De la fréquente Communion.../Partie 1, Chapitre 33

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Chez Antoine Vitté (p. 384-391).

Chapitre 33


que cet auteur n’ose pas conseiller indifferemment la communion de tous les jours, et que neantmoins ses maximes vont à y porter les personnes les moins vertueuses. quoy que cette regle ne semble contenir rien que de bon, puis qu’elle destourne les ames de communier tous les jours sans y avoir bien pensé ; toutefois pour monstrer combien elle est defectueuse, et mesme pleine de peril, lors qu’on la joinct avec vos autres maximes, il est aysé de faire voir, qu’en la suivant, une infinité de personnes, sans avoir fait aucune avance dans la vertu, et dans la pieté chrestienne, et pour user de vos propres termes, estans remplies d’amour d’elles-mesmes, et attachées merveilleusement au monde, et qui mesme tombent souvent dans des pechez mortels, feront fort bien de communier tous les jours. Ce qui feroit horreur à tous les catholiques, et à vous mesme. Supposons donc, je vous prie, qu’une de ces personnes se presente à vous, et vous declare, qu’elle desire de recevoir tous les jours l’eucharistie. Vous luy direz sans doute ce que vous dites icy, (...) : ne serez-vous pas obligé de seconder son dessein, et de l’envoyer tous les jours au saint autel, quoy que sa vie fust peu conforme au modelle de l’evangile. Et afin de vous oster tout sujet de m’accuser, que je n’agis pas sincerement avec vous ; et qu’encore que vous n’ayez exprimé que cette cause, vous en reconnoissez neanmoins beaucoup d’autres, qui peuvent empescher une communion si frequente, je vous veux monstrer en peu de paroles, que vous destruisez generallement dans cét escrit toutes les autres raisons, que l’on pourroit apporter pour détourner cette personne de communier tous les jours dans une disposition si peu sainte. Car que luy pouvez-vous dire de plus, qu’elle ne renverse aussi-tost par vos propres paroles ? Je ne pense pas, que vous vous arrestiez beaucoup sur ce que cela la destourneroit de ses occupations necessaires. Car vous voyez bien que cette raison n’est pas assez generalle, et qu’une infinité de personnes vous pourront dire avec tres-grande verité, qu’elles ne sont pas si occupées, qu’elles ne puissent donner tous les jours une heure aux affaires de leur salut, sans beaucoup incommoder leurs affaires temporelles ; et vous sçavez, que cette response n’est que trop vraye pour le regard des personnes, que vous avez eu principalement en veuë dans vostre escrit. Quoy donc ? Luy direz-vous qu’il faut estre dans la ferveur de la charité, comme dit Saint Jean Chrysostome, pour recevoir si souvent cette nourriture celeste, comme il faut avoir beaucoup de chaleur naturelle pour manger souvent ? Elle vous respondra selon vos propres paroles, (...). Luy direz-vous : que, comme la quantité des viandes extrémement nourrissantes ne peut qu’estre dangereuse aux corps malades ; ainsi une ame encore foible et imparfaite ne peut sans peril se nourrir si souvent de ce pain, que Saint Hierosme dit, (...). Luy direz-vous, que le respect, qu’elle doit à Jesus-Christ, ne luy permet pas d’abuser ainsi de sa bonté, en approchant si souvent de luy, sans s’estre renduë digne auparavant d’une si familiere communication par la sainteté de la vie ; que Saint Chrysostome dit, (...).

Luy direz-vous, qu’il est à propos, que par la reverence, que l’on doit porter à la grandeur de ce mystere, elle s’abstienne quelquefois de communier, selon Saint Bonaventure, qui ne conseille pas mesme aux prestres de dire la messe tous les jours ; tesmoignant qu’il semble y avoir quelque irreverence à ne l’obmettre jamais ? Elle vous respondra, que selon vostre doctrine (laquelle vous attribuez faussement à Saint Chrysostome et à Saint Ambroise) (...). Luy direz-vous, que si elle prenoit quelque temps pour jeusner, pour prier, et pour faire les autres exercices de la penitence, ce delay luy pourroit servir à communier avec une meilleure disposition, selon cette excellente parole de Saint Hierosme, (...). Luy direz-vous que Saint Thomas dit, (...), et qu’ainsi elle a sujet de craindre, que la trop grande familiarité ne diminuë en elle le respect qu’elle doit à ces mysteres ? Elle vous respondra, (...). Luy direz-vous, qu’un si grand nombre de pechez qu’elle commet tous les jours, quand ils ne seroient tous que veniels, la devroient faire resoudre de s’en corriger, et d’en détacher pour le moins son cœur et son affection, en se retirant autant qu’elle peut de toutes les occasions dangereuses, avant que de prendre la hardiesse d’entrer si souvent dans le sanctuaire, ainsi que Monsieur De Geneve l’enseigne dans sa philothée ? Elle vous respondra, (...). Luy direz-vous, que commettant assez souvent des pechez mortels, si elle veut estre conduite selon l’esprit de tous les peres de l’eglise, elle se doit purifier par les exercices de la penitence avant que d’approcher de l’eucharistie ? Elle vous respondra, que comme elle desire communier tous les jours, elle est aussi resoluë de se confesser tous les jours, ou pour le moins toutes les fois qu’elle aura commis des pechez mortels ; (...), et qu’ainsi, quelque peché qu’elle ait commis, elle peut, en moins d’un quart d’heure, se rendre digne de recevoir l’eucharistie. Luy direz vous, qu’il faut estre dans une grande devotion pour communier si souvent, comme tous les docteurs catholiques l’enseignent generallement ? Elle vous respondra, (...). Et enfin, si lassé de toutes ces reparties, vous pensez l’arrester tout court, en luy disant avec quelque émotion, que toutes ces deffaites n’empeschent pas que ce ne soit une des premieres notions de la pieté chrestienne, que la communion de tous les jours doit estre reservée aux ames saintes, et qui sont remplies de grace, et de l’amour de Jesus-Christ ? Elle vous fermera la bouche en vous repliquant, que ce sentiment ne peut estre qu’une fausse persuasion des ignorans, s’il est vray ce que vous enseignez, (...). Voyez je vous prie, et considerez, en quels precipices l’on jette les ames, lors qu’on leur a fait franchir une fois les bornes de la verité.