De la génération des vers dans le corps de l’homme (1741)/Compléments/Lettres de Nicolas Hartsoeker

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Veuve Alix ; Lambert et Durand (Tome IIp. 711-718).


LETTRES ÉCRITES À L’AUTEUR


Par Mr Hartsoeker, & par Mr Baglivi, sur le sujet des Vers.


LETTRE
De Me. Nicolas Hartsoeker, de l’Académie Royale des Sciences,
écrite d’Amsterdam.


MONSIEUR,

Il faut sans doute que le Ver dont vous m’avez envoyé l’estampe, soit plus rare chez vous qu’il ne l’est dans ce climat ; car je connois plusieurs personnes qui ont été attaquées de cette maladie, & qui ont rendu des Vers d’une prodigieuse longueur, & semblables au vôtre. Mr Tulp, autrefois fameux Médecin d’ici, en fait mention dans ses Observations. Un Médecin de nos amis en a tiré un du corps d’un homme il n’y a pas encore quinze jours, & ce Ver excede la longueur du vôtre. Mais Mr Ruisch, Professeur d’Anatomie en cette Ville d’Amsterdam, m’en a fait voir deux, dont l’un a plus de quatre-vingts aulnes de ce Pays, qui font plus de quarante aulnes de France, ce que j’aurois de la peine à croire, si je ne l’avois vu ; car cela passe toute croyance : &, pour dire la vérité, Monsieur, cela me dérange entierement dans les pensées que j’ai toûjours eues, & que je ne sçaurois encore rejetter, que tout ce qui a vie, soit Animal, soit plante, vient par semence, & que rien ne s’engendre jamais de pourriture ; car si ces pensées sont vrayes, où voit-on sur terre des Vers de cette espéce, qui ayent une longueur si démesurée ? On aura beau dire que les alimens qu’ils trouvent dans les boyaux, où ils ont pris leur demeure, font changer leur figure, & les allongent si excessivement ; cela ne contente pas. On pourroit croire que ce Ver, puisqu’il est commun chez vous, & plus ordinaire dans ce Pays aquatique & bourbeux, réside au fond des eaux bien avant dans le limon, & qu’ainsi il peut arriver qu’on avale de ses œufs par la boisson, ou autrement ; mais si cela étoit, n’en auroit-on jamais trouvé dans la boue ? Pour moi, Monsieur, je crois qu’ils ont été créés avec les hommes, & que leur espéce est aussi ancienne que la race humaine, de même que cette sorte de Poux, qui ne se trouve que sur l’homme, & dont sans doute la race se perdroit, si celle de l’homme venoit à manquer. Je pense que ces Vers s’engendrent par mâle & par femelle dans les boyaux, & que quelques-uns de leurs œufs venant à sortir avec les excrémens, & à tomber sur quelque herbe, ou sur quelqu’autre chose, sont avalés par un autre, dans les entrailles duquel les Vers renfermés en ces œufs éclosent & se nourrissent. On trouve des Insectes par-tout, dont quelques-uns s’attachent à un seul Animal, pour y prendre leur nourriture ; d’autres à plusieurs, comme la Puce, qui se trouve sur l’homme, sur les Chiens, & sur beaucoup d’autres Animaux. On voit quelquefois des millions de Vers dans les Moules ; le fray de la Morrue en est parsemé ; on en trouve dans toutes les parties du corps de l’homme, même jusques dans sa glande pineale, s’il est vrai ce qu’on m’en a assuré. Enfin il semble que tous les Animaux ayent été faits, pour se servir de nourriture les uns aux autres ; les grands mangent les petits & en sont mangés. J’espere avoir bientôt l’honneur de vous entretenir plus amplement de bouche sur cette matiere, & de vous assurer que je suis avec respect,

MONSIEUR,
Votre très-humble &
très-obéissant serviteur,
Nicolas Hartsoeker.
À Amsterdam, ce 26. de Févr. 1699.




Autre Lettre de Mr Hartsoeker.


MONSIEUR,

Je crois que tout ce qui est amer & purgatif, est bon pour faire sortir les Vers des entrailles ; de sorte que la rhubarbe seule pourroit être employée avec effet. Quand on la donne à mâcher aux enfans, on dit que c’est pour fortifier leur estomac, mais je pense qu’elle ne sert à autre chose, qu’à tuer les Vers qui s’y trouvent. On peut aussi donner avec succès le mercure doux ; car ce n’est pas un poison assez violent pour tuer le Malade, mais il l’est pourtant assez pour tuer les Vers, pour peu qu’ils en avalent. Mon enfant étant dangereusement malade, & sans espérance de guérison, je lui donnai quelques grains de tartre émétique, ce qui en apparence ne fit ce jour-là, aucun effet sur lui ; mais le lendemain il rendit deux ou trois gros Vers morts, & fut guéri aussitôt. Pour vous dire ma pensée, Monsieur, je crois que les Vers causent la plûpart des maladies dont le genre humain est attaqué, & même que ceux qui ont les maux, que l’on appelle vénériens, nourrissent dans leur corps, une infinité d’Insectes invisibles, qui rongent & mordent tout ce qu’ils trouvent, & font tous les ravages que l’on sçait ; aussi ne peut-on bien les chasser que par le mercure, qui devient dans notre corps un poison qui les tue. Monsieur Ruisch ne m’a sçu dire du Ver, dont je vous ai déjà écrit, aucune particularité qui mérite que je vous en entretienne ; mais il m’en a offert un morceau, que je vous envoyerai, si vous souhaitez, afin que vous puissiez voir s’il ressemble au vôtre. Je suis avec tout le zele & toute la passion imaginables,

MONSIEUR,
Votre très-humble &
très-obéissant serviteur,
Nicolas Hartsoeker.
À Amsterdam, le 11. Juin 1699.