici, leur âme a pris tant de fois son essor !
Communion des Saints, je puise en ton trésor !
Je respire de la prière accumulée ;
Elle verse son baume en mon âme troublée,
Et mon cœur, qu’à grands coups irrités je frappais.
Se calme et se remplit d’espérance et de paix,
Comme un golfe orageux soudain se tranquillise.

Oui, bons paroissiens de cette pauvre église,
Robustes gens de mer vêtus d’un tricot brun,
Qui, baissant votre front boucané par l’embrun,
Portez, aux Fêtes-Dieu, le dais à plumes blanches,
Honnêtes marguilliers en blouse des dimanches,
Sachant par cœur l’office et chantant les répons,
Mamans avec un mioche ou deux près des jupons,
Aïeules dont les doigts ridés par la misère
Usent obstinément les grains durs d’un rosaire,
Jeunes femmes levant au ciel vos yeux songeurs,
Gamins du catéchisme et fillettes des Sœurs,
Vous qui priez ici Jésus, pendant les messes,
Pour devenir un jour dignes de ses promesses,
Soyez bénis ! C’est grâce à vous que j’ai dompté
Mon vieux reste d’orgueil et d’incrédulité.
Vos ancêtres et vous avez mis dans ces pierres
Un don surnaturel par vos saintes prières.
Sous cette voûte, à tous les angles du granit,
Divins oiseaux de l’âme, elles ont fait leur nid.
J’entends chanter en moi leur voix suave et pure ;
Mon cœur s’émeut enfin, ma bouche les murmure,
Et, tout en pleurs, tendant mes deux mains vers la croix,
J’ose dire : « Mon Dieu, je vous aime et je crois ! »


FRANCOIS COPPEE.