De la démonstration cartésienne de l’existence de Dieu du R. P. Lami

La bibliothèque libre.

de la
démonstration cartésienne
de l’existence de Dieu du R. P. Lami

Mémoires de Trévoux, 1701.

J’ai déjà dit ailleurs mon sentiment sur la démonstration de l’existence de Dieu de saint Anselme, renouvelée par Descartes ; dont la substance est que ce qui renferme dans son idée toutes les perfections, ou le plus grand de tous les êtres possibles, comprend aussi l’existence dans son essence puisque l’existence est du nombre des perfections, et qu’autrement quelque chose pourrait être ajouté à ce qui est parfait. Je tiens le milieu entre ceux qui prennent ce raisonnement pour un sophisme et entre l’opinion du R. P. Lami expliquée ici, qui le prend pour une démonstration achevée. J’accorde donc que c’est une démonstration mais imparfaite, qui demande ou suppose une vérité qui mérite d’être encore démontrée. Car on suppose tacitement que Dieu, ou bien l’Être parfait, est possible. Si ce point était encore démontré connue il faut, on pourrait dire que l’existence de Dieu serait démontrée géométriquement à priori. Et cela montre ce que j’ai déjà dit, qu’on ne peut raisonner parfaitement sur des idées, qu’en connaissant leur possibilité ; à quoi les géomètres ont pris garde, mais pas assez les Cartésiens. Cependant on peut dire que cette démonstration ne laisse pas d’être considérable, et pour ainsi dire présomptive. Car tout être doit être tenu possible jusqu’à ce qu’on prouve son impossibilité. Je doute cependant que le R. P. Lami ait eu sujet de dire qu’elle a été adoptée par l’École. Car l’auteur de la note marginale remarque fort bien ici que saint Thomas l’avait rejetée.

Quoi qu’il en soit, on pourrait former une démonstration encore plus simple, en ne parlant point des perfections, pour n’être point arrêté par ceux qui s’aviseraient de nier que toutes les perfections soient compatibles, et par conséquent que l’idée en question soit possible. Car, en disant seulement que Dieu est un être de soi ou primitif, en a se, c’est-à-dire qui existe par son essence, il est aisé de conclure de cette définition qu’un tel être, s’il est possible, existe ; ou plutôt cette conclusion est un corollaire qui se tire immédiatement de la définition, et n’en diffère presque point. Car, l’essence de la chose n’étant que ce qui fait sa possibilité en particulier, il est bien manifeste qu’exister par son essence est exister par sa possibilité. Et si l’être de soi était défini en termes encore plus approchants, en disant que c’est l’être qui doit exister parce qu’il est possible, il est manifeste que tout ce qu’on pourrait dire contre l’existence d’un tel être serait de nier sa possibilité.

On pourrait encore faire à ce sujet une proposition modale, qui serait un des meilleurs fruits de toute la logique ; savoir que, si l’être nécessaire est possible, il existe. Car l’être nécessaire et l’être par son essence ne sont qu’une même chose. Ainsi le raisonnement pris de ce biais paraît avoir de la solidité ; et ceux qui veulent que des seules notions, idées, définitions ou essences possibles on ne puisse jamais inférer l’existence actuelle, retombent en effet dans ce que je viens de dire, c’est-à-dire qu’ils nient la possibilité de l’être de soi. Mais ce qui est bien à remarquer, ce biais même sert à faire connaître qu’ils ont tort, et remplit enfin le vide de la démonstration. Car si l’être de soi est impossible, tous les êtres par autrui le sont aussi ; puisqu’ils ne sont enfin que par l’être de soi ; ainsi rien ne saurait exister. Ce raisonnement nous conduit à une autre importante proposition modale, égale à la précédente, et qui, jointe avec elle, achève la démonstration. On la pourrait énoncer ainsi : Si l’être nécessaire n’est point, il n’y a point d’être possible. Il semble que cette démonstration n’avait pas été portée si loin jusqu’ici. Cependant j’ai travaillé aussi ailleurs à prouver que l’être parfait est possible.

Je n’avais dessein, Monsieur, que de vous écrire en peu de mots quelques petites réflexions sur les mémoires que vous m’aviez envoyés ; mais la variété des matières, la chaleur de la méditation, et le plaisir que j’ai pris au dessein généreux du prince qui est le protecteur d écet ouvrage, m’ont emporté. Je vous demande pardon d’avoir été si long, et je suis, etc.