De la génération des vers dans le corps de l’homme (1741)/Épître dédicatoire

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Veuve Alix ; Lambert et Durand (Tome Ip. i-xiv).
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À MESSIRE
GUY CRESCENT
FAGON,
CONSEILLER D’ÉTAT ORDINAIRE,
ET
PREMIER MEDECIN
DU ROY.


MONSIEUR,

Voici un Ouvrage qui vous est dû absolument. Quand tous les sentimens de reconnoissance, qui m’attachent à vous, ne me l’apprendroient pas, l’occasion qui me l’a fait composer, suffiroit pour m’en convaincre. C’est la guérison d’un malade, redevable de la vie au soin que j’ai toujours eu de vous étudier. J’avois long-temps regardé comme un problème s’il convenoit de purger au commencement des maladies : Mais je me déterminai bien-tôt, quand j’appris quelle étoit sur cela votre Pratique. Elle me confirma dans la Doctrine d’Hippocrate, qui recommande alors les purgatifs, dès que les humeurs en fougue menacent d’attaquer les principales parties du corps. Je traitois un pleuretique, auquel étoit survenu un transport au cerveau : Le mal commençoit, j’en examinai tous les symptômes ; après avoir remarqué une fermentation violente d’humeurs, je crus qu’il falloit recourir au purgatif. Je le fis, Monsieur, persuadé qu’on ne pouvoit se tromper avec vos maximes, qui sont les fruits d’une si longue expérience, & d’une méditation si profonde. Ce purgatif, pris avant la coction des humeurs, auroit dû, selon quelques gens prévenus, causer la mort au malade : Mais loin de lui ôter la vie, il la lui rendit, en le délivrant d’un Ver plat, long de plus de quatre aunes. C’est de ce Ver, dont je vous présentai l’Estampe il y a plusieurs mois, Monsieur. Je me souviens que vous me fites l’honneur de me dire à ce sujet, qu’en différentes rencontres vous aviez vu des Vers semblables : Ce qui doit ramener quelques esprits opiniâtres, qui ayant oui parler de celui ci, n’ont pû croire le fait possible. La circonstance de cette guérison est ce qui a donné lieu au Traité que je vous présente : Il ne paroîtra point sans votre consentement, Monsieur. Mais j’espère que vous ne me le refuserez pas, quand vous considererez, que je ne cherche en ceci que l’avantage du Public ; car c’est là le principal motif qui peut vous faire agréer un Ouvrage, comme c’est un des principaux motifs de toutes vos actions. En effet, Monsieur, quand je repasse tout ce que vous faites, je n’y trouve rien qui ne soit une preuve de votre zéle pour l’utilité publique. Si vous travaillez avec tant de constance à l’avancement de la Médecine, c’est que vous ne goûtez pas de douceur plus grande que de contribuer au plus grand bien des Citoyens, en perfectionnant un Art qui ne tend qu’à le leur conserver. Si vous éloignez les imposteurs, ces gens sans aveu, qui, dans une Profession toute charitable, ne songent qu’à contenter leur avarice, c’est que vous souffrez avec douleur, que le Peuple, incapable de discerner par lui même la vérité, soit le jouet, ou, pour mieux dire, la victime du mensonge. Si vous employez l’autorité du Souverain, pour empêcher certaines Facultés du Royaume d’accorder indistinctement des dégrés à quiconque se présente, c’est que vous ne voulez pas qu’on dresse ainsi des piéges à la vie des hommes, en prodiguant à des ignorans les titres d’une Science, qu’ils ne possédent pas. Si l’on vous voit si attentif à conserver la santé du monde la plus précieuse, & confiée à vos soins pour le bonheur de la France, c’est que vous sçavez qu’en vous acquitant d’un devoir si indispensable, vous assurez le repos & le salut de l’Etat. Enfin, si vous protégez avec tant de bonté notre Compagnie, votre vue est de l’animer à rendre ses Ecoles de jour en jour plus florissantes ; vous vous en êtes expliqué, Monsieur, & c’est le témoignage qu’elle vous a donné elle-même dans ce Remerciment solemnel, que par son ordre j’ai traduit en notre Langue avec tant de plaisir. On peut dire qu’elle remplit avec succès vos intentions : Vous voyez qu’elle s’applique uniquement à former des Médecins sages, éclairés, laborieux, & qui envisagent moins leur intérêt que le soulagement de leurs malades. Aussi, Monsieur, tout son but est de faire des Médecins capables de vous imiter : Elle ne propose à ses Eleves d’autre modèle que le désintéressement, la générosité, la droiture, les principes de probité & de religion, que l’on remarque en toute votre conduite : Elle leur remet devant les yeux cette élevation de Génie, cette grandeur d’Ame, cette profondeur d’Erudition si honorables au discernement du Prince, qui les a dignement recompensées en vous au gré de tous ses Peuples. Elle leur présente ces sçavantes Théses, où la délicatesse de vos expressions n’ôte rien à la solidité de vos pensées, & où l’une & l’autre ensemble prescrivent les régles salutaires d’un Art, qui demande tant de circonspection & de prudence. La derniere de ces Théses, entre autres, m’a paru si achevée, qu’après en avoir cité plusieurs endroits dans mon Livre, je n’ai pu m’empêcher de l’y traduire toute entiere ; non par l’espérance, Monsieur, d’en pouvoir exprimer les beautés, mais par le désir d’en donner au moins une legere idée à ceux à qui le secours des traductions est nécessaire. La Faculté enfin n’a d’autre volonté que la vôtre. Elle vous chérit comme un Protecteur, & vous révere comme son Oracle. Ce que je dis d’elle en général, se peut dire en particulier, de tous ceux qui la composent, ou si quelqu’un de nous étoit assez malheureux pour mériter une exception, le Corps le désavoueroit, & ne le regarderoit plus comme un de ses membres. Je ne cours point ce risque, Monsieur, car dans le dessein commun de nous former & de nous régler sur vous, si je n’ai pas le talent des autres pour y parvenir, nul au moins n’a plus de vénération & de déférence que moi pour vos sentimens, & pour votre illustre Personne. Je suis avec un profond respect,


MONSIEUR,


Votre très-humble, très-obéissant & très-obligé Serviteur, ANDRY.


À Paris ce premier Novembre 1699.


RÉPONSE
DE M. LE PREMIER MEDECIN.


À Versailles le 24. Novembre 1699.


MONSIEUR,

Si je ne vous invitois pas à donner promptement au Public, l’utile & sçavant Ouvrage, que vous voulez que j’approuve ; non-seulement je ne répondrois point au Portrait dont vous me flatez, mais je reconnoîtrois fort mal l’honneur que vous me faites de me l’adresser, en m’opposant à celui que l’occasion de ce Traité, & la maniére dont il est composé, doivent faire à votre jugement & à votre érudition. Il n’y a que l’excès des Eloges, dont votre Epître est remplie, qui m’obligeroit à vous prier de la retrancher, si je pouvois m’imaginer que quelqu’un me crût assez vain, pour être capable de me les attribuer. Je les regarde, Monsieur, comme une de ces idées parfaites, ausquelles on aspire sans y pouvoir atteindre ; & je veux bien donner une preuve du zéle que je vous avoue d’avoir pour le bien public, en souffrant que vous proposiez pour exemple, à ceux qui ont envie d’y contribuer, une copie qui me ressemble si peu. Mais je souhaite en même-temps qu’on me connoisse véritablement par l’estime infinie que je fais de votre mérite, & par la disposition où vous me trouverez toujours, de vous marquer dans les occasions de le publier, & de vous servir, que je suis assurement,

MONSIEUR,

Votre très-humble & très-
affectionné Serviteur,
FAGON.


Comme cette réponse si digne de la générosité & de la modestie de son illustre Auteur, lui rend avec usure les justes Eloges qu’il refuse, & qu’elle marque en même temps le soin qu’il prend d’encourager ceux qui tâchent de contribuer en quelque chose à l’avantage du Public, on n’a pas résisté à la tentation de la rapporter ici, pour suppléer à tout ce que les bornes d’une Epître n’ont pu permettre de dire.