De la démocratie en Amérique/Édition 1848/Tome 2/Deuxième partie/Notes

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NOTES.




(A) PAGE 25.

C’est en avril 1704 que parut le premier journal américain. Il fut publié à Boston. Voyez Collection de la société historique de Massachusetts, vol. 6, p. 66.

On aurait tort de croire que la presse périodique ait toujours été entièrement libre en Amérique ; on a tenté d’y établir quelque chose d’analogue à la censure préalable et au cautionnement.

Voici ce qu’on trouve dans les documents législatifs du Massachusetts, à la date du 14 janvier 1722.

Le comité nommé par l’assemblée générale (le corps législatif de la province) pour examiner l’affaire relative au journal intitulé : New England courant, « pense que la tendance dudit journal est de tourner la religion en dérision et de la faire tomber dans le mépris ; que les saints auteurs y sont traités d’une manière profane et irrévérencieuse ; que la conduite des ministres de l’Évangile y est interprétée avec malice ; que le gouvernement de Sa Majesté y est insulté, et que la paix et la tranquillité de cette province sont troublées par ledit journal ; en conséquence, le comité est d’avis qu’on défende à James Francklin, l’imprimeur et l’éditeur, de ne plus imprimer et publier à l’avenir ledit journal ou tout autre écrit, avant de les avoir soumis au secrétaire de la province. Les juges de paix du canton de Suffolk seront chargés d’obtenir du sieur Francklin un cautionnement qui répondra de sa bonne conduite pendant l’année qui va s’écouler. »

La proposition du comité fut acceptée et devint loi, mais l’effet en fut nul. Le journal éluda la défense en mettant le nom de Benjamin Francklin au lieu de James Francklin au bas de ses colonnes, et l’opinion acheva de faire justice de la mesure.


(B) PAGE 175.

Pour être électeurs des comtés (ceux qui représentent la propriété territoriale) avant le bill de la réforme passé en 1832, il fallait avoir en toute propriété ou en bail à vie un fonds de terre rapportant net 40 shellings de revenu. Cette loi fut faite sous Henri VI, vers 1450. Il a été calculé que 40 shellings du temps de Henri VI pouvaient équivaloir à 30 liv. sterling de nos jours. Cependant on a laissé subsister jusqu’en 1832 cette base adoptée dans le XVe siècle, ce qui prouve combien la constitution anglaise devenait démocratique avec le temps, même en paraissant immobile. Voyez Delolme, liv. I, chap. IV; voyez aussi Blakstone, liv. I, chap. IV.

Les jurés anglais sont choisis par le shériff du comté (Delolme, tom. I, chap. XII). Le shériff est en général un homme considérable du comté ; il remplit les fonctions judiciaires et administratives ; il représente le roi, et est nommé par lui tous les ans (Blakstone, liv. I, chap IX). Sa position le place au-dessus du soupçon de corruption de la part des partis ; d’ailleurs, si son impartialité est mise en doute, on peut récuser en masse le jury qu’il a nommé, et alors un autre officier est chargé de choisir de nouveaux jurés. Voyez Blakstone, liv. III, chap. XXIII.

Pour avoir le droit d’être juré, il faut être possesseur d’un fonds de terre de la valeur de 10 shellings au moins de revenu (Blakstone, liv. III, chap. XXIII). On remarquera que cette condition fut imposée sous le règne de Guillaume et Marie, c’est-à-dire vers 1700, époque où le prix de l’argent était infiniment plus élevé que de nos jours. On voit que les Anglais ont fondé leur système de jury, non sur la capacité, mais sur la propriété foncière, comme toutes leurs autres institutions politiques.

On a fini par admettre les fermiers au jury, mais on a exigé que leurs baux fussent très longs, et qu’ils se fissent un revenu net de 20 shellings, indépendamment de la rente. Blakstone, idem.


(C) PAGE 175.

La constitution fédérale a introduit le jury dans les tribunaux de l’Union de la même manière que les États l’avaient introduit eux-mêmes dans leurs cours particulières ; de plus, elle n’a pas établi de règles qui lui soient propres pour le choix des jurés. Les cours fédérales puisent dans la liste ordinaire des jurés que chaque État a dressée pour son usage. Ce sont donc les lois des États qu’il faut examiner pour connaître la théorie de la composition du jury en Amérique. Voyez Story’s commentaries on the constitution, liv. III, chap. XXVIII, p. 654-659. Sergeant’s constitutionnal law, p. 165. Voyez aussi les lois fédérales de 1789, 1800 et 1802 sur la matière.

Pour faire bien connaître les principes des Américains dans ce qui regarde la composition du jury, j’ai puisé dans les lois d’États éloignés les uns des autres. Voici les idées générales qu’on peut retirer de cet examen.

En Amérique, tous les citoyens qui sont électeurs ont le droit d’être jurés. Le grand État de New-York a cependant établi une légère différence entre les deux capacités ; mais c’est dans un sens contraire à nos lois, c’est-à-dire qu’il y a moins de jurés dans l’État de New-York que d’électeurs. En général, on peut dire qu’aux États-Unis le droit de faire partie d’un jury, comme le droit d’élire des députés, s’étend à tout le monde ; mais l’exercice de ce droit n’est pas indistinctement remis entre toutes les mains.

Chaque année un corps de magistrats municipaux ou cantonaux, appelé select-men dans la Nouvelle-Angleterre, supervisors dans l’État de New-York, trustees dans l’Ohio, sheriffs de la paroisse dans la Louisiane, font choix pour chaque canton d’un certain nombre de citoyens ayant le droit d’être jurés, et auxquels ils supposent la capacité de l’être. Ces magistrats étant eux-mêmes électifs, n’excitent point de défiance ; leurs pouvoirs sont très étendus et fort arbitraires, comme ceux en général des magistrats républicains, et ils en usent souvent, dit-on, surtout dans la Nouvelle-Angleterre, pour écarter les jurés indignes ou incapables.

Les noms des jurés ainsi choisis sont transmis à la cour du comté, et sur la totalité de ces noms on tire au sort le jury qui doit prononcer dans chaque affaire.

Du reste, les Américains ont cherché par tous les moyens possibles à mettre le jury à la portée du peuple, et à le rendre aussi peu à charge que possible. Les jurés étant très nombreux, le tour de chacun ne revient guère que tous les trois ans. Les sessions se tiennent au chef-lieu de chaque comté, le comté répond à peu près à notre arrondissement. Ainsi, le tribunal vient se placer près du jury, au lieu d’attirer le jury près de lui, comme en France ; enfin les jurés sont indemnisés, soit par l’État, soit par les parties. Ils reçoivent en général un dollar (5 fr. 42 c.) par jour, indépendamment des frais de voyage. En Amérique, le jury est encore regardé comme une charge ; mais c’est une charge facile à porter, et à laquelle on se soumet sans peine.

Voyez Brevard’s Digest of the public statute law of South Carolina, 2e vol, p. 338 ; id., vol. 1, p. 454 et 456 ; id., vol. 2, p. 218.

Voyez The general laws of Massachusetts revised and published by authority of the legislature, vol. 2, p. 331, 187.

Voyez The revised statutes of the state of New-York, vol. 2, p. 720, 411, 717, 643.

Voyez The statute law of the state of Tennessee, vol. 1, p. 209.

Voyez Acts of the state of Ohio, p. 95 et 210.

Voyez Digeste général des actes de la législature de la Louisiane, vol. 2, p. 55.


(D) PAGE 178.

Lorsqu’on examine de près la constitution du jury civil parmi les Anglais, on découvre aisément que les jurés n’échappent jamais au contrôle du juge.

Il est vrai que le verdict du jury, au civil comme au criminel, comprend en général, dans une simple énonciation, le fait et le droit. Exemple : Une maison est réclamée par Pierre comme l’ayant achetée ; voici le fait. Son adversaire lui oppose l’incapacité du vendeur ; voici le droit. Le jury se borne à dire que la maison sera remise entre les mains de Pierre ; il décide ainsi le fait et le droit. En introduisant le jury en matière civile, les Anglais n’ont pas conservé à l’opinion des jurés l’infaillibilité qu’ils lui accordent en matière criminelle quand le verdict est favorable.

Si le juge pense que le verdict a fait une fausse application de la loi, il peut refuser de le recevoir, et renvoyer les jurés délibérer.

Si le juge laisse passer le verdict sans observation, le procès n’est pas encore entièrement vidé : il y a plusieurs voies de recours ouvertes contre l’arrêt. Le principal consiste à demander à la justice que le verdict soit annulé, et qu’un nouveau jury soit assemblé. Il est vrai de dire qu’une pareille demande est rarement accordée, et ne l’est jamais plus de deux fois ; néanmoins j’ai vu le cas arriver sous mes yeux. Voyez Blakstone, liv. III, chap. XXIV ; id., liv. III, chap. XXV.