De l’Angélus de l’aube à l’Angélus du soir/Que je t’aime

La bibliothèque libre.
De l’Angélus de l’aube à l’Angélus du soir : 1888-1897Mercure de France. (p. 261-262).

QUE JE T’AIME…


Que je t’aime, ô amie, toi qui as dans le sang
le sang de tes parentes qui vinrent d’Orient.
Tu es pareille à celles qui, dans le Sud,
dansent, avec de petits mouchoirs, au son des flûtes.
Ô ma petite amie, quand tu as été en chemise,
l’autre jour, ta chair dure et tes cheveux chéris
secouaient dans la chambre un parfum d’orange fauve…

Mais tes pieds civilisés étaient tout charmants et drôles,
et tes jambes, à travers ta petite chemise rose,
avaient l’air de celles d’un bébé incassable
qui fait le bonheur des petits enfants
sous la lumière joyeuse d’un premier de l’an.

Nous aimons tant nous aimer et, c’est si amusant
quand, dans mes bras, la tête en arrière, tu pousses,
à un moment donné, de petits cris très drôles
qu’ensuite tu me dis ne te rappeler pas.

Je brave l’honnêteté, mais pas en latin.

Je t’aime, mon amie, que tu m’aimes. Un point.
Mais que c’est embêtant que je n’aie pas d’argent
pour te faire, ô amie, un petit bonheur matériel.
Comment le monde n’a-t-il pas honte
de laisser ainsi souffrir ma petite Elle,
en ne me payant pas mes murmures d’abeille
très cher, avec de l’or qui tombe sur les treilles ?