De l’Imitation de Jésus-Christ (Brignon)/Livre 3/32

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Traduction par Jean Brignon.
Bruyset (p. 205-207).


CHAPITRE XXXII.
De l’abnegation de la propre volonté, & de la mortification des desirs.
Le Maistre.

MOn fils, vous ne serez jamais parfaitement libre, à moins que de renoncer entierement à vous-même.

Il n’y a point de vraye liberté pour ceux qui sont ennemis de la pauvreté Evangelique, amateurs d’eux-mêmes, esclaves de leurs passions, curieux remuans ; plus ardens à satisfaire leur sensualité, qu’à servir & à imiter le Sauveur ; toûjours appliquez à former de vains projets, & des desseins qu’ils ne sçauroient accomplir.

Car tout ce qui ne vient pas de Dieu, ne peut subsister long-tems.

Souvenez-vous de cette importante maxime, qui est l’abregé de la perfection chrétienne.

Quittez tout, & vous aurez tout : mortifiez vos passions, & vous acquerrerez un parfait repos.

Meditez souvent là-dessus, & quand vous en serez venu à la pratique, vous comprendrez mieux que jamais quelle en est la necessité.

Le Disciple.

Seigneur, ce que vous me dites n’est pas l’ouvrage d’un jour, ni l’effet d’une vertu de novice. Tout ce que la vie religieuse a de plus parfait, y est renfermé.

Le Maistre.

Mon fils, vous ne devez point vous rebuter, ni perdre courage, quand vous entendez parler de la plus sublime perfection : au contraire vous devez vous efforcer d’y atteindre, ou en concevoir du moins le desir.

O que vous seriez heureux, si vous y êtiez parvenu, & qu’ayant vaincu l’amour propre, vous n’eussiez plus d’autre volonté que la mienne ; & celle du Superieur qui vous gouverne en ma place ! je serois alors pleinement content de vous, & vous passeriez toute vôtre vie dans la joye & dans la paix.

Il vous reste encore beaucoup de choses à quitter ; & si vous ne n’en faites un sacrifice, vous ne joüirez jamais du repos que vous desirez.

Je vous conseille d’acheter de moi de l’or affiné par le feu, pour vous enrichir[1]. Cet or si pur est la Sagesse celeste, qui foule aux pieds toutes les choses d’ici-bas.

Avez en horreur la fausse sagese du siécle : fuyez tout respect humain, & toute complaisance de vous-même.

Vous me pourriez dire que je vous conseille de préférer une chose peu considerable à d’autres, qui au jugement du monde, sont excellentes & precieuses.

Il est vrai que le monde fait peu de cas, & qu’à peine se souvient-il de la vraye sagesse du Ciel ; de cette Sagesse qui ne s’en fait point accroire, qui ne cherche point les louanges des hommes, bien qu’elle soit louée de quelques-uns, dont les autres ne s’accordent guéres avec les paroles : mais cependant elle est cette belle perle[2] de l’Evangile qui seroit sans doute estimée & recherchée de beaucoup de gens, si elle étoit plus connuë.

  1. Apoc. 3. 18.
  2. Matt. 13. 46.