De la fréquente Communion.../Partie 1, Chapitre 40

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Chez Antoine Vitté (p. 427-439).

Chapitre 40


exemples de beaucoup de grands saints, qui se sont separez eux-mesmes de la sainte communion, ou en ont separé d’autres, pour des fautes venieles.

mais pour monstrer encore mieux la fausseté de vostre maxime, (...) ; il ne sera pas inutile de la destruire par les actions de ces mesmes saints, apres l’avoir renversée par leurs paroles, et d’ajoûter la force de leur exemple à la puissance de leurs raisons. Palladius rapporte dans la vie de Saint Chrysostome lequel il connoissoit particulierement, que s’estant trouvé à une assemblée d’evesques qui se faisoit en la ville de Constantinople, un d’entr’eux nommé Eusebe, se declarant accusateur d’Antonin evesque d’Ephese, il le pria avant que d’avoir oüy les chefs de l’accusation, de ne point porter cette affaire plus avant, et l’asseura, que si on l’avoit mescontenté en quelque chose, il auroit soin de luy oster tout sujet de plainte. Et ayant exhorté Paul evesque d’Heraclée, qui sembloit estre pour Antonin, de les remettre bien ensemble, il entra dans l’eglise, parce que c’estoit l’heure du sacrifice, où ayant donné la benediction au peuple ; et s’estant assis avec les autres evesques, le mesme Eusebe estant entré secrettement, vint luy presenter devant tout le peuple un memoire des chefs de son accusation contre Antonin ; le conjurant avec des sermens estranges de luy rendre justice en cette affaire. Et alors Saint Chrysostome voyant les instances qu’il luy faisoit, receut ce memoire, de peur qu’il ne s’excitast quelque trouble parmy le peuple, et apres qu’on eust leu publiquement l’escriture sainte selon la coustume ; il pria un de ces evesques de dire la messe, et sortit de l’eglise, (...). Et cependant si on examine bien tout ce qu’il fit alors, on ne trouvera qu’un exercice continuel de charité, et une tranquillité d’esprit merveilleuse, qui ne conserve pas seulement la paix en soy, mais qui tasche encore de la rendre à ceux qui la veulent violer. Mais parce que la seule veuë du trouble des autres, avoit pû exciter quelque petit nuage dans son esprit, il creut que cela seul suffisoit pour le faire justement retirer de l’autel où il alloit monter, et pour priver tout ce grand peuple de la joye et du fruict qu’il recevoit d’estre nourri de la main de son pasteur. Certes cela nous monstre bien clairement, quelle injure on feroit à ce grand saint de croire que parlant de l’extréme pureté qu’il est besoin d’apporter à la participation de ce mystere, il ait parlé avec exageration, et se soit servy des hyperboles des orateurs, puis qu’en s’en retirant par reverence pour des causes tres-legeres, il luy a porté le mesme respect qu’il a tasché d’imprimer dans le cœur des autres, et qu’on ne sçauroit accuser ses discours d’une chaleur imprudente, et d’excez irreguliers sans condamner son action, comme l’effect d’un scrupule superstitieux, et reprocher au plus genereux et au plus ferme de tous les evesques d’Orient une humilité basse et indiscrette. Que si vous l’osez faire, eslevez encore vostre zele contre Saint Hierosme, qui escrivant contre Vigilance declare, (...). Et ainsi celuy qui avoit l’esprit et la lumiere des plus grands hommes du christianisme, pour deffendre la sainteté des reliques, avoit le cœur et la timidité des plus simples femmes pour en approcher, comme luy-mesme le declare au mesme endroit. Jugez maintenant par ces paroles de Saint Hierosme, s’il eust esté de l’opinion que vous attribués aux saints, que l’on ne se doit point abstenir de communier pour les pechez veniels, puis qu’apres un mouvement de cholere, ou une mauvaise pensée, ou une illusion de nuit, qui se peuvent assez souvent rencontrer sans aucun peché, il n’osoit pas entrer dans les basiliques des martyrs. Se fust-il presenté pour recevoir l’eucharistie, lors qu’il n’osoit se presenter devant les reliques des saints ? Eust-il plus reveré le serviteur, que le maistre ? La presence de celuy, dont la gloire et la majesté fait trembler les anges, luy eust-elle donné moins de crainte et de frayeur, que celle de ces corps sacrez, qui gemissent encore icy bas dans l’attente de leur gloire ? Et enfin eust-il porté plus de respect à des cendres mortes, qui tirent leur principale dignité de cette semence de vie, qui leur est restée de l’attouchement de la chair immortelle et vivifiante de Jesus-Christ, selon le langage et la doctrine de tous les peres, qu’à cette chair mesme qui les rend si venerables ? Je ne sçaurois croire que cette pensée puisse entrer jamais en l’esprit d’aucun homme de bon sens. Et certes elle se peut moins concevoir de ce saint, que de personne, puis que tout le monde sçait avec quelle vehemence il parle contre ceux, qui apres l’usage du mariage, n’osans entrer dans l’eglise, communioient chez eux en particulier, et ainsi par un jugement déreglé ne se croyans pas assez purs pour entrer dans les basiliques des martyrs, se persuadoient l’estre assez pour recevoir le roy des martyrs. Reconnoissez donc que Saint Hierosme trouvoit fort bon, que l’on s’abstinst quelquefois de communier pour des pechez veniels ; et par consequent, effacez-le du nombre des saints, afin de faire plus aisément passer vostre opinion pour l’opinion des saints. Mais faisons voir encore par d’autres exemples que cet humble respect, et cette sainte timidité se trouve dans les grandes ames, et dans les cœurs les plus magnanimes. Nous lisons du grand Theodose dans l’histoire ecclesiastique, qu’apres avoir deffait Eugene usurpateur de l’empire, apres avoir remporté une victoire toute remplie de miracles, de laquelle il avoit esté asseuré de la part de Dieu par la bouche d’un grand solitaire, dans laquelle les vents et les tempestes avoient combattu pour sa querelle, et par laquelle il asseura la paix de l’eglise, et la tranquillité de toute la terre ; il s’abstinst assez long-temps de la participation des mysteres, n’ayant pas voulu porter si tost à l’autel ses mains encore teintes du sang de ses ennemis, quoy qu’il eust esté si justement respandu. En quoy il se trouve que ce prince apres avoir imité par sa penitence publique l’exemple illustre de la penitence de David ; l’imita encore par cette action ; puis qu’il fit par le mouvement de sa pieté, ce que David fit par l’ordre de Dieu, lors qu’il receut le commandement de ne point bastir le temple où l’arche qui estoit figure de l’eucharistie devoit reposer, à cause seulement qu’il avoit respandu le sang des ennemis d’Israël, et de Dieu mesme. Que si vous pensez improuver cette humilité de Theodose, comme l’effet d’une devotion mal reglée ; apprenez, qu’elle estoit si conforme à l’esprit du christianisme, que l’eglise ordonnoit, (ainsi que Saint Basile tesmoigne) que ceux qui auroient tué des ennemis en guerre se separassent fort long-temps de l’eucharistie, marquant par là l’extréme pureté, qu’elle desiroit en tous ceux qui vouloient participer à ce mystere. Aussi Saint Ambroise dans l’oraison funebre de cét empereur, entre tant d’actions heroïques, qui ont rendu sa memoire si celebre dans l’eglise, releve celle-cy par un eloge particulier, et en fait le couronnement des loüanges qu’il donne à sa penitence. (...). Le tesmoignage si glorieux que S Ambroise rend à la pieté de ce prince, la doit rendre venerable à tout le monde, et la liaison qu’il met entre ces deux actions, l’une de penitence, et l’autre d’humilité, marque bien clairement quelles partent de la mesme source. Que le mesme mouvement de la grace, qui inspire de souffrir tres-volontiers la separation de l’eucharistie durant plusieurs mois (comme ce grand empereur la souffrit durant huict mois tous entiers) pour se purifier des pechez mortels par les exercices de la penitence, inspire aussi la devotion de s’en separer durant quelques jours pour des offenses venielles, et quelquefois mesme en des occasions, où il y a plus d’indecence que de peché. Que l’esprit de penitence fait embrasser l’un et l’autre, comme l’esprit d’impenitence les fait souvent rejetter tous deux ; et enfin que la mesme humilité chrestienne porte à ne pas recevoir quelquefois le saint des saints, comme le mesme orgueil humain peut porter à l’aller prendre sur les autels sans aucune crainte, en tout temps, en toute rencontre, et apres toutes sortes de crimes et de pechez. Voila quel estoit le respect et la reverence, qu’une personne reverée de toute la terre, rendoit à l’eucharistie. Voila quel estoit le sentiment si religieux d’un des plus grands empereurs en sagesse et en pieté qui ait gouverné l’empire romain, d’un empereur nourry dans la pureté de la doctrine de l’eglise, instruit dans l’eschole de Saint Ambroise, et publié pour saint apres sa mort, par celuy qui avoit tant servy à le rendre saint durant sa vie. Apres cela n’aurez vous pas quelque sujet de rougir d’avoir proposé comme une maxime de Saint Ambroise, qu’en s’abstenant de communier, on ne doit pas penser porter plus de respect et de reverence au tres-saint sacrement ? Et les lecteurs n’auront-ils pas quelque sujet de s’estonner, qu’on soit en peine aujourdhuy de justifier des actions, que les peres ont canonisées, et d’opposer à la censure et au blasme d’un nouveau directeur de consciences, l’approbation et les loüanges des anciens docteurs de l’eglise universelle ? Mais voyons agir Saint Ambroise apres l’avoir entendu parler. Nous lisons dans Sozomene, qu’un de ses diacres, nommé Geronce, s’estant vanté ridiculement d’avoir enchaisné un demon qu’il disoit luy estre apparu durant la nuit, il le separa de son ministere, et luy ordonna de demeurer dans sa maison durant quelque temps, et d’expier par la penitence l’indiscretion de ses paroles, comme les jugeans indignes d’un ministre de Jesus-Christ. C’est la seule cause et le seul motif que l’historien rapporte de cette separation, qui emportoit necessairement celle de l’eucharistie. Ainsi vous voyez, que Saint Ambroise ne parloit en cette matiere que selon l’esprit de l’eglise, puis qu’il le suivoit dans ses ordonnances, aussi bien que dans ses discours, et que non seulement il jugeoit que l’on pouvoit par reverence s’abstenir de communier pour des pechez veniels, et quelquefois mesme pour moins, mais qu’il obligeoit aussi de le faire pour une faute qui ne paroissoit point mortelle, pour une simple intemperance de langue. Voulez-vous encore l’exemple d’une personne plus relevée et de plus grande autorité dans l’eglise ? Nous lisons dans la vie du grand S Gregoire, qu’il fut quelques jours à faire penitence et à s’abstenir de dire la messe, pour avoir ouy dire, qu’on avoit trouvé un pauvre mort en un village prés de Rome, craignant qu’il ne fust mort de faim ou de misere faute de l’avoir secouru. Un homme autant eslevé au dessus des autres fidelles par l’eminence de sa vertu, que par celle de sa charge, dont l’ardente charité sembloit tousjours le rendre assez disposé pour offrir à Dieu ce sacrifice d’amour, et qui pouvoit y estre d’autant plus porté, que comme pasteur universel de toute l’eglise, il sembloit estre plus obligé d’offrir continuellement cette victime adorable pour le salut et le bien de tous les fidelles sousmis à son ministere, abandonne les autels, et se retranche humblement de la celebration des mysteres, sur le simple soupçon d’avoir manqué en quelque chose à la charité du prochain : et on se laissera persuader par vostre regle, que les pechez veniels ne doivent jamais porter un homme à se separer quelque temps de l’eucharistie par une humilité sainte. Nous lisons de Saint Romuald, qu’il privoit de dire la messe, les religieux qui s’estoient laissé aller un peu au sommeil durant l’oraison. Saint Bernard loüe Saint Malachie d’avoir repris un diacre pour avoir servi à l’autel apres avoir eu une illusion la nuit precedente. Il rapporte que ce saint evesque luy imposant penitence pour cette faute, luy dit ; (...). Mais pour descendre encore plus bas dans la suitte des aages de l’eglise, et vous faire voir, que le Saint Esprit a tousjours conservé ce sentiment dans le cœur des saints : n’a-t’on pas remarqué de cét illustre martyr, et de ce grand prelat d’Angleterre Saint Thomas De Cantorbie, que pour s’estre un peu relasché de sa fermeté à soustenir la puissance ecclesiastique, sous l’esperance d’adoucir le roy, et de guarentir le clergé de la persecution qui le menaçoit, il se retrancha luy-mesme du sacrifice de la messe, et ne retourna point à l’autel, qu’apres avoir receu l’absolution du pape ? Et de nostre temps ne lisons nous pas du grand Saint Charles, que pour avoir fait quelque faute dans la celebration du sacrifice de la messe, il voulut par penitence demeurer plusieurs jours sans la dire ; et qu’il fust encore demeuré plus long-temps dans cette humble separation, s’il ne se fust laissé aller aux desirs ardens de son peuple, qui souhaittoit avec passion de le revoir à l’autel pour participer à ses sacrifices. Ces grands evesques n’ignoroient pas cette parole si commune de Bede, dont tant de personnes ignorantes ont abusé, (...) : mais ils sçavoient aussi, que c’estoit un legitime sujet d’obmettre le sacrifice de l’eucharistie, que de le faire par esprit de penitence, mesme pour des fautes legeres : que Dieu, qui n’est honoré que par les humbles, reçoit le sacrifice d’un cœur humilié devant luy, comme une offrande, qui luy est tres-agreable : que les anges, qui ont une si grande joye de la penitence des meschans, se réjoüissent aussi de celle des bons ; et que les larmes d’un evesque, qui estoient tousjours jointes autrefois à celles des penitens, sont tres-puissantes devant Dieu, pour attirer sa misericorde sur les pecheurs, ses dons sur les justes, son indulgence sur les morts, ses bien-faits sur l’eglise, et ses graces sur luy-mesme. Il est donc indubitable par le tesmoignage des peres, et par les exemples de tant de saints ; qu’encore que les pechez veniels ne soient pas tousjours des empeschemens pour approcher de l’eucharistie, lors principalement qu’ils procedent plus de fragilité, que de faute, ou de negligence ; il peut neanmoins arriver quelquefois, qu’il est tres-utile de s’en abstenir humblement et par reverence, pour avoir commis de ces pechez, lors que Dieu nous en inspire le mouvement, et que nous sentons avoir besoin de cette peine, tant pour nous purifier des taches que nous croyons avoir contractées, que pour nous accroistre le soin de les éviter à l’advenir. Et c’est le conseil que Monsieur De Geneve donne à une dame de vertu et de pieté, luy escrivant en ces termes sur ce sujet. (...).